5 mai 1958…

Papa et moiJour à marquer d’une pierre blanche…

Jean-Poirotte avait beau faire celui qui s’en foutait , je pense qu’il serait bien revenu à ce lundi 5 mai 1958, jour de son incorporation dans l’armée, pour effectuer son service militaire, prévu pour 18 mois…

Mais quand on a 20 ans, 18 mois c’est l’éternité, surtout quand on doit laisser une femme en cloque jusqu’au menton derrière soi… C’est toujours en retard, que l’on revivrait bien le passé, mais c’est impossible. Ces moments que nous avons tous détestés, quels qu’ils soient, nous voudrions bien y retourner, peut-être en demandant LE trop : connaître ce qui nous attend. Mais je peux vous assurer que c’est une grâce qui nous est faite de ne pas savoir.

Donc papa n’était pas spécialement heureux à l’idée d’aller faire son service militaire. Les « évènements » d’Algérie épargnaient encore le bataillon de Joinville qu’il devait rejoindre le lundi 5 mai. Vu le nom du bataillon (le net vous renseignera mieux que moi), vous imaginez bien qu’il était hors de question qu’il soit exempté de quoi que ce soit même s’il avait eu les pieds plats, et malgré sa très proche paternité.

Le dimanche 4 mai était donc le dernier jour qu’il allait passer en famille, et maman pleurait toutes les larmes de son corps en imaginant son petit mari (1,82m) partant le lendemain. Je sais de qui je tiens à avoir passé mes deux grossesses à pleurer pour un oui ou pour un non, surtout à cause du trop ou pas assez salé… Enceinte de J + 21 jusqu’au terme, j’étais une vraie fontaine…

En cloque jusqu’au menton, et de surcroit en larmes, maman avait exigé de préparer elle-même le dernier vrai repas familial de son mari. Ils habitaient tous deux chez mes grand-parents maternels, mais les grand-parents paternels qui habitaient non loin, étaient venus se joindre à tout le monde pour ce grand jour.

J’imagine que le prisonnier et l’apiculteur, mes deux grand-pères, étaient assez sereins : mon père partait faire son service militaire, et non pas pour la guerre (la débâcle, les stalags, l’Afrique pour se battre contre Rommel et j’en passe). J’imagine également mes grand-mères assez sereines également : 18 mois c’est vite passé quand on ne part pas se battre vraiment. Elles avaient connu leurs maris partant pour la guerre, la vraie.

Maman avait gardé de ce jour là sans doute, son habitude de faire pour entrée des radis : pas de problème.

Pour le plat de résistance, elle avait prévu un poulet. C’était juste avant que papa ne soit dégouté du poulet aux hormones, qu’on lui a servi  3 FOIS PAR SEMAINE au bataillon de Joinville PENDANT 24 MOIS (parce que la loi ayant changé, deux jours avant qu’il ne rentre chez lui au bout de 18 mois, il a appris qu’il devait en faire 6 de plus, la naissance de ma cadette lui épargnant de partir en Algérie « les pères de famille de 2 enfants et plus, ne seront pas blablabla, mais effectueront 24 mois de service militaire »), ce qui l’avait mis, vous l’imaginez bien, de bonne humeur. Quand on a déjà préparé son paquetage pour rentrer chez soi, devoir rester 6 mois de plus doit vous mettre le moral dans les rangers.

Bref, à l’époque il aimait le poulet rôti…

Donc maman avait prévu un poulet qu’elle avait fait rôtir (en pleurant), + un gâteau de riz (à ne pas saler merci, vu qu’elle pleurait).

Tout le monde s’exclama devant l’arrivée de la bête qui avait fort mauvaise mine si l’on se met dans la peau d’un poulet en pleine forme et bien vivant, et Jean-Poirotte embrassa Mrs Bibelot (qui ne pleurait plus) : « un poulet ma chérie, tu ne pouvais pas me faire plus plaisir ».

