A découvrir ou à relire : "les allumettes suédoises" de Robert Sabatier

les-allumettes-suedoisesJ’étais en vacances chez le prisonnier et Mrs Tricot, et c’était un jour de « je m’ennuiiiiie », le krikitu de l’enfant très chiant qui effectivement s’ennuie et ne se prive pas pour le faire savoir.

L’état d’esprit (l’ennui) me poursuivait depuis mon petit lever à 10 H 30, et rien n’y faisait. J’écoutais le coucou suisse égrener les secondes, en m’ennuyant mortellement.

  • Un puzzle Coraline ? « non, je m’ennuiiiiieeee »
  • Tu veux faire de la peinture ?  » non, je m’ennuieee »
  • Un petit tricot alors ? on fait des crêpes ? Une promenade ? un jeu de cartes ? « Je ne veux rien faire, je m’ennuiiiiieeee ».

Le prisonnier malheureusement en congés, lassé par cette litanie, partit dans sa chambre et en revint avec un livre.

« Essaye de lire ce livre (j’étais déjà bouquinovore). Ce petit garçon dont on parle, c’est un peu moi, quand je traînais dans les rues de Paris gamin. Si tu ne comprends pas une allusion à une réclame (oui, on ne disait pas « pubs ») ou à quoi que ce soit, tu me demande, je t’expliquerai »…

Le prisonnier était resté un grand amoureux de Paris. Le mois de juillet était consacré à la mer, le mois d’août à la campagne où il rejoignait femme et enfants pour le WE. En semaine en août, sortant de sa boîte située juste en face de St Lazare, il « traînaît » dans Paris, retrouvant les odeurs de son enfance et une certaine nostalgie… Et en débutant le livre, j’ai cessé de m’ennuyer « Coraline vient dîner – je termine mon chapitre » (autre krikitu, mais de l’enfant absorbé par sa lecture)… Et j’en ai posé des questions à mon grand-père, et qu’il avait plaisir à y répondre !

Virginie Chateauneuf, belle mercière poitrinaire de la rue Labat, meurt brutalement, laissant Olivier, gamin de bientôt 10 ans, orphelin, le père étant mort depuis longtemps. Personne ne sait qui va prendre l’enfant, et en attendant un conseil de famille qui terrorise l’orphelin qui ne comprend pas ce que c’est, un grand cousin, Jean, et sa jeune femme Elodie, le prennent chez eux. Eux aussi habitent la Rue Labat et Olivier n’est pas dépaysé.

C’est un « gosse des rues » que l’on retire de l’école à cause de son deuil, qui « traîne » en nous entraînant avec lui, de loges de concierges en bagarres, qui se fait des amis adultes qui marquent : Bougras le débrouillard qui l’embauche pour des petits boulots, l’Araignée, homme infirme qui lui donnera le goût de la lecture et dont il va comprendre l’absolue misère.

Sous la plume chantante de Robert Sabatier, c’est son enfance qui remonte, avec des noms encore connus et l’adage qui allait avec (le sel Cérébos, les pâtes Lustucru), les tartines de phoscao ou de saindoux saupoudré de sel, la piscine avec le cousin Jean, le cinéma d’avant guerre où l’on pouvait voir, un documentaire, les actualités, les réclames, le film parfois à épisodes. C’est cet avant guerre qui sent la rue populeuse et sympathique de la pré-horreur, au printemps et au début de l’été. C’est la TSF que tout le monde vient écouter en venant s’installer devant chez la concierge, cette rue bourdonnante de vie le soir après le travail. C’est la semaine « anglaise » qui débute le vendredi soir, les maximes du titi parisien, les adages maintenant oubliés, le Montmartre ancien, les promenades d’Olivier sur les « fortifs » que le prisonnier avait bien connus.

Ce sont aussi les angoisses des mises à pied, les files de chômeurs s’allongeant sur certains trottoirs, dans l’attente d’un petit boulot pouvant payer la journée ou 2 ou 3 à venir. Une crise d’avant la grande crise que vit Olivier sans bien la comprendre. On croise le beau Mac que la rue traite de « bardeau » et qui donne à Olivier des cours de boxe, la belle Mado, trop belle pour être honnête alors qu’elle l’est. C’est l’époque des hommes avec casquettes ou chapeaux, des femmes en cheveux pour lesquelles c’est mal vu, du bas à donner à remailler, des lessives que l’on étale dehors, tout un monde encore vivant. Ce sont des sportifs dont le nom ne nous dit rien, des politiques dont peu nous « parlent ».

