L’éducation à l’américaine (2) (ou l’ange blond…)

Ange blondComment s’occuper d’Eric… C’était tout simple, et je sentis tout à coup que l’ambiance se plombait.

Car Monsieur et Madame Voisineck avaient éduqué leurs enfants comme mes parents éduquaient les leurs (à coup de matraque). Mais là, il fut question « d’éducation à l’américaine ».

« Choisie précisa le beau suédois, parce que cette éducation a fait ses preuves, il y a plus de génies en Amérique qu’en Suède ou en France ».

J’étais trop jeune pour comprendre et objecter que vu les superficies comparées des pays et le nombre d’habitants au Km2 c’était normal. Je l’admirais en espérant avoir un jour le même.. J’espère que je ne bavais pas, c’était limite…

L’éducation à  l’américaine c’était tout simple :

  • On ne dit jamais non « d’ailleurs Eric ne sait quasiment pas ce que veut dire « non » »
  • On ne refuse jamais rien
  • On cède à toute demande en gardant le sourire. Un jour la grâce lui viendra et il s’éduquera tout seul.
  • Pour la propreté, non, Eric n’était pas propre (en 1966 un enfant de 3 ans passés un peu  largement, non propre, était une rareté, et les couches étaient en tissu et à laver à la main). Madame Voisineck fit visiblement la gueule.
  • Pas question d’ailleurs de le traumatiser avec le pot ou autre chose. Il comprendrait de lui-même… UN JOUR (oui, mais lequel ?)
  • L’enfant est roi et a tout pouvoir. C’était la règle.
  • « Ah, au cas où il puisse piquer une petite colère, ne pas le gronder, mais lui mettre son 33 tours, cela le calme immédiatement »…

Sourires crispés des hôtes du trésor adoré, toujours muet. J’y songe aujourd’hui : pourquoi confier à une famille un enfant qui ne comprendra pas le moindre mot prononcé ? Un BB OK, les biberons, les horaires, les gouzis gouzis, mais à 3 ans, quel traumatisme pour l’enfant !

Le traumatisme il y échappa totalement.

J’étais partie dîner dans ma famille, n’étant pas conviée spécialement (et c’était normal) au dîner avec la soeur, le beau-frère et le neveu, mais je revins le lendemain matin avec impatience pour faire la connaissance de l’ange blond entrevu la veille, et dont les parents avaient été conduits à l’aéroport la veille au soir.

J’appris donc que dîner s’était très mal passé. Eric mangeait exclusivement avec ses mains (y compris purée et compote), flanquait systématiquement par terre couverts, assiettes ou verres lui tombant sous la main, ceci sous l’oeil quasiment indifférent de ses parents qui ramassaient sans sembler se lasser (et sans demander où se trouvaient pelle et balayette) .

Cela promettait. L’ange blond s’était sagement endormi, après avoir écouté ses parents lui expliquer qu’ils reviendraient bientôt le chercher, et la bonne nouvelle était qu’Eric dormait 12 heures la nuit. La mauvaise était qu’il ne faisait du coup plus la sieste.

Madame Voisineck avait un gros pansement à la main droite : Eric l’avait mordue sauvagement quand elle lui avait donné sa tartine de confiture pour son petit déjeuner. Tartine dont il avait léché consciencieusement la confiture avant de l’émietter par terre. Puis il avait bu la moitié de son bol de chocolat pendant que sa tante se faisait son pansement, et avait répandu le reste par terre également. Enfin par terre c’était façon de parler. Il avait versé le reste de son chocolat, au moment où son oncle tout de frais habillé, et étant allé admirer son jardin, et surtout ses rosiers (très important les rosiers), entrait dans la cuisine. Du coup le chocolat était tombé sur son pantalon, dans ses pompes, ruinant les chaussettes au passage. Puis le chiard Eric avait essayé de tomber de sa chaise haute et  sa tante s’était tordu l’épaule en le rattrapant à la dernière minute pendant que son mari était à l’étage en train de se changer.

Marc et Dany appelés en renfort, se débattaient avec l’ange blond (pauvre trésor perdu dans une famille sans rien comprendre de ce que l’on peut lui dire), et le considéraient avec nettement moins d’indulgence. Elle avec une morsure à la joue gauche (bisous refusés, ce serait à moi de continuer à jouer le rôle du BB) et lui une douleur à un endroit que je ne connaissais que peu, mais dans lequel le petit ange blond avait tapé de toutes ses forces avant de se rouler par terre en hurlant quelque chose que bien évidemment, personne ne comprenait.

Il me fit un grand sourire (je ne sais pas pourquoi j’ai toujours eu la côte avec les enfants, les chiens, les chats), me prit par la main et me mena vers sa valise d’où il sortit le 33 tours…

Nous avons donc commencé notre apprentissage du suédois, en apprenant que « j’ai oublié mais je l’ai su longtemps » signifiait en gros « je veux écouter ma musique ».

Ce qui fut exécuté sur le champ. Il nous fallu le reste de la journée pour comprendre que « j’ai oublié mais je l’ai su longtemps », signifiait qu’il voulait que le son soit au maximum.

Dans la maison c’était invivable, on sortit donc le tourne disque dans le jardin, l’oncle étant allé acheter une rallonge, et la météo heureusement clémente.

Eric piquant une colère environ 50 fois par jour, au bout de deux jours nous connaissions tous le 33 tours, phonétiquement parlant PAR COEUR, sans rien comprendre à ce que nous chantions. Et comme l’électrophone était ressorti tous les matins (le premier qui me demande ce qu’est un électrophone, je lui fous le cou en pas de vis), les voisins (en vacances, je ricane…) connaissaient également le 33 tours par coeur, dans l’ordre SVP.

Même mon arrière grand-mère chantonnait en allant chercher ses oeufs dans le poulailler « ce que j’ai oublié mais que j’ai su longtemps ».

Nous regardions l’ange blond en nous disant que le plus amusant de l’histoire, c’était que lui, comprenait ce que signifiaient les comptines chantées en suédois, nous pas, alors que nous savions les chanter. Il nous avait fallu un temps record pour le faire, mais à raison de 50 fois par jour on progresse rapidement…

Le deuxième jour Madame Voisineck était en train de se mettre au tilleul, et son mari bricolait, pour empêcher Eric l’ange blond de monter à l’étage. La veille au soir il avait vidé intégralement sur le parquet de la chambre de son oncle et sa tante,  le n° 5 de Chanel de sa tante, et le Dior après rasage de son oncle, ayant échappé pendant 5 minutes à la surveillance de 4 personnes. La bombe à raser, il l’avait vidée sur le lit…

Le matin du deuxième jour, l’oncle était donc allé acheter du bois, des clous, des vis, en marmonnant que du fil de fer barbelé serait peut-être plus efficace que le portillon qu’il réussit à faire et à poser, et qui empêchait le trésor adoré de monter à l’étage sans aide.

Comme l’ange blond avait entendu son oncle bricoler, il nous gratifia le 3ème jour d’un « merde » parfaitement français (« comment ça merde alors, but alors, you are french ! »). Il progressait rapidement, car si on ne lui avait jamais dit « non » en suédois, il avait parfaitement su le dire la veille au soir devant son assiette de soupe… Qu’il avait renversée par terre avant de jeter l’assiette en la brisant… Il n’avait accepté pour le dîner que de la confiture et du jus d’orange…

Les Voisineck au complet, sentant qu’ils allaient vivre les 3 semaines les plus longues de leur vie, me demandèrent instamment, de venir vraiment tous les jours. ON m’invitait même pour le déjeuner… 1 personne de plus pour surveiller l’ange blond Eric, ne serait jamais de trop…

Car la vie promettait d’être pendant encore 19 jours, un long calvaire…

Maman sadique sans le savoir et le vouloir, déclara que je déjeunerais avec la famille, qui était somme toute, à 5 mètres, et que je devais être rentrée à 19 H pétante, heure sacrée du diner pour son père et sa grand-mère. Et que si je devais faire des visites dans la famille, visite de suédois ou pas, et bien, j’irais les faire…

Quand je parle de long calvaire…

6 réponses sur “L’éducation à l’américaine (2) (ou l’ange blond…)”

  1. Esther : merci de ce premier commentaire… Je n’avais pas trop mon mot à dire, il faut rappeler maintenant, qu’Eric devait rester 3 SEMAINES !!!

  2. il a dû apprendre le français, en 3 semaines, non? oups, pardon on ne dit pas « non »…
    j’ai eu une belle soeur qui voulait éduquer son fils comme ça… le gamin faisait encore dans sa culotte à 5 ou 6 ans! une catastrophe ambulante dont personne ne voulait, ni en voiture, ni en vacances!

  3. Mouarf ! J’en ai gardé des gratinés, mais celui -là a l’air de battre des records, j’attends la suite avec impatience.
    Des amis ont élevés leurs 4 enfants approximativement de cette façon. Je dois reconnaître (même si ça me coûte !!) qu’arrivés à l’adolescence ils étaient devenus civilisés … un miracle ?
    Je me souviens du jour où la maman racontait devant mes enfants que sa fille avait jeté son assiette par terre et que le papa s’était précipité pour lui servir un autre menu. Mes loulous, polis, n’ont pas bronché, mais à peine remontés dans la voiture j’ai entendu la petite voix de ma fille derrière moi « euh … je crois que si j’avais fait ça … ça aurait chauffé … ». Voui ma chérie, c’est bien d’ailleurs pour cela que tu n’en aurais jamais eu l’idée, même dans tes rêves les plus fous … Gnark …

  4. opale : pour le français il faut attendre la suite 🙂
    Des gamins insupportables comme tu le décris, je ne sais pas comment les parents peuvent continuer à les non éduquer comme ils le font…

  5. CDLM : celui-ci était surtout gratiné pour l’époque car en 1966 en France, l’éducation à l’américaine nous avait épargnés…
    Il semblerait qu’elle commence à faire des ravages, prions pour que les jeunes parents s’en tiennent à autre chose…

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