Sauf que…

C’était 1958…

  • Le boucher avait dit un vague truc à maman qui lui avait demandé un poulet pour 6 (le vague truc, c’était : il faudra le vider, je n’ai pas eu le temps de vider mes poulets ce matin)
  • Elle n’avait pas fait attention.
  • Elle avait beurré et huilé le poulet, l’avait parsemé d’estragon, de sel de poivre.
  • Il sentait divinement bon.

A la première bouchée, alors que tous les convives venaient de goûter leur morceau mais étaient restés silencieux, maman fondit en larmes à nouveau.

Elle avait oublié de vider le poulet qui avait cuit avec le foie ET son fiel.

Elle s’en rendait très bien compte.

  • Hypocrites, tous les convives prétendirent qu’on ne sentait rien, surtout ceux qui avaient pris une cuisse.
  • Ce qui était fort héroïque de la part du prisonnier et de l’apiculteur pour qui un poulet c’était sacré. Ils mangèrent toute leur part.
  • Mon père ayant du fiel dans la bouche en songeant à ce qui l’attendait le lendemain, fit chorus avec tout le monde. « Ton poulet est délicieux ma chérie ». Pour faire bonne figure, il reprit même de la sauce.
  • Mais la plus merveilleuse fut Mrs Morgan, qui devant les larmes de sa fille, mangea le foie avec le sourire, en prétendant qu’il était délicieux et que la dite fille avait tort de se mettre la vésicule rate au court bouillon pour une histoire de fiel qui ne se sentait même pas.
  • Jusqu’à sa mort elle est restée héroïque, prétendant que manger le foie du poulet n’avait pas été si infect que cela. JAMAIS, elle n’a dit qu’effectivement le poulet était infect. JAMAIS
  • D’ailleurs pour ne pas le terminer froid le soir, les convives le terminèrent le midi, et le prisonnier partit chercher chez son boucher de quoi dîner dignement le soir, pour le dernier repas civilisé de son fils.

Maman pleurait toujours.

Il y avait le dessert, mais cela ne la consolait pas…

Et pour le pousse café, excusez-moi du peu, il y a eu moi qui le mardi, annonça son arrivée.

Pulchérie devait connaître l’histoire familiale : je m’annonce le mardi, je pointe mon nez le vendredi en fin d’après midi…

Papa, averti par un télégramme « femme à l’hôpital, STOP, naissance imminente STOP (pour le « imminente » vous repasserez) » fit le siège de son sergent chef qui, le sentant assez bouillonnant, lui refusa une sortie au péril de sa vie. Ce n’était pas l’époque où un père se devait d’assister à la naissance de son enfant.

  • « Votre femme se démerdera bien toute seule, tant qu’à faire de faire les 100 pas, vous pouvez les faire ici, sans autre demande supplémentaire de ma part, mais promis, dès que le bébé sera là, vous aurez une autorisation exceptionnelle de sortie ».

Incorporé  le 5, sorti le 9 au soir pour un WE…

C’était rare.

Le temps qui passe a de curieux effets :

On se souvient plus du fiel du 4 mai 1958 que du repas super réussi d’on ne sait plus quand.

Car la vie n’est qu’un long calvaire…

PS : c’est moi et mon pôpa, vers septembre 1958…

15 réponses sur “5 mai 1958…”

  1. Oui, nous nous rappelons mieux ce qui c’est mal passé… La vie n’est qu’un long calvaire. P et me remémorer des mésaventures survenues à l’école maternelle me consterne toujours. J’aimerais bien oublier

  2. oups, un raté (entre les touches du clavier quasi illisibles et un ordinateur qui rame)

    Oui, nous nous rappelons mieux ce qui c’est mal passé… La vie n’est qu’un long calvaire. Pouvoir me remémorer des mésaventures survenues à l’école maternelle me consterne toujours.

  3. J’étais au service militaire quand mon aîné est venu au monde, mais comme j’étais à Paris, qu’il n’y avait pas assez de place à la caserne pour loger tout le monde, j’étais chez moi tout les soirs, ce qui fait que j’ai assisté à la naissance après avoir prévenu l’adjudant de l’accouchement. Il m’a dit qu’il n’y avait pas de problème, que j’avais droit à trois jours de perme, et qu’il faisait signer celle-ci immédiatement par le pitaine. Je ne suis donc revenu que trois jours après. Mais l’époque n’était plus la même, c’était en 1979.

  4. Tu as vraiment du talent pour raconter tes souvenirs, on s’y croirait ! …..tout ça me rappelle les souvenirs de départ pour le « service » au moment de la Guerre d’Algérie, évoqués par la famille (ça ne rate jamais). Mes oncles, pas de chance, ont rempilé pour 6 mois supplémentaires et qui plus est, ont été hélitreuillés sur un python rocheux où ils ont dû combattre.
    PS: Très jolie photo, émouvante aussi.

  5. Le service militaire, les djeunes n’ont pas la moindre idée de ce que c’est…. Pourtant, malgré pas mal d’imperfections, je crois que cela avait du bon pour un grand nombre, ne serait-ce que la vie en collectivité, à notre époque d’individualisme forcené….
    Tu racontes vraiment bien toutes ces histoires, avec toujours une petite touche d’émotion… Et quel joli bébé mort de rire dans les bras de son père !!!! (Cathy, J’ADORE les oncles helitreuilles sur un python !!!! Merci !!!!)

  6. @Louise: en réalité ils ont été « héliportés » …..pas « hélitreuillés » pffff…^^

  7. Si je peux me permettre, c’est sans doute le « python » qui a fait sourire Louise. Ne serait-ce pas plutôt un « piton » rocheux ? 😉
    Moi j’dis ça j’dis rien, un bafouillage du clavier est si vite arrivé …

  8. Bien entendu, je suis la première à faire des fautes d’inattention, (et j’ai deux enfants dysorthographiques, donc je suis totalement indulgente!!!) mais il n’y avait là aucune moquerie, juste un bon gros éclat de rire, ce qui fait du bien par les temps qui courent !!

  9. Mona : pas de soucis, tu viens de prouver que… 🙂
    Le pire nous fait oublier le meilleur, c’est mon adage, et ma soeur cadette me demande de penser positif (en déprimant en douce dans son coin…)

  10. Le Nain : comme tu le dis si bien : c’était en 1979. Mon père, incorporé le 5 mai et moi née le 9 a dû se battre comme un malade pour avoir AU MOINS UNE JOURNEE de permission.
    Le capitaine sympa, lui avait tout de même accordé 3 jours… Ce qu’il pouvait refuser, vu le contexte, l’époque, et les textes…

  11. Cathy : j’adore ton commentaire, mais pour le coup du python…
    Je précise que je réponds toujours sans avoir lu le reste….
    Les 6 mois de rab, mon père s’en souvient encore, même si, père désormais de 2 enfants, il se devait seulement d’entretenir les chaudières (poste important car le pitaine qui faisait chier n’avait plus ni eau chaude ni chauffage, et combien de temps mettrait-il à comprendre ?)

  12. Cathy : j’adore ton commentaire, mais pour le coup du python…
    Je précise que je réponds toujours sans avoir lu le reste….
    Les 6 mois de rab, mon père s’en souvient encore, même si, père désormais de 2 enfants, il se devait seulement d’entretenir les chaudières (poste important car le pitaine qui faisait chier n’avait plus ni eau chaude ni chauffage, et combien de temps mettrait-il à comprendre ?)
    Merci pour la photo : J’AI BIEN changé !!!!

  13. Je savais pour le 9, d’ailleurs j’y ai pensé en souhaitant son anniversaire à mon fils (coupée du monde évidemment sinon je t’aurais fait un coucou)… mais je ne savais pas que tu étais née un vendredi.
    En 1975 le 9 mai était aussi un vendredi… d’ailleurs j’étais abonnée à ce jour de la semaine, ma fille l’avait aussi choisi.
    Alors je me rattrape avec un peu de retard : Bon anniversaire à toi aussi.

  14. Gisèle : merci (un peu en retard…). C’est simple, ma grand-mère maternelle est née un vendredi, ma mère un vendredi, je suis née un vendredi, et mes deux filles aussi…
    Ca c’est de l’exactitude !

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