A méditer, avec du coeur…

AMEVOKOUL’école de Delphine était « jumelée », de la volonté du directeur, avec une école togolaise que nous aidions à émerger, le directeur de cette école étant très ami avec le nôtre. Chaque enfant avait un correspondant depuis le CE2 et le conservait jusqu’à la fin du CM2. Là, il y avait eu une quête (l’argent étant regroupé puis partagé pour que tous les enfants aient la même somme), l’envoi d’argent, de cahiers et stylos, de chocolat, médicaments et autres choses pour nous naturelles. Les envois avaient lieu une fois par trimestre courrier inclus parfois dans les colis. Là nous avions tout envoyé pour qu’ils aient tout avant Noël… D’ailleurs si mes souvenirs sont bons, c’est notre directeur qui était parti en personne, avec deux ou trois cantines et un magnétophone…

Et voici la lettre du correspondant au début du deuxième trimestre (qui s’exprime en monnaie de son pays), qui mérite encore et toujours d’être méditée de nos jours et avait bien attristé Delphine. J’en respecte les termes et l’orthographe (Delphine et lui avaient 10 ans).

« Chère Delphine,
Comment vas-tu ? J’espère que tout va bien, chez toi, à l’école, comme dans ta famille.
C’est avec une grande joie que j’ai reçu les 2000 F que tu m’as généreusement envoyés par l’intermédiaire du directeur. L’argent m’a été remis la veille de Noël.
Ca a été une grande surprise pour moi.
Nous traversons une période difficile dans mon pays. Il manque d’argent et les gens souffrent. Les marchandises ont le prix doublé ou triplé. Je suis heureux que tu m’as envoyé 2000 F pour fêter Noël. Je t’en remercie beaucoup. Que Dieu te protège et t’accorde une bonne santé, ainsi qu’à toute ta famille. Avec les 2000 F j’ai acheté chez le fripier à Gadzefe un bon pantalon, une belle chemise et une paire de samaras. C’est les samaras que je porte pour aller à l’école, je ne marche plus nu-pieds et je suis habillé pour un moment car j’ai pris grand. J’ai gardé mes vieux vêtements pour les travaux aux champs avec mon père pour ne pas abimer les nouveaux.
J’ai gardé 500 F pour l’achat de la nourriture le matin à l’école.
Le jour de Noël et de nouvel an, j’ai mangé du riz avec du poulet, foufou d’igname et la pâte de la farine de maïs. Les 2 grands coqs que nous avons tués pour les fêtes proviennent de notre élevage.
Mes parents ont bu un peu de sodabi (alcool) avec des amis le jour de Noël. Il n’y a pas eu de réjouissance populaire sous l’arbre à palabre dans mon village cette année. Les gens ont moins fêté Noël et Nouvel an parce qu’ils manquaient d’argent. Ils sont moins heureux. J’ai lu avec grande joie ta lettre que j’ai reçue pendant la période de compositions du premier trimestre. J’ai bien travaillé j’ai été le 1er, le maître est content de moi.
Moi je n’ai pas beaucoup de livre. J’ai un livre de lecture que mes parents m’ont acheté et c’est fini. Comment as-tu fêté Noël et Nouvel an ? Est-ce que tes parents t’ont offert des cadeaux ? Lesquels ? Moi rien car l’argent manque cruellement. Monsieur le directeur nous a donné le chocolat à l’école. Tous les élèves et maîtres l’ont mangé. Les médicaments nous soulagent vite à l’école. Moi je suis régulier parce qu’on me donne des médicaments gratuits quand je suis malade. As-tu reçu ma carte de souhait ? J’ai reçu la tienne. As-tu écouté la cassette enregistrée au moment de la remise de l’argent et de la distribution du chocolat aux enfants ? La prise de Nivaquine par les enfants a été enregistrée.
L’harmattan a soufflé fort en janvier. La température a baissé. Certains matins nous avons eu 23° ou 24° on arrivait en retard à l’école en grelottant.
Maintenant il ne pleut pas. Il fait chaud. La poussière gène et on tousse souvent. Mais nous sommes souvent soulagés quand on a de la toux, les médicaments sont bons. Mes parents n’ont plus de soucis d’argent pour m’acheter des médicaments contre la fièvre ou la toux, vive notre correspondance scolaire.
Quand il fait chaud dans la journée la température monte jusqu’à 36° 37°. Le soir à 18 H on a 29° 30°. Au Togo il y a des hiboux, des perroquets, des charognards, des éperviers, des toucans, des pigons verts, des perdrix, des pintades sauvages etc… Dans la réserve de l’Akéran, des singes vivent en bandes, des gazelles, des antilopes, des sangliers, des phacochères, des éléphants, des tigres, des lions etc… Mais je suis jamais allé les voir et je ne pourrai sans doute jamais.
Quels sont les animaux qu’il y a dans ta région ? Peux-tu les voir ?
Et toi, as-tu des parents aimants et affectueux ? Peux-tu manger de la viande de temps à autre ? Avez-vous de la volaille à élever pour en manger aux fêtes ? Que mange-tu tous les jours et avez-vous aussi de la nourriture à acheter à l’école ? As-tu tout ce qu’il faut pour t’habiller ? Monsieur le Directeur nous a dis que nous ne pouvions pas comprendre la vie qui est la vôtre, mais je suis certain que si, si tu m’explique. Peux-tu m’expliquer ce qu’est la neige ?
Ma lettre est longue parce que j’avais pas vite répondu à ta lettre du 21/11/1994.
Longue vie à notre amitié. Je te salue amicalement et je bénis tes parents qui t’ont permis de m’envoyer de l’argent. Merci à votre directeur et à tous ceux qui nous envoyé toutes ces choses qui nous rendent la vie meilleure dans cette période si difficile. Que Dieu vous bénisse également et vous accorde le paradis ».

Ce petit garçon avait l’âge de Delphine. Qu’est-il devenu ? Nous avons perdu sa trace quand Delphine est entrée en 6ème, tout en sachant que le jumelage se poursuivait. C’est un homme maintenant… Quel sorte d’homme est-il devenu au Togo, dans un contexte si difficile ? J’aimais tellement l’enfant…

L’homme est-il mauvais ? Spontanément, tous les enfants de la classe ont pleuré en recevant leurs lettres de réponse, et le maître a dû consacrer son après midi à expliquer. Ils ont regretté d’avoir eu autant de cadeaux à Noël et de ne pas avoir demandé à leurs parents de consacrer plus pour les togolais au détriment d’un cadeau ou deux… La cassette était émouvante : cris de joie et d’émerveillement devant du chocolat, des cahiers, des médicaments, des stylos. A Pâques ils nous ont tannés pour une nouvelle quête, quitte à se passer de chocolats… Certains ont piqué dans le porte monnaie de maman ou papa pour les petits togolais. Les en blâmer ? Non, mais on ne pique pas dans le porte monnaie. Difficile à faire passer quand c’est pour une bonne cause…

L’envoi de Pâques comportait de l’argent, du chocolat, et des livres, des livres, plein de livres. Tous les togolais se plaignaient de n’avoir rien à lire. Et nos enfants avaient ce qu’il fallait et ne lisaient pas… Cela les a fait réfléchir un peu… Et encore des médicaments… Là nous passions par l’UNESCO.

On offre quoi au petit pour Noël ? La dernière console de jeux qui coûte un oeil ? et quoi d’autre ?

Une sorcière mélancolique d’avoir retrouvé cette lettre. Je ne vous cache pas que la relire m’a fait monter les larmes aux yeux, comme jadis… Delphine a répondu mensongèrement pour les cadeaux de Noël, son alimentation. Elle avait honte de ce que son correspondant aurait trouvé d’extraordinaire dans sa vie, et de l’émerveillement qu’il aurait eu face à son quotidien…

Pauvres enfants d’Afrique et d’ailleurs et que d’argent gaspillé pour faire des nôtres des enfants tyrans… C’est juste un (triste) constat…

(Oui je sais, en ce moment je n’ai pas trop le moral pour vous faire rigoler. Ca reviendra… Mais ce courrier retrouvé, il fallait qu’il sorte…)

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