Triste anniversaire…

Papa 1949Papa aurait fêté ses 79 ans aujourd’hui, en disant moqueusement à Mrs Bibelot qui avait 9 mois de plus que lui « Ma puce, jusqu’au 4 juin nous allons avoir le même âge ».

Mais la Camarde avait décidé que 77 c’était bien assez, pour nous laisser tristes encore et toujours, et pour donner à maman cette voix rouillée du 21 « qu’importe, ton père n’est pas mort pour moi ». Alors qu’elle ment. Comment pourrait-elle réellement oublier 60 ans d’amour infini en pensant qu’il est toujours physiquement à ses côtés ? Ou alors elle sent autre chose, mais elle ne le dit pas, par conviction ou orgueil.

Je sais que dans sa maison de transit, si proche du cimetière, elle pense à lui à chaque Angélus. Il « non est » tellement proche d’elle…

On ne peut pas aider quelqu’un qui n’appelle pas au secours. On ne peut pas aider quelqu’un qui est dans le déni le plus absolu, alors que la réalité est là, toujours là, et qu’il faut toujours tout redécouvrir matin après matin.

Je déteste l’expression « faire son deuil », comme si l’on pouvait tricoter un pull tout fait, dont le modèle est à suivre pour tout le monde. Je déteste que l’on me dise que je ne « fais pas mon deuil » dans le bon ordre en plus, ou bien en revenant sur des étapes essentielles que je renies tout à coup.

Mon médecin ne se permet même pas de me le dire pour le coup du tricot « chacun sa façon de vivre l’absence d’un être aimé, vous n’avez à vous conformer à RIEN. C’est votre histoire cela ne regarde pas les autres ».

Maman ce 22 mars, restera seule, elle le sait. Je l’ai prévenue d’ailleurs sans penser à la date; c’est pur hasard. Maintenant que je réalise, ce n’est pas que je ne veux pas parler avec elle de ce cadeau qu’elle ne fera pas, ce n’est pas que… Qu’importe, je sais qu’au moins elle n’aura pas à faire bonne figure au cas où quelqu’un viendrait la voir. Comme je lui téléphonerai le matin et le soir, je verrai bien…

Et je ne veux pas non plus, je ne vous le cache pas, aller la voir en faisant celle qui ne sait pas que l’on est le 22 mars. Je m’épargne et je l’épargne.

Bien sûr je parle en mon nom. Peut-être que l’arlésienne ou mon frère auront à coeur de parler de ce faux anniversaire. Chacun, je le respecte, a sa manière de faire. De toutes manières, maman ira très bien, comme toujours… Mais comment savoir quand ON n’appelle pas au secours ? Si elle m’avait dit « je préfèrerais ne pas rester seule demain (ma visite du 21) » bien sûr que je l’aurais mis dans mes priorités. Mais je sais qu’elle déteste nous voir avec la figure à l’envers, pour nous répéter « votre père n’est pas mort pour moi ».

Il n’empêche que cela me ramène toujours et toujours à notre condition de mortels. A peine conçus, nous sommes condamnés à mort. A peine sommes nous nés, que notre destin est tout tracé : la fin inéluctable. Donnons-nous donc la vie pour donner la mort ? Tout cela a-t-il un sens quelque part ?

Même les étoiles les plus belles meurent un  jour. Qu’importe le temps, il ne compte plus dans notre lutte pour comprendre, exister, être pour ne plus être…

J’ai parlé de religion dernièrement. J’envie sincèrement ceux qui ont la Foi, ceux qui, comme la mère de papa, pensent réellement qu’il y a un au-delà où ils retrouveront ceux qu’ils ont aimés, ceux qui arrivent à vivre sans époux, sans amour, car ce n’est que temporaire.

Pour moi, je sais que papa est mort. Mais en ce qui le concerne, il est toujours à l’hôpital Georges Pompidou, sous respirateur, sous anesthésie générale, et il ne sais pas qu’il est mort. Il ne sait pas qu’on le pleure;

Et les autres alors, tous les autres, torturés, souffrants de maladies incurables, sont-ils toujours en train de souffrir ?

Je ne sais rien. Nous ne savons rien.

Il aurait eu 79 ans, la maison aurait de toutes manières été vendue.

Qu’il dorme en paix dans cet hôpital qui lui a épargné les pires souffrances physiques et morales.

Sait-il que nous l’aimons toujours ???

Je crois qu’il sait que la vie n’est qu’un long calvaire. Je crois que c’est lui qui me l’a dit un jour, mais je n’en suis pas certaines.

Et que fait Dieu pendant ce temps là ????

 

8 réponses sur “Triste anniversaire…”

  1. Sans mentir, c’est avec les larmes aux yeux que j’ai lu de bout en bout ton exposé et les questions qu’il soulève. Avec un époux de six ans plus âgé que moi, je risque fort de me retrouver dans le même cas que ta maman à plus ou moins longue échéance. Mais j’espère que ce ne sera pas le cas, ou bien pas avant mes 90 balais (j’en ai « seulement » 68 pour l’instant).

    Pour moi, en cas de veuvage, le déni est la seule parade pour ne pas imiter Georgette Agutte => http://www.bonnieres-sur-seine.fr/index.php/Le%20couple%20Agutte-Sembat?idpage=80&idmetacontenu=22

    La vie est un long calvaire… Heureusement que ce n’est pas une autoroute et qu’en cas de pépin il y a toujours possibilité de prendre un chemin de traverse.

    Bises réconfortantes (enfin, j’espère)

  2. Nous ça a fait deux ans le 5 mars. Notre histoire se superpose à la vôtre, presque à l’identique. Papa est parti dans un hypothétique au-delà, maman est restée dans un consternant ici. Elle lui parle, incessamment. Elle promène des photos de lui toute la journée à travers sa grande maison vide. Elle pose sa photo la nuit sur l’oreiller à côté d’elle là où il devrait encore se trouver. Elle n’a rien enlevé de lui. Même ses vêtements sont encore sur le valet. Il est toujours là, pour elle aussi. 80 ans qu’ils se connaissaient, qu’ils n’avaient connu l’un que l’autre. Même moi j’étais souvent de trop dans leur histoire. D’ailleurs ils n’ont eu que moi. Pas d’autre place entre eux pour un autre enfant. Qui sommes nous pour comprendre le deuil et son étrange chemin ? Comment comprendre ? L’alcool aide maman à supporter de poser chaque soir une photo sur l’oreiller ou devrait se trouver l’aimé. Là encore, qui suis je pour la juger ? Compassionnellement vôtre. Je vous embrasse, vous, votre maman et votre si doux papa.

  3. Louisianne : toi aussi toujours là, fidèle au poste ! Merci à toi également. Une fois toute la tornade prévue pour 2017 passée (le prochain déménagement de maman, et l’horrible tri qui va précéder), on se voit !

  4. Titia : je connaissais pas ton âge. Le problème avec maman c’est qu’elle est dans le déni depuis TELLEMENT LONGTEMPS ! Tout va toujours bien et il n’y a jamais de problèmes. Déjà quand j’étais toute jeune elle ne constatait pas que j’avais une molaire grise (un exemple), jusqu’à ce que je fasse un abcès balèze, à traiter bien évidemment en urgence…
    Un problème dans la famille ? Si tu crois qu’elle va prêter attention à ce genre de connerie…
    ETC…
    C’est épuisant.

  5. Jane : avec maman c’est le contraire : mon père n’est pas mort. Certains réagissent totalement différemment après un décès, dès le surlendemain de la mort de papa, elle avait mis de côté les affaires à donner, etc… alors que d’autres gardent tout scrupuleusement. Je sais qu’elle a quelque part un truc qui n’appartenait qu’à eux. C’est une photo étrangement disparue, qui les représentaient tous les deux, et devant laquelle ils échangeaient toujours un regard entendu. Je ne sais pas où elle la planque, et je ne veux pas le savoir.
    Je ne serai jamais juge et parti, et je ne vous condamnerai jamais (voir mon prochain post).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *