Faudrait pas vieillir…

vieux-coupleJe suis restée tellement scandalisée par ce qui est arrivé à Odette et son mari, l’an passé, que j’ai ruminé pas mal sur ce que l’on devient, âgé, lorsque l’on arrive à l’hôpital ou en maison de retraite.

Tout le monde n’a pas la fougue de Tante Hortense qui, à 99 ans, reprenait systématiquement le personnel soignant devant le « et comment elle va mémé aujourd’hui ? »

  • « Il n’y a pas de mémé ici, je suis mademoiselle X, et je vous prie de m’appeler ainsi ».
  • ET PAF !
  • Demande totalement respectée parce que…

Mrs Tricot, hospitalisée pour un problème majeur, n’avait pas réussi à se faire entendre des infirmière, même en criant qu’on lui FAISAIT MAL ! C’est à ma tante le lendemain, que le personnel hospitalier a déclaré que personne n’avait trouvé comment lui retirer son dentier pour la nuit.

Normal, elle n’avait pas de dentier, mais à 80 ans, des dents parfaites (qu’elle aurait pu nous léguer d’ailleurs, je m’insurge parce que l’hérédité est imparfaite).

C’était la consternation : un vieux, ça porte un dentier.

Idem pour Mrs Morgan, cette femme si raffinée, à qui on a mis d’office une couche à 16 H 30 quand elle est arrivée dans son service chirurgie. Bon d’accord, elle s’était fracturé le fémur et lui passer le bassin n’était peut-être pas la meilleure solution. Sauf que faire ses besoins dans une couche, elle en était incapable. Et que personne ne pouvait se déranger pour au moins lui mettre une sonde urinaire. Cela serait fait sous anesthésie le lendemain matin… Moralité, incapable de faire sous elle et se retenant en souffrant le martyre, elle a frôlé la crise d’urémie et précipité l’opération qui a eu lieu au milieu de la nuit (avec pose de la fameuse sonde…).

Mon grand-père lui, ne s’était rien fracturé, mais d’office, idem : une couche. Vous vous y voyez, vous ? avec une couche ? alors que vous maîtrisez vos sphincters ? « C’est plus pratique pour nous » lui a rétorqué la surveillante du service qui s’est vexée quand il l’a traitée de pauvre conne et qu’il lui a précisé qu’il était encore capable d’aller pisser et chier tout seul.

Un vieux, c’est forcément incontinent.

Sa mère avait vécu à peu près la même chose, sauf qu’elle n’avait ni dentier, ni dents. Elle avait appris pendant plus de 20 ans, à manger de tout, en mastiquant avec ses gencives, coupant tout en petit morceaux.

Que nenni, d’office, on l’a mise au tout haché et aux purées. Elle détestait et se laissait dépérir en réclamant des repas normaux, et je revois ma mère piquant une crise de nerf  devant la même surveillante (qui lui précisait qu’elle connaissait son métier), que non, elle ne connaissait pas son métier, et que puisque sa grand mère demandait de la nourriture normale c’était parce qu’elle savait comment l’ingurgiter.

Sauf que, cette déclaration d’une femme de 95 ans, ne pouvait émaner que d’un cerveau sénile et déliquescent. Hors, mon arrière grand mère avait toute sa tête.

Sauf que passé un certain âge, vous êtes sensé avoir perdu votre si peu, être sénile, incontinent, et manger uniquement liquide en l’absence de dentier. Perdre la tête n’est pas une fatalité. Alzheimer a bon dos, dans pas mal de cas, certaines déficiences intellectuelles relèvent d’autres causes qui se soignent.

Ou bien il n’y a pas de déficience intellectuelle, mais c’est plus pratique de faire comme si que…

Un vieux, a forcément perdu la tête…

Car dans certains cas, on ne perd jamais la tête…

Rigolez, vous les jeunes, les âges murs, les biens dans votre peau.

Si personne ne regimbe en prendant la peine de faire procéder à de vrais examens ou de remettre les choses à leur place en vous voyant en mauvaise posture, vous vous retrouverez en couche culottes que l’on changera quand il y aura assez de personnel pour le faire, à la bouillie et aux purées, on vous appellera pépé ou mémé, et on vous apprendra que vous n’aviez qu’à mourir nettement plus jeune au lieu de faire chier le monde.

La vie n’est qu’un long calvaire…

Et c’est à nous de veiller avant que notre tour ne vienne…

C'était un jour comme les autres…

C’était un jour comme les autres, une consultation de routine, une de celle que toute femme vit régulièrement.

Il y a eu le moment où la gynéco s’est un peu figée, où son ton a changé, où elle a insisté sur la zone qu’elle palpait, en refusant tout à coup de continuer à parler. Il y a eu ce moment où Jacqueline s’est sentie tomber dans un gouffre, ce moment où son coeur s’est serré pour trop longtemps. Il y a eu l’ordonnance pour la mammographie, les paroles rassurantes qui ne rassuraient pas parce que le ton était déjà pour trop longtemps différent, trop neutre.

Il y a eu l’attente dans l’arrière boutique du radiologue, où elle se sentait transie, glacée de l’intérieur, comme déjà à la morgue, son coeur battant la chamade, un refus absolu planté en elle : le refus de mourir. Pas déjà, pas maintenant ! Un jour peut-être, un jour c’est sûr, mais pas dans trop peu de temps. Trop d’attente pour trop de clichés de contrôles…

Il y a eu la ponction et l’attente des résultats, mais elle savait. Elle savait que ce n’était pas un kyste. Elle a pleuré de n’avoir pas allaité ses enfants puisqu’il paraît que cela protège du cancer du sein. Elle payait d’être une mauvaise mère, la Faculté le lui a laissé entendre, même si nous lui disions que non, et que rien n’est vraiment prouvé.

Il y a eu la boule que l’on retire, sans retirer celles d’angoisses qui coincent la gorge, les enfants trop enthousiastes et optimistes à son chevet. Elle n’avait que les copines Jacqueline, pour en parler vraiment, pour pleurer, pour refuser la pitié, tout en ayant besoin de soutien, besoin que l’on écoute et partage ses angoisses et cette peur qui la faisait téléphoner souvent à 3 H du matin. Il y avait le téléphone qui la reliait à celles qui parfois, jadis, avaient pu lui donner une fausse impression de ne pas l’apprécier et qui maintenant lui tendaient les bras. Elle découvrait Jacqueline, que la solidarité féminine existe, et cela lui réchauffait le coeur, terrassait parfois sa peur.

Il y a eu les rayons pour l’aider à terrasser la bête qui se nourrissait de sa vie. Elle ne voulait pas arrêter de travailler Jacqueline, parce que son travail c’était aussi sa vie. Elle s’y rendait après ses séances pour entendre, muette et épuisée, son patron se plaindre de son rhume… Avec tout un personnel horrifié par le comportement de l’avocat tordu, devant et derrière elle pour lui ordonner de s’arrêter et de se reposer. Mais elle ne voulait pas se reposer pour trop penser au moment où elle deviendrait poussières.

Elle a pleuré Jacqueline, trop pleuré peut-être, sachant que le véritable espoir était bien loin dans le temps. Pas envie de mourir, pas envie de vieillir pour savoir si elle vivrait ou non, tout en sachant qu’un jour qu’elle voulait le plus lointain possible, la mort aurait gain de cause.

Elle a écrit son journal Jacqueline et commencé à aider les femmes comme elles, souffrant dans leur féminité de cette tumeur injuste.

Et puis le temps a passé. 10 ans déjà !!!! Les examens étaient bons. Toujours bons, toujours négatifs pour le mauvais, toujours parfaits quoi. Et il y a eu le jour où le cancérologue lui a dit qu’elle était considérée comme guérie, définitivement guérie de cette fois là. Parce qu’il peut toujours en venir un autre, un crabe… Ailleurs, on ne sait pas pourquoi…

Il y a eu le vendredi 17 octobre 2008 où elle a entendu le mot « guérie madame ! n’ayez plus aucune inquiétude ! » « maintenant je vous revois dans 2 ans, juste pour la tranquillité d’esprit »

Il y avait toutes ces années où elle ne pouvait s’empêcher de se palper les seins, de guetter le moindre symptôme qui pouvait être le signe que le crabe n’était pas mort, oubliant qu’il métastase généralement ailleurs. Il y avait un pan de sa vie qui n’avait été qu’attente, et enfin, au bout du chemin, le résultat trop espéré.

Elle était tellement heureuse Jacqueline, qu’elle a envoyé un texto à ses enfants « enfin guérie, je suis trop heureuse et je vous aime trop ». C’était le restaurant pour le samedi 18 octobre 2008, avec champagne à volonté et taxi pour ramener tout le monde. C’était le premier jour vraiment heureux depuis trop longtemps.

Et puis c’était un jour comme les autres pour tout le monde. Elle est sortie de l’hôpital en lévitant, tellement elle était heureuse, pour rejoindre sa voiture. C’est ce que l’on imagine vu le texto… Il faisait beau, même si un peu froid ce vendredi, et elle était guérie. Même si le déluge avait été là, elle l’aurait trouvé magnifique. Il était 15 H 35.

Elle n’a pas vu le bus Jacqueline… Le conducteur l’a vue trop tard, elle s’est quasi jetée sous ses roues. Et la camarde qui l’attendait depuis si longtemps devait ricaner derrière un peuplier quand le SAMU est arrivé trop tard. Dès le choc, il était trop tard. Et, des médecins sortis sur l’alerte, celui qui pleurait le plus, était paraît-il son cancérologue… On peut le comprendre. Avoir annoncé sa guérison à une patiente, dans cette spécialité là, et la voir mourir bêtement 10 minutes après dans un accident de la route, c’est à se pendre…

Quand j’ai reçu le mail en rentrant d’une bonne soirée passée avec Louisianne, j’ai été pétrifiée. La joie et le bonheur sont autant assassins que le malheur. Jacqueline, tu avais prévu les amies à prévenir avec une liste mail, mais pas pour cette nouvelle là…

Prenez donc garde à vous. Sur un coup de joie, n’oubliez pas de regarder en traversant, de conduire normalement, que la vie ne vous est pas assurée à jamais même si fatalement elle se terminera un jour.

Adieu mon amie. Nous sommes 10 ce soir, pour qui tes enfants ont pris la peine de donner de mauvaises nouvelles, mais nous savons que cela leur a fait quelque part un peu de bien…. Nous découvrons en même temps que ton départ à quel point nous comptions pour toi. Et demain ils en auront l’assurance et le réconfort.

Décidément c’est la période où je vous régale vraiment de posts les plus gais possibles…