Verdun. Le fatal 11 novembre de votre sorcière…

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  • Il y a deux semaines : en déménageant une bibliothèque qui n’avait pas été bougée depuis des décennies, il y a eu un clic clic et nous avons trouvé ces deux objets.
    Les photos ne donnant rien, j’ai fait un scan, mais bon, c’est moyen… Sur l’un des objets, il est inscrit « bois de mort mare 1916 ». Sur l’autre « 1914 – 1915 ». Au dos de chaque couteau travaillé, de jolies ciselures…
  • Il y a déjà un petit moment, mais finalement pas si longtemps, hier quoi… Pulchérie est rentrée un beau jour de sa classe de 4ème toute contente : le prof d’histoire organisait une journée à Verdun. Une excursion donc, et une excursion de toute une journée, même lorsque l’on est bon élève, c’est toujours bon à prendre. Pas de maths, pas de français, rien d’autre qu’une super journée à se la couler douce avec du car aller et retour, et une petite promenade quelque part.Je ne lui avais pas spécialement parlé de Verdun à ce moment là. Elle avait quelque part dans sa mémoire ce 11 novembre de CM2 où elle avait été totalement volontaire pour se lever tôt un jour férié, afin de déposer une gerbe ronde au pied du monument aux morts, avec dignité et une petite génuflexion qui avait fait plaisir au maître. (Delphine n’avait pas eu l’occasion de faire de même, nous étions parties je ne sais plus où…). Je lui avais préparé en silence un pique nique pour Verdun et Delphine éructait que sa soeur était la seule à faire des choses intéressantes. Déjà, j’avais emmené Pulchérie voir la Liste de Schindler alors qu’elle était en CM2. Delphine l’avait vu depuis, ce film, et chialé à la fin, mais elle n’en pensait pas moins : Pulchérie et moi n’arrêtions pas de nous bidonner à longueur de temps et c’était d’une injustice flagrante.Donc là, excursion pour le moins poilante et je ne savais pas trop comment aborder le sujet avec Pulchérie, n’ayant jamais fait cette poilante excursion. J’avais encore en tête le moment crucial où en 5ème j’avais découvert l’existence des camps de la mort pendant la dernière guerre mondiale. Le prof d’histoire nous avait apporté des livres pleins de photos illustrant l’horreur, et j’avais été traumatisée. Trop pour en parler aux parents, et ces images m’avaient hantée pendant trop longtemps, sans qu’ils ne prêtent trop attention à mes silences forcément de mauvais augure, et mes cauchemars nocturnes trop fréquents. J’avais trop le souvenir de mes nuits passées à scruter la vitre de ma chambre en y voyant se refléter les images des morts vivants, j’avais trop sur le coeur une absence de questions de mes parents. Etait-ce leur faute ? Je ne sais pas. Je n’ai jamais seulement osé le leur dire ce dont on avait parlé en histoire, sauf qu’à l’époque, commémoration et autres, on ne parlait que de ça, même eux.
  • Pulchérie est rentrée le soir de son excursion, un peu silencieuse et c’était déjà mauvais signe, vu qu’elle charabiatait depuis sa naissance. Sa soeur essayait de savoir ce qui avait été super pendant cette journée, et s’était faite envoyer aux pelotes. Pulchérie s’était enfermée dans sa chambre avec le chat, refusant de diner et de parler. J’étais donc aux aguets, des pâtes à la carbonara en réserve au caz’où.Et puis, sa soeur couchée, Pulchérie est arrivée sur le canapé alors que comme de coutume j’occupais j’étais vautrée dans le fauteuil. Elle avait l’air dans le vague et j’attendais, me disant que moi je n’avais jamais osé aller me poser dans le salon pour parler à mes parents. Elle se mangeait encore les ongles et là, il lui restait à attaquer la lunule. Je sentais qu’elle allait craquer et déborder, elle était venue là pour ça, et je remercie le ciel : jamais mes filles ne se sont posées à proximité de moi le soir, comme ça, pour se taire. J’en veux encore à mes parents de mes silences parce que « pense à autre chose ma chérie ! »
  • Tu veux que je te fasse réchauffer des pâtes ma chérie ?
  • Maman…
  • Maman… il y a la-bas une grande grande tour avec des crânes dedans…
  • … (je sentais l’image devenue obsession tout à coup, l’image qui hante, qui va hanter longtemps, et la voix était vraiment angoissée, et là, on souffre pour notre enfant)
  • Que des crânes dans cette grande tour maman ! Ca fait combien de morts ?
  • Je ne sais pas vraiment ma chérie. Beaucoup c’est certain…
  • Ce sont tous les morts de Verdun maman ? Tu te rends compte ? Tous ces crânes !! Elle est si haute cette tour, je me sentais toute petite à côté !!!
  • Non ma puce, tous les morts ne sont pas là… Il en a eu tellement !
  • Nous avons pensé un peu que c’était les crânes de tous les hommes morts pendant cette guerre…
  • Non ma puce. C’est un mémorial, et ils ne sont pas tous là…
  • C’est vrai, il y a aussi un cimetière avec tellement de croix. Pourquoi tous ces morts maman ? Le prof nous a dit qu’il fallait les compter par millions. Ca fait combien de tours maman, avec uniquement des crânes dedans ?
  • Je ne sais pas ma chérie. C’est l’absurdité de la guerre.
  • Alors pour un homme qui vivait il ne reste que son crâne dans une tour ?
  • Parfois oui… Parfois il est enterré quelque part. Parfois on ne l’a pas retrouvé, on en retrouve encore de nos jours…
  • Maman…
  • Oui ma chérie…
  • Tu peux me serrer très fort dans tes bras ?
  • Oui ma puce.
  • Et le mari de mémé Georgette il était là-bas ?
  • Oui, mais il est rentré lui.
  • Et ses cousins, ses frères ?
  • Non, ils sont restés là-bas.
  • Et leurs crânes sont dans le mémorial ? Maman ça m’a fait tellement peur ! Personne ne peut les regarder et les reconnaître. Je ne veux pas être un jour juste un crâne que l’on ne reconnaîtra pas !
  • Je comprends ma chérie. Tu étais peut-être un peu jeune pour aller à Verdun.
  • Non. Le prof avait raison, personne n’a chanté dans le car en revenant. Seulement je voudrais juste pouvoir dormir avec toi, pour ne plus avoir peur. Ca fait peur tous ces crânes qui ont été des hommes, qui ont aimé et espéré, et qui pensaient avoir une vie entière à vivre.
  • Maman… C’est écrit quelque part si ma vie doit s’arrêter trop tôt ?
  • Oui ma puce, certainement. Mais je ne veux pas savoir où et ne cherche pas à savoir… Tout ce que j’ai à te dire de la Bible c’est « tu ne connaîtras ni le jour ni l’heure ». Pour le reste tu la liras toi-même pour y croire ou non, critiquer ou non…

Et c’est ainsi que l’on passe une nuit à trois dans un grand lit, pour juguler une peur que même la petite soeur a voulu exorciser, car bien entendu elle était venue nous rejoindre pour apprendre que l’expédition Verdun, ce n’était pas top. Quand cela a été programmé pour elle, elle a eu mal au ventre et je l’ai dispensée. Elle savait déjà…

IL Y A MAINTENANT LONGTEMPS : un homme qui était de toute évidence ciseleur, artiste, a tué le temps plutôt que de tuer des hommes, dans sa tranchée, pour forger des couteaux un peu de style Bowie, dans des douilles d’obus. C’est gravé avec précision, le travail d’artiste est magnifique, les décorations sur la face A sont superbes, et il y a les dates de l’autre côté, traumatisante quand on sait « 1914 1915 » et « 1916 ». Il restait encore du temps à passer avant la fin…

Nous n’avons qu’une certitude : si ces objets sont chez mes parents, c’est parce que mon arrière grand père les a récupérés. Parce que celui qui les a créés est mort.

Nous essayerons de les transmettre aux générations futures le plus longtemps possible. Qu’au dernier qui ne sera pas quoi en faire : ne jamais les jeter. Il existe des musées pour ce genre d’objet.

Et aujourd’hui encore, comme pour tous les 11 novembre : hommages à ceux qui sont morts si stupidement, à leur vie affreuse dans les tranchées, à leur courage, à leur attente d’une permission si rare, à leurs veuves, leurs mères désespérées, leurs enfants orphelins. A leurs fiancées qui ne les ont jamais remplacés, aux femmes qui ont souffert une attente horrible pour parfois ne récolter que le désespoir, à celles qui ont préféré mourir que de survivre sans eux.

C’est férié, mais rappelez vous que c’est parce que des millions de gens sont morts que finalement vous bénéficiez d’une grasse matinée…

D’après Maritza, il reste un survivant en Angleterre (109 ans tout de même), mais je ne sais pas si le rescapé canadien de l’année dernière, est toujours là. Nous savons que nous n’avons plus de « poilus » en vie en France.

Et ce qui me fait peur, c’est que le cauchemar en s’éloignant peut faire oublier les horreurs de la guerre…

In memoriam à tous ces hommes et toutes ces femmes qui ont vécu le pire du pire, dans des conditions abominables, en pensant que c’était tellement atroce qu’après eux PLUS JAMAIS…. LA DER DES DER. Ca fait mal dans le fond de la gorge quand on y pense…

A voir ou revoir : un long dimanche de fiançaille, les sentiers de la gloire (mes préférés, qui évoquent les mutinés et les mutilés volontaires, et montrent bien ce que c’était)
A lire ou a relire : A l’ouest rien de nouveau, Les semailles et les moissons, Des grives au loup, et tant d’autres livres consacrés à cette guerre.

Et surtout, à faire : transmettre le plus possible à ceux qui nous suivent, les souvenirs que nous avons parfois eu la chance de récolter, l’histoire de cette guerre. Et également conserver les lettres de l’arrière arrière grand père, tout ce que l’on a pu trouver sur cette période. Jeter ce serait un crime (il y a des musées pour cela…)