29 avril 1945

Alphonsine_accoucheMalgré les soucis qui sont les siens, elle s’est levée tôt Alphonsine. Toutes les femmes de la famille en ont fait autant : Mrs Tricot, Mrs Morgan, Tante Hortense, mon arrière grand-mère, les autres. Toutes étaient debout dès le petit matin.

Alphonsine, Mrs Tricot et Mrs Morgan, se sont fait un shampoing et une petite mise en pli. Pas les plus âgées pour qui le shampoing c’est une fois l’an.

Elles ont mis du temps à choisir leur toilette, réfléchi à deux fois pour la jupe machin, ou la jupe truc (pas de pantalon à l’époque), le caraco à porter sous le chemisier le plus joli. Elles ont parfois ressorti le plus jolie col de dentelle sur lequelle elles ont passé des heures quand leur mère leur apprenait le point d’Alençon ou le point de Venise.

Elles ont mis du parfum ou de l’eau de cologne. Pour les plus jeunes : poudre de riz, eye liner et mascara en cake… Elles se sont faites toutes belles, sous le regard parfois narquois de leur époux, quand époux il y avait.

Elles se sont retrouvées dehors avec plein de femmes s’étant roulées dans leur commode comme elles. Elles se sont souvenues ensemble des heures noires, des disparues, de celles qui avaient sacrifié leur vie pour l’avenir. Elles se sont souvenues ensemble de l’autre guerre, où il s’en était tant passé.

Pour se retrouver, quasi les premières devant la mairie où le bureau de vote allait ouvrir.

29 avril 1945 : pour la première fois, les françaises vont voter, il n’en manque pas une !

Très en retard sur d’autres femmes, dont les turques et les tunisiennes (entre autres, je vous passe la liste). Certains partis, surtout de gauche avaient rejeté ce droit de vote des femmes, sous des prétextes idiots : elles voteraient pour le prestige de l’uniforme, en écoutant la voix du curé… Ceci a été démenti dès le premier scrutin. Mais bon, les femmes étaient forcément très bêtes à les écouter, même si elles avaient pris la relève en 14/18, ou s’étaient sacrifiées peu de temps auparavant, ayant le droit de torture et de mort, mais pas celui de vote…

Je me souviens de leur toujours émotion à mon arrière grand-mère, et à tante Hortense, quand elles allaient voter. Même émotion pour la génération suivante d’ailleurs. Pour rien au monde elles n’auraient râté un scrutin. C’était tout une cérémonie.  L’abstentionnisme d’aujourd’hui leur flanquerait de l’urticaire…

Elles savaient, toutes ces femmes, ce que cela représente que le droit de s’exprimer…

Il ne m'énervera plus…

Tout était en place pour une tragédie antique. Je venais de me cogner mon emménagement chez moi, les cartons de chez mes parents à mon chez moi (enfin chez soi !), la sortie des meubles du garde meuble, un chantier inqualifiable pendant 3 semaines, à continuer à dormir chez mes parents avec les filles, pendant 2 semaines.

Filles parties chez leur père, l’homme m’annonce que le samedi soir nous sommes invités chez Philippe et Irène. Ils habitent Paris, je dormirai donc chez lui, à la Garenne Colombes. Il m’attends vers 19 H, vu les embouteillages sur le périf, et qu’Irène nous attend vers 20 H, ce qu’elle me confirme.

Toujours pas de portable à l’époque.

  • Evidemment je suis en bas de chez lui à 18 H 55

  • Je sonne : personne

  • Je retourne dans ma voiture et commence à attendre

  • 19 H 55 : je file à la cabine téléphonique et j’appelle mes parents pour savoir s’il n’a pas téléphoné. Comme je ne suis pas chez moi, le relais c’est forcément eux.

  • Jean-Poirotte me confirme qu’il n’a pas téléphoné.

  • Je lui donne jusqu’à 19 H 30 pour arriver, faute de quoi je m’en vais. Là, ça sent vraiment le roussi.

  • Lâchement maintenant je lui donne jusqu’à 20 H

  • 20 H 15, alors que je fais ma marche arrière, il arrive. Il était chez sa mère comme d’habitude, et n’a pas vu le temps passer. On ne part pas direct il a sa douche à prendre

  • 20 H 30 : il a réussi à décoincer le robinet de la salle de bain

  • 20 H 45 il sort de la douche

  • 21 H : il est fin prêt et moi au bord de l’explosion.

