Moi et le téléphone (déjà)…

Je_t_l_phone_53328817J’avais une chance inouie : mes parents avaient le téléphone. Il faut dire que Jean Poirotte s’était mis à son compte et qu’il attendait les appels de clients potentiels. Sinon les médecins et les riches étaient les seuls à l’avoir (le téléphone).

Pendant longtemps mes parents furent les seuls à posséder un combiné dans tout l’immeuble. Celà nous posait un peu et permettait à mes copines de me traiter de crâneuse (même pas vrai, je trouvais cela normal, mais cela leur faisait plaisir). En cas de problèmes médicaux graves en pleine nuit, les voisins venaient timidement sonner chez nous pour que l’on appelle le médecin d’urgence.

C’était un téléphone noir qui sonnait pire que l’alerte des pompiers le jeudi à midi pile. Oui en cette époque préhistorique, c’était le jeudi le jour sans école. A la naissance de la dernière, maman fut obligée de cerner la sonnerie avec des coussins pour éviter que BB ve soit réveillé en sursaut et en hurlant de terreur (justifiée) par la sonnerie DRIIIIIIINNNNNNNGGG !

Quand je fis connaissance avec meilleure amie à l’âge de 12 ans (donc on se fréquente depuis 36 ans), le téléphone se répandait petit à petit. Ses parents avaient également le téléphone + la télévision, mes parents eux étant réfractaires à l’unique chaîne.

Bien évidemment, une fois rentrée à la maison en bus ou en vélo, je n’avais qu’une idée en tête : appeler meilleure amie pour lui raconter la dernière du jour, alors que l’on s’était quittées une demie heure plus tôt.

A l’injonction « raccroche, ton père attend un appel et va faire tes devoirs », je boudais un peu, histoire d’exister, et m’éxécutais en silence tout de même.

Le temps passant je me mis à ramper sur le dalami et à faire la chandelle en parlant « codé/parents pas compris » pendant des heures avec meilleure amie. Tout cela pour ne rien dire. Enfin si c’était très important. Il faut dire que sa mère à elle travaillait (était donc absente pendant le coup de fil),  que meilleure amie était tombée amoureuse de son voisin de pallier (qu’elle a épousé et qui lui a fait 4 enfants, ils sont toujours ensemble merci). Elle l’avait croisé en rentrant du lycée et devait urgemment m’avertir de la nouvelle du jour.

  • Il m’a dit bonjour que dois-je penser ?

  • Il m’a regardée que dois-je penser ?

  • Il m’a ignorée que dois-je penser ?

  • Il m’a sourit que dois-je penser ?

Tout ceci pendant que cet innocent mangeait des chips en regardant la 1 ou la 2, vu qu’il n’y avait pas d’autre chaînes (l’arrivée de la 3ème chaîne fut émouvante pour tous).

Je passe sur les coups de fil idiots (il y en a eu très peu, si si… j’insiste). Genre « j’ai fait du thé très fort, c’est super pour teinter les jambes ! » « La tomate c’est génial contre les points noirs » « qu’est-ce que je fais demain matin, je fais semblant d’avoir crevé ? pour voir s’il me porte secours ? (roue dégonflée à juste regonfler à coup de pompe à vélo, ancêtre de la bombe anti crevaison)

Au bout de deux heures, maman m’intimait l’ordre de raccrocher « ton père cherche peut-être à nous joindre » (argument bidon et suprême, mon père a toujours détesté le téléphone, comme Albert).

Ces mères quelle plaie ! La vie n’était déjà qu’un long calvaire… voir là

Quand que j'étais petite…

Et_moi_dans_tout__a_tlp753093Et moi dans cette famille, qui suis-je en dehors de la mère de filles un peu originales et délurées ? Ex femme de ? Fille de ? Petite fille de ? Amie de ? Secrétaire dans une PME ? Et mon MOI ? Il devient quoi ?

Je suis née en 1958. Ce n’était plus tout à fait le baby boom, mais c’était juste 13 ans après la dernière guerre mondiale qui rôdait encore.