Olivier hante les rues de son quartier, avec une plaie au coeur, une culpabilité d’avoir perdu sa mère depuis qu’une bande de voyous lui a crié « ta mère est clamsée, bien fait pour toi ! ». Pour lui la mort de sa mère, devient sa faute. C’est l’enfance cruelle dans la rue, avec malgré tout les rencontres qui font du bien, et l’incertitude de l’avenir. Où ira-t-il celui qui erre ? restera-t-il chez les cousins, partira-t-il chez ses grands parents paternels qu’il ne connaît pas ? Où chez la soeur de son père, celle qui est riche et qui a réussi ?

A la fin du roman, comme il y a des suites, je ne trahis pas un secret, Olivier quitte sa chère rue, les larmes aux yeux, pour partir chez sa tante et son oncle (qui a accepté de devenir son tuteur, car le statut de la femme à l’époque ne permet pas à la vraie tante d’être tutrice).

Reste à se précipiter sur :

  • 3 sucettes à la menthe : où comment Olivier se retrouve propulsé dans un milieu « huppé » avec une tante persuadée que l’influence de la Rue Labat est définitive et doute que l’enfant puisse un jour s’en sortir. Elle ne montre d’ailleurs pas au départ de compassion particulière pour lui. Elle est donc sévère, et tient à lui inculquer que rien n’est dû. Orphelin il est et restera, et c’est la malédiction de l’époque qui pèse curieusement sur celui qui découvre un autre monde que la rue Labat, c’est encore l’époque où l’assistance publique ou être orphelin marque d’un sceau indélébile.
    Olivier a deux cousins : Marceau, le poitrinaire qui lui erre de sana en sana, qui joue les caïds ce qui lui fait une drôle d’impression, et le petit Jamy avec qui il s’entend bien. Il y a les 2 bonnes qui ont bien compris qu’il n’était hébergé que par pitié, ce qui se révèlera faux, et le moment où Olivier tombe amoureux des livres et de leurs secrets. Et il y a l’oncle, maladroit, qui ne sait comment apprivoiser l’enfant… Et puis un drame à la fin qui fait repartir Olivier dans sa rue, à la recherche du temps perdu, la peur au ventre, et qui découvrira quand on le retrouve, qu’il compte malgré tout, qu’il compte tout simplement. On vit l’époque ou riche ou pas, on ne perd et ne gaspille rien, où les menus ont un parfum de presque perdu, ou la TSF envahit les ménages…
  • Les noisettes sauvages : Olivier part en vacances d’été à Saugues, aux limites du Gévaudan, chez ses grands parents paternels, les parents de la tante si sévère. C’est un peu la campagne de mon enfance, c’est un de mes tomes préférés.
    Des gens vivant durement, avec une réelle acceptation de leur sort, un fatalisme ancestral, une grande chaleur humaine qui règne entre tous ceux qui partagent l’âpre vie de la terre ou du travail manuel vont changer cet Olivier qui dans cette maison et pour tout le village n’est pas un étranger mais le fils de Pierre. Les portes du Gévaudan s’ouvrent à nous avec sa campagne non polluée, ses lavoirs, ses traditions, ses croyances parfois désuètes mais non dépourvues de bon sens, ses légendes terrifiantes. La cuisine est simple mais délicieuse, le tonton Victor est la force du village, la mémé peu engageante car peu expansive, le pépé raconte la famille à son petit fils, et l’enfant se déchire entre son Paris adoré, et cette campagne où il a sa place dont il vit la vie en plein, le jour où il aide la vache qu’il garde à mettre au monde son veau devant rester le plus beau jour de sa vie.
    Ce sont les pêches miraculeuses auxquelles on convie les voisins les plus proches pour baffrer en société, le cochon sacrifié, l’attente du facteur, les galopades des gamins dans le village, les plaisirs simples de la fraise mure cueillie au bon moment, les casses croûtes pantagruélique des forgerons et travailleurs de force.

Et puis si le coeur vous en dit, il y a « les fillettes chantantes », et les suites, aux frontières de la dernière guerre mondiale ou pendant cette dernière, quand l’enfant devenu homme, vivra à Saugues et ailleurs, la résistance,  l’amour de la patrie et les déchirures.

Ames (trop) sensibles s’abstenir : parfois une larme coule, mais pas de celles qui font mal…

Merci Monsieur Sabatier pour votre vie si bien racontée et avec autant d’humanité !

Je vous préviens, c'est un peu grisouné…

72984062Ne cherchez pas dans le dico, c’était et c’est sans doute toujours, une expression de ma première belle-mère (le furoncle).

