La mort, c’est tout de même quelque chose…

Maman 1956On nous bassine à longueur de temps sur le « comment gérer nos adolescents », ces pauvres malheureux en proie à une poussée hormonale terrifiante (mais non mortelle) et qui méritent souvent une bonne claque et un « c’est comme ça et pas autrement », mais jamais on ne nous prépare à la mort.

La nôtre, celle de nos proches.

Je pense personnellement que c’est totalement anormal, surtout en plein papy boom qui va durer un moment, le baby boom étant daté de 1945 à 1975.

Jadis, la mort était nommée, elle n’était pas cachée, la famille la vivait à sa manière, on ne cachait pas la chose aux enfants. Porter  le deuil signifiait quelque chose. Veiller un mort à domicile aussi, et là encore, l’enfant n’était pas particulièrement épargné.C’était comme pour l’adolescence qui existait déjà bien sûr, sauf qu’il y avait des « rites » de passage d’un état à un autre. On rallongeait les jupes des filles, on leur permettait de remonter leurs cheveux. Les garçons passaient de la culotte courte à la longue, etc…

On ne cachait pas les choses, on les disait. Je fais partie de cette génération qui a été élevée dans le respect de la vérité.

  • On n’est pas « non voyant », on est aveugle
  • On n’est pas « non entendant », on est sourd
  • On n’est pas « désorienté », on perd la boule, ou le sens du temps à rester longtemps couché
  • On n’est pas « parti », on n’a « quitté » personne, on n’est surtout pas « parti » en voyage, on est mort.
  • Chez les croyants on peut être « au ciel, au paradis ».

La vie n’est qu’une brève étape dans l’éternité où nous n’avons pas existé avant, et où  nous n’existerons plus après notre passage, sauf dans les souvenirs, mais le MOI n’est qu’une fulgurante étincelle dans le temps.

ON ne nous prépare pas à perdre nos proches.

Exemple, pour maman qui allait de moins en moins bien, il y avait quasi tous les deux jours, une visite demandée par le personnel, de médecins pour réajuster le traitement, mais je n’ai vu une psychologue que le 16 août, alors que je téléphonais en vain à l’arlésienne, pour lui signaler que maman n’allait pas bien, qu’elle souffrait terriblement, et qu’il fallait réviser son traitement (mon portable merde toujours, jamais celui des autres qui sont toujours les mêmes).

La psy m’a dit « je suis là quand vous le voulez ».

Oui sauf que je tenais la main de maman, recroquevillée en position « antalgique », attendant qu’on la soulage ou qu’on la tue. Elle me l’a demandé, de la tuer. J’ai donc dit que je prenais note.

Il a été décidé d’augmenter les doses de calmants, de les donner par voie sublinguale, plus pratique, et cela a été mieux.

Jusqu’au matin où je l’ai trouvée, ma mère, la bave aux lèvres.

En réalité, c’était les comprimés qu’elle n’avait pas ingurgité puisqu’elle ne secrétait quasi plus de salive et qu’elle n’avait plus la volonté ou le pouvoir de les prendre.

L’infirmière, celle du dernier jour, est arrivée immédiatement après mon coup de sonnette. Elle a évalué ce qui n’avait pas été pris, et a ramené ce qu’il fallait, pour soulager maman, laissant de côté ce qui ne servait plus à rien (du fer ? pourquoi faire ?)

Nous avons eu l’idée de prendre une cuillère, de mettre les comprimés dedans, de mettre un peu d’eau pour les faire fondre. Sauf que pour les faire prendre il fallait crier, car maman était devenue quasiment totalement sourde.

On se sent con, à hurler sur sa mère « maman ouvre la bouche, c’est contre la douleur » ! Mais cela a marché. Elle pouvait encore dire oui ou non quand on demandait si elle avait soif. C’était le jeudi. C’est la dernière fois où elle a ouvert les yeux, quand elle a senti que je lâchais sa main, pour me dire « je te garde encore un peu ma chérie ». Je suis restée coincée pendant deux heures, maudissant mon dos qui criait grâce alors que ma mère agonisait. Et puis, soulagée, enfin prête à dormir vraiment, elle m’a dit « je te laisse ma chérie, tu peux partir, je vais bien dormir ».

