C’est l’été…

ALAPHILIPPE Emile 1913C’est l’été, et la Saint Jean a été comme de coutume : une grande fête dans le village. Il ne peut pas en faire abstraction, c’est lors de celle-ci qu’il a connu sa petite femme.

Son père n’arrête pas de décortiquer un évènement qui s’est produit le 28 juin 1914:


l’assassinat d’un grand-duc, quelque part, en Europe
. Qu’est-ce que la France, sa république, a à faire de cette mort certes tragique, mais bon, il y a tellement de morts tous les jours ?

Un archiduc est mort : il y en a bien un autre pour prendre la suite, et qu’est-ce que foutent encore en Europe des monarchies qui ne servent à RIEN ?

Son père qui n’arpente plus la forêt comme lui tous les jours,  commence à radoter grave en lisant les journaux, et n’arrête pas de lui parler de la « triple entente »: France, Royaume Uni, Russie. Et il peste, son père : que vient foutre la Russie, sous le régime des tsars, d’un ancien régime à terrasser, comme alliée de la France et de l’Angleterre  ? Il le lui demande et il ne sait pas répondre. Il s’en fout, il n’est pas concerné.

Son père n’arrête pas de parler également d’une triple alliance  : Allemagne-Autriche/Hongrie. Il se souvient de 1870, ses parents lui en ont assez parlé, d’avoir bouffé du rat, planqué chats et chiens, et volailles. Les boches, son père il les connait.

LUI PAS.

Il radote le vieux… Sauf le respect qu’il lui doit, et qu’il observe sans dire quoi que ce soit…

C’est l’été, la chasse sera bonne, la récolte également. On y met tout son coeur pour lui faire un petit frère ou une petite soeur au petit gars Henri qui cavale derrière lui…

Il a plu beaucoup. Lui et son fils ramassent les derniers mousserons de printemps, les tous premiers cèpes très en avance.

C’est l’été.

C’est le bonheur.

C’est la joie.

Il s’en souviendra de cet été 1914 qui portera forcément ses fruits…

Il est heureux. Car dans le ciel n’apparait pas l’orage qui se pointe. Longtemps après, il regardera sur les photos s’il y avait un signe, sur tous les morts figurants sur la photo de son mariage. Il n’en verra aucun…

Il ne verra non plus aucun signe sur lui : poumons gazés, l’horreur des tranchées, le triple éclat d’obus qui l’épargnera sans le laisser intact.

Aucun signe…

Les destins se doivent de rester muets. Tu ne sauras ni le jour ni l’heure, et tu ne sais pas que ton père, c’est Cassandre…

La vie n’est qu’un long calvaire..