En 1968 quand le raz de marée de la révolution passat sur la France, mes parents furent imperméables aux diktats issus de la flambée soixante huitarde, pour un temps. J’avais déjà 10 ans et eux le temps de s’adapter jusqu’à l’adolescence… (ce qu’ils firent contraints et forcés et pourtant nous les jeunes de 10 ans en 1968 étions très moyennement révoltés. D’accord nos aînés étaient passés là, mais ils nous semblaient un peu martiens…)

Mes parents étaient modernes pour leur époque mais tout de même il y avait certaines limites à ne pas franchir. En mai 68 j’étais simple écolière se préparant à entrer au collège que l’on appelait « lycée » en souvenir de l’époque où il fallait passer un examen pour rentrer en sixième.

Aucune mère n’aurait mis de pantalon à sa fille pour aller à l’école, même si comme la mienne, elle avait défié ses propres parents en portant « des jeans » noirs de préférence et bien serrés, ou bien des shorts ras du cul à faire frémir son arrière grand mère (ce qu’elle ne manquait pas de faire). On mettait des jupes et de grosses chaussettes et la preuve est faite qu’on ne s’enrhumme pas pour cause de jambes mal couvertes. Au pire on mettait un collant en laine. Par moins 10° la mère pouvait se résigner à nous mettre un pantalon par dessus le collant et à nous voir expulsées de la classe. Dans le cas contraire, les autres filles, cuisses gelées nous tournaient autour pendant la récréation en criant « oh le garçon, oh le garçon ». La honte. On signifiait donc à maman que le pantalon c’était hors de question. Sauf qu’on n’avait pas trop le choix.

Personne ne nous demandait notre avis sur notre habillement. On s’habillait comme maman l’avait décidé et sans aucune idée de la ramener même si on trouvait la tenue tarte. Idem on donnait peu notre avis pendant les achats et on nous le demandait rarement, sauf les grand mères gâteaux. Celles qui s’habillaient à leur gré « tournaient mal ». La blouse fut obligatoire, jusqu’en mai 68 où elle fut abolie des écoles, collèges et lycées (j’y coupais donc en entrant en sixième avec un an d’avance, perdue dans ce collège mixte et maudissant cette foutue avance qui m’avait fait perdre toutes mes copines). C’était pourtant un truc bien pratique, qui évitait de tacher ses vêtements d’encre (et qui mettait tout le monde sur le même plan social). Pas le choix de toutes manières quand elle était de rigueur : pas de blouse = expulsion : c’est beau la liberté !

Pour apprendre à écrire c’était : porte plumes avec plumes multiples suivant les écritures demandées par la maitresse (pour les filles séparées des garçons en primaire, qui eux avaient des maîtres.  – Complètement débile d’ailleurs parce que la maternelle était déjà mixte). Donc encriers à remplir et écriture soignée (et parfois éclaboussures). Le stylo plume était toléré (avec réprobation) à partir de la 6ème et le bic interdit formellement sous peine de galères ou de terminer sur l’échafaud qui fonctionnait toujours. Le feutre ne devait pas exister : je n’ai pas souvenir qu’il ait été interdit, c’est un signe (engin du diable)…

Nos mères n’ayant pas de lave linge mais se coltinant tout à la lessiveuse, la blouse permettait de protéger les vêtements de jets d’encre ou de taches de confiture. Le goûter se résumait en effet à tartines de confiture (généralement sans beurre qui fait couler la confiture en imperméabilisant le pain), tartines de fromage ou de saindoux salé (le premier(ère) qui se fait une tartine de saindoux salé pour goûter aura droit à une chanson de Dorothée….) C’était délicieux. J’ai vu l’apparition du choco BN que ma mère méprisait (dépense inutile quand on peut faire pain + un barre de chocolat noir). Pour le petit déjeuner c’était café au lait, ou quand les parents y étaient opposés comme les miens car maman était en avance sur son temps et très diététique, du babania qu’il fallait cuire. Nos mères se sont ruées sur le Nesquik instantané à son arrivée, je me suis ruée sur le retour du banania à l’ancienne quand il est revenu…

Les réfrigérateurs étaient rares (on commençait à dire « frigo » rapport au frigidaire qui est une marque). Les courses étaient faites tous les jours et on faisait bouillir le lait scrupuleusement. La télévision était quasi introuvable, (en noir et blanc avec une seule chaîne), les téléphones encore plus. Si papa avait une voiture il avait toute la place pour se garer, et en dévalant la route en patins à roulettes qui sciaient les chevilles avec leurs courroies, on pestait contre ces maudites voitures… Car on jouait beaucoup dehors (maman souriait et appelait cela « le sirop de la rue » cette attirance que nous avions pour le « dehors »), dès qu’il faisait beau. Sinon on lisait. Bibliothèque rose, puis verte, puis rouge et or, rouge et or Dauphine… Nos parents vérifiaient que c’était « de notre âge » et se coltinaient nos futures lectures. Sinon ils nous sélectionnaient de leurs vieux livres à eux, bibliothèque verte de l’époque qui vaut une fortune aujourdh’ui.