J’espérais l’atroce, le pire, dans ce « je vais bien dormir ». Qu’elle s’endorme, sans peur, sans douleur, sans regrets, sans manques… Qu’elle rêve, qu’elle s’en aille tranquillement.

Le vendredi, elle dormait, et j’ai péniblement pu lui faire prendre ses comprimés, en criant pour me faire entendre, puis deux petits suisses qu’elle adorait. Après je lui ai foutu la paix, lui tenant tout simplement la main.

Le samedi, idem, j’ai juste pu lui faire prendre ses antalgiques, et un yahourt dont elle ne voulait pas, alors j’ai laissé tomber.

Le dimanche matin, pareil. Je savais que tatie chérie me suivrait de près, elle a réussi à la faire boire, mais maman n’ouvrait plus les yeux. Enfin, moi je ne l’ai jamais revue ouvrir les yeux depuis le jeudi où, me reconnaissant, elle savait encore sourire.

Il y a eu d’autres visites mais personne ne m’a tenue informée pour le dimanche après-midi.

Le lundi matin, je ne pouvais plus dormir, et je suis partie pour arriver à 8 H 15.

Maman était allongée sur son lit, sur-élevée (ce qu’elle ne supportait plus) la tête basculée en arrière, la bouche ouverte, respirant par à-coups,  une infirmière à sa gauche, une aide soignante à sa droite lui tenant la main. Cette image d’elle reste gravée dans ma mémoire. J’ai tout de suite compris.

Elles ont crié toutes les deux « votre fille est là ». Cela m’a semblé inepte, elle était inconsciente, même pas en train d’étouffer, mais j’ai pris sa main, et j’ai crié dans son oreille « maman je suis là, l’arlésienne arrive ».

J’avais demandé s’il fallait prévenir ma soeur, et on m’avait répondu « oui » brièvement. Cela tombait bien, elle était en route.

Et puis tout est allé très vite.

Je tenais cette main qui jamais n’a serré la  mienne en signe de reconnaissance, je sentais un pouls  filant, hésitant parfois, et je guettais cette respiration faible et superficielle,  qui semblait ne vouloir qu’aspirer et ne rien rendre. Et je n’arrêtais pas de lui crier « maman je suis là ! l’arlésienne est là ! » à cette injonction, l’aide soignante a pris l’autre main.

  • La première pause respiratoire a eu lieu à 8 H 25. Puis il y a eu une reprise.
  • La deuxième pause a eu lieu à 8 H 40, elle a duré 1 minute, mais l’infirmière sentait toujours un pouls sur les carotides (alors que moi, plus rien dans le poignet).
  • Je ne sais plus quand l’arlésienne est arrivée. Après la dernière pause fatale, au même moment ? J’espère finalement qu’elle n’a pas vu la dernière légère inspiration sans dernier soupir. A 8 H 50 maman ne respirait plus depuis 85 secondes et plus rien n’était perceptible.

C’était atroce. Ma maman, cette femme si coquette, si sûre d’elle-même et si soucieuse de son image (vanité, tout n’est que vanité !), était en train de devenir cireuse, inconsciente pour toujours de l’image absurde qu’elle donnait dans la mort, la tête renversée (position qu’elle avait recherchée et que l’on avait respectée), yeux fermés, la bouche ouverte, non pas sur le dernier soupir dont on parle tellement, mais sur la dernière légère inspiration.

ON nous a chassé pour la dernière toilette. L’arlésienne allait bien malgré ses larmes, évidemment (elle va toujours bien, c’est moi la dépressive) et puis on nous a donné l’autorisation de remonter.

Les choses se sont un peut gâtées là.

