« Le petit chat est mort »… (la cellule du condamné)

FilouIl y a des jours comme cela, où l’on se réveille en pleine forme (chez moi c’est rare, vu que je souffre de problèmes chroniques de sommeil, avec du somnambulisme dont il faudra que je vous parle un jour), où l’on sent que la journée va bien se passer et crac, non en fait c’était faux.

Inversement on peut se réveiller patraque et tout et tout, et PAF, la journée va être excellente.

Pour un premier avril, Filou, en photo, nous a fait bien du mal, sans le vouloir ce petit père.

Comme poisson, on pouvait faire mieux. Lui qui adorait le poisson nous en avait concocté un carabiné pour ce premier avrilIl a débarqué il y a 17 ans chez mes parents, dans la maison d’avant celle « que nous en avons encore tous mal aux tripes de l’avoir vue sortir de la famille ».

Des gens, certainement pas vraiment méchants (lisez la suite) se sont retrouvés à devoir se débarrasser de 3 petits chats d’environ 4 mois. C’est ainsi que Mrs Bibelot qui n’avait plus de chat depuis quelques temps, mais toujours ma chienne et la sienne, m’a téléphoné un beau dimanche en fin d’après-midi, paniquée.

  • « Coraline, un  tout petit chat s’est réfugié chez nous, est-ce que tu pourrais m’apporter de la litière et de la bouffe STP ? »

J’ai obtempéré et avec Charles-Hubert, nous avons emmené chez mes parent de la litière, un bac de rechange, et de la bouffe, curieux de voir ce tout petit chat parce qu’un chaton c’est toujours mignon.

Le « tout petit chat » semblait avoir environ 4 à 5 mois à vue de non vétérinaire. Il était en parfaite santé, visiblement bien nourri,  tranquillement installé sur les genoux de Jean-Poirotte, et ronronnait gentiment.

  • « Je m’en occupe pour ce soir et cette nuit m’a dit ma mère, mais dès demain, je mets une petite annonce à la boulangerie, JE NE VEUX PLUS DE CHAT ».

(Et moi je suis le pape et j’attends ma soeur, car vu la manière dont elle arrangeait la litière et donnait à manger au monstre, elle était cuite, et mon père idem qui faisait des papouilles à l’indésirable).

Ce qui était curieux, c’était que ce pas si petit chat que cela, avait franchi pour pénétrer dans la maison, l’obstacle théoriquement infranchissable des deux chiennes.

  • Ma malinoise dont la première copine avait été un petit bout de cul avec laquelle elle avait joué à n’en plus finir, qui m’avait quasi fait une dépression quand sa copine avait disparu (je n’ai jamais su ce qu’elle était devenue), et qui avait été fort dépitée par la remplaçante qui la tolérait sans plus.
  • L’épagneul breton de mes parents qui avait connu elle aussi un chat, noir, qui la tolérait sans plus et qui était assez mauvaise de caractère.

Toute personne ayant eu chat et chien savent que ces derniers s’entendent parfaitement. Sauf qu’il y a le chat de la maison que l’on aime ou que l’on tolère, ou le chien de la maison idem. Les étrangers n’ont qu’un droit de visite strictement règlementé : « DEHORS » !

ON a retrouvé une trace d’un petit nid derrière les hortensias, dans la cour. Apparemment ON avait mis le petit chat nuitamment dans cette dernière, il s’était réfugié derrière les hortensias et là il y avait plusieurs cas de figure :

  • La petite bête terrorisée avait attendu que les chiennes soient dans le jardin pour monter dans la maison (porte ouverte, c’était beau temps)
  • La petite bête terrorisée avait été découverte par ma chienne dont l’instinct  maternel n’a jamais été totalement assouvi, qui lui avait donc ouvert la voie vers la cuisine
  • Ou bien la petite bête n’était pas terrorisée du tout et était passée d’un air digne devant les chiennes éberluées, pour s’installer dans la cuisine.

On ne saura jamais.

Le lendemain, ma mère mettant une affichette écrite en tout petit, sur un tout petit morceau de papier, à la boulangerie, apprit que deux autres « petits chats » ressemblant étrangement au SIEN, avaient été trouvés dans des circonstances semblables.

Les 3 chatons en pleine forme avaient tous les trois été abandonnés dans des propriétés dont il était connu que les propriétaires aimaient les animaux et en avaient.

Maman  emmena immédiatement le fauve chez le vétérinaire, qui lui diagnostiqua 4  mois, le vaccina, le tatoua, lui prit un bras pour la consultation et les vaccin, puis elle partit acheter ce qu’il fallait pour celui qui était désormais baptisé « filou », vu la manière dont il avait filouté les chiennes.

Qui résignées, et habituées, surtout la mienne, se laissèrent chasser du panier, prendre des coups de griffes pour en sortir plus vite, et se mettre à courchasser les chats qui n’étaient pas filou.

Redoutable chasseur et tueur, il fut épargné par la route qui avait tué le premier chat de Mrs Bibelot (heurté par une voiture et traîné sur au moins 150 mètres, et il fallait ramasser les morceaux). Très câlin et mignon, il vivait comme il l’entendait, surtout l’été, quand la porte est ouverte. Dans l’ancienne maison d’ailleurs, il y avait une chatière et maman avait donc mis au sous-sol de quoi abreuver et sustenter le monstre quand il décidait de rentrer à 4 heures du matin + de quoi dormir confortablement, pauvre petite bête…

Jamais elle n’a été aussi tolérante avec moi, l’ainée de la famille, qui a, par force, essuyé les plâtres…

Le tueur chasseur fut très désorienté lors du déménagement en 2003. De la nouvelle maison il ne connaissait rien, du terrain et des alentours non plus. Il mit un museau sur la terrasse, le lendemain, un museau devant la porte de la cuisine, et mit 4 semaines à explorer son territoire, pour se retrouver chez son ancien chez lui… C’est la seule fois où il a traversé une route, après il avait bien intégré les lieux où il régna pendant 13 ans.

Mais il se faisait vieux, et se colleter avec un jeune mâle même castré, sur son territoire, ce n’était plus pour lui. Parfois il semblait dubitatif, souhaitant sauter sur une table « merde j’ai loupé mon coup, pourtant normalement j’y arrive !!! »

Delphine me dit toujours que les animaux ne pensent pas parce qu’ils ne parlent pas, mais moi je dis qu’ils pensent. Ils sentent ce qui ne va pas. Filou a cherché longtemps papa après sa disparition de la maison. Parfois il s’asseyait à la place du disparu d’un air dubitatif. Avant il avait vu partir ma chienne, celle de mes parents, et rôdait, toujours dubitatif, là où elles auraient dû se trouver. Puis il y a eu la chienne de mon frère, Pepsi, que nous avons dû faire euthanasier en janvier 2016, et le retour de Filou, en fin d’après midi, s’asseyant, consterné devant l’absence du panier habituel.

Les animaux ne penseraient pas ? Pourtant ils nous connaissent, ils savent nos chagrins (je me souviens des câlins incroyables que me faisait ma chienne après de départ d’Albert quand je pleurais), ils constatent notre absence, ils reniflent nos peurs, ils regrettent les disparus (après la mort de Pepsi, la chienne de l’arlésienne qui était sa grande copine, est restée longtemps aussi, dubitative : il lui manquait quelque chose d’important).

Filou a eu ses déboires : une grave blessure fait visiblement par une morsure de gros chien, sur l’arrière train (à compter de ce jour là, il n’est plus jamais allé se promener dans une certaine direction, mais les animaux n’ont pas de mémoire).  Il a eu un problème dentaire grave, mais bon…

Il a vécu toute sa vie de chat, en chasseur (non cueilleur, c’est notre différence), et nous savions qu’il ne fallait pas lui ouvrir la porte quand il miaulait d’une certaine manière : c’était quand il avait une souris encore vivante dans la gueule.

Juste avant le déménagement qui allait le perturber, il a commencé à ne plus vouloir manger de « frais ». Mrs Bibelot, têtue comme 10000 bourriques béarnaises, voulait que son chat ait du frais, et des croquettes.

  • « Je le feinte » me disait cette innocente, « je lui mélange du frais avec du vieux, et il  mange tout ».

Sauf que quand maman était à l’hôpital, je me suis rendue compte qu’en fait il laissait vraiment le frais se durcir. Comme mes deux derniers chats sont morts des reins, j’ai pensé qu’il sentait qu’il ne lui fallait plus de frais. D’ailleurs il buvait beaucoup. Mais comme j’avais promis à maman de continuer à lui donner du frais, j’ai dépensé SES sous à nourrir le chat + alimenter la litière.

Régulièrement, dehors, il miaulait d’une manière particulière, comme un chat en chaleur. Je pensais que c’était pour impressionner la chatounette des voisins toute petite, qui lui flanquait la frousse, parce qu’il n’avait plus la frite.

Lundi, il était encore bien. J’étais arrivée vers 11 H pour trouver maman absente, et j’avais compris en voyant « 11 H RV pédicure ». Je m’étais installée dehors pour profiter du beau temps, et Filou était venu se coucher à mes pieds, heureux du soleil lui aussi.

Là où le bât blesse, c’est comme toujours le non dit, le déni, dont souffre ma mère. J’avais vu le chat boire et pisser, manger, désormais uniquement des croquettes, mais en forme.

Et puis il y a eu ce matin 1er avril. Voir l’introduction.

Je suis arrivée assez tôt chez maman que je ne vais plus voir tous les jours. Je me garde deux jours par semaine pour moi désormais, et tant que cela sera possible, dont le dimanche. Je n’y étais donc pas allée hier. Elle connait ma décision et la comprend, en se reprochant de m’en avoir trop demandé pendant des année mais là, j’ai trouvé qu’elle abusait, dans l’autre sens.

Quand je suis arrivée, elle a été ravie de me voir, aussi tôt dans la  matinée et puis tout de suite  :

  • « Filou n’est pas bien depuis HIER. Il est prostré sur le pallier en haut, il pleure, on dirait un mâle en chaleur, je m’inquiète beaucoup pour lui ».
  • PUTAIN ELLE NE POUVAIT PAS M’APPELER HIER pour me dire que le chat n’allait pas bien ? Je suis juste à côté, quand je dis que je ne viens pas ce n’est pas catégorique non plus !!!

Je suis donc montée pour trouver le petit Filou prostré sur le pallier. Il pleurait. Difficilement, il a accepté de me suivre pour descendre l’escalier en pleurant toujours. Pour trouver maman en bas, pleurant également, car elle savait elle, que c’était foutu.

Il s’est prostré sur le carrelage de la cuisine, et c’est là que j’ai appris qu’il faisait  cela depuis mardi, refusant de venir sur les genoux de sa maman, pour regarder la TV, incapable qu’il était de sauter désormais. Merci du renseignement, Filou n’a jamais loupé une série US ou française.

Je lui ai apporté son plat à eau : il l’a regardé, semblant souffrir d’hydrophobie (la peur de l’eau, totalement fausse, les personnes atteintes de la rage par exemple, semblant avoir peur de l’eau alors qu’elles ne souhaitent que boire, mais NE LE PEUVENT PAS !).

Il a continué à pleurer en lapant tout de même un peu et maman m’a dit « c’est terminé, appelle le vétérinaire, nous sommes samedi, nous ne pouvons pas attendre ».

RV fixé pour une euthanasie à 12 H 15. Je pensais toujours aux reins, conditionnée que je l’étais par la mort de mes deux derniers, chats, mais il avait bien uriné dans la nuit le petit père. Péniblement il s’était traîné sur un coussin que maman lui avait mis par terre, et il pleurait toujours.

L’horreur c’est le temps qui passe et qui s’accélère tout à coup.  L’horreur de se dire qu’il faut partir à 11 H 50, et de voir les minutes s’accélérer sur les pendules. Jamais entre mon appel chez le vétérinaire et le départ, le temps ne s’est raccourci de cette manière.

Les condamnés à mort qui connaissent la date et l’heure,  ressentent-ils ce temps qui passe tout à coup aussi vite ? Est-il humain de tuer autrement que pour épargner des souffrances inutiles ?

Filou avait encore l’énergie, mais à peine, de résister à l’entrée dans sa caisse de transport (vraiment pas pratique, je le signale, celle que j’avais avant, moi je d’abord, s’ouvrait par le haut et c’était plus pratique), et c’était déjà l’heure de partir.

Maman qui entend super bien avec ses appareils n’entendait fort heureusement pas son chat pleurer dans la voiture, puis dans la salle d’attente.

La véto, très sympa, a voulu juste ausculter Filou pour se faire une idée, car les reins pour elle, ce n’était pas cela. Je venais de préciser que je lui trouvais une « tête » déformée, et Mrs Bibelot qu’il bavait pas mal depuis quelques temps (PREMIERE NOUVELLE,  MERCI MAMAN !!!! ) .Mais griffée et mordue en voulant lui ouvrir la gueule, elle a posé la question fatale :

  • « Il a 17 ans. Je fais des investigations ou pour vous, c’est  terminé ?
  • « C’est terminé » a dit maman. Cela semblait logique à la véto.
  • Mrs Bibelot a donc été priée de prendre son Filou dans ses bras, pour calmer le stress. Dès qu’il s’est mis à ronronner, il a eut sans broncher une piqûre d’anesthésiant.
  • Nous l’avons regardé s’endormir, s’appuyant sur elle, puis la véto a préparé la piqûre fatale.

Il n’a  rien senti, il dormait. Il n’a pas senti qu’on le rasait, qu’on lui faisait une intraveineuse fatale.

Post mortem, tracassée qu’elle l’était la véto lui a ouvert la bouche. Il avait une tumeur invasive des mâchoires supérieures et inférieures gauches. Du noir, du nécrosé du moche. Elle l’avait vaguement entrevu, et moi avec, quand elle avait essayé de lui ouvrir la gueule, et qu’il s’était rebiffé. Sauf que moi je n’avais vu que du noir en pensant que c’était normal.

Tumeur incurable, inopérable, qui expliquait pourquoi il ne voulait plus de frais (cela devait le brûler), pourquoi il s’était mis aux croquettes qu’il mâchait avec les molaires.

Pourquoi il pleurait depuis seulement deux jours ? après examen approfondi, elle a constaté que c’était en train de gagner le reste de la mâchoire de tout ce côté condamné.

Filou est mort juste avec un ou deux jours de retard. A temps tout de même. Certains humains n’ont pas droit à cette grâce de partir quand il le faut.

Il a emporté avec lui 17 années de nos vies et nous étions deux à penser au retour, sans nous le dire « comment le temps a-t-il pu passer aussi vite ?  »

Maman n’ayant pas trouvé important qu’il « bave depuis quelques temps », ce que je n’avais jamais constaté (n’étant pas avec lui toute la journée), vous comprendrez que quand elle me dit « je vais très bien », je puisse avoir comme un doute.

Tout comme papa qui allait très bien sauf une « vague douleur abdominale ».

La vie n’est qu’un long calvaire, sauf pour Filou qui a retrouvé sa chère Pepsi, ma Chloé, sa petite n’Héra, et papa.

Chaque mort, insignifiante pour certains, nous rapproche de ceux que nous avons aimés et qui sont à jamais disparus.

8 réponses sur “« Le petit chat est mort »… (la cellule du condamné)”

  1. C’est triste et beau.. Tu as un vrai talent d’écriture, en plus de partager des sentiments vrais. Merci !

  2. Petronille : tu sais quand on laisse juste parler son coeur, il n’y a besoin d’aucun talent.
    Filou nous a quittés, mais je ne suis pas triste, parce que nous lui avons épargné le pire et qu’il a eu une belle vie, une vraie de chat qui chasse, qui est indépendant mais câlin, bref, parce qu’il a eu une belle vie…

  3. manou : oui nous les aimons. Ils sont de plus un raccourci de notre vie avec ses joies et ses pertes. 17 ans pour lui c’était beaucoup, 77 pour papa ce n’était pas assez.
    C’était pour maman la dernière bête « à misère », elle ne veut plus en pleurer d’autre. A près de 80 ans, je pense qu’elle a raison.
    Adieu Filou (que machinalement je chercherai des yeux pendant quelques temps..)

  4. Au revoir Filou <3

    Mon premier cheval, qui a grandi avec moi, quand il est mort de vieillesse, j'ai mis 30 ans pour pouvoir regarder une photo de lui. Aujourd'hui encore j'y arrive à peine. Mais les primates ne ressentent rien bien sûr. Bisous doux à vous.

  5. Je partage ta conviction: oui, les animaux sentent notre chagrin, et le partagent et nous soutiennent à leur façon.
    Une pensée affectueuse pour ta maman et pour toi.

  6. Jane : ceux que nous aimons ne sont pas que les humains. Notre vie est une gigantesque toile, le seul problème est que nous ne savons pas où nous y placer…

  7. Princesse : il y a belle lurette que je sais que nos animaux ont du chagrin, des sentiments, de l’empathie, et voire même leurs antipathies !
    Ce que je reproche à beaucoup, c’est de nier ce fait, comme si nous étions les meilleurs.

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