La surprise… (suite et fin)

Surprise_3_55949044Donc le lundi 7 mai, me voici débarquant à Paris.

Voyage en train bien passé, j’étais sereine. J’allais l’avoir ma surprise, j’était totalement décontractée… (si, vraiment)

Delphine est venue me récupérer Place des Vosges dès qu’elle a pu, et rendez-vous avec Pulchérie vers Beaubourg (mon dieu que ce centre est moche, je ne le dirai jamais assez !). Elles m’ont fait traîner un peu, le rendez-vous (mais lequel ???) étant pris pour 20 H 15. J’aurais pu prendre le train d’après, mais bon, pas grave… J’étais avec mes amours, mes petits bébés, même si Pulchérie précise toujours qu’elle n’est pas mon bébé (désolée, mentalement je lui talque toujours les petites fesses…)

J’y avais fugitivement pensé (croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer), sans m’y attarder trop, car Pulchérie m’avait parlé « du noir » en m’indiquant qu’elle « m’égarait », et j’ai bel et bien débarqué dans ce restaurant de Paris où l’on mange dans le noir… J’en avais entendu parler et j’avais trouvé le concept original. Sauf que là j’étais en plein dans le concept, et qu’en attendant de pénétrer dans la salle après avoir reçu les instructions de rigueur, je me suis mise à carrément flipper même si cela restait original. Original je veux bien, mais pas pour moi

  • Donc on se débarrasse de tout ce qui est source lumineuse. Lâchement j’avais gardé mes clopes comme si j’allais pouvoir sortir un petit coup (pour ne jamais re-rentrer, inutile d’espérer)… Et puis j’avais mon briquet. On range tout dans un casier fermant à clefs et on attend de passer sa commande. Je flippe à mort.

  • Celui qui prend la commande conseille le menu surprise : dans le noir, il est très difficile de savoir finalement ce que l’on mange, et de reconnaître tous les goûts (sauf ceux que l’on déteste vraiment, donc Pulchérie supporte les asperges, et moi résolument pas le melon…). Il explique le concept du « dans le noir ». On sait tous ce qu’est le noir et j’avais dit que je n’en avais pas peur (sauf que le total je n’avais jamais vécu et que j’ai commencé à flipper quand il à expliqué ce que c’était vraiment). Il nous demande nos allergies éventuelles et ce que nous ne mangerons jamais pour cause de conviction ou autre… Je flippe tellement que je ne pense à rien de particulier… comme si j’aimais tout. Pulchérie prend le menu surprise, Delphine se déballonne pour prendre quelque chose qu’elle connaît, je suis Pulchérie dans cette aventure.

  • Quand vient notre tour, notre guide aveugle (je déteste l’expression : « non voyant », je trouve cela hypocrite) appelle deux tables : celle de Vladimir et de Pulchérie. Le premier de la file met ses mains sur les épaules de la guide, et ainsi de suite. J’ai Delphine juste derrière moi et une fois passé deux rideaux, c’est le noir total le noir absolu… On ne voit absolument rien, rien du tout !.

  • Je ne flippe plus, j’ai vraiment peur. Une peur panique que la guide entend très bien quand je la chuchotte à Delphine… On ne distingue absolument rien, et vainement on écarquille les yeux. On analysera la panique après, mais pour l’instant je veux sortir, et je ne peux pas, car je ne sais même pas où est la sortie, ni d’où je viens. Je vais mourir là, j’ai peur, je tremble. Dephine me rassure, la guide me prend par la main, sent que je tremble et m’installe à une table en m’assurant que tout va bien se passer, Delphine en face de moi (de ce que j’entends et sens quand elle cherche ma main et me parle doucement pour me rassurer) sent également que je tremble… Ca doit faire drôle une maman qui tremble, mais je ne peux pas juguler mon angoisse et j’écarquille les yeux au maximum… Pourquoi je ne distingue rien ?

  • Arrive Pulchérie apparement, elle, décontractée, que la guide a laissé attendre 2 ou 3 minutes seule. Elle a très bien senti ceux qui flippaient ou pas. Qu’avait-elle à nous dire qu’elle n’a pas dit ? Je sens que Pulchérie flippe : pour moi. Pourvu que cette surprise ne tourne pas mal. Moi, j’ai du mal à parler, j’ai la gorge coincée, j’essaye vainement de voir quelque chose, je suis incapable de parlotter (vous sentez le malaise vrai…) Les filles me demandent de dire quelque chose « maman, parle nous ! », mais tout se coince dans ma gorge, j’ai mal, je souffre, je me sens oppressée, je veux m’en aller d’ici, tout de suite, immédiatement. Je suis incapable de dire ce que je ressens réellement, ce que je pense vraiment. Mon voisin de droite m’adresse gentiment la parole : il est content d’avoir du monde à côté de lui, celui de gauche aussi. Delphine ne me lâche pas la main. Elle m’avouera après qu’elle flippait également mais s’est donnée comme priorité de me rassurer.

  • La peur me lâche un peu quand Pulchérie nous affirme que cette salle peut s’allumer en un clin d’oeil en cas de pépin, dans la mesure où elle n’est pas toujours « noire ». Elle nous rappelle que nous sommes filmés infra rouges et qu’en cas de problème (une crise de n’importe quoi), les pompiers n’interviendront pas dans le noir. Notre guide vient me rassurer à 2 reprises, elle est adorable et affectueuse,  et m’apporte mon verre de vin pris avec l’entrée (j’ai choisi l’option : un verre par plat = 3). Je tiens mon verre comme une désespérée. Les filles veulent y goûter : elles vont tout me renverser. Non ça se passe bien, mais ce noir absolu, l’absence de tout repère visuel m’est insupportable… Il y en a qui vivent cela tous les jours. Comme tous les serveurs dans ce restaurant… J’ai beau adorer la musique je persiste et signe : je préfère devenir sourde.

  • Impossible de se rendre compte, même au brouhaha, de la taille de la salle. J’ai du mal à visualiser Pulchérie, il y a comme un angle dans les tables que je tâte. Au fur et à mesure que la soirée passera j’aurais sans cesse l’impression qu’elle se déplace vers sa soeur, plus en face de moi qu’à gauche…

  • L’entrée arrive, je planque mon verre. On fait comment avec les couverts ? On se sert un peu de ses doigts pour « voir » ce qu’il y a dans l’assiette. Je mets le doigt dans de la sauce évidemment. Je m’essuie discrètement, ce qui est totalement inutile car personne ne peut me voir… Pulchérie annonce haut et clair, qu’elle se met sa serviette autour du cou, on trouve l’iidée bonne. De nous avoir donné de grandes serviettes également, car apparement un peu partout on mange beaucoup avec les doigts, difficile de se servir de couverts d’emblée…  Dans le centre de l’assiette, nous sommes prévenus, un petit verre. Je goûte : c’est du nectar de melon, je suis formelle. Je le refile à Delphine qui attend son plat (elle n’a pas pris d’entrée) en tâtonnant. Nous essayons tous d’identifier ce que nous mangeons, au nez, au goût… Le goût fait défaut, on s’en apercevra à la sortie. Moi j’ai plutôt un bon nez pour une fumeuse, mais je panique encore trop pour lui faire confiance…

  • J’identifie une ou deux asperges, de la crevette en beignet, du je ne sais quoi, bon mais je ne mets pas le nom dessus. Tout est délicieux, mais si cela se trouve je suis en train de manger de la cervelle même si l’on m’a dit « pas d’abats ». J’essaye de me servir un verre d’eau en suivant le conseil donné « mettre un doigt dans le verre pour mesurer le niveau ». Difficile, j’en ai plein les pieds et peu dans mon verre.

  • Je ne sais pas si Delphine a réussi à se servir en eau, mais elle repose mal la carafe, pête le petit verre de nectar de melon qu’elle ne m’a pas rendu malgré la consigne de le remettre dans l’assiette au centre. La carafe s’écroule et j’en ai plein les jambes cette fois-ci. Mon assiette (vide, j’espère) est pleine de flotte et déborde. La serveuse est catastrophée, en 5 minutes c’est le 3ème bris de verre brisé dans son secteur. J’ai mal pour elle qui ne peut pas allumer la lumière pour résoudre le problème…

  • La peur s’estompe petit à petit. Je me résigne à n’y rien voir. La discussion se fait avec les filles et nous rigolons bien (comme à l’ordinaire : 3 gamines dont moi). Finalement le petit coup de rouge sur le plat de résistance qui a un peu tardé à venir, finit de me détendre… Telle une de mes lointaines ancêtres, je renonce à couper la viande et je mange l’agneau à la main (j’ai eu une serviette propre, la première étant inondée). Tout le monde en fait autant. Pour la purée et les légumes c’est plus difficile. Pulchérie et moi avons demandé « sans légume vert », donc j’ignore si finalement je les aurais mangés avec délectation. J’annonce de la purée de carottes avec peut-être un peu de potimaron ou autre, du coup Pulchérie n’aime pas parce qu’elle déteste la purée de carottes et les marrons encore plus. Là aussi, tout faux (c’était de la purée d’olive verte). Je vérifie que je n’ai plus rien dans mon assiette avec la main. Tout le monde slurpe ses doigts avant de s’essuyer sur la serviette. Delphine goûte dans l’assiette de sa soeur, regrette d’avoir choisit son plat qu’elle ne reconnaît pas finalement. elle aurait dû faire comme nous : prendre le menu dégustation.

  • Pulchérie fait goûter à sa soeur la purée. Delphine aura tout faux également. Elles trouvent un os. Dangereux quand on n’y voit rien. En fait Pulchérie éclate de rire tout à coup « j’ai une pince à linge dans mon assiette ! » (dont elle est persuadée qu’elle était verte, la pince). Notre « guide » et serveuse est mortifiée : cette pince était un point de repère pour elle pour l’assiette sans légume vert, et elle est tombée dans l’assiette. On la fusille quand la malheureuse ?

  • Vient le dessert. Exquis, mais là encore on cherche. C’est fait exprès en plus, les arômes sont subtilement mélangés… Seul le chocolat est reconnu par tous à l’unanimité… J’écarquille toujours les yeux, mais je suis détendue et j’ai bien identifié le 3ème verre du dessert : du Chardonnay, exquis.

  • Delphine demande à la guide si nous pouvons sortir. Elle nous demande si tout c’est bien passé… Oui finalement tout s’est bien passé, on ne lui en veut pas de la pince à linge et c’était un amour, courageux en plus… Mais je pose avec bonheur mes mains sur ses épaules pour revenir petit à petit vers la lumière (c’est graduel). Je pense à elle qui ne la voit pas… J’admire son courage que je n’aurais jamais : le deuxième service l’attend…

  • C’est bon je retrouve petit à petit la vue (ça reste flou quelques minutes)… La peur s’oublie, s’analyse. Souvenir des crises de somnambulisme d’enfant quand je me croyais à un endroit et était à un autre, complètement perdue. Peur de tous de perdre un jour la vue que j’ai tâtée vraiment un jour où j’ai perdu pendant une heure la vision de l’oeil gauche. Sauf que ce n’était pas noir. C’était neutre, dans les beiges, plutôt clair et très gênant quand je fermais l’oeil pour retrouver l’obscurité…

  • Analyse de cette obscurité qui nous agresse alors que nous n’avons aucun repère… Je regarde se déplacer pendant que les filles attendent pour payer, les serveurs… Leurs repères ils les ont et aucune hésitation… Ils nous ont demandé à tous en début de repas, de ne pas parler trop fort. Instinctivement, on hausse le ton quand on ne voit rien, mais eux, cela les perturbe.

  • 2 rats partent sans payer parce que le caissier est débordé. Pulchérie est outrée… Je n’en reviens pas non plus. Ils ont mangé excellement bien (car c’est très bon, je confirme), mais ne supportent pas d’attendre. Pensent-ils à ceux qui les ont servis, qui malgré leur handicap que l’on comprend soudain, travaillent ? Ils se prennent pour qui ? En attendant la note nous constatons avec surprise ce que nous avons mangé…

  • La purée de carotte était une purée d’olive verte. Le truc que personne ne reconnaissait était de l’avocat, etc… Tout le monde sourit, en clignant un peu les yeux.

  • Dehors : les cadeaux pour maman. Elles voulaient me les donner dans la salle, mais ce n’était pas possible : je les aurais reconnus à la main, c’est certain, mais aucun sac, aucun vêtement ne doit gêner les serveurs…

Me voici donc avec un joli chemisier blanc, des sels de bain, et un téléphone portable qui fait que je n’entamerais pas ma 50ème année à 17 H 55, comme une mémée.

Merci mes amours. Hier soir je me disais que je recommencerais pas cette expérience, et finalement je me dis : pourquoi pas ????

Jean Poirotte à qui Pulchérie avait dévoilé la chose, a tout de même été surpris… Pour lui « dans le noir », c’est le noir que nous connaissons tous, dans lequel on voit tout de même vaguement quelque chose. Très important à savoir : il y a toujours une brève lueur à un moment ou à un autre, ou nous savons où nous sommes et comment allumer. Là, on ne peut pas. Comme certains ne peuvent pas faire la lumière et la vision sur leur vie…

Et c’était une super soirée, (ce que je ne pensais pas en tout début de repas) et qu’offrir de plus beau à sa maman que l’on aime, que de la fraternité avec ceux qui souffrent en silence d’un handicap que l’on ne peut comprendre que dans ce lieu finalement magique ? Car c’est aussi de l’amour.

Pour ceux que cela intéresse : http://www.danslenoir.com/

Encore merci mes amours… Et désolée pour ma panique du début, que j’ai réussi tout de même à surmonter. La panique est une chose très particulière et il y a quelques temps, avec Truchon dans la tête, j’aurais demandé à aller manger finalement dans la salle où l’on voit clair ou allumé mon briquet de trouille…

Et j’ajoute : cela restera finalement magique. C’est une soirée odeurs, goût, toucher… Sans rien de visuel. Comme un rêve finalement… C’est le noir absolu, les voix de mes filles, nos rires finalement qui reviennent toujours… quelque chose de jamais vécu… Ou de déjà vécu… Nos rires ? toujours !!!!

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