Le jour le plus long

Ils_ont_d_barqu__73441768Nous connaissons tous l’histoire, nous avons tous vu « le jour le plus long » au moins 3 fois. Nous savons que ce n’était pas le jour idéal et que sinon il fallait reporter d’un mois.

Les conditions météo étaient mauvaises (c’était un mois de juin pourri), mais à 0 H 15 commence l’opération « Overlord ». Enfin !

23 000 parachutistes lâchés sur la Normandie. A 3 H 14 c’est le bombardement aérien et à 5 H 30 la préparation de l’artillerie navale. A 6 H 30 les premières vagues d’infanterie d’assaut et de chars débarquent sur les plages d’invasion de la côte normande… Heure inhumaine et bien militaire : comment voulez-vous être à 100 % de vos performances éventuelles à 6 H 30 ? (c’est mon point de vue et je le partage, mais je sais que ce n’était pas sans raisons…)

130 000 hommes. Sur 17 km il y a un bateau tous les 70 mètres. Avec le jour naissant cette prodigieuse Armada se découvre. Des milliers de péniches de débarquement avancent, appuyées par 8 cuirassés, 22 croiseurs, 93 destroyers, 450 escorteurs et dragueurs, et 360 vedettes lance-torpilles. Quand les américains le veulent, c’est comme quand ils ne le veulent pas… (comme Albert, Albert étant nettement moins efficace que les américains quand ils le veulent…)

Il y a des ratés, des endroits où la plage n’est pas la bonne. C’est la boucherie du siècle sur certaines, qui fut enfin réellement révélée avec « il faut sauver le soldat Ryan », autrement moins propre comme film que « le jour le plus long » qui reste lui, regardable (si, malgré le parachutiste qui tombe direct dans un puit et un autre dans une grange en feu, les morts font propres et John Wayne est impatient et joyeux d’aller au combat)…

On revit à chaque fois le Pegasus Bridge « vous tiendrez jusqu’à ce qu’on vous relève », en imaginant l’angoisse des hommes : quand serons nous relevés ? Le travail de la résistance prête à se sacrifier, tout un monde qui aujourd’hui nous échappe.

Le soir de ce jour le plus long, 5 divisions américaines, 3 divisions britanniques, 2 divisions canadiennes ont débarqué entre l’Orne et la Vire. Il y a même des « bon dieu de merde d’Australiens » (je n’ai rien contre les australiens mais il paraît qu’à l’époque leurs soldats étaient très grossiers, et se prénommaient ainsi, étant en grande minorité).

Rommel est rappelé d’urgence. Il l’avait assez dit : « les 24 premières heures seront décisives ». Il avait raison, mais trop tard, et surtout sur les lieux du débarquement. Les allemands, Hitler, ne croyaient pas en la Normandie… Et quand l’offensive est vraiment connue, Hitler dort.

Après tant de combats, de fureurs, de douleurs, voici enfin venue la bataille de France, la bataille de la France, la vraie (pas celle de 40). Elle le sera, et les français présents sauveront l’honneur de la débâcle. Les troupes avançant péniblement vers l’est s’en rendront compte en entrant enfin en Allemagne : la résistance française les a beaucoup aidées sur son territoire. En Allemagne la percée est moins nette, plus difficile…

Ce sont aussi les petites histoires qui me sont chères.

Le papa de Mrs Bibelot, hurlant à sa femme étendant le linge dans le fond du jardin, au risque de se faire arrêter parce qu’il écoutait radio Londres « Ils ont débarqué ! ». Là il a commencé à apprendre à Mrs Bibelot à dire aux américains qu’elle rencontrerait « chocolate please »… Elle ne savait pas ce que c’était. C’est ce qu’elle a dit quand Rambouillet a été libéré, et elle a eu la première barre de chocolat de ses souvenirs, l’avant guerre, elle ne s’en souvenait pas…

Ce sont mes arrières grands parents se retrouvant avec tous les voisins dans la rue principale du petit village pour chanter la marseillaise et parfois danser…

Jean Poirotte se souvient aussi du « Ils ont débarqué« . Tout le monde se sentait sauvé tout à coup. Là bas en Allemagne, son père ne savait rien. Sa mère a pleuré un coup (je tiens d’elle, une vraie fontaine), mais tout le monde était content (voir paragraphe précédent). Quand il a vu ses premiers américains également, il a reçu tout un tas de trucs à boulotter et n’a pas compris ce qu’était un chewing gum sur le coup (j’imagine bien la surprise des mômes)… Pendant ce temps là, son grand père en « Marcel » découvrait le « T shirt » qui protège les épaules du coup de soleil cuisant, avec envie…

Mais je laisse la parole à Tom, brancardier américain, qui avait connu une jolie infirmière française et s’est implanté en France, dans le petit village de mon enfance que je fréquente toujours, sans jamais perdre son accent terrible. Tom était brancardier pendant le débarquement et après… Un soir de cuite, il a parlé…

« La mer moussait rose… L’écume était rose de sang, il y avait du je ne sais quoi et je ne voulais pas savoir, qui flottait sur la marée montante puis descendante. Partout, des hommes parfois coupés en deux, atrocement mutilés, ou amputés d’un membre et perdant leur sang, criant, hurlant, et appelant leur mère… Nous n’avions déjà plus de morphine. Nous avions tous fait sous nous, après avoir vomi de trouille dans nos casques dans la péniche. Il y avait de la tripaille partout, de la cervelle sur la plage, des bras et jambes arrachés ça et là. Aucun mort propre sauf certains, semblant dormir, les pires… Combien avons nous laissé d’encore vivants sur cette maudite plage ? Ils avaient l’air morts mais ne l’étaient pas forcément… J’ai sû après qu’on en avait enterré d’encore vivants sans le savoir (véridique)… Trop pour ma conscience… Nous étions trop peu nombreux pour tous ces blessés. Brancardier ce n’était pas la planque, j’ai pété la gueule de tous ceux qui ont prétendu le contraire, jamais de quelqu’un d’autre »…

Non, brancardier Mr Tom on le sait que ce n’était pas une sinécure. Hommage à toi.

Et hommage à tous ceux qui sont morts ce jour là. Juste pour débarquer. La suite allait être longue. Songez qu’il y a des hommes qui ont débarqué le 6 juin 1944 et sont allés jusqu’au 8 mai 1945. Sont-ils rentrés complètement intacts chez eux ces vainqueurs ?

Et ce jour s’éloigne de plus en plus… Il reste des survivants bien sûr. Mais pour combien de temps ? Un jour viendra où pour nos enfants ou petits enfants, ce sera juste une date, et non pas des histoires racontées par ceux qui ont vécu cette époque, me l’ont racontée, ainsi qu’à d’autres.

Car Mrs Tricot regardait vers l’est où son mari était toujours emprisonné, Tante Alphonsine également se tournait vers cet est dans lesquels, dans le brouillard, ses fils étaient partis, et toute la famille vers Robert qui ne reviendrait pas mais on ne pouvait pas le savoir, car tout le monde respirait déjà un peu de liberté à l’avance. Et restaient pour certains, à venir, l’horreur d’apprendre ce qu’il s’était passé à Tulle, à Oradour, ailleurs. La nuit noire après l’espérance, la peur revenue de l’avenir, justifiée.

Quand on se souvient du souvenir de ceux qui ont vécu cette période, il était vraiment nécessaire pour eux de mettre l’Allemagne à genoux pour enfin en terminer. Non avec plaisir ou sadisme, mais pour protéger le futur…

Réédition d’un post de 2007 un peu modifié certes… Car le temps passe et les souvenirs se retrouvent tout à coup via des lettres par exemple…

Et sinon, mon blog a aujourd’hui 3 ans et j’ai un peu honte de le dire face à ce que ce jour représente… Et il y a 3 ans, j’avais publié mon premier article sans réaliser du tout que c’était l’anniversaire du débarquement : j’étais furax de travailler le lundi de pentecôte…

Promis Monsieur le Juge : je ne le ferai plus !!!

0 réponse sur “Le jour le plus long”

  1. Ouf quelle souvenir… oui il y a eu tant de pauvres gens qui sont mort sans trop savoir pourquoi… Paix à leur âme !

    Sinon dans une toute autre ordre d’idée bonne anniversaire à ton blogounnet 🙂

  2. Je pense qu’ils savaient pourquoi. L’intervention des américains en Europe était fatale et obligatoire, pour eux avant tout.
    Cela ne retire rien à l’horreur des 10 000 morts du premier jour.
    Et merci pour mon anniversaire, tu es le seul à me l’avoir souhaité.

  3. Et de 2 : bon anniv de blog! 😉

    C’est une chance d’avoir des témoignages de ceux qui ont vécu l’évènement (même si ça n’était pas une chance pour eux d’avoir eu à vivre ces moments).
    J’aime beaucoup comment tu racontes!

    PS. J’ai adoré le coup du grisouné!

    1. Tu sais, ce débarquement ON m’en a parlé longtemps… J’avais l’impression d’y être, je n’étais née que 14 ans après…
      Et maintenant, j’ai l’impression d’être vieille en voyant les vétérans de cette date historique…
      (Pour le grisouné, remercie le furoncle, elle n’a pas encore eu son heure de gloire ici…)

  4. Et de 3 : bon anniv de blog! 🙂

    La WWII a ceci de particulier que c’est le premier conflit sur lequel il y ait eu massivement des documents qui aient été produits que ce soit au niveau des états comme des particuliers (reportages, rapports, témoignages, études, films). Ensuite la production de films sur cette guerre est l’une des plus volumineuse de l’histoire. Pour finir c’est à cette époque aussi que les gens ordinaires ont pu accumuler des documents et les transmettre à leurs descendants.
    Alors tant qu’il y aura des écrans pour en parler et des reliques de familles, cela sera difficile à oublier. Disons un bon siècle?

    1. J’ai énormément de documents sur le jour le plus long et particulièrement un DVD sur les tournages de l’époque. J’ai connu en plus des hommes ayant vécu ce D Day, et les souvenirs de mes grands parents, parents, ceux d’Albert.
      J’ai tout mis de côté pour mes arrières, arrières petits enfants, mes filles savent que mon travail de mémoire n’est pas pour moi…

  5. Waoooh quelle note!!
    C’est vrai que les mômes ou ados ont du mal à réaliser que cette guerre, c’est pas si loin…

    Zut, j’arrive un peu tard pour l’anniv…j’suppose qu’il n’y a plus rien à boire?

    Bon, je lève quand même mon verre à ta santé, à ton blog et à tous ces soldats qui nous ont sauvés!!

    (et arrête de dire que tu t’sens vielle!!, non mais ho, t’as pas fait 14-18 quand même!!);-)

    1. Ah ce débarquement, il en aura fait couler du sang, des larmes, et de l’encre !
      Sinon, je ne me sens pas vieille, mais je mesure le temps qui passe…
      Et merci pour le verre virtuel !

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