Elle cuisinait plutôt pas mal, mais avait la sale habitude de faire brûler les 2/3 de sa cuisine. Et quand je dis brûler, c’était crâmé, irrécupérable, immangeable, ce qui ne l’empêchait pas d’apporter le plat sur la table : il fallait bien que l’on puisse voir qu’elle s’était donné du mal pour faire un gratin : un peu grisouné certes, mais un gratin tout de même (ça pour du gratin, c’était du gratin, c’était même du gratin de gratin…).

Tout le monde rouspétait naturellement, dont son mari, surtout le jour où elle a oublié un 24 décembre au soir, la dinde dans le four. L’animal n’avait plus figure humaine, et la sauce ressemblait à de l’huile de vidange. Même au niveau de la carcasse c’était immangeable et nous nous sommes rabattus sur deux bocaux de blanquette dont nous avons surveillé le réchauffage.

Elle était même capable de faire brûler les plats des autres, et j’ai le souvenir ému de deux tartes aux poires qu’elle m’avait demandé de faire (pâte sablée maison, poires au sirop maison + petit flanc aux amandes) comme souvent, car cette tarte je la réussis généralement particulièrement bien.

Les tartes sorties du four, à point, je monte faire la toilette des filles quand une odeur de brûlé m’arrive aux narines. J’appelle le Furoncle « il n’y a pas quelque chose qui brûle dans la cuisine comme de coutume ? ».

« Ca doit être tes tartes ! ». Toute contente en plus… Le culot, mais le culot… Ben si c’était mes tartes. Sans rien me dire elle avait voulu les « arranger », avait mis des amandes effilées dessus, les avait mises sous le grill et était descendue étendre son linge. Moralité mes tartes étaient grisounées et elle a bien ricané avant que je ne puisse me justifier, que moi aussi je faisais brûler des trucs, alors que je n’ai jamais rien fait brûler de ma vie… (note de l’auteur : si un regard pouvait tuer,  elle serait morte ce jour là, et si c’était maintenant je lui écraserais une tarte grisounée dans la tronche sans aucun scrupule…)

Son argument choc était « moi j’aime ça comme ça », et elle mangeait sa daube carbonisée pour bien nous prouver que c’était vrai. Un de ses gendres exaspéré lui ayant précisé « ben nous on n’aime pas ça comme ça », ne l’avait pas perturbée outre mesure.

La vengeance (mesquine), est un plat qui se mange froid, heu non, grisouné en l’occurrence. Noël suivant : c’est moi qui reçois la belle famille (quelle joie) et pour l’entrée, je me suis cognée le nettoyage et la préparation de 6 kg de coquilles St Jaques fraîches. Je mets les coquilles au four en surveillant du coin de l’oeil bien sûr.

Vient le moment de servir. Je sers tout le monde sauf le furoncle et je mets le grill à fond au dessus de la dernière coquille (un peu moins garnie que les autres, ça ne se gaspille pas vraiment ces trucs là !).

Personne ne moufte, elle, cette conne,  attend, ravie de pouvoir démontrer que je me suis trompée dans mes comptes, et alors qu’une gentille odeur de grisouné crâmé arrive de la cuisine, me signale toute fière de montrer à tout le monde à quel point j’étais nulle : « tu m’as oubliée Coraline, tu t’es trompée dans tes comptes ».

« Pas du tout moche maman, comme vous préférez tout brûlé, j’ai laissé votre coquille grisouner dans le four. D’ailleurs elle me semble à point, je vais vous la chercher… »

Que pouvait-elle dire en voyant arriver ses coquilles brûlées au 3ème degré ? Rien. Comme lui a dit le gendre précédemment cité (non sans perfidie) : « tu en as de la chance, pour une fois que quelqu’un pense à te faire tes petits plats selon tes goûts… ». Evidemment personne n’était dupe, mais personne n’a rien dit, c’est l’avantage du coup mesquin fait avec l’air innocent (j’étais même prête à prendre l’air niais).

Du coup, elle a tout mangé, avec le sourire, et ne s’est plus jamais occupée de ma cuisine…

Je sais, là encore, c’est mesquin… Contre elle, tous les coups m’étaient permis…

Mais pour une fois, c’était pour elle que la vie n’était qu’un long calvaire.

D’un autre côté après le coup des coquilles St Jaques carbonisées, elle a arrêté pendant un temps de tout faire brûler pour faire la débordée. C’était toujours ça de pris.