Mrs Morgan

Charuel_HuguetteJe vous ai déjà présenté la maman de Jean Poirotte, à l’occasion du martyr de la photo d’identité. Je reparlerai d’elle, car elle mérite son histoire, en plusieurs épisodes, c’est mon style (comment je vous rase grave avec mes souvenirs, z’avez signé c’est pas pour rien…).

Je me dois de vous présenter un peu ma famille pour continuer mes chroniques d’une vie ordinaire (ah vous z’aviez zappé ?) correctement (sinon vous ne comprendrez rien, je suis née dans une famille très originale, comme tout le monde). Si elles ne vous intéressent pas (mes chroniques), vous pouvez toujours aller voir ailleurs, alors que moi je suis bien obligée de supporter les (rares mais réels) cons de ma boîte… (je trouve ces parenthèses enrichissantes, pas vous ???)

Voici la maman de Mrs Bibelot. Cette photo un peu floue a été prise pendant l’occupation elle avait environ 32 ou 33 ans.

Je n’ai jamais connu de femme plus « girlie » qu’elle, et si elle avait eu internet à son époque, elle aurait certainement tenu un blog sur la beauté et ses secrets, la mode et le bon goût.  Mais nous étions fort peu à bénéficier de son savoir.

Bon d’accord, les chromosomes avaient été sympas avec elle. Elle était parfaite (c’est tout au moins l’avis de tous ceux qui l’ont connue). Même à 90 ans sur son lit de mort elle n’avait quasi pas une ride et une beauté intacte pour quelqu’un qui faisait 30 ans de moins que son âge. Ce fut un réconfort pour Mrs Bibelot en larmes et moi, d’entendre le « croque mort » déclarer « Dieu qu’elle a dû être belle votre maman ! ». Je l’ai surnommée Mrs Morgan, parce qu’en vieillissant (passé 50) elle ressemblait à Michèle Morgan. Elles allaient chez le même coiffeur et on la prenait pour la soeur de l’actrice… Elles en riaient parfois toutes les deux quand elles s’y retrouvaient (parce que la soeur de l’actrice ne lui ressemble pas)

Elle avait tous les livres possibles et imaginables concernant les secrets de beauté et a été une cliente assidue des parfumeries où on lui déroulait le tapis rouge. Dès mes 12 ans, elle se préoccupa de m’inculquer le minimum beauté. Démaquillage « même si tu ne te maquille pas », soins éventuels (j’avais un peu d’acné et il n’existait pas vraiment de traitement à l’époque, c’était l’horreur, mais grâce à elle j’eus un jour une lotion miracle qui me changea la vie). Elle m’acheta mes premiers produits, dont je me souviens encore : c’était un lait et une lotion de chez Vichy. Je leur ai été fidèle jusqu’à ce que ces imbéciles changent la formule et le parfum. Hors, ce parfum, c’était mes 12 ans et mes premiers moments Girlies avec ma grand mère. J’ai changé de marque…

Elle sermonna papa pour qu’il me laisse mettre un peu de mascara et qu’il arrête de m’interdire de me maquiller (via sa fille, Mrs Bibelot), et me laissa tester ses produits de maquillage, pour m’expliquer qu’il n’en fallait point trop et comment faire. C’était limite si l’on devait voir que j’étais maquillée. Je garde d’elle le goût du trop peu plutôt que du trop. Elle m’acheta ma première poudre (libre, de chez Caron), mon premier mascara (en cake à l’époque, avec une brosse à mouiller), et ma première petite crème de jour, toujours chez Vichy.

J’étais très blonde comme elle, et elle m’apprit à discrètement souligner mes sourcils albinos (et hop un crayon au passage), et également à m’épiler, et surtout à m’habiller.

Elle suivait la mode, mais elle se savait un style et n’aurait jamais dérogé à ce dernier. Toujours à la mode et jusque fort tard, elle restait elle même et tout ce qu’elle choisissait lui allait… Quand j’allais passer 8 jours de vacances avec elle, elle faisait les boutiques avec moi. Elle avait le regard sûr, même si la vendeuse la haïssait de toute évidence quand elle me déconseillait la veste certe mode mais « le orange ce n’est pas pour toi ma chérie » et me rassurait : on irait voir ailleurs.

