Danse du ventre et douche froide…

Danse du ventreMarie Laure (dont j’ai déjà parlé) a eu la chance d’avoir 4 filles. VI, j’insiste pour la chance. Je n’en ai eu que deux, j’en voulais au moins une troisième alors, c’était bien parce que Marie Laure était super sympa, que je ne la détestais pas avec ses 4 XX qui foutaient le bordel chez elle (comment faisaient-elles ??? :-)).

Moi finalement cela m’aurait bien arrangé d’avoir 2 Pulchérie et 2 Delphine. 2 fois des jumelles… On galère quelques temps mais après c’est la belle vie de qui gueule le plus fort dans la maison…Elle avait eu des triplées vraies qui ont réussi à rendre quasi toute la famille folle, sauf leur mère qui les reconnaissait toujours sans se tromper « comment tu fais maman ? ».

« Je fais » répondait-elle. Jamais elles n’ont pu la gruger alors que c’était si facile avec les autres… Et surtout aux examens avec les profs… Et même avec leur père qui se faisait toujours couillonner…

L’aînée était un peu différente des autres et ne se trompait d’ailleurs jamais, elle non plus face aux triplées : blonde comme sa mère, elle avait hérité des yeux noirs de son père, de ses sourcils et cils noirs et épais qui lui donnaient un genre un peu à part, face à ses 3 morveuses (pour elle, pendant longtemps) de soeurs qui donnaient dans la blonditude nordique de la maman, avec des yeux bleus comme ça…

A l’âge de 5 ans elle est arrivée dans le salon, pour annoncer à sa mère bien entendue débordée « maman, regarde, je sais faire bouger mon ventre dans tous les sens ».

Et la gamine a fait la totale de la danse du ventre devant sa mère médusée et ses soeurs enfin calmées pour un moment, essayant de faire pareil (z’ont jamais réussi).

Vanessa avait découvert toute seule que l’on peut faire bouger son ventre dans tous les sens. Elle le faisait souvent, devant des copines admiratives, ou pour donner des cours à ses soeurs.

Et puis un jour, alors qu’elle avait 17 ans, elle s’est inscrite à un cours de danse orientale et a médusé également la prof qui n’avait plus qu’à lui apprendre à danser simplement, et non pas à faire droite gauche, haut bas, tournicoti tournicoton…

Vanessa était vachement douée.

Et puis est arrivé le temps des études et des comptes à faire avec maman. Pas de soucis, je vais me trouver un petit boulot ma petite maman. Dans le secteur, pas mal de restaurants arabes chez qui elle est allée montrer ses talents, pour finir par décrocher 5 soirées par semaine dans 5 restaurant différents, pour aller faire la danse du ventre.

Perruque brune pour faire plus vrai, et habillée comme il se doit, son seul souci c’était son teint pour lequel elle dépensait pas mal, car le brou de noix, une fois ça va, après, bonjour les dégâts. Peut-être un peu mince pour les critères du moyen orient, mais bluffant tout le monde, et attirant du monde :  les 5 restaurants qui le soir annonçaient »danseuse du ventre » affichaient « complet.

Le destin toujours malicieux fit que Marie Laure, comptable de son Truchon, fut chargée d’organiser le repas de fin d’année. C’était prévu un vendredi soir à « la Médina ». Le patron ne voulant pas de salariés la tête dans le sac le lendemain du repas, avait imposé le vendredi soir et aucun autre jour de la semaine quitte à préciser que l’on pouvait partir en WE le samedi matin. 16 personnes (dont 12 mâles) pour lesquelles était commandé un couscous royal et des gâteaux orientaux qui vous font tous perdre 2 kg, le soir de la danse du ventre, étaient donc présentes ce vendredi soir.

Même pas qu’elle a tilté Marie Laure, les mères sont parfois de véritables plaies, surtout quand elles sont comptables et en plein bilan…

Le repas se passe super bien, bonne ambiance, et arrivée de l’attraction du vendredi soir « Leïla, notre danseuse du ventre ».

