Couleurs et MES vocations contrariées…

blamarauveJe n’ai pas fait énormément de bêtises petite fille, étant en comparaison largement battue, en premier lieu par ma soeur cadette et mon frère, et par la suite par mes filles (surtout l’aînée) et mes neveux et nièces (si on regroupe tous les cousins sous la houlette de Pulchérie, on atteint limite l’extase, qui reste à définir dans certains cas).

Ce qui fait que les miennes de bêtises, réellement rares, sont passées à la postérité, quasiment inaperçues.

Je n’ai donc finalement à mon actif que des vocations contrariées, dont deux, artistiques, tuées dans l’oeuf.

Ici vient la sordide histoire de la deuxième vocation contrariée, car je raconte mes malheurs dans l’ordre que je veux, d’abord.

J’ai toujours été passionnée par les couleurs. Je trouvais que l’arc en ciel était pauvre, si je le regardais par la jumelle de mon imagination débordante.  Des couleurs, il en manquait des tas !!!

Rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo, violet, pfffft, allez tous vous faire foutre que je pensais, c’est PAUVRE.

Pour les vacances de Pâques 1969, mes parents avaient placé leurs trois ainés dans la famille, maman devant accoucher du dernier à cette période là (en fait non, la dernière a attendu notre retour pour pointer son nez). Je m’étais retrouvée donc, en séjour chez mon arrière grand mère et mon grand père, d’où j’envoyais entre autres à maman des lettres terrifiantes par leur orthographe (mais cela ne l’a pas fait accoucher plus tôt, pourtant il y avait de quoi).

J’aimais toujours imaginer des couleurs nouvelles, transcendantes, cela va sans dire. Je n’ai jamais fait dans le mesquin quand il s’agit d’art. Surtout à cette époque là…

J’adorais le bleu, le mauve, le marron de la châtaigne brillante, et je pensais que le blamarauve était une couleur qui méritait d’être connue un jour. Mon nom serait écrit en gros en haut de la tour Eiffel « l’inventrice du Blamarauve », l’espoir fait vivre, et ma naïveté était aussi impressionnante que le déficit des finances publiques…

Je la voyais bien la couleur : un mauve presque marron, luminescent, avec ça et là des teintes de bleu et d’or incandescent.

Pendant que ma mère poussait pour chier sa pastèque qui viendrait 2 semaines plus tard, j’étais donc moi, en pension chez mon grand père et mon arrière grand mère.

Mon arrière grand mère était tout, sauf une vieille dame surveillant de trop (surtout pas). Mon grand père arpentait les bois à la recherche du temps perdu de champignons, en comptabilisant le gibier pour la prochaine saison de chasse.

J’étais peinarde. A 11 ans, j’étais théoriquement à l’âge de raison (je t’en foutrais moi, de l’âge de raison, qu’à 52 ans je suis limite azimutée, même pas limite d’ailleurs)

Pour le bleu, j’avais mis la main dans l’armoire à pharmacie, sur un flacon de bleu de méthylène dont je voudrais bien savoir encore aujourd’hui, à quoi il pouvait bien servir (j’avais louché sur le mercurochrome, mais le réservait pour une autre couleur à inventer, à base de rouge, on l’aura deviné). C’était le bleu de mes rêves.

Il me fallait donc une touche de marron, mais après 2 heures  à touiller mon mélange, pendant que Grand mère Georgette était partie boire le thé avec Tante Hortense, j’avais été dans l’obligation de constater, en pleurant des larmes de sang, que le poivre moulu se diluait très mal dans le bleu de méthylène.

Si les chimistes l’ignorent, je le leur signale !!!!

De guerre lasse, j’ai versé de la teinture d’iode dans ma bouteille, c’était presque parfait. Je dis presque parce que le poivre en poudre faisait taches en suspension dans le mélange et en gâchait presque la beauté.

J’avais du bleu, du marron, ne se mélangeant pas, que même Léonard de Vinci (l’auteur de Da Vinci Code) n’aurait pas imaginé. Faut dire qu’à l’époque la chimie ce n’était pas trop ça (dans la cuisine familiale non plus, mais c’est une autre histoire)

Il me manquait quelque chose, le violet/mauve, ce n’était pas irisé, mais un flacon d’essence à briquet (violette) m’inspira soudainement et tout à coup j’ai eu une illumination.

La vierge, dans le four de la cuisinière, m’a suggéré de rajouter de l’essence à briquet dans mon mélange, et forcément, je me suis exécutée.

J’ai versé, la conscience sereine (et catholique), la moitié du flacon d’essence à briquet dans mon mélange magnifique.

Mon blamarauve, mauvasse marron bleu irisé, était là, sous mes yeux zéblouis. Mon arrière grand mère rentrait, j’ai donc vidé dans l’évier précipitamment un flacon pris au hasard, pour y verser ma préparation et la retrouver le lendemain, pour la faire miroiter en ce soleil d’avril non avare cette année là là là.

Vous zallez me dire que j’aurais dû lire l’étiquette, avant de jeter le contenu du flacon dans l’évier. Mais mon grand père, adulte responsable aurait dû renifler le contenu du flacon avant de se faire son gargarisme du soir (espoir).

Le mélange de teinture d’iode, de bleu de méthylène, n’oublions pas le poivre moulu et l’essence à briquet, l’a guéri définitivement de ses maux de gorge du soir.

Au lieu de crier au miracle et de faire breveter le mélange, il ne m’eut aucune reconnaissance alors que sans le vouloir, je l’avais sauvé d’un mal pernicieux.

Les artistes sont des incompris !!!!