Quand je parlais « régime », elle me rétorquait la ligne haricot qu’elle avait eue pendant la guerre (la photo date de vers 1943) en crevant de faim devant des rutabagas en quantité insuffisante. « Tu n’as pas l’étoffe d’une sylphide » me disait-elle. « Tu es charpentée, tu serais immonde à 55 kg… Tu es comme moi, il te faut quelques rondeurs, sans exagération, le mollet maigre ce n’est pas joli… »

Meilleure amie et moi allions régulièrement passer des WE pendant nos vacances, avec nos mobylettes, dans sa maison de campagne où elle demeurait le dimanche, lundi et mardi (elle tenait un commerce de luxe et chômait le mardi, sa vendeuse s’occupant du magasin). Comme son mari repartait lui le dimanche soir, c’était girlie à mort. Nous affrontions le froid, la neige, pour aller passer 2 à 3 jours magiques chez elle. L’été nous papotions à l’ombre d’un grand cèdre « le soleil vieillit la peau les filles, il faut le fuir comme la peste ».

Elle nous donna ses recettes infaillibles pour avoir la peau toujours belle et les cheveux aussi, celle du vinaigre de la reine de hongrie qu’elle tenait de sa tante Alphonsine (que je garde jalousement et meilleure amie aussi, ça nous paiera notre maison de retraite). Elle nous racontait sa vie, nous prévint de ce qui nous attendait avec les hommes. Elle avait le langage clair et vrai et meilleure amie qui avait une grand mère « nanie à l’ancienne », n’en revenait souvent pas des précisions qu’elle nous donnait (genre son mari avait passé les 3 premières nuits de leur mariage sur le canapé, elle grimpée sur l’armoire, tellement elle avait été horrifiée de ce qu’elle avait découvert (et oui, ça existait), mais après, bon, finalement c’était plus que sympa…).

Le mardi elle affrétait un taxi et nous emmenait dans la parfumerie la plus proche. Elle voulait bien nous offrir des produits de maquillage mais « pas cette horreur là mon dieu, vous n’avez pas honte mademoiselle de vendre celà à des prix pareils ? ». Elle avait une prédilection pour Héléna Rubinsteiiiin et mon premier crayon noir me fut offert par elle, dans cette marque. Elle me montra comment m’en servir en ayant la main légère et précise.

En prévision de notre venue, elle avait acheté des magasines modes et nous conseillait où nous déconseillait. On sentait qu’elle adorait. Meilleure amie et moi avons des styles différents et elle savait parfaitement en tenir compte.

Elle nous racontait ses déboires coiffure. Quand la mode vint au noir corbeau, elle fut noir corbeau (avec des croûtes plein la tête) et elle était toujours divine. Après elle fut plus sage et se cantonna à son blond nature (comment entretenir le cheveux blond ma chérie…) Nous pouvions lire chez elle l’intégrale des « elle » qu’elle conservait jalousement depuis sa création, mais qu’un beau jour, quand elle commença à perdre la tête, son deuxième mari jeta stupidement. J’espère qu’il les lit tous en son purgatoire et qu’on lui fait faire des QCM sur la meilleure manière de se maquiller et la condition féminine…!

Nous mijotions chez elle des lotions, des crèmes (oui…), des rinçages pour les cheveux blonds ou auburn (meilleure amie), et elle nous concoctait un dîner super au cours duquel nous allions bien rigoler. Elle avait un goût parfait sur la mode, la beauté, la décoration, nous conseillait des lectures et fronçait moyen les sourcils (c’est mauvais pour les rides) devant notre écriture. La sienne était parfaite. Lorsque nous repartions dans la nuit glacée (vacances d’hivers), elle nous glissait un billet pour un achat de fringue choisie avec elle, à lui présenter absolument la prochaine fois.

Elle était en plus cultivée, adorait lire, l’histoire et la géographie. Elle n’était jamais futile finalement, et la preuve que l’on peut aimer la beauté et s’entretenir (ce que certains considèrent comme futile) et avoir une tête (ce que l’on voit désormais sur les blogs de filles)

Je l’adorais. Je l’adore toujours, et elle me manque. Les chromosomes n’étant pas sympas, pour l’instant personne ne lui ressemble. Pulchérie par contre a ses petits pieds et s’est régalée de ses chaussures de goût (tellement qu’elles sont toujours d’actualité 15 ans après) qui semblent faites pour elle et qu’elle porte divinement bien actuellement, en ayant l’impression d’être dans des chaussons.

Peut-être qu’un jour une petite fille de la descendance héritera d’elle. Les gènes sont si aléatoires qu’on ne sait pas chez qui cela se pointera… (pour l’instant Delphine ressemble plutôt beaucoup à l’autre grand mère, ce serait drôle que ce soit elle qui transmette Mrs Morgan à une petite fille, ou un de mes neveux, encore que Pulchérie ait le plus de chance vu qu’elle ressemble à la mère de Mrs Morgan…)

Je tiens à le rappeler ici : c’est à elle que j’ai piqué ma première pince à épiler, mais juste une monsieur le bourreau ! Je n’en ai piqué qu’une dans toute mon existence !

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