Il est né le divin enfant…

Lumières Noël 1Le lundi 23 décembre, j’arrive tôt dans l’après midi pour en faire un maximum.

Le 24 en effet, je dois aider l’arlésienne à préparer le réveillon et je n’arriverai chez les parents que vers 0 h, 0 h 30 maximum.

La météo est incertaine, ce qui ennuie Jean-Poirotte en ce qui concerne les huitres.

  • S’il fait froid mais pas trop on met les huitres sur les toits des voitures (en les protégeant des merdes d’oiseaux)
  • S’il fait trop froid, il faudra les mettre dans l’atelier (dégager l’établi)
  • S’il pleut il faudra les mettre dans le frigo de l’arrière cuisine (faire de la place un maximum).

Je m’occupe de préparer de quoi protéger les huitres dans le premier cas, de dégager l’établi, et je dégage le frigo de l’arrière cuisine en laissant les foies gras bien au frais.

Puis je mets la table, sans oublier les décorations, avec Mrs Bibelot qui vérifie que j’utilise bien les bonnes assiettes, la bonne ménagère, les bons verres, les dessous de plat en argent, etc…  (ce n’est pas comme si je connaissais la vaisselle de ma mère depuis bientôt 56 ans…).

Je vais jusqu’à sortir les plats qui nous seront nécessaires le 25, et que je pose sur un vieux buffet que papa vient de me remettre en état, que j’ai donc décoré puisqu’il encombre MAIS peut servir de desserte (argument important).

En rentrant vers minuit, je ne croise pas le vieux Noël dont l’oeil luit, mais je constate que ma mère a apporté des modifications à ma table sur le plan de la décoration. Le 25 au matin, je me réveille au son d’un silence étrange pour un jour pareil, mais il est tout de même 10 H.

  • Ma mère erre, sans savoir quoi faire, après avoir mis le pain de seigle dans les corbeilles ad hoc. Nous lui avons en effet interdit d’en faire plus.
  • Mon père un peu décoiffé, à découpé les échalotes pour la salade et le vinaigre, s’apprête à s’attaquer à  l’ouverture de son cent d’huitres et me rappelle que je dois découper le foie gras.
  • Avant je prends mon thé, et je lorgne sur l’engin qui doit me servir à découper le truc machin qui flingue les vésicules…

Mon père a un engin spécial pour la découpe du foie gras avec laquelle il ne plaisante pas : une vieille scie sur laquelle il a fixé une corde de guitare, la plus fine possible. Mais la corde en a eu marre de ne plus donner le la (au hasard) depuis des années, et vient de rendre l’âme. Ce n’est pas grave, je vais me débrouiller avec l’engin vendu un peu partout dans le commerce et qui ressemble étrangement à un fil à couper le beurre.

Je vais chercher les huitres un peu lourdes à porter pour maman, et je m’attaque à la découpe du foie gras dont on fait toute une histoire. Sournoisement, je profite du moment où mon père découvre qu’une huitre sur trois à une jumelle qu’il doit détacher de la coquille de la plus grosse, pour  empoigner un bête couteau qui coupe bien, et je torche le foie gras en 5 minutes, ni vue, ni connue. Sauf par ma mère qui a prévu une « bonne salade » (quel cuistot vous annoncera qu’il a prévu une mauvaise salade ?) à base de salade, de noix, de croutons, de gésiers découpés et grillés, qui me donne les gésiers d’un air innocent : « pendant que tu y es tu peux les découper ?… ».

Après douche, maquillage, et habillage, j’allume le feu. Tout va trop bien, ma mère s’inquiète : nous avons dû oublier quelque chose…

Non. Le feu flambe, les huitres sont au frais avec le foie gras quand les autres arrivent…

Le reste de la journée va être un long calvaire pour ma mère. Parce que l’on va s’occuper de tout (enfin l’arlésienne, Delphine et moi, Pulchérie ayant débarqué avec sa gastro annuelle de la fin de l’année et agonisant dans un fauteuil). Après le débat annuel « on commence par les huitres ou par le foie gras ? » qui se solde toujours par un « par le foie gras, c’est moins fort en goût », nous filons à 3 dans la cuisine faire les toasts.

Mrs bibelot pointe son museau : saurons nous, à trois, faire des toasts avec les deux fours sur position « grill » ?

Ma soeur lui rétorque « Vas à table, assise, pas bouger ! ».

