Mrs Tricot

Simone_02Vous la connaissiez déjà, il me manquait un nom pour elle, que j’ai trouvé ce soir en constatant que j’avais commencé un tricot (une écharpe) il y a environ 4 ans, qui attend que je le termine (ben quoi, j’ai toute la vie devant moi et la planète se réchauffe…).

Elle tricotait super bien, c’est elle qui m’a donné des leçons et tout appris, et donc, elle sera Mrs Tricot, la femme du « prisonnier« . Elle m’aurait terminé cette écharpe en moins de deux tout en regardant la TV (encore que de nos jours devant les programmes mirifiques, on peut se laisser distraire…)

Delphine lui ressemblait petite, tout en tenant maintenant du côté de son père (quoique, il y a quelque chose). L’hérédité est vraiment curieuse.

Je l’ai bien bien connue, puisqu’elle a décidé de nous quitter bien plus tardivement que son mari qu’elle aspirait à rejoindre.

Quand je repense à elle, qui m’a beaucoup parlé et beaucoup raconté, je me dis qu’elle est peut-être la personne que j’ai connue qui était la plus pleine de contrastes.

Elle avait un côté timide par exemple, et complexé… Un trop beau restaurant, une trop belle boutique… Ce n’était pas « pour elle ». Elle s’y sentait mal à l’aise, elle ne le « méritait » pas. Alors que mon grand père du temps où il était là, trouvait tout à fait normal de s’offrir le meilleur quand il en avait les moyens durement gagnés.  Elle était par contre tout à fait capable de rappeler un groupe (même à l’air louche) quittant la plage pour signaler que laisser des bouteilles et des sacs plastiques c’est une honte et qu’il y a des poubelles plus loin… Quitte à se faire lyncher par le groupe, rien à battre, elle disait ce qu’elle pensait et tenait tête.

C’est elle qui m’emmenait à la messe de minuit. La religion l’avait rattrapée après le retour de son mari de captivité. Cela avait scié ses parents (incroyants au possible), qui en avaient déduit qu’elle avait dû faire un voeu, genre « s’il revient c’est que dieu existe ».

Elle avait toutes les trouilles et tous les culots.

En juin 1940, après la débâcle, elle reçut une carte interzone de mon grand père. La carte où l’on cochait les mentions utiles « je suis mort (vivant), gravement blessé (en bonne santé), prisonnier (dans une maison close), dans tel bled (censuré) » et… C’était super la carte interzone ! Cela permettait généralement de savoir que l’autre était vivant point barre…

En plein dans la zone interdite le grand père ! Un coup de bol que la carte soit arrivée et qu’elle sache où il était. Vous ne connaissez pas l’existence d’une zone interdite à cette époque là ? Z’avez qu’à aller voir sur gogole, je ne fais pas non plus prof d’histoire ici.

Timide ou pas ? la voici préparant son expédition pour aller libérer son mari. Elle a préparé ses affaires, les vêtements civils de son mari, trouvé de faux papiers (on admire, c’était avant l’invention du scan, de phototruc et de l’imprimante super) pour lui, confié mon père à ses parents, et est partie pour la zone interdite. Les trains s’arrêtaient à la frontière (de la zone interdite, suivez un peu tout de même !). Là elle s’est habillée en paysanne et a fait du stop sur le bord de la route, jusqu’à ce qu’un paysan la prenne en charge dans sa cariole…

Comme elle l’a béni cet homme, de l’avoir conduite où il fallait et de lui avoir promis de la prendre au retour, avec un chargement capable de dissimuler un prisonnier évadé. Elle a retrouvé son mari et nous disait parfois (après un petit coup de blanc tout de même) « il y a des nuits qui comptent dans une vie ».

Lui a refusé de la suivre sur le chemin du retour. On lui avait dit que s’il s’évadait, la famille qui l’hébergeait serait fusillée. Il ne voulait pas courir ce risque, garder ce doute à jamais en lui, ou constater bien plus tard que oui, on les avait fusillés… Elle nous a dit avoir insisté n’en ayant rien à faire de cette famille ! Puis cédé…

Elle est repartie dans la cariole du paysan bien gentil avec son tas de foin, en pleurant de ne pas ramener son homme avec elle. Elle est rentrée chez elle comme elle l’a pu et bien pu.

Lui a-t-il regretté ? Après coup il a su qu’il n’aurait pas eu d’autre choix que d’être un clandestin quelque part. Elle aussi… Mais ni l’un ni l’autre n’avaient choisi vraiment. Elle était prête à le cacher dans la cave jusqu’au bout, sans savoir qu’il faudrait le nourrir avec des tickets de rationnement très stricts…

Mais elle l’a faite son expédition. Une véritable expédition pour l’époque. Et pour cela, je lui tire à jamais mon chapeau, moi qui suis trouillarde comme pas possible… Je ne pense pas que j’aurais eu son cran… Je ne sais pas…

Après son retour elle a commencé à cacher Jean Poirotte dans le grenier parce que l’ON racontait que les allemands prenaient les petits garçons pour les torturer et les tuer. Il fallait que son père se fâche et prenne le mouflet en mains. Certains jours, elle l’emmenait dans la forêt envoyer des baisers vers l’Est, vers « papa »… Elle l’a fait jusqu’en mai 1945.

Je pense que cela n’a pas été très facile pour mon papa à moi. Mais Mrs Tricot a fait ce qu’elle pouvait, et pendant toute la captivité de son mari, ce que l’on appelle maintenant « une dépression nerveuse ».

A son époque le diagnostic n’existait pas, elle avait juste « ses nerfs » et rien pour y remédier…

Bienvenue définitive à Mrs Tricot sur ce blog… Elle reviendra souvent, c’était elle d’ailleurs qui était morte de rire à cause des anglaises…, celle de la Toussaint, et d’autres à venir.