L’algarade que je me suis prise, avec la baffe à me dévisser la tête qui allait avec,  pour avoir essayé de l’empoisonner (même pas), m’a guérie définitivement de l’invention des couleurs qui flashent.

J’ai renoncé, privée de tarte aux pommes pour au moins 3 jours, alors que maman n’avait toujours pas accouché, ce qui aurait pu faire diversion, à devenir une artiste inventive, célèbre, et tout le bataclan

Le mercurochrome était sauvé, le jaublarouge ne verrait jamais le jour.

Je n’ai jamais eu aucune reconnaissance envers mon grand père, pour m’avoir fait sortir manu militari, de la voie expresse de l’invention diabolique et géniale.

La vie n’est qu’un long calvaire.

22 réponses sur “Couleurs et MES vocations contrariées…”

  1. Effectivement, tous des ingrats 😉
    Pour ma part, c’était le mélange de sirops! Menthe, grenadine, peut-être pèche…
    J’étais sur que c’était top! Mes cousins (plus agés) jouant à proximité, j’ai voulu faire gouter mon chef d’oeuvre (rien de moins, même si je ne l’avais pas gouté moi-même). Aucun courageux ne s’est porté volontaire. Un de leurs copains a eu pitié. La réaction ne devait pas être très entousiaste car je n’ai pas recommencé depuis.

  2. Merci pour la réédition de ce grand post!
    j em’en souviens moi, de ce billet, j’avais trouvé ta trouvaille extraordinaire: blamarauve, ha ça en jette! (tu es une artiste incomprise, pas de doutes!)
    Le bleu de méthylène servait à une certaine époque à traiter les maux de gorge, parait-il (souvenir de mon père dont, enfant, on badigeonnait la gorge de cet infect truc, quand il était malade)
    Alors, au final, ya t-il eu d’autres inventions coloratives???

  3. Mais oui, le bleu de méthylène était utilisé pour soigner les maux de gorge…..Ma chère mère (paix à son âme) entortillait le manche d’une cuillère d’un coton enduit de ce bleu -très joli bleu, d’ailleurs ! – et me badigeonnait le fond de la gorge avec cet instrument de torture ! Le résultat ne se faisait pas attendre, mais je ne suis pas sûre qu’il s’agissait du résultat escompté !!! Aucune importance, dès l’angine suivante, elle remettait ça (c’est l’expression adéquate) !!! Pour obtenir le même résultat !
    Le « bleumarauve » me fait rêver, de même que le « jaublarouge »…..Et moi qui suis une passionnée des couleurs, je vais de ce pas tenter de réaliser ton rêve avorté , mais sans doute d’une autre façon moins « imaginative »… Je te tiendrai au courant……

    1. Oui je serai contente de savoir ce que cela a donné (mais évite le gargarisme tout de même).
      Sinon, vu mon réflexe vomitif « particulièrement prononcé » (dixit le médecin), personne n’aurait jamais osé traiter mes angines de cette manière…

      1. Avec de l’encre de chine, on peut réaliser de superbes coloris si on dose bien chaque couleur. Je rajoute une goutte de dissolvant (white spirit…..rassure-toi, je n’ai pas eu l’idée de goûter mon mélange), et je mixe du « papier vitrail »….
        Effet garanti….Je ne peux évidemment pas dire si tu obtiens le blamamauve souhaité, mais en comptant les gouttes des divers coloris choisis, tu devrais pouvoir enfin laisser éclater au grand jour tes talents créatifs – sans manquer d’empoisonner quelqu’un de ta famille –

        1. A une époque je faisais du transfert sur papier à dessin, de photos de magasines, avec du white spirit justement, jusqu’au jour où j’ai failli m’asphyxier…

  4. Merci pour ce bon moment, j’ai été prise d’un fou rire à la lecture du passage « Le mélange (…).l’a guéri définitivement de ses maux de gorge du soir. » J’imagine particulièrement bien le pauvre homme faisant son gargarisme sans se méfier !

    1. On ne se méfie jamais assez. C’est une mésaventure qui m’est arrivée bien plus tard qui fait que je renifle toujours avec délicatesse un flacon, même si je suis seule chez moi, et en connaître théoriquement le contenu…

  5. Eh bé…..oO très drôle….:) mon arrière grand oncle (bien nommé « bouftout » paix à son âme) , après avoir goùté une « crème » qui se trouvait sur le fourneau, avait gratifié sa femme d’un:  » dis donc elle est IGNOBLE ta crème et en plus t’en a fait pour un régiment » : en fait c’était les voilages mis à chauffer dans un faitout, oubliés sur la cuisinière et complètement fondus…..l’histoire se transmet de génération en génération.

  6. @ Calpurnia: apparemment c’était du tulle brodé et à l’époque le tulle était une matière ultra fine et fragile qui se décomposait à une certaine température. A l’époque les tutus des danseuses étaient confectionnés ainsi, ce qui pouvait causer des accidents gravissimes, par exemple si un candélabre enflammait le tutu (ça arrivait), celui ci fondait sur la malheureuse 🙁

  7. Ah.

    Oui.

    Mes frères ont failli mettre le feu au garage avec une boîte de petit chimiste. Mais ils n’ont empoisonné personne, eux.

  8. Je l’avais déjà lu en allant pêcher dans les archives, mais je le trouve toujours aussi drôle et juste. C’est fou le nombre d’expériences que l’on peut faire lorsqu’on est enfant et le nombre de fois où on se heurte à l’étroitesse d’esprit des adultes ( qui ont souvent fait bien pire lorsqu’ils avaient nôtre âge ). Mais bon, il parait que mettre des limites, c’est structurant pour un enfant 😉

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