Les étranges histoires familiales, part 2.

Simone_02Le prisonnier partit en stalag où il resta bien trop longtemps.

La guerre n’était pas terminée quand Mrs Tricot eu connaissance d’un moyen de libérer son mari.

Elle était toujours capable de n’importe quoi pour faire rentrer son mari le plus rapidement possible, malgré le temps passant, n’ayant déjà que trop passé.

Les allemands renvoyaient chez eux les « soutiens de famille ».

Avec la complicité de son père (toujours à la mairie), devenu faussaire pour une bonne cause elle se retrouva avec un acte de décès de ce dernier (considéré par les allemands comme le chef et soutien de famille en ce qui la concernait), + deux actes de naissance de deux jumelles nées en 1940, à une date plausible par rapport à la dernière permission de son mari, s’appelant Colette et Michèle.

Je me demande quel effet cela a fait à mon arrière grand père de rédiger sur du papier officiel son propre acte de décès. Les faux papiers n’eurent pas l’occasion de servir, après le débarquement les allemands ne libéraient plus personne de leur plein gré, mais les papiers étaient bel et bien là, au cas où.

Et le prisonnier rentra.

Mrs Tricot se retrouva enceinte immédiatement ou quasi (à son avis le soir même du retour).

Ils surent assez tardivement qu’il s’agissait de jumeaux (à l’époque il fallait attendre la naissance pour savoir de quels sexes il s’agissait). Là déjà, sans doute dans la tête de Mrs Tricot avait commencé un travail que personne d’autre qu’elle ne pourrait analyser.

Et au bout du compte, ce sont bien deux petites filles qui sont nées, qui se sont donc appelées : Colette et Michèle.

Le destin est étrange, ou nous voulons le voir comme tel. Les filles auraient pu s’appeler autrement que comme sur de faux papiers qui n’ont jamais servi…

Mais bon, avoir ces jumelles déjà nommées, imaginées sans qu’elles existent déjà, avait dû les marquer tous les deux. Comme s’il y avait un destin à respecter absolument…

Le père de Mrs Tricot n’était pas mort, mais les jumelles sont bel et bien nées, alors quelque part, elle devait respecter le destin qui l’avait inspirée…

C’est après que tout soit terminé qu’elle a trouvé la foi, et fort malheureusement un peu enquiquiné sa famille avec…

Mais notre destinée n’est-elle pas étrange parfois et même souvent ?

Les étranges histoires familiales part 1.

Simone_02Sur cette photo : la maman de Jean Poirotte, autrement dit ma grand mère paternelle.

C’était ma grand mère, et cela reste pour moi une grand mère, timorée parfois dans certains cas, culottée dans d’autres, cas plus rares, une femme que finalement je ne connaissais pas..

Comme disait mon père, son fils « nous ne savons rien de nos parents ». Et il avait raison. Ca et là tout de même percent quelques histoires, surtout pour ceux qui ont vécu une époque troublée…

Mrs Tricot était pour moi « j’ai peur de tout ». J’avais bien entendu sa mère me raconter qu’à 19 ans elle s’était offert un baptême de l’air sans l’autorisation de son père, mais j’étais trop petite pour me rendre compte du traumatisme que cela avait été pour mon arrière grand père.

1940, le prisonnier est capturé sur une plage de Veule les Roses…

Il en parlait peu. Un jour il m’a raconté « le coup de la morue », qu’une paysanne désolée par tous ces prisonniers dans ses champs, était venue leur distribuer pour qu’ils aient à manger, et de la soif qui les avait hantés après, toute la nuit…

Il parlait peu de cette débâcle qu’il avait vécu comme une humiliation, nous disant de temps à autres, qu’il s’était endormi à côté d’une batterie de 75 (il était dans l’artillerie à cheval), tellement il était épuisé. Ou nous expliquant que son armée et son pays n’étaient pas préparés vraiment d’où cette défaite sanglante tout de même, et si rapide.

Puis le prisonnier partit vers une destination inconnue, avec arrêt dans une ferme dans la zone interdite. Miracle, il put faire passer une lettre à sa femme.

Ma grand mère, celle qui n’osait rien, beaucoup plus tard.

Zone interdite, peu connue de la jeune génération. Elle tarabusta son père qui était conseiller municipal (avant d’en devenir pour des années, l’adjoint au maire)  à la mairie du village toujours occupé par mes parents qui s’y sont connus.

Elle lui a extorqué de faux papiers. Pour elle, et pour mon grand père.

