Elle était là, pourtant…

Elle s’est penchée sur toi le jour où tu es né et même peut-être bien avant, pour te faire naître dans une famille aisée et unie. Elle était souriante et belle, parfumée et protectrice. Elle t’a donné la beauté, le charme, l’intelligence, trop de courage et trop d’intrépidité.

Elle a accompagné tes premiers pas précoces, encouragé la famille à t’admirer, t’a aidé à grandir en te proposant le meilleur d’elle-même. L’avenir s’offrait à toi, il était TOI. L’éternité du passé sans toi n’existait plus, l’éternité de ton futur était là, pour toujours. Elle te chuchotait à l’oreille que tu étais le maître de ta destinée, alors que la destinée silencieuse, savait.

Elle a inspiré et admiré tes premières blagues couronnées de succès face à tes cousines et ton petit frère. Elle t’aidait à briller, te donnait des idées, faisait retomber le bras de la grand-mère portant la cravache que tu méritais bien. Elle riait de tes farces et de ta vie de petit garçon qu’elle protégeait.

Elle était à tes côtés, te poussant toujours plus loin quand tu as pris le manche d’un avion pour voler toujours plus haut et raser toujours plus bas le poulailler de ta grand mère qui te faisait tant rire à brandir sa canne en te menaçant car tu menaçais ses poules. Elle était là pour protéger tes moteurs de la panne, pour t’aider à t’élever encore plus. Et tu l’aimais, et tu lui parlais certains soirs, sans trop savoir à qui tu t’adressais.

Elle était là, quand tu as choisi de courir en voiture sur les circuits. Elle était là pour te faire gagner, te donner la gloire en restant à l’écart, silencieuse mais bien là. Elle a donné la pichenette à ta voiture pour te faire gagner en marche arrière, elle était la première à applaudir quand tu as remporté les 24 H du mans. Elle t’a poussé à choisir tes coéquipiers qui t’accompagneraient plus tard. Elle inspirait ta famille qui t’admirait et te poussait, en son nom, à continuer toujours plus.

Elle était là pour toi, à se repaître de tes heures de gloire, des articles dans les journaux. Elle donnait le vertige à tous ceux qui t’approchaient. Elle t’enivrait et trinquait avec toi au coeur de tes rêves les plus fous.

Elle était là quand tu as rejoint les forces alliées en Angleterre. Elle était là pour ta place dans la royal air force. Elle était là quand en bravant 1000 dangers tu es revenu en France à bord d’un Lysander.

Elle était là quand ils t’ont arrêté, là pour les pousser à faire n’importe quoi : te mettre dans un convoi à bord de ta propre voiture. Elle était là pour que tu pense encore être maître de ton destin qu’elle dirigeait avec poigne.

Elle était là quand tu t’es échappé. Elle riait de leur bêtise et te poussait à le faire. Elle te poussait à aller encore plus loin, puisqu’elle était là. A aller toujours plus loin.

Elle était au chevet de ta mère pour les empêcher de te prendre. Elle a fait son premier faux pas en laissant ta mère mourir et toi tu as cru que c’était juste la fatalité.

Et puis il y a eu l’arrestation, le moment où tout a basculé, ce 18juin 1944, date anniversaire du moment où tu avais choisi ton camp. Il y a eu la rue de Paris de sinistre mémoire dont tu as connu les horribles caves, la torture. Il y a eu le train dans lequel tu es monté alors que l’on parlait déjà de liberté. Il y a eu ce trajet sans fin, avec la soif, la faim, la peur sans doute, trop de questions, la déchéance annoncée. Il y a eu les camps, où tu la croyais encore à tes côtés pour tenter encore une révolte.

Et puis il y a eu l’horreur, il y a eu la mort. L’horrible vérité pour ceux qui t’aimaient, trop de témoins pour avoir encore des doutes.

Quand as-tu su Robert, quand as-tu compris, que la chance t’avait abandonné ?

1895 – 1944
Robert Benoist, champion automobile, assassiné à Buchenwald par les nazis le 11 septembre 1944

0 réponse sur “Elle était là, pourtant…”

  1. Merci Calpurnia pour ce beau texte.
    Un coup de pouce pour se dire qu’il faut profiter à fond de la vie, au jour le jour, tant qu’on peut.

  2. Réponses en vrac !

    Louisianne, Esther : merci !

    Marcus : le lien ne se voyait pas bien sur mon article précédent. Il était le cousin germain de mon arrière grand-mère.

    Caju : tu as raison, mais ce n’est pas toujours facile !

  3. Marie-Christine : merci. J’ai écrit ce texte alors que j’avais 18 ans… Il suffit de cliquer sur la dernière phrase tout en bas, pour avoir son histoire…

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