Il y avait des affaires à rassembler, et moi je voyais maman. On lui avait refermé la bouche avec des bandes verticales entre la mâchoire et le dessus du crâne , avant que la rigidité cadavérique ne s’installe pour que la fermeture ne reste définitive. Je vous choque ? C’est comme ça ! C’est comme cela que cela se passe. ON DEVRAIT LE SAVOIR  !

L’arlésienne rassemblait les affaires. Celles pour moi, celles pour elle (à laver, à trier, rien d’extraordinaire), et évitait de regarder le lit sur lequel maman reposait, cireuse, la bouche fermée, toute petite, toute petite…

J’avais envie de m’asseoir sur le lit, donc le matelas ne fonctionnait plus,, pour la prendre dans mes bras une dernière fois, pour  lui dire je ne  sais quoi, mais la teinte cireuse de ma soeur m’a bloquée net. J’ai eu tort : le problème de ma soeur était le sien, et je n’ai pas pu faire ce que je voulais. C’est la dernière fois que je m’occupe des états d’âme des autres avant les miens.

J’ai cru comprendre que la vue d’un cadavre, ma soeur ne supporte pas, j’aurais dû me dire que c’était son problème, surtout quand il s’agit de sa mère morte depuis moins de 3 H. Mais il m’a fallu l’accompagner en bas avant qu’elle ne tombe dans les pommes,  la laisser se défouler sur son IMACHIN (l’air serein parce que la dépressive c’est moi)

Parce que ma soeur a un peu tendance à oublier dans les circonstances difficiles qui est la mère de ses neveux et nièces….

Nous attendions le médecin venant reconnaître la mort. L’Arlésienne s’est souvenue de la TV dans la chambre de maman, à aller récupérer, absolument.

Ce que j’ai fais. Parce que l’Arlésienne était INCAPABLE de retourner dans la chambre, de voir maman, etc…  Je plains ceux qui sont seuls et qui sont incapables de tout…

Elle était toujours là ma petite maman, si petite sous son drap. Cireuse, mais plus détendue curieusement. Je l’ai serrée dans mes bras, je l’ai embrassée  sur la bouche pour la première fois de ma vie.

Il fallait que je le fasse une fois : c’est fait.

La vie n’est qu’un long calvaire et la mort à apprendre.

Sans aller jusqu’au « meilleur des mondes », ou l’on conditionne dès l’enfance, on devrait tout de même apprendre un minimum ce que nous aurons un jour à affronter, cela serait moins difficile.

16 réponses sur “La mort, c’est tout de même quelque chose…”

  1. Bizarrement, quand ils sont seuls ils sont capables de beaucoup de choses. Ce n’est que quand il y a un public (et des suppléants, donc) que les gens « sensibles (mais pas dépressifs, non non non) se retrouvent incapables de quoi que ce soit. C’est trop dur tu comprends. Mais c’est normal que toi tu le fasses…

  2. Madame Patate : non je pense que c’est vraiment ancrée en elle cette incapacité à voir un corps. Education de la petite dernière à qui les parents ont beaucoup plus passé qu’aux ainés ? Ainés eux-mêmes qui l’ont beaucoup gâtée ? Je ne sais pas… Tout simplement un rejet viscéral, je ne juge pas.

  3. Chère sorcière,
    Désolée, mon commentaire est parti trop tôt.
    Je compatis à votre douleur. Je la connais.
    Maman est morte le 14 mai après plus de 2 semaines d’agonie sous morphine.
    Elle n’a jamais repris conscience.
    Fin avril, on m’a appelée de l’hôpital où elle vivait depuis 18 mois pour m’informer d’une sévère infection : l’issue fatale était certaine, il fallait juste faire des choix pour les jours à venir : morphine, maintien en vie coûte que coûte, ou pas, etc.
    En vacances à plus de 12 heures de route, nous sommes remontés avec l’angoisse d’arriver trop tard.
    On m’a alors demandé de choisir la chambre funéraire et la tenue d’inhumation alors qu’elle était encore vivante.
    Même si ça a été fait avec beaucoup de tact et de douceur, c’est totalement surréaliste de faire ces choix bien avant l’heure…
    J’ai passé deux semaines à ses côtés tous les après-midis, guettant les pauses respiratoires, écoutant les râles, parlant avec l’équipe
    La veille de sa mort je l’ai quittée en sachant que c’était fini.
    J’avais dit à l’équipe soignante de m’appeler à n’importe quelle heure.
    Quand le téléphone a sonné à 3.00 du matin, nous étions réveillés depuis une demie heure, nous sentions sans doute.
    A notre arrivée, la toilette était faite. Une serviette roulée maintenait la bouche fermée. Et oui, c’est le genre de détails qui restent. Il paraît que certains thanatopracteurs collent la bouche des morts pour éviter ça…
    Enfant unique, j’ai assumé ces longues journées, heureusement épaulée par mon mari.
    Je vous embrasse.