Elle a pris des vêtements civils pour mon grand père, et elle est partie sur les routes, telle Amélie dans « les semailles et les moissons ». Pour son mari elle était prête à tous les culots et elle les a eus.

Arrivée à la frontière de la zone interdite, à peu de km de la ferme où séjournait mon grand père, elle a pu attendrir un fermier. Sa femme et lui lui ont fourni des vêtements de paysanne et elle est partie avec lui, livrer des légumes, pour arriver dans la ferme où elle a retrouvé son mari.

Elle disait juste sobrement qu’il y a des nuits qui valent une vie. Elle est restée deux jours avec son mari, essayant de le convaincre de revenir avec elle. Tout était prévu avec le fermier, il passerait la ligne sous un convoi de légumes. Il serait en civil pour le reste, avec de faux papiers, elle était prête à tout.

Sauf que lui, les allemands lui avaient dit, comme aux 9 autres, que s’il y avait une évasion, tous les civils seraient fusillés… Il ne pouvait pas imaginer une chose aussi horrible : être responsable de la mort d’une famille. Il avait déjà vu…

Sauf que lui, comme beaucoup, ne pensait pas que cela pourrait durer et durer et durer. Il pensait être rentré chez lui en moins d’un an…

Et qu’il a donc refusé de la suivre, ne voulant pas apprendre un jour qu’il avait été responsable de morts innocents. Parce qu’il se connaissait et qu’il y serait retourné.

Elle est donc repartie, en paysanne, ayant laissé quelque part, les faux papiers, les vêtements civils de son homme qui n’avait pas voulu la suivre, en pleurant.

Mais elle l’a fait son odyssée en zone interdite, prête à tout…

Ma grand mère… Qui n’osait pas dire au boulanger que son pain était mal cuit (mais signalait sur la plage, aux allemands, qu’ils avaient oublié leurs bouteilles de coca…)

Qui avait encore de la ressource….

Car c’est la part 2 qui vous révèlera pourquoi, il y a d’étranges histoires…

J'étais dans la résistance ma petite fille…

C’est comme ça, je ne me vante pas. C’est venu un peu contre mon gré, sans que je ne me rende compte. D’ailleurs je n’ai pas fait grand chose : je passais juste des messages, dissimulés sous mon porte jarretelles…

Tu la vois la Loire là ? Au fond du jardin ? De l’autre côté c’était la zone libre, nous, nous étions en zone occupée. Le pont, je le prenais régulièrement depuis longtemps, sur ma bicyclette, pour aller à la ferme qu’il y a juste de l’autre côté de l’eau. C’était là, d’après le grand-père d’Albert, mon Valentin, que l’on trouvait le meilleur lait, les meilleurs oeufs, le meilleur beurre. Cela faisait des années que je prenais ma bicyclette pour aller acheter le nécessaire de l’autre côté de l’eau.

Je ne sais plus comment tout a commencé, et le pourquoi du premier jour où j’ai franchi le pont avec la peur au ventre, en sentant trop fort le billet roulé rangé sous un élastique de mon porte jarretelles. Toi évidemment, tu portes des collants, tu ne connais pas grand chose de ce qu’étaient nos sous-vêtements.

J’avais aussi une combinaison en soie, et bien sûr des bas. La première fois, les allemands m’ont juste saluée au passage comme de coutume depuis qu’ils étaient là. Ils me connaissaient. Ils me regardaient et me disaient toujours « cheune matdmoizelle ». J’ai su longtemps après ce que cela voulait dire. Je n’étais plus une matmoizelle, j’avais déjà ma fille, ta belle-mère… Mais pour eux j’étais la cheune matmoizelle qui revenait avec du lait, des oeufs, du beurre… Je revenais surtout, avec le coeur plus léger qu’à l’aller, débarrassée enfin de ces messages qui finissaient par peser si lourd que je peinais à pédaler.

Je n’avais rien dit à Valentin. C’était secret de faire partie de la résistance. Je ne lisais jamais non plus les messages : interdit. Si j’étais prise je n’avais rien à dire… Je ne connaissais même pas le vrai nom de celui qui me donnait les papiers, et Je n’imaginais pas trop comment on pourrait me poser des questions mais j’obéissais aux consignes.

Et puis, tout s’est enchainé, et l’on m’en a demandé un peu plus. Et puis il y a eu ce soir, où ils ont frappé juste un coup à la porte avant de l’enfoncer.

