Enfin chez lui…

Courrier 1917Mon grand-maternel avait écrit cette carte postale à son père grièvement blessé fin 1916.

Je vous précise le texte, qu’il a dû écrire (évidemment au porte plume) en tirant la langue, alors qu’il venait tout juste d’avoir 5 ans. Depuis octobre, et en attendant sa future rentrée à l’école, son grand-père paternel lui apprenait à lire et à écrire pour qu’il puisse avoir un peu d’avance, et parce que l’instruction c’est très important… (soupirs des plus jeunes qui eux n’en voient pas l’intérêt;

« Cher papa jiraite voir quan la neige sera fondu je t’emberasse bien fort ton petit gas Henri ». Il avait lui-même écrit le « Adjudant » dont il était si fier, et mon arrière grand-mère a écrit le reste, pour être certaine que la carte arriverait à destination.

– * –

Novembre 1916 : mon arrière grand-mère lasse et inquiète, finit d’entasser dans un petit baquet le linge qu’elle a mis à « couler » la veille au soir, et qu’elle va aller rincer à la rivière, 200 mètres plus bas.

Depuis le départ de son mari pour la guerre, elle a reçu, ainsi que ses beaux-parents qui habitent à 2 km à la faisanderie du village, des courriers très réguliers de son mari. Il devait venir en permission, mais cette dernière a été annulée. Elle ne l’a revu que sur une carte postale qu’il lui a adressée, une photo de lui avec deux de ses camarades, il semblait bien portant, mais elle s’inquiète depuis le début, depuis le premier mort en septembre 1914 : un cousin… depuis que le maire n’arrête pas de porter des mortuaires et que toutes les familles alentours sont en deuil d’un ou plusieurs hommes.

Le dernier courrier qu’il lui a adressé était comme toujours rassurant, mais celui qu’avait reçu dans le même temps (début octobre) ses beaux-parents, avait beaucoup inquiété son beau-père qui savait qu’il y avait une censure très sévère et lisait donc entre les lignes (nous avons découvert d’ailleurs que dans certaines lettres, il y avait des fautes d’orthographe qui n’avaient pas lieu d’être et avec, des lettres en majuscule qui n’avaient pas lieu d’être non plus mais vu l’orthographe, la censure ne devait pas trop se pencher dessus, mais nous n’avons pas pu déchiffrer complètement le code utilisé entre père et fils).

« Mes chers parents,

Je n’ai pas pu vous écrire au cours des 4 derniers jours (les courriers étaient parfois quasi quotidiens, la poste fonctionnait bien malgré le chaos) car nous étions en déplacement pour changer de cantonnement. Nous n’avons pas eu l’occasion de remettre nos lettres à qui que ce soit. Comment allez-vous ? Moi cela va bien, je pense qu’ici ce sera pareil que là où j’étais auparavant. J’ai bien reçu votre colis, merci pour la bénédictine et le tabac. J’espère que vous vous portez bien (suit un assez long commentaire sur la chasse, destiné à son père…).

Changement de crayon et donc de jour : Je pense finalement qu’ici cela risque d’être un peu plus dur qu’avant, mais ne vous faites pas de soucis pour moi. Votre fils qui vous aime bien ». (On était pudique à l’époque, dans tous les courriers que nous venons de relire, y compris ceux de 39/45, c’est toujours « qui vous aime bien« )

Mon arrière arrière grand-père avait immédiatement compris que cela ne serait pas « un peu plus dur », mais carrément » l’enfer » de ce qu’il en savait par le peu de vraies nouvelles ayant transpiré du front dans d’autres foyers, via une autre voie que celle de la poste des armées. Ce qu’il avait su taire à sa femme et sa bru.

Mon arrière grand-mère avait lu bien entendu cette lettre, elle voyait ses beaux-parents tous les jours, son beau-père venant vérifier que sa bru et son petit fils étaient bien tranquilles et sans inquiétudes, car ils habitaient seuls un poste de garde, en pleine forêt… Comme toutes les femmes durant cette période, elle regardait avant tout la date des lettres, pour se dire qu’il y avait deux ou trois jours, son homme était toujours en vie…

Là il y a plus d’un mois qu’aucun courrier n’est arrivé… Depuis le début de la guerre, jamais elle n’est restée aussi longtemps sans nouvelles… Elle n’en dort plus la nuit.

Elle prend son baquet, sort, referme la porte, et devient toute pâle : à 100 mètres environ, elle voit arriver le maire, accompagné d’un de ses adjoints. Les jambes coupées, elle s’écroule à moitié sur les marches, son fils cramponné à ses jupes, mais immédiatement le maire lui crie :

  • « Ne vous inquiétez pas, ne vous inquiétez pas ! Il est blessé, mais vivant ! »

Vivant, c’est tout ce qu’elle entend. Immédiatement elle dépêche son fils « mon petit gars, va prévenir tes grands-parents. Ton papa est blessé, mais vivant… Cours mon petit : blessé mais vivant !« .

Et le petit gars part en courant, il galope comme un petit fou dans cette forêt qu’il connait comme sa poche, et rejoint la faisanderie aussi vite que peut le faire un gosse de 5 ans presque 6, habitué à cavaler dans un secteur qu’il connait par coeur, annoncer la bonne nouvelle qui n’en est pas totalement une pour son grand-père qui comprend tout de suite que la blessure est certainement grave.