Les enfants étaient tous propres à 18 mois maxi (ils n’avaient pas de problèmes à maîtriser leurs sphincters comme maintenant). Quand on lave des couches en tissu à la main ou à la lessiveuse, cela motive pour que l’enfant soit propre. La maman travaillait rarement et s’occupait de sa marmaille (la contraception ne fut légalisée qu’en 1969 et eut du mal à percer), qui dépassait généralement 2 enfants sans que cela ne choque personne.

L’instituteur avait parole d’évangile. Rentrer avec une mention en rouge dans la marge d’un cahier, c’était s’exposer aux foudres paternelles ou maternelles, voire avec de la chance comme moi, les deux. Et les parents de mauvais élèves se rendaient tête basse affronter le maître ou la maîtresse. Dans les petits village l’instituteur était d’ailleurs automatiquement secrétaire de mairie ce qui posait un homme ou une femme.

Le feutre n’existait donc pas (là je remonte avant l’âge de pierre). On faisait des fresques murales avec des crayons de couleur (ben oui on faisait aussi des bêtises).

Et quand on arrivait à un certain âge, maman acceptait à contrecoeur que l’on troque couettes et nattes pour la queue de cheval des « grandes » et nous achetait la gabardine de rigueur. Tout le monde savait que l’on rentrait dans le monde des grands, bien surveillées tout de même par les parents… Allaient se pointer bientôt les mâles du secteur en pleine mue que papa appelait « les chiens qui vont venir pisser devant ma porte », (mon grand père préconisant la sortie d’un parapluie rouge pour les éloigner, ce qu’il regrettait visiblement de ne pas avoir fait (non pas qu’il ait des regrets, mais maman l’avait fait grand père un peu jeune, avec l’aide de papa, totalement désintéressée, s’entend…))…

A nous la belle vieQu’on étaient belles avec nos gabardines et nos queues de cheval de grandes ! Toute la vie devant nous, et que des espoirs !
(la fille de droite avait du bol : la frange c’était « mauvais genre »)

MAI 1968

Mai__1968Sur la photo « Dany le rouge » narguant les forces de police en mai 68. Le même se réfugia un jour, il y a peu finalement, derrière les mêmes… comme quoi… (je ne suis pas là pour faire de la politique, ça me gave, mais je pense ce que je veux de ce monsieur qui a renié son symbole en se réfugiant derrière des casques et boucliers)

J’avais juste 10 ans (je suis du 9 mai, youplà boum, et tout le monde sait mon âge maintenant, pour ceux qui n’auraient pas suivi !) quand la France vit déferler cette horde d’étudiants (au départ), contestataires donc pas d’accord et c’était un scandale pour beaucoup qu’ils ne fussent pas d’accord. Ils allaient en entraîner d’autres car quand on est étudiant on réfléchit et on peut imposer sa réflexion à d’autres :  ce qui était scandaleux également : si l’ouvrier ne reste pas chez lui à se morfondre sur son sort en silence, où va-t-on ? S’il se met à penser c’est Zola et Zola contre la dépression on fait mieux (si vous êtes tristes sans savoir pourquoi, lire « l’assommoir » ou « germinal » vous saurez pourquoi après)

Et ce fut la panne d’essence, la panne des sens, la bouderie du Général, les grèves en tout genre (ma science politique s’arrêtera là, je ne suis pas là pour vous gaver non plus,  vous pouvez très vous débrouiller tout seul pour plonger dans mai 68, ce qui ne veut pas dire que je suis inculte)

J’avais 10 ans et mes souvenirs sont assez particuliers. Je devrais vous faire du politiquement correct et très sérieux et c’est raté !