Ce qui va déconcerter les deux chiennes présentes qui théoriquement sont couchées sans bouger sur leur coucouette pas loin de la table (au cas où quelque chose de comestible vienne à tomber) ou assises dans la cuisine pour la même raison. Là elles sont dubitatives : où seront-elles le mieux placées au cas où quelque chose de comestible vienne à tomber ? Mrs bibelot file se rasseoir à table, et les deux chiennes la suivent parce que normalement le « pas bouger ! » les concerne… Cela va durer pendant tout le repas, car l’arlésienne aura l’audace de touiller la salade de Mrs Bibelot elle-même…

Et ce fut donc un bon Noël, avec maman trépignant sur sa chaise une partie du temps (pour le « pas bouger » vous repasserez). Les enfants de mon frères sont venus nous rejoindre en fin d’après-midi, les 8 petits enfants sont là, ils resteront avec nous pour terminer les restes (papa admonestant tout le monde : « vous n’allez pas me laisser des huitres hein ! »), et tout ira bien.

Mais il fallait évidemment qu’il y ait un os…

J’avais dit que je resterais dormir le 25 au soir. Le 26 il y a beaucoup de boulot, et j’avais arraché la promesse à maman de, vider éventuellement le lave vaisselle et d’en remettre un autre en route, mais de me laisser le soin de tout ranger (ce qui demande de se mettre à quatre pattes suivant les buffets et meubles de rangement divers).

Elle va curieusement m’obéir, et en me levant sur le coup de 11 H, il y a toute la vaisselle sur la table et les couverts sur mon vieux buffet. Je range la vaisselle, et je vais ensuite m’occuper de moi, puis des couverts (mais après le déjeuner où le foie gras non merci c’est bon…)

Une parenthèse…

Le service à couverts de mes parents leur a été offert pour leur mariage en décembre 1957 (ne calculez pas, je suis une grande prématurée). Il s’agit d’argenterie : petites cuillères, cuillères à soupe, fourchettes, ET de couteaux : à fromage et normaux, avec le manche décoré en ivoire, ET une lame en fer…

Les lames en fer, l’ancienne génération y était habituée. Du coup je fais partie de la nouvelle génération : je n’ai jamais pu les souffrir.

Mes parents ont d’autres couteaux de table du même acabit qui datent du 19ème, qui leur conviennent très bien, mais entre ma génération et celle de mes filles, plus personne ne supporte les couteaux à lames en fer (il est à noter que c’est à cause de cette composition des lames de couteaux qu’il était considéré comme grossier de se servir d’un couteau pour manger de la salade, le vinaigre oxydant les lames…).

Couteaux que l’on doit laver impérativement à la main (je ne vous raconte pas la tronche des lames après un passage au lave vaisselle), et sécher tout de suite : LA CORVEE, dont ma mère s’acquitte avec bonheur…

Pour une belle table, j’avais donc mis les couteaux du service (y compris ceux pour le fromage). Après, dans la famille, tout le monde fiche le camp dans la cuisine pour récupérer une lame en inox, mais l’honneur reste sauf, car la table était très belle, au départ, moins quand on doit la débarrasser… A leurs invités mes parents ont appris à demander si le couteau convient ou s’il faut le changer.

Et là, assise sur LE petit banc de la maison, je range les couverts pour constater qu’il manque une fourchette et un couteau…

Le pire, c’est que je le dis.

Si je l’avais bouclée, ma mère n’aurait jamais constaté l’absence de deux couverts dans sa ménagère, car quand ils reçoivent en grand, c’est généralement moi qui mets la table.

La fourchette en argent sera retrouvée rangée dans le tiroir du buffet de la cuisine avec le tout venant, mais le couteau a bel et bien disparu dans la mesure où le 26 décembre, j’ai refusé catégoriquement de vider la poubelle de « non récupération » avec son cent de coquilles d’huitres, et tout ce qui allait avec le repas de Noël.

Il manque un couteau.