Ils étaient 5. 3 en uniforme avec mitraillette, et 2 miliciens avec pistolet ou révolver, peu importe, à la main. J’ai eu un révolver (ou pistolet) sur la tempe et mon cher mari aussi. Et je m’en voulais. Je savais que c’était de ma faute, que c’était moi qu’ils cherchaient. J’aurais dû le prévenir tout de même un petit peu, voire lui demander la permission. A l’époque, une femme se devait d’obéir à son mari.

Il y avait juste 5 balles dans la bonbonnière décorant la bibliothèque. 5 balles que l’on m’avait confiées en me disant que parfois il manque juste une balle. Alors… 5… Je les avais planquées comme je le pouvais. Je sentais que ces hommes allaient ouvrir la bonbonnière et qu’il en serait fini de nous. Mon pauvre mari innocent allait payer pour mon inconscience et pourrait mourir en me maudissant. Je voyais les livres valdinguer par terre, entraînant la bonbonnière, et les balles s’écoulant sur le parquet…

Je me souviens de mes jambes qui flageolaient, de mon coeur qui battait de travers, de la peur absolue qui était la mienne. Et la petite, qu’allaient-ils faire à la petite dormant à l’étage, quand ils auraient la preuve que je faisais partie des forces judéo-maçonniques ? Qu’allait-il advenir de nous ? de lui ? d’elle ? Nous ne savions pas tout à l’époque, mais perdre ma fille de vue me faisait vraiment peur.

Ils n’ont rien trouvé. Ils n’ont pas ouvert la bonbonnière et ils sont partis en s’excusant, car leur réputation d’être Korrekts, ils y tenaient. Et je suis tombée par terre en disant « pardon » alors que Valentin me relevait en disant « pardon » également.

Il nous a fallu une heure pour nous comprendre ma petite fille. Lui croyait qu’ils étaient venus pour lui et il s’en voulait de ne m’avoir rien dit. Moi je pensais qu’ils étaient venus pour moi et je m’en voulais de lui avoir tout caché…

C’était lui mon chef de réseau. Je suis devenue tout à coup pour lui « la femme courageuse » qui passait des messages et il est devenu livide en songeant aux risques qu’il m’avait fait courir. Je savais enfin qui donnait à « Monsieur Pierre » les messages si importants à emmener en zone libre. Enfin bref, c’était lui, c’était moi, c’était nous.

Après la révélation, nous sommes restés silencieux un long moment. La petite dormait toujours là-haut. Nous nous sommes promis l’un contre l’autre, dans le lit conjugal, d’arrêter nos conneries. Cela a été peut-être la plus belle nuit de notre amour.

Nous nous sommes avoué en 1957 seulement, que nos conneries, nous ne les avions pas cessées du tout. Nous avions juste changé de réseau, en expliquant chacun pourquoi à qui de droit, pour nous retrouver du coup, toujours liés par le même mensonge. Il n’y avait pas 36 réseaux de résistance près de Langeais…

J’aime rire ma petite fille. J’adore tes filles qui sont mes arrières petites filles. Mais il te fallait savoir que je n’ai pas toujours été cette vieille femme drôle et parfois semblant naïve. Le révolver sur la tempe me réveille souvent la nuit et j’ai à nouveau peur.

Et depuis qu’IL n’est plus là, j’ai de plus en plus peur. Il est parti mon mari, mon chef de réseau, celui avec qui j’ai tant partagé dont une partie de ma vie sans le savoir. 5 ans, c’est peu, cela peut être tout.

Rappelle à tes filles que je n’étais pas que l’arrière grand mère rigolote, que je n’étais pas qu’amour et insouciance, que je n’étais pas que celle qui fait un « super réveillon du jour de l’an » avec du jambon et des nouilles.

J’ai été aussi l’inconsciente qui ne savait pas vraiment ce qu’elle faisait, qui durant toute l’occupation a promené dans sa culotte ou son porte jarretelle, des messages ultra importants. Et rappelle à tes puces que leur arrière grand-père si bonhomme s’est révélé capable de tuer un ennemi parce que c’était comme ça et sinon bien plus de morts. Nous nous ne sommes jamais sentis héroïques : juste pris dans un temps fou qui passait sur nos vies. Ce n’est que trop tard que nous avons su ce à quoi nous nous étions exposés. Mais c’était trop tard car si à refaire : refait…

Je t’embrasse ma petite fille.

Maria.

PS : je n’étais que la femme de son petit fils, mais elle m’a toujours considérée comme étant sa petite fille.

Et pour les filles : oui c’est bien elle…  Comme quoi…