Car en effet, c’est grâce à la plaque d’identité, que l’on a finit par s’adresser au maire de la commune, ne sachant à qui écrire ce qui prouve que son fils était dans l’incapacité de donner noms et adresses. Maire qui va réconforter mon arrière grand-mère, qui n’entend qu’une chose : il est vivant.

Vivant oui. Mais deux jours après l’envoi de la dernière lettre, il a été touché par 3 éclats d’obus. Un oeil y est resté, et un morceau de ferraille l’a grièvement blessé à la tête, éclat qu’il a fallu lui retirer délicatement. Il est resté inconscient très longtemps et gardera d’ailleurs des séquelles de sa blessures à la tête qui, s’ajoutant au traumatisme d’une guerre atroce et d’être défiguré, lui fera l’humeur changeante pour le restant de ses jours.

Le deuxième éclat a atteint le bras gauche, le troisième la jambe gauche, c’est un miraculé car à 10 cm près plus à sa droite, et il n’était plus un homme. Pour l’éclat d’obus ayant touché le bras, à peu de choses et il n’était plus du tout. Aucune amputation n’a dû être faite, mais le front, c’est terminé pour lui et il restera boiteux.

C’est cette annonce qui frappe le plus son père « le front c’est terminé pour lui« . Ainsi que les consignes d’adresser tout courrier à l’infirmière qui a gentiment contacté le maire, et qui parlera au blessé de sa famille « avec délicatesse, quand elle sentira que c’est le bon moment ». Il a pour l’instant subit les opérations les plus importantes pour son bras, sa jambe, son oeil et le morceau de ferraille qui a loupé le cerveau de peu, mais on doit s’attaquer à une reconstruction de la partie supérieure gauche de son visage, et toute visite est pour l’instant interdite.

Il va bien falloir pour le beau-père effondré, mettre sa bru devant la réalité. Mon arrière grand-mère n’a jamais vu de gueule cassée. Lui si, un, que les autorités ont caché longtemps avant de le rendre à sa famille. Maintenant c’est ce jeune homme qui se cache de tous, malgré les efforts des chirurgiens de l’impossible qui sans le savoir, préparaient pendant cette longue guerre, la chirurgie esthétique de demain (j’ai vu des photos dans un livre sur la chirurgie réparatrice, et c’est horrible, il n’y a pas d’autres mots, que de voir ces « gueules cassées »).

Il va falloir qu’elle admette que les autorités mentent, que les hommes ont été obligés de mentir, que c’est l’horreur là-bas… Comment pourrait-il en être autrement avec tous ces morts ? Ces blessés que l’on cache le plus longtemps possible, que l’on garde pour ne les rendre à leurs familles que parce qu’on ne peut tout de même pas les tuer pour les faire taire. Blessés qui rentrent, restent silencieux par égard pour les familles de ceux qui sont encore vivants… Il faut qu’elle se prépare au pire et qu’elle y prépare son fils.

Mais mon grand-père et sa mère ne savent qu’une chose : il est vivant.

L’autorisation d’aller le voir à son hôpital temporaire n° 6, les Puy, Haute Loire, arrivera mi janvier, mais la neige s’est mise de la partie, impossible pour mon arrière grand-mère qui irait bien toute seule, de faire prendre le moindre risque au petit gars Henri qui sort d’une mauvaise bronchite mais refuse de la voir partir sans lui.

Préparés donc au pire, après la fonte des neiges et un redoux miraculeux, ils trouveront un homme heureux de les voir, ayant parfois des absences, mais pas si défiguré qu’ils ne le craignaient. Ce sera le retour au foyer qui sera le plus difficile, et de reprendre une vie « normale »…

IL ETAIT VIVANT

Pourtant il ne rentrera chez lui qu’en mai 1918. On l’a gardé le plus longtemps possible pour rééduquer son bras gauche, la vue, et lui réapprendre à marcher, à « oublier ». Et puis surtout, la censure jouait là aussi : on évitait au maximum de laisser les blessés graves rentrer chez eux pour affoler tout le monde, mais là, comme il menaçait de s’en aller de lui-même, il a bien fallu laisser faire, on n’allait pas les tuer TOUT de même (et encore, je me pose cette question horrible).

Il avait été gazé en plus, mais est resté muet longtemps sur cet épisode qui l’avait fait partir dans les vapes avant d’être blessé.

Il y avait l’avant et l’après. Il est mort en 1943 : l’occupation, il n’avait pas supporté et les gaz lui avaient sapé les poumons. Il s’était battu et avait donné ses cousins,  ses amis, son corps pour que ce soit la dernière guerre…

Plus d’un million d’hommes se sont sacrifiés pour que ce soit la dernière.

Je leur rends hommage un peu tardivement, je  le sais après le 8 mai, finalement en hommage à eux tous, civils ou soldats, sacrifiés à des causes inhumaines.

 

ALAPHILIPPE Emile 1913 Alaphilippe Emile 1918

2 réponses sur “Enfin chez lui…”

  1. Je me souviens de ce grand-oncle qui était unijambiste et qui devait « en avoir mis un coup » comme on disait, car il était décoré de la Légion d’Honneur à titre militaire et de la Croix de guerre. Je n’ai pas su ce qu’il avait fait, car j’avais quatorze ans quand il est mort, et il faudrait que je demande son dossier militaire, car ceux des officiers ne sont pas disponible sur le net.

    L’Etat lui a donné une civette, et il a tenu un bureau de tabac jusqu’à sa retraite.

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