Et Mrs Bibelot est formelle : si on ne l’avait pas clouée sur sa chaise, ce couteau serait toujours là ! On ne l’y reprendra plus ! (je la vois, corbeille à la main, dans un avenir proche, faire la moisson des couteaux en les comptant, et plus vite que ça…)

Un jour sur deux, elle va regarder dans sa ménagère d’un air nostalgique. Hélas, le divin enfant, dans son infinie sagesse, a su multiplier les pains et le vin, mais pas se faire reproduire les éléments d’une ménagère de 56 ans…

Car la vie n’est qu’un long calvaire…

14 réponses sur “Il est né le divin enfant…”

  1. Je crois me revoir lorsque le patriarche m’aide à ranger après chaque Noel ( nous le passons chez lui et c’est le seul travail que nous lui laissons faire à 9…) et commente le nombre de petites cuillères qui ne sont que 11 depuis des lustres mais j’entends invariablement  » ma chérie, il manque une petite cuillère, il faut regarder dans la poubelle «  », et invariablement je réponds, « non papa, ça fait très longtemps que c’est comme ça – tu es sure???  » On a toujours 4 ans pour ses parents!!
    Continuez de nous faire sourire

  2. MDR 🙂 j’adore, tu as un vrai vrai talent de conteuse ! Rhoooo le coup du stockage les huitres en fonction du temps qu’il va faire….. 🙂 ça déclenche chaque année une engueulade entre mes parents (qui passent leur temps à se chicaner pour tout et tout le temps ) .
    Sinon mon père ne se servirait pour rien au monde du beau coupe foie gras offert, que ma mère pose consciencieusement à côté de la planche: non. Lui, va chercher SON fil bricolé par lui-même,  » le SEUL qui fait des belles tranches ….regardez moi ça hein, y a qu’ça de vrai , etc….  »
    Pendant que sa femme soupire, les yeux au plafond.
    Une année, TOUTES les grandes assiettes DU service ont  » disparu  » d’un coup : mon père ayant eu la bonne idée de poser la pile en attente de lavage sur le COIN du grand frigo à bouteilles et ma mère ayant ouvert la porte dudit frigo….. sans voir la pile d’assiettes.
    Suite au fracas et aux cris de ma mère qui, soit dit en passant s’est pris des assiettes sur la tête et l’intégralité des restes de sauce et de viandes sur sa robe et son brushing, 20 personnes affolées déboulant dans l’arrière cuisine, ça reste un moment dont on se souvient:  » dis grand mère, raconte encore quand t’as failli être morte avec les assiettes de grand père  » (les petits enfants) (en l’absence du grand père).

  3. Bien joue ! Vous allez en prendre pour 30 ans du couteau-Cluedo. En 1978, j’ai casse un plat a tarte du « service de mariage ». Je simplifie l’histoire. Mais elle revient a chaque fois que mes parents voient une tarte, meme dans une pub tele. Les non-inities se font toujours avoir et croient que ca vient d’arriver 10 minutes avant. Ils se tournent vers moi : « Mais ne jette pas les morceaux. Montre-voir si on peut pas recoller…ou si c’etait pas un defaut… ».

  4. madame patate : non, tout simplement une personne aura laissé partir le couteau avec des coquilles d’huitres, ou quelque chose dans le genre.
    Bon, un couteau en moins au bout de 56 ans, on ne va pas NON plus le pleurer 🙂

  5. Violette : c’est tout à fait cela ! Parce que finalement je ne peux jurer sur la tête de personne que quand j’ai mis la table, il y avait bien le bon nombre de couteaux dans la ménagère…

  6. Cathy : Le coup des assiettes est grandiose ! Sinon, je constate que mon père n’est pas l’unique inventeur du « fil à couper le foie gras », et « hein qu’elles sont fines mes tranches lesz enfants !? »
    On se sent moins seules hein ?

  7. patricia : la logistique a 20 ans, alors elle est forcément compliquée suite à des revers divers (les huitres noyées par la pluie ou gelées…)
    Si on confiait une certaine logistique à mon père et à ma mère, il y a longtemps que le fisc aurait agonisé…

  8. Kuri : ça c’est sûr que le couteau on n’a pas fini d’en entendre parler ! 30 ans après, mon père s’entend toujours reprocher un plat de tomates farcies qu’il a laissé tomber par terre (à raconter tiens !) parce qu’il était en train de se faire bruler par le plat !

  9. Euhh si je peux me permettre, le foie gras ça ne se coupe pas en fiiiines tranches, enfin chez nous dans le sud-ouest , parce que sinon bon et bien ya rien a manger hein!

  10. Aïe aïe aïe, le couteau perdu: l’ERREUR à ne pas faire! Courage pour les années qui viennent… Et on a hâte de connaître l’histoire du plat de tomates farçies 😉

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