  4. La mort et les jours avant une mort annoncée, attendue, se préparent et s’accompagnent. Je suis effrayée par ce que tu décris, ces antalgiques per os alors qu’on sait si bien, aujourd’hui, soulager de façon douce et laisser la personne tranquille… sans la forcer à boire et obliger les siens à être dans l’action plutôt que dans l’accompagnement.
    on sait aussi faire en sorte, avec un collier discret et un petit foulard, que la famille ne garde pas cette image de bouche scotchée ou de cette serviette roulée… cela s’appelle le respect, simplement… et le professionnalisme.
    Ce récit me met presqu’en colère que mes collègues ne soient pas davantage à l écoute et je me dis que les personnes’qui viennent finir leur vie chez moi, et les leurs, dont bien plus dignement accompagnés, et j’en suis heureuse, et fière d’avoir autant travaillé pour mettre en place toutes les procédures que nous avons mises en place.
    Alors donc ce serait la vérité que les soins palliatifs ne sont pas proposés de façon systématique dans les hôpitaux et les EHPAD ?
    Je te souhaite beaucoup de courage à présent pour dépasser cette épreuve qu’est la mort de quelqu’un que l’on aime.

  5. La serviette roulée ne m’a pas choquée, j’en ai été prévenue avant d’entrer dans la chambre ; ça a bien fonctionné hormis le dernier jour avant la mise en bière où l’assistante funéraire a dû installer un collier.
    Perso, j’ai trouvé ça moins choquant que les rubans posés façon oeufs de Pâques que j’ai pu voir jadis : de plus, ça n’a été mis que quelques heures.
    Seuls mon mari et moi avons vu cela.
    Concernant l’agonie, l’équipe de l’USLD et moi étions à l’écoute. Tous les signes de souffrance, tels que râles ou autres, étaient analysés et les bolus de morphine injectés sans tergiverser.
    Les doses de morphine et de midazolam ont été très régulièrement et significativement augmentés pendant ces deux semaines.
    Pour moi, le plus surprenant a été la durée de cette agonie, compte tenu du très mauvais état général de ma mère avant l’infection qui l’a emportée.
    Une infirmière m’avait pourtant prévenue alors que je m’attendais à ce qu’elle décède dans les 24 ou 48 heures : elle disait que souvent les malades trouvaient des ressources étonnantes pour continuer à vivre malgré des signes cliniques éminemment défavorables…
    Les soins palliatifs m’ont tout de suite été proposés alors même que je me trouvais à plus de 1000 kilomètres.
    Ma décision de ne pas la laisser souffrir a été entendue. Contrairement à ce que vous pourriez croire, l’équipe a été très professionnelle ET humaine.
    Si je ne devais retenir qu’une image, ce serait celle d’une jeune aide soignante arrivant le matin du décès, alors que j’étais revenue pour les papiers. Elle ne travaillait pas et était venue spécialement pour dire au revoir à ma mère : elle semblait désemparée d’être arrivée trop tard, maman étant morte 6 heures plus tôt.
    Visiblement, elle n’en voulait pas à ma mère qui l’avait mordue quelques semaines auparavant…

