Madame…

veuveQuand j’ai appris la mort de votre époux madame, j’ai eu vraiment un serrement au coeur et des larmes sincères me sont montées aux yeux et à la gorge.

Car madame, vous êtes la maman d’un copain de classe de Pulchérie, de ma génération quoi. Vous êtes la première « de mon âge » à ma connaissance, à avoir vu « partir » son époux.

J’ai compris soudain, certains silences de mes parents évoquant trop d’amis désormais disparus, et je me suis révoltée tout à coup contre tant d’injustice, mais bien sûr, pas autant que vous…

Le jour ultime, je n’ai pas voulu vous déranger, alors que vos yeux noirs et noyés de larmes regardaient sans cesse le cercueil que l’on allait vous enlever pour aller en incinérer le contenu loin de vous, car vous ne pouviez pas, non, vous ne pouviez pas l’accompagner jusqu’à la vraie fin…

Le jour ultime, je n’ai pas voulu vous déranger, alors que chacun venait vous embrasser pour vous souhaiter bon courage. Chacun venait vous demander de montrer du courage, alors que le courage, et bien, souvent, on n’a pas d’autre choix que de le laisser en route, quelque part, ailleurs, dans un autre temps.

Je vous ai vue sortir de l’église, votre fils vous serrant contre lui, essayant de vous insuffler une force qu’il n’avait pas. Lui je suis allée le voir, et vos filles aussi. Elles ont un petit peu pleuré dans mes bras, parce que de toutes manières, elles pleuraient. Elles ont tout de même voulu me sourire au travers leurs larmes, pour me remercier d’être là, et finalement de ne rien leur dire.

Que dire ?

Votre fils a bien voulu être un homme moderne et montrer ses larmes en pleurant aussi dans mes bras, avec ces sanglots insupportables des hommes qui veulent être forts.

En le voyant, adulte, j’ai songé un bref instant à la photo de classe sur laquelle il figure avec Pulchérie, alors qu’ils sont si souriants, TOUS, et je me suis dit que dieu merci nous ne savons pas à l’avance.

Je ne lui évoquais sans doute que l’époque où il se crêpait le chignon avec ma fille aînée, en faisant assaut de jolies phrases et de l’humour mordant que découvre le pré-adolescent. L’époque où il était encore un petit garçon et qu’il ne savait pas.

De toute évidence, vous n’aviez qu’une envie : aller vous répandre quelque part, loin de tout le monde et de la foule qui voulait vous saluer en ce jour gris et pluvieux, à la hauteur de vos pensées, si vous pensiez encore…

Seule l’armée française fortement représentée, s’est totalement abstenue de venir vous serrer la main et prononcer des phrases qui ne servent à rien. Cela m’a réconciliée avec elle, et je me suis demandé pourquoi je lui en avais voulu un jour, de je ne sais quoi…

Je préférais vous rencontrer « par hasard » madame, au détour de vos habitudes, de votre descente à la boulangerie, de votre promenade quotidienne. Mais je n’ai croisé à chaque fois « par hasard » qu’une femme au regard noir perdu dans le vague, ne sachant plus certainement qui elle était, semblant frôler les murs en s’excusant de vivre encore.

Votre douleur madame, me semblait devoir être sans amertume. Il ne vous a pas quittée pour une autre, il ne vous a pas trahie. Mais c’est mon point de vue et je ne regrette pas de ne pas vous l’avoir exposé.

Ce sont la vie, les destins, la grande faucheuse qui vous ont trahis tous les deux, vous qui étiez l’apparence et certainement la réalité du bonheur d’un couple. Alors oui, sans doute êtes-vous amère, même sans trahison de sa part à lui…

Vous êtes la représentation même, madame, du fait qu’il y a toujours de l’amertume, de l’injustice, de la révolte, du chagrin, quel qu’il soit… Et en plus du reste, il faudrait être digne et courageux…

C’est inhumain.

J’attendais un jour un sourire timide de votre part, pour vous demander de vos nouvelles. Et puis aussi, pour ne pas vous présenter mes très sincères condoléances tout en le faisant malgré tout, parce que je sais que rien n’est pire que ceux qui font semblant de ne pas… sous prétexte qu’ils pensent risquer de parler au moment où vous n’y pensez pas, alors que vous y pensez à chaque instant, à chaque minute, même dans la nuit noire où vous vous sentez désormais si seule.

Parce que le silence soi-disant respectueux de votre douleur, emporte encore plus le défunt dans l’oubli, la terre ou les flammes… Parce que quel que soit le disparu, en parler ne fait pas plus de mal que son absence jour après jour, mais peut être un baume qui brûle, mais un baume tout de même.

Savoir que nous aussi nous pensons à lui, moins souvent certes, que vous, mais tout de même, ne peut qu’ôter un peu d’amertume, un bref instant, à l’injustice qui vous a frappée de plein fouet.

Vous m’avez parlé de lui, quand j’ai vu que je pouvais  me permettre de vous demander de vos nouvelle, et vous l’avez fait avec un véritable soulagement.

J’ai attendu parce que je sais qu’il ne sert à rien d’évoquer la pluie et le beau temps, le printemps tardif, l’hiver qui a trop duré ou qui s’annonce, alors que quelque part, on s’adresse à une personne qui est entrée dans la nuit…

Un jour enfin, le jour se lève…

Vous donniez l’impression d’accepter enfin que le monde tourne sans lui.

Madame… Vous avez eu un sourire… Noyé de larmes certes, mais un sourire…

Et désormais l’envie de raconter vos souvenirs…

27 réponses sur “Madame…”

  1. … Je suis sans mots devant un texte si puissant et rempli d’émotions, cela fait vraiment vibrer tous les fibres de mon corps, mais je ne sais que dire d’autre …

  2. Madame,

    Je ne laisse jamais de commentaire mais en lisant ces mots j’ai pensé à ma mère quand il ya maintenat bientôt 4 ans mon papa est décédé.J’ai repensé à cette douleur que vous avez su si bien retranscrire,à cette perte intolérable.Aujourd’hui ma mère a accepté comme vous dites que le monde tourne sans « lui »,l’homme de sa vie,mon père et permettez-moi de profiter de la tribune que vous m’offrez pour dire que ma mère est la femme la plus courageuse que je connaisse et que grâce à elle mon père n’est jamais tombé dans l’oubli.

  3. Ton texte me touche beaucoup,j’ai perdu deux amis il y a peu de temps et j’ai ressenti tout ce que tu décris vis à vis de leurs femmes .

  4. IL faudrait, aussi, lui laisser le TEMPS de vivre, à cette douleur d’avoir perdu un être cher.

    Trop souvent, après 6 mois, après un an, on te demande comment ça se fait, quand même, que tu ne te sois pas secouée, parce que la vie continue ma brave dame, regardez les autres, ils ne se laissent pas abattre, eux.

    Tu peux mettre des années à « faire ton deuil », petit à petit. Et ça aide d’avoir des gens comme toi, autour, qui respectent et savent se passer de platitudes éculées qui tombent toujours au si mauvais moment.

    Parfois le silence, ça fait du bien.

    1. Tout le monde est toujours pressé que les autres se remettent, comme tu le dis si bien.
      Nous sommes tous différents, à chacun son temps. Certains ne se remettent jamais.
      Alors les platitudes, on se les garde 🙂

  5. J’espère que tu lui as envoyé !
    Je viens de perdre une de mes voisines, un peu plus âgée que moi, de grands enfants. J’ai écrit une belle lettre à son mari, c’est le seul cas où j’écris la lettre à la main (lettre de condoléances).
    Je sais que ce n’est pas facile à faire, mais ma mère a gardé précieusement toutes les lettres de condoléances qui évoquent le souvenir du cher disparu !
    Félicitations pour ce beau texte !

    1. Faire une lettre de condoléances, ou tout au moins de témoignage de sympathie, n’est jamais facile, surtout si l’on veut éviter justement, les platitudes habituelles.
      Pour certains, comme ta mère, c’est précieux, cela se garde…
      Difficile parfois, de savoir quoi faire…

  6. Tout comme Louisianne, je trouve qu’une telle lettre (ou en tout cