Promenade solitaire

Fort_La_Latte_1915219Je suis partie comme ça, sur un coup de tête après un bref coup de téléphone. J’ai pris 1 H pour préparer mon sac, ce qu’il fallait pour le chat pour deux jours en eau et en croquettes, et j’ai filé, telle une voleuse, sans prévenir personne. J’ai juste précisé à ceux qui pouvaient attendre ma visite que j’étais en plein remaniement de mon appartement (déjà) et qu’on me reverrait le lundi… En rajoutant en plus que mon fixe merdait un peu, oh la menteuse ! (le portable restait rare)

Je suis partie après avoir réservé où il le fallait, le coeur battant, avec Titine, vers la Bretagne de mon enfance. D’ailleurs c’est aussi la Bretagne de certains de mes ancêtres, ne pas se demander pourquoi ma méchante a du goémon dans les narines : ça lui vient des deux  côtés… Delphine ne semble pas souffrir de ce syndrome, gendre n° 2 étant juste breton.

Je suis arrivée, il faisait encore grand jour, dans le village où nous avons passé tant de mois de juillet. Je revoyais l’ilet qui faisait le paysage si joli. Je revoyais ma découverte de cet endroit. J’avais 10 ans… L’odeur de la mer est là mais…Saloperie de mer, traitresse ! je viens pour la voir et c’est marée basse, dans la baie de St Mâlo où les marées sont les plus fortes. L’ilet est bien sûr abordable, il faut faire des km pour que les vagues clapotent sur les bottes ou les pieds nus. Son nom de l’ilet vient du fait que ce n’est une île qu’à marée haute. Je pars vers l’endroit où j’ai réservé en catastrophe.

J’espère ne pas y retrouver trop de souvenirs d’avec Albert qui m’y a emmenée alors que Delphine était en début de préparation. Je retrouve l’auberge telle que je l’ai vue il y a maintenant si longtemps. Il n’y a pas d’hortensias en fleurs c’est trop tôt. J’entends juste la mer se fracassant non loin, je devine le fort La latte que je verrai demain.

J’ai l’impression d’être chez moi dans cette chambre que l’on m’offre (contre rétribution tout de même). Comme une sérénité étrange qui m’enveloppe et que je veux maintenant retrouver.

Cela me fait drôle d’être une femme seule dans cet hôtel où il n’y a finalement personne de visible. Pas d’inconnu solitaire, pas de rencontre prévisible, comme dans les livres. Juste l’impression d’être chez moi. On me gâte pour la soupe de poissons, les galettes de sarrasin si délicieuses, le cidre, le coup de calva, la discussion devant la cheminée. J’avoue ma déception devant la marée basse, on m’assure qu’elle sera haute demain samedi à telles heures, comme si je n’avais pas pu le deviner… Mais il est important pour moi de savoir à quelle heure je dois être où j’ai trop de souvenirs…

Le lendemain, j’ai juste à emprunter à pied un chemin qui jadis était ouvert aux voitures et j’arrive à la pointe du cap Fréhel. Là je ne suis plus seule : mon grand père, le prisonnier, l’amoureux des oiseaux est avec moi. J’avais eu une chance folle d’après lui qui allait espionner les oiseaux, la première fois où il m’a emmenée avec lui, j’étais tombée sur un couple de goélands marins.

Là je l’entends encore me décrire leur vol plus lent que celui des autres goélands, leur envergure, leur couleur marine, sa certitude que ce ne sont pas des goélands comme les autres, son amour pour eux et pour les autres oiseaux. Je scrute, je regarde, je l’écoute. Je me pose quelque part dans la lande avec mes souvenirs, et j’admire les albatros et les cormorans… Ce cap Fréhel, que de souvenirs que je ne partagerai jamais avec les filles… J’ai raté ça, je m’en veux… Dans un nuage, le prisonnier me fait un petit sourire…

Il me faut partir pour revoir le village de mes vacances à marée haute, non loin d’ici. Il est là, la marée est bien présente, c’est comme si j’étais la seule à avoir changé… Je revois mon premier regard sur cette plage, et remontant dire en courant à mes parents à quel point c’était magnifique… Ils avaient 30 ans, moi 10, comment le temps a-t-il pu s’écouler aussi vite ? Je profite de la vague la plus haute, la dernière, avant la redescente qui suit une stagnation trompeuse que je n’ai pas le temps de regarder se faire : 6 heures à voir la mer partir…

St Mâlo maintenant, la cité corsaire où j’ai eu une ancêtre dont un fils est mort sur le « pourquoi pas ». A voir de loin là où elle est la plus belle, car quand j’arrive après de multiples arrêts, la marée va vraiment vers le bas. J’aime l’esprit de cette cité qui, sommée de choisir de qui dépendre entre le duc de Bretagne et le roi de France, préféra obéir « de loin plutôt que de près », et choisit le roi. Intra muros c’est assez décevant, et j’aime faire les remparts quand la marée s’apparente à la tempête ou est tout bêtement haute. Je regarde ma cité corsaire, dont j’ai peine à croire qu’elle sera cernée dans quelques heures par la mer, et je repars en arrière, la tête pleine de souvenirs. Je veux revoir Dinan et y manger une crêpe au beurre de crabe + une au sucre et beurre salé, flâner dans la vieille ville moyen-âgeuse. J’ai l’impression que tout le monde est là avec moi, j’ai 10 ans, personne n’est mort… Retour avec passage obligatoire par le fort La latte que je visite pour la 32ème fois, avec toujours autant de plaisir. Le guide a changé mais pas son discours. Je me souviens de la première fois, comme je me barbais, en regardant le guide qui ressemblait au frère de Mrs Tricot… C’est loin, c’est là, c’est hier, c’est le passé, c’est le futur d’autres.

L’aubergiste m’attend, avec inquiétude. Je ne suis pas rentrée déjeuner. Il a eu peur que descendant voir la mer de trop près, je ne sois tombée dedans. Pas grave me dit-il, il me défalquera le déjeuner de la note, pas besoin de se battre, alors qu’il avait dû le préparer ce déjeuner. Il m’intime l’ordre de retourner voir les oiseaux à la pointe du cap et de revenir pour le dîner. Il m’attend. Du coup quand je reviens…

Je lui raconte ma ballade le long de la côte d’émeraude, la cité corsaire d’un de mes ancêtres, le « pourquoi pas », la côte d’une autre ancêtre qui venait de St Briac, mes vacances d’encore petite fille. Pour lui je suis une « payse », une enfant de la marée inéluctable, à qui il paye un coup de calva à tomber raide sur la table quand on a le ventre vide. Comme apéritif on fait mieux… Peut-être sent-il mon vague à l’âme qui ne veut pas vraiment percer, et c’est sans doute sa manière à lui de me donner de la chaleur.

Le soir, je suis la seule cliente, alors nous allons dîner ensemble si cela ne me choque pas. Non, j’en suis ravie. Devant les crustacés (araignées de mer, crabes, crevettes), les coquillages rassemblés, le « à trop manger », j’ai les yeux qui s’écarquillent un peu, d’autant qu’il y a la soupe de poissons avant tout. Et là j’écoute, devant la cheminée plein pot, entendant la marée qui monte à nouveau, l’histoire de la cité corsaire, de la Bretagne. Je suis toute fière de placer ce que je sais sur cette Bretagne que je connais mieux que je ne le crois. Ce que j’en sais surtout, c’est qu’elle coule un peu dans mes veines. Nous rions tous les trois de notre entêtement breton, de notre goût pour le beurre salé, de notre attirance pour la mer. Je chantonne « dodo petite Maryvonne » que m’a trop chanté Mrs Morgan qui je le découvre ce jour là, avait aussi des ancêtres bretons. Il va chercher sa guitare pour des chansons de corsaires et de mer. Elle fracasse la roche en dessous de nous, elle aura gain de cause un jour, c’est une tueuse d’homme, la mère de l’attente, cette mer qui a pour nous une âme… Nous sommes trois à nous en moquer de la mer tout à coup : quand l’auberge s’écroulera dedans, nous n’aurons plus mal aux os. D’un autre côté cette idée nous attriste tout de même : on peut chanter la vie et la mer un soir et ne plus être un jour ? Le ressac incessant parlera-t-il de nous ?

Quand je suis repartie le lendemain, après être retournée regarder les oiseaux tournoyer autour du cap en écoutant mon grand-père, j’ai eu droit à des galettes à faire chauffer avec du beurre salé dont on m’a donné ce qu’il fallait (1 kg), un gros crabe à faire cuire qui s’est baladé dans la voiture (pauvre bête), et des yeux mouillés en sus de l’eau de mer pour faire cuire la pauvre bête. Un prix dérisoire à régler en plus. Je suis partie tôt pour éviter les embouteillages du dimanche soir, pour ne pas retourner voir l’ilet à marée haute avec un petit décalage par rapport à la veille. Je voulais garder mon arrivée, mon samedi, pour moi, sans rien pour déranger mes souvenirs.

J’y ai laissé mes souvenirs et les leurs… Seront-ils encore là quand je voudrais y retourner ?

Mon escapade bretonne restée secrète jusqu’à ce jour où je vous la livre. Comme quoi un blog… (les filles étaient chez leur père et mes parents je ne sais plus du coup, ça aidait à faire ce que je voulais, d’un autre côté si je m’étais tuée chez moi, on aurait mis 15 jours à s’en apercevoir…) (oui je sais, j’ai un côté négatif…).

Je pense qu’un jour je vais me refaire la côté d’émeraude et mes souvenirs, pour y puiser plein de forces… Et essayer d’y retrouver des cousins quelque part à moi, puisque j’étais tout à coup une « payse »… Que quelque part, nous sommes tout de même vraiment bretons…

Et ce n’est peut-être pas pour rien que je dis que la vie n’est qu’un long calvaire (breton)

14 réponses sur “Promenade solitaire”

  1. Tu la racontes tellement bien ta Bretagne que j’ai tout vu de ta ballade alors que je n’y suis jamais allée,merci,tu m’as donné envie d’aller m’y perdre dans ce coin qui a l’air si beau.

  2. Quel joli souvenir ! C’est génial d’avoir fait ça seule, sur un coup de tête ! Et l’aubergiste a l’air vraiment gentil ! Ca pourrait presque faire le début d’un roman, où l’héroïne s’installe pour vivre dans le coin, pour oublier son passé !

    1. Cela ferait très « Agatha Christie », l’héroïne et son passé secret, dans la lande Bretonne, ou les pieds dans l’eau froide, à rêvasser…

  3. Des nostalgiques comme toi, il n’y en a pas deux.
    Je connais ces lieux, comme que tu as évoqué. J’y retournerai bien moi aussi.

  4. Je suis une petite bretonne, et lorsque ça ne va pas, c’est toujours vers la mer que je tourne mes pas…
    Et si tu venais cet été visiter encore une fois le fort la latte, c’est peut-être une amie à moi qui te servirait de guide…

  5. Jolie promenade au pays des souvenirs et de la nostalgie Sorcière, la Bretagne est magique, ce n’est pas moi qui dirai le contraire.

    Moi c’est la pointe de Quiberon qui me rappelle à elle quand j’ai le vague à l’âme, et la côte sauvage et ses lames me nettoient la tête, et le coeur.

    1. Hélas pour cette partie de la Bretagne, j’étais petite, je n’y ai que peu de souvenirs. Mais j’ai bien en tête d’y aller un jour. Il y a quelque chose en Bretagne qui fait que…

  6. Tu en parles tellement bien de la Bretagne, ça me donnedes frissons. Mais tu as raison, on ne se rend compte de ce qu’on perd en la quittant que lorsqu’on ne voit plus la mer tous les jours si on le veut, on ne se rend compte de son atmosphère particulière que lorsqu’on est bloqué dans les transports parisiens (dans mon cas en tout cas).
    Merci, ça fait du bien.

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