Ben oui. J’avais 10 ans et à cette époque là les enfants n’étaient pas informés comme maintenant… Je voyais ma vie bousculée par les disputes papa/maman (vont-ils divorcer, angoisse atroce, quand je pense que mes filles ont vécu cela…). Parce qu’à l’école on ne parlait pas des « évènements », je n’avais que les discussions parentales et familiales pour suivre les dits évènements et n’y rien comprendre. Donc pour moi mai 68 c’est surtout la pénurie d’essence, et les grèves tournantes de l’EDF qui nous amusaient fort nous les enfants parce que nous dînions à la bougie.

Mrs Bibelot toujours pratique, déclarait haut, fort et clair qu’il était inadmissible que l’on ne trouve pas d’essence pour rallier la campagne  (dont je vais vous saouler bientôt) chez son papa et sa grand mère.

Jean Poirotte restait philosophe tout en cherchant de l’essence 3 bidons sous chaque bras. Ben, si les jeunes ne contestent pas, qui le fera ? Je prenais note, assise à l’arrière de la voiture en flanquant des coups de pied à mon frère et ma soeur pour qu’ils me laissent de la place. Ma contestation était contestée dès que ces derniers se mettaient à meugler, et la menace « Coraline tu vas te prendre une claque » était  écoutée (car généralement suivie d’effet)

Pendant ce temps là, les parent frôlaient le divorce : « Et mon père a fait 36″ ! » « et le mien aussi et plus que le tien d’abord je te ferais dire »,  « d’ailleurs TON père n’a pas 5 ans de stalag derrière lui » « et alors le mien combattait Rommel en Afrique pendant que ton père se reposait en Allemagne je te ferais dire aussi » « oui un planqué ! » « en tous cas mon père ne s’est pas fait prendre sur une plage de Normandie en juin 40 » (évidemment il cherchait de l’eau dans le Sahara, avec tout le pétrole qu’il y a) « c’est quoi ces allusions à mon père sur les plages normandes ? ». Et gnagnagna et gnagnagna, et ça se disputait dur à la station service qui délivrait 5 litres et pas plus. C’était dur côté parental. J’avais entendu qu’il était « interdit d’interdire » et j’attendais le jour où ce merveilleux principe serait mis en application.

Tout le monde arrivé à bon port à la campagne avec 5 L d’essence (on revient comment ?) les discussions reprenaient avec du renfort de chaque côté. Mon arrière grand mère qui avait vécu les deux grandes guerres avait fait des réserves de sucre, de farine et d’huile qu’elle nous rationnait en prévision d’un avenir incertain et qui encombraient les chambres. Elle était très inquiète des bouderies du Général qui avait sauvé la France fallait pas l’oublier et était suspendue à la radio qui n’était qu’une TSF à l’époque. Mon grand père avait dégotté de l’essence sans vouloir dire où, et rétorquait à sa fille que faire intervenir l’armée n’était pas envisageable sous peine de voir la France en pleine guerre civile, et à sa mère de lui foutre la paix avec son Général. Les repas étaient animés quoique la nourriture soit restreinte.

Je lisais le journal évidemment, en douce, et j’appris l’existence des gaz lacrymogènes. Cela permit à mon autre grand père venu à la campagne en train, de me faire un cour sur le gaz hilarant qu’il avait bien connu en Allemagne et de me préciser que ce n’était pas drôle du tout, évitant ainsi diaboliquement de répondre à mes questions sur ce qu’il pouvait bien se passer. Sa femme tirait la tronche suite à un graffiti anonyme vu à la Sorbonne « si Dieu existe c’est son problème » car elle était très pratiquante et cela agaçait mon père qui soutenait les étudiants. Il citait François Villon qui contestait déjà à cette époque là, et pour éviter lui aussi de répondre à mes questions m’autorisa à me plonger dans François Villon et juste après dans Jules Verne zut alors !

Bref mai 68 j’en garde un super souvenir et j’ai compris bien plus tard. C’était marrant tous ces adultes se racontant des histoires et se criant dessus. C’était dommage pour moi de n’avoir pas 10 ans de plus, car j’aurais bien bravé les parents et les flics en dépavant une rue quelconque de Paris si j’avais été étudiante…

La rentrée de septembre me trouva en 6ème où pour la première année scolaire de ma vie, la blouse n’était plus obligatoire, et donc ils étaient bien sympas ces étudiants qui avaient ruiné les locaux où je débarquais…