Leïla arrive, bien brune avec une perruque à cheveux très longs, du khôl  bien partout au niveau des yeux (l’ancêtre du « smoky eyes ») , de la teinte pour faire bronzé, le costume qui va bien (petit haut et sarouel, taille nue), ses yeux noirs noirs un peu ironiques, car elle a bien compris que sa mère était dans la salle. Avant de se présenter, elle est allée prévenir le patron qu’elle irait s’asseoir à la table des clients de la grande table…

La danse commence devant LA Mère pétrifiée. Qui écoute les commentaires :

  • Sacrée belle fille !
  • C’est bien une fille de « là-bas » !
  • Incontestablement ! elle est marocaine à ton avis ?
  • Non, je dirais algérienne moi !
  • Turque certainement, je le sais, j’y suis allé, et blablabla blablabla
  • Ah la vache elles sont super douées, aucune de nos femmes ne seraient capables de faire ça !
  • La belle brune !
  • Les beaux yeux !
  • La taille fine !
  • Putain les seins…

Truchon et son père, nés tous les deux à Casablanca et y ayant séjourné pendant longtemps, précisent que c’est la plus belle danse du ventre à laquelle ils assistent.

La musique s’arrête, Leïla s’arrête, en sueur, écoute les applaudissement, et commence le tour des tables où l’on lui fait signe.

Elle n’est pas payée très cher pour ses prestations par le restaurateur, le plus gros pour elle ce sont les pourboires.

Certains le lui tendent avec un sourire pudique, discutent avec elle et la félicitent de son français parfait (elle est khâgneuse, elle peut). Certains hommes en riant lui glissent le billet dans le haut de son pantalon bien ajusté et prévu pour.

Et puis elle se rend à la table où se tient sa mère toujours un peu pétrifiée, et se pose sur un tabouret, à côté d’elle, pour lui faire un petit bisou.

  • Bonsoir ma petite maman ! Tu n’avais pas réalisé que je serais là ce soir ?

Silence de mort autour de la table. On regarde bien, il y a tout de même un air de famille entre la danseuse et la comptable. Dans le regard, les expressions, le visage… On a tendance à se fier à la couleur des cheveux et des yeux…  Mais les pratiquants de « c’est bien une fille de là-bas » se sentent très cons. Le patron et son fils sont encore plus dépités, ils se sont fait avoir dans les grandes largeurs.

Beaux joueurs ils invitent la belle à boire une coupe de champagne en terminant les gâteaux, tout le monde se déride. La danse du ventre pour payer les études : quelle bonne idée quand elle est aussi bien pratiquée. Tout le monde cherche et trouve les ressemblances entre la mère et la fille, sans pouvoir dire tout de même « je me doutais de quelque chose ». La brune brune, et la blonde blonde sont pourtant du même sang. La soirée s’achève bien, le patron vient donner à Vanessa son enveloppe du soir, lui demande si c’est toujours OK pour la semaine prochaine.

Et là, Truchon généreux, sort son porte-feuille et en extirpe 3 billets de 50 euros, son fils fait de même et donne les billets à son père qui va donc remettre son pourboire à la danseuse :

  • Félicitations mademoiselle, et félicitations à Marie Laure qui fait d’aussi beaux enfants. Vous permettez ?

Et là, il place les billets dans le petit haut (genre soutif sophistiqué, vous voyez le genre), en insistant un peu, « je vérifie que les seins ne sont pas siliconés ».

  • Je permets tout à fait cher monsieur, vous savez, depuis 1 an que je fais la danse du ventre pour payer mes études, j’ai l’habitude des vieux cochons !

La vie n’est qu’un long calvaire.

Pour les vieux cochons et les mères…

4 réponses sur “Danse du ventre et douche froide…”

  1. Énorme (l’ironie de la situation, pas la balourdise de Truchon, encore que…). Je ne me serais pas sentie très à l’aise à la place de la mère non plus, pourtant elle n’a rien fait de mal! Les gens autour, par contre…
    J’adore cette histoire parce que les clichés qui reviennent à dire « ce qu’on sait faire ou pas dépendent des origines » ont tendance à beaucoup m’énerver. Merci Calpurnia!

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