  6. Aline : quelle horreur ! Tu dis « nous sentions sans doute »… Mais c’est vrai. Depuis un moment j’allais voir maman tous les matins, pour 4 à 5 H (le temps qu’elle s’endorme vraiment l’après-midi), mais le 28 au matin, je me sentais « tirée » vers la maison de retraite médicalisée, par quelque chose d’anxiogène, puisque je ne l’avais pas vu vraiment l’après midi du dimanche, se dégrader encore.
    J’ai trouvé le bandage bien posé, je ne sais pas si j’aurais supporté la serviette roulée…
    Pour papa, je suis quasiment persuadée a posteriori, que la bouche avait été trop brutalement refermée, collée, et… les paupières aussi, il y avait quelque chose d’anormal…

  7. RdT : maman a pourtant été bien accompagnée, mais elle s’était mise à descendre les marches de plus en plus vite.L’équipe de soins palliatifs venait au départ tous les 4 jours, puis cela s’est accéléré. Le dimanche on m’avait dit que pour le lendemain, on passait à des injections en sous-cutané pour lui foutre la paix, mais…
    Nous avons été dans l’action parce que nous étions là, mais j’avais surpris un matin, une infirmière passant en vitesse juste avant mon arrivée, et donnant à boire à maman. Elle n’était pas abandonnée (la preuve pour le dernier matin).
    Les soins palliatifs elle en a bénéficié, mais tu comprends, c’était le mois d’août… Normalement le dimanche il y a un dispensaire pour aller prendre des médocs. L’infirmerie avait bien la prescription (pour les sous-cutanés), mais le dispensaire était vide…
    A l’hôpital déjà j’avais remarqué que la douleur était sérieusement prise en compte.Moins dans la maison de « convalescence », mais c’est l’objet d’un autre post…
    Je regrette seulement cette petite infirmière par ailleurs si gentille et tellement débordée, qu’elle avait mis les comprimés sous la langue de maman et était repartie bien trop vite… Sinon continuons à nous battre pour le traitement de la douleur, avant de nous attaquer au psychique. Car qui s’est occupé des angoisses probables de maman ? Personne, car elle ne les aurait jamais avouées, sauf une fois à moi, « ma chérie je ne sais pas ce que j’ai, mais le soir, j’ai peur du noir »…
    Merci en tous cas.

  8. Aline : la serviette roulée, je ne sais pas comment je l’aurais pris, puisque je n’ai pas vu. Maman était bien préparée, mais il fallait bien refermer cette fichue bouche (snif !).
    Et il est vrai que les malades trouvent des ressources étonnantes. Jamais je n’aurais pensé que mon petit bout de maman se révèle aussi costaud que mon grand gaillard de papa.
    Je précise aussi que tout ce qui a été aide à la douleur a été fait, mais qu’il y a eu une carence tout de même : quand elle souffrait et ne trouvait plus la force d’appeler en sonnant.
    C’est la raison pour laquelle je partais quand elle avait eu 3 doses de morphiniques, sachant que l’arlésienne viendrait le soir, ma tante souvent l’après-midi, etc…
    Il y a eu beaucoup d’humanité et de compassion, sauf une connasse qui parlait mal aux malades, et qui a pris la porte 1 semaine avant la mort de maman…

  9. Louisianne : je ne sais pas si elle était consciente de ma présence ou pas. On me dit que oui, mais je ne saurais jamais. En tous cas je n’ai pas eu la douleur d’arriver trop tard en sachant que l’on m’avait demandé (ce qui est arrivé à une de mes amies qui ne s’en est jamais remise).

  10. Apprendre ? On n’apprend jamais. On s’habitue c’est tout. Tout ce que vous racontez je l’ai vécu. Tout. 4 fois. Mon grand-père est mort dans mes bras, j’avais 20 ans, ma mère (sa fille) était incapable de réagir, pétrifiée sur place, réfugiée dans les toilettes de cette chambre d’hôpital où il n’en finissait pas de mourir. Son dernier murmure a été pour moi : « c’est bien que tu sois là ! ». Tant pis pour elle, ma mère-sa fille.
    Puis ma belle-mère adorée, abandonnée de tous, ses 5 enfants, dont mon mari, tribu incapable de la voir agoniser au fond de ce lit d’hôpital. Je suis restée moi, jusqu’au bout, je l’adorais. Je lui ai donné l’autorisation de partir, elle qui n’en finissait pas de souffrir et de ne pas partir, elle m’a remerciée, eux ne sont pas venus. Le jour de l’enterrement ils ont poussé des cris de douleur, moi j’ai pas pleuré, d’ailleurs toute la sainte famille m’a ignorée. Je n’ai même pas été présentée au prêtre. C’est une des raisons qui ont fait que j’ai quitté mon mari-père de mes enfants.

    Puis mon amie Annie. 50 ans. Elle aussi je l’ai aidée à partir. Sans les siens, ses parents, sa soeur qui ne « voulaient plus voir ça ». Cette putain de tumeur au cerveau, cette agonie sans fin. Je me suis souvenue que ma belle-mère avait eu besoin d’entendre qu’elle était autorisée à partir. Je le lui ai murmuré à l’oreille à mon amie. Elle a souri. Elle est partie en me disant qu’elle m’aime et que les autres elle les emmerde !
    Puis mon papa…

    Non on ne s’habitue pas, on apprivoise c’est tout.

    De tout coeur avec vous <3

  11. Jane : je suis navrée vraiment de ce que tu as vécu, et surtout de la réaction des gens en règle générale : cela devrait s’apprendre, comme le secourisme.
    Je ne me suis pas sentie seule, car l’arlésienne était en route, et je sais qu’elle serait restée jusqu’au bout (en réalité je ne sais plus exactement quand elle est arrivé, mais c’était la fin/fin ou juste terminé, dans ces eaux là quoi). C’est après qu’elle ne supportait plus.
    Je me souviens d’une petite cousine de mon père, que j’avais croisée ahanant sous le poids de granulés pour le cheval de SON FILS, dont elle s’occupait. Elle est morte de son cancer 5 jour après et c’est le fils qui hululait le plus dans l’église… Nous ne nous lui avons pas présenté nos condoléances, car quand on a une mère malade comme cela, on s’occupe de son canasson, et de sa mère…

  12. Oui, tu as entièrement raison: dans notre (nos?) société(s) occidentale(s), nous n’apprenons plus que la mort succède irrémédiablement à la vie. Nous ne naissons que pour mourir.
    Et pourtant, tous nous sommes touchés, plus ou moins près, par la mort d’un être aimé – jusqu’à la nôtre!
    Je n’ai pas voulu que ma belle-mère, ma tante, ma mère, finissent leurs jours à l’hôpital. Elles sont mortes tranquillement, paisiblement, dans leur lit. Même si pour ma mère ce n’était pas vraiment « son » lit, elle était chez moi, entourée de ses enfants et petits-enfants.
    N’oublions pas que « la vie est une maladie sexuellement transmissible dont l’issue est toujours fatale ».
    Avec toute mon amitié virtuelle, mais sincère.

  13. Angele2b : je le dis toujours aussi : la maladie la plus mortelle c’est la vie : pas d’autre issue que la mort.
    J’en viens à regretter parfois d’avoir mis au monde deux condamnées à mort…
    Pour maman il était impossible qu’elle soit ailleurs, mais à bien y regarder sans rancune et avec du recul :elle a eut le meilleur possible.
    Il faut se battre pour que cela continue. Je regrette juste de ne m’être préoccupée de son état d’esprit « moi je ne suis pas du genre à me faire de la bile ! » que quand elle m’a parlé de sa peur du noir et de la nuit. Immédiatement, elle a été mise sous traitement, et je m’en veux des semaines qu’elle a dû passer à s’en faire du mouron. Car pour qu’elle m’avoue sa nouvelle faiblesse, il fallait qu’elle soit psychologiquement au bout du rouleau.
    Des bizz

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