  • De 21 H à 22 H : périf bouché

  • 22 H : il prend son temps pour se garer. Moi je meurs de faim et de honte pour ce retard inexcusable. Il traîne la patte derrière moi, et je lui intime de se dépêcher car je suis au bord du malaise

  • 22 H 02 : l’inconscient me rétorque « oh moi ça va j’ai mangé une escalope à la crème et des frites chez ma mère » (pendant que je l’attendais, c’est simple, je le hais)

  • 22 H 05 : il a perdu le code de la porte d’entrée de nos hôtes, il faut qu’il trouve une cabine.

  • 22 H 15, je m’avachis épuisée de faim, de rage et de fatigue (les cartons, je les sens encore) devant un appéritif.

  • 3 H : nous arrivons devant chez lui. Je descend de voiture

  • Je suis tellement fatiguée que j’hésite : mais là trop c’est trop, je ne passerai pas une nuit de plus à côté de ce crétin abruti bouffeur d’escalope (même à la crème)

  • Je monte dignement (si) dans ma voiture sous son regard stupéfait. Je le revois encore, la bouche ouverte comme un poisson hors de l’eau depuis 15 secondes

  • Je démarre. Il a le bon goût tout de même de s’écarter pour que je fasse ma manoeuvre sans lui écraser les pieds (j’en étais capable)

  • Je rentre chez moi, pour m’écrouler dans mon lit.

A partir du lendemain, le téléphone n’arrêta pas de sonner… Epuisée à nouveau (il appelait toutes les heures, nuit et jour) j’ai fini par décrocher, lui dire le fond de ma pensée, que tout était terminé. Il me suggéra qu’il pouvait se jeter de son 15ème étage. J’ai répondu « c’est cela, saute ! » et je n’ai pas raccroché le téléphone.

Le lendemain, je passais en liste rouge (bien la peine d’avoir mémorisé mon numéro).
Le surlendemain je recevais une lettre de 10 pages. Oui : 10. J’ai à peine lu « je t’aime », j’ai entamé la liste de tous mes défauts et de ses qualités, et puis à la 2ème page, j’ai été tout benner dans le vide ordure.

Crétin !!!

J’allais oublier : la vie n’est qu’un long calvaire parsemée ça et là de retardataires…

L'évolution sans Darwin…

  • 1 jour : OUIINNNNNN ! OUIINNNNNN !
  • 1 mois : OUIINNNNNN !
  • 1 an : a gatiou a plou ! (coup dans la cuillère)
  • 2 ans : pas dodo, pas dodo
  • 3 ans, z’vais à l’école à la rentrée, pas dodo, pas dodo
  • 4 ans : pas l’école auzourd’hui ! pas dodo, pas dodo
  • 5 ans : z’aime plus zoël, ze préfère gaspard, pas dodo, pas dodo
  • 6 ans : je vais à la grande école à la rentrée, pas dodo, pas dodo
  • 7 ans : la maitresse est nulle, j’fais dodo ce matin
  • 8 ans : je n’ai pas de devoirs à faire, j’ai besoin de faire dodo
  • 9 ans : il me faut absolumment une console Truc
  • 10 ans : mamannnnnn ! j’ai les seins qui poussent ! Non, je n’ai pas sommeil.
  • 11 ans : me v’là en sixième, on passe son temps à passer de petit à grand, pour retourner chez les petits, j’en ai marre ! Ca me rend insomniaque
  • 12 ans : les profs sont tous des cons, ça me flanque la migraine, du coup je vais me coucher
  • 13 ans : tu peux me rendre la télécommande de la console truc ? Comment ça ? ça empêche de dormir ? RIEN ne m’empêche de dormir.
  • 14 ans : ma rupture avec Thomas m’a ruinée, tu n’as pas un somnifère à me refiler ?
  • 15 ans : ma soeur m’emmerde, c’est trop con à 12 ans.
  • 16 ans : je suis assez grande pour savoir ce que je fais, j’éteins quand je veux
  • 17 ans : comment ça « debout ! », il est à peine midi…
  • 18 ans : j’suis majeure et libre de te dire merde, mais non j’rigole !
  • 19 ans : dis, éventuellement, je peux rester jusqu’à 30 ans ?
  • 20 ans : comment ça « debout ! » il est à peine 14 heures !
  • 21 ans : dormir, tu plaisante, j’ai mes examens dans 3 semaines
  • 22 ans : tchao p’tite maman, j’file à Paris, j’ai trouvé une chambre de bonne. Au fait je t’emprunte temporairement tes tourne-vis (et je te pique ta pince à épiler)
  • 23 ans : ouiiiii je saiiiiis qu’il est 3 heures du matinnnnn, mais j’ai trop de chagrin fauuuut que je te paaaarle ! SNIF !
  • 24 ans : j’fais des insomnies, tu fais quoi dans ces cas là ?
  • 25 ans : tu te rends compte mamannnnn, je viens de passer le quart de siècle. Arrête de rigoler ce n’est pas drôle.
  • 49 ans : allooooo mamannnn, Truchon m’a virééeeee, je n’ai plus qu’à mouriiiiiir !

En fait on en prend pour perpète, et en plus on est innocent…

Trop tard pour lui…

Garfunkel_2C’était le médecin du village. Il était juif et ne savait pas que c’était un crime. Il exerçait depuis un petit moment, habitant au dessus de son cabinet avec sa petite famille : une femme et le choix du roi. Ils espéraient une petite fille de plus pour 1944.

Et puis la tempête nazie est arrivée jusque là. Personne pour les dénoncer : sans penser à mal, ils avaient adopté l’étoile jaune, comme c’était « prescrit ». Personne n’imaginait ce qu’il pouvait bien se passer et pourquoi il fallait tant les reconnaître.

Le premier embarquement cela a été la femme enceinte et ses deux enfants. Ils ont attendu le retour du médecin qui venait de pratiquer un accouchement difficile en sauvant la femme et l’enfant, et il est parti à son tour.

Ce qu’ils ont connu, nous le savons aujourd’hui, même si certains minimisent ou refusent l’évidence. Cela a été les wagons plombés, la soif, la faim, la chaleur ou le froid suivant la période. S’éclaboussant de merde et d’urine, serrés à mort les uns contre les autres en suffoquant, des hommes et des femmes cessaient d’être humains pour ne devenir que des nombres, que des ombres. Certaines femmes qualifiées de barbares parce que juives ont préféré étrangler leurs enfants plutôt que les voir mourir à petit feu sans à manger, et sans rien à boire dans ces wagons qui n’en finissaient pas de rouler. Mes filles sont grandes, une puissance suprème m’a épargné d’avoir à choisir entre les tuer tout de suite ou attendre. Lâchement, enfant, je me disais que je n’étais pas juive… Cela me rassurait sur ce passé si proche.

La date de l’assassinat est connue parce qu’il a eu lieu dès l’arrivée dans ce camp maudit. Il l’a su et compris trop tard… Lui était un homme valide, et médecin qui plus est. Juif ou non, c’était précieux et utile. Sa femme enceinte et les deux enfants ont filé direct vers la chambre à gaz et les crématoires. Il ne voulait pas y croire. Il refusait d’y croire. Il se répétait que les allemands étaient civilisés. Il l’a écrit, il a laissé des traces de ses pensées.

Presque 2 ans dans ce camp dit « de la mort ». Sans doute a-t-il pu survivre tout ce temps car il était médecin et que les nazis faisaient sortir les médecins du rang. Il a laissé quelques notes sur ce cauchemar « les médecins sortez du rang ! ». Un autre en a fait un livre qui relate le moment où il n’est pas sorti du rang tellement il n’en pouvait plus… Il a écrit qu’à un moment le mot « civilisation » cessa de représenter quelque chose pour lui.

Presque 2 ans d’espoir malgré ce qu’il voyait. C’est un squelette livide qui rentra en 1945 pour retrouver l’appartement vide et quelques patients qui venaient le voir pour lui apporter qui 6 oeufs, qui 1 litre de lait, qui un fromage, qui de l’affection et du soutien… En fait on essayait de le soigner plus qu’il ne soignait. Il ne pouvait pas se soigner lui-même. On ne parlait pas des blessures de l’âme et de la conscience à l’époque. Lentement il a repris son activité qui était de guérir, de soigner, d’aider, en espérant toujours.

Et si… Et si sa femme et ses enfants étaient dans un camp à recevoir les antibiotiques nouvelles et salvatrice. Et si, elle avait pu s’enfuir et prendre le temps du retour. Et si…

Il a attendu attendu attendu, jusqu’au jour où il a compris qu’ils ne reviendraient pas. Sa femme et le bébé qu’elle portait, ses enfants.

Juste avant une nouvelle année à venir, dans une maison vide d’espoir, vide d’enfants, vide d’amour, après une année de trop passée à espérer un miracle, à pleurer seul, à trop se souvenir, il a fait son choix d’en finir. Comme Madeleine longtemps auparavant, il a choisit la corde, ne laissant qu’un mot laconique sur l’espoir qui l’avait porté et qui était vain. Le pire peut-être est le « pardonnez-moi » qui terminait son message. Il demandait pardon du mal qui lui avait été fait et qui l’obligeait à violer une loi divine qui dit « tu ne sauras ni le jour ni l’heure ». Il était croyant. Enfin, il l’avait été.

Je pense à lui régulièrement. Mes grands parents et mes parents l’ont connu. A l’endroit où se trouvait son cabinet médical, c’est un office notarial désormais, mais garni d’une énorme plaque que je vous livre telle qu’elle est.

Du coup on se souvient de lui… Et je rends hommage à la municipalité qui a pris la peine que l’on se souvienne. Je trouve que l’hommage rendu à ce médecin est admirable. Je pense qu’il manque d’ailleurs, plein de plaques un peu partout… C’est mon avis, et je le partage.

PASSANT SOUVIENS TOI !

Il commence à m'énerver

Dans la série « horloge » ,j’ai fréquenté pendant un an, un homme qui était diaboliquement toujours en retard. J’aurais dû me méfier, pour notre premier rendez-vous, j’ai poireauté 1 H sur les Champs. Il est arrivé avec une bonne excuse.

En retard, en retard, je suis toujours en retard, j’avais l’impression d’être Alice au pays des merveilles avec lui. Il avait des qualités (j’ai oublié lesquelles), aussi je suis restée patiente avec lui, d’ailleurs de la patience, il en fallait.

Mon premier énervement est tombé le jour de mon anniversaire, bien préparé (mon énervement) par ses forfaits précédents. Il faut dire que je l’ai attendu attendu et que même s’il finissait par venir, j’en avais ma claque de l’attendre. Voici le samedi où je fêtais mon anniversaire. 30 personnes enfants compris, que je recevais chez mes parents (c’était juste avant que j’emménage dans mon appart). Il m’annonce qu’il arrive avec ses deux enfants vers 14 H pour m’aider. (il pouvait, j’avais du taff…)

  • 15 H le téléphone sonne (pas de portable à l’époque). Il m’appelle de chez lui. Il y a une promo de chaussures je ne sais plus où, il part s’en acheter une paire (notez qu’il part une heure après l’heure d’arrivée prévue chez moi et qu’il a 3/4 d’heure de route).

  • 16 H : c’est bon il a les chaussures, mais maintenant il en a pour 1 H  de route, il ne sera pas là avant 17 H

  • 17 H : il m’appelle de chez lui : il avait oublié les affaires des enfants pour la nuit, il arrive après avoir fait demi tour pour s’acheter une deuxième paire de pompes

  • 18 H : personne. Le téléphone sonne : il m’appelle du garage où il s’est arrêté pour prendre un rendez-vous qu’il reporte depuis 3 semaines.

  • 19 H : les invités commencent à arriver, lui toujours pas

  • 20 H : bon dernier (eh oui dans mon coin, c’est 19 H/19 H 30). En costume avec des nikess flambant neuves. Visualisez le comptable et ses pompes dans « le bonheur est dans le pré ». Avec un jean ça passe, ou un jogging, pas avec le reste…

  • Je suis tellement exaspérée contre lui que je ne dis rien. Pas de scandale devant les autres, et puis il y a ses mômes qui ont l’air bien fatigués.

  • Scène de ménage après le départ de tout le monde et là je prononce une phrase dont il aurait dû comprendre le même pas sous-entendu : « je t’avertis, la prochaine fois, je te largue ».

J’ai encore tenu bon. 3 semaines plus tard j’emménageais chez moi, il devait arriver en fin de matinée pour m’aider à trimballer des cartons. Moralité je me suis mise aux cartons avec ma soeur vers 14 H. Elle se souvient encore du costard que je lui ai taillé ce jour là et s’est dit que la fin était peut-être proche.

Il est arrivé à 19 H avec des tas d’excuses. En plus il a fait la tronche parce que Mrs Bibelot avait prévu des sardines grillées et que préparer les sardines le dégoûtait profondément… Il s’est installé sur le balcon à lire les cours de la bourse, pendant que tout le monde s’éclatait dans la cuisine.

Donc la suite à venir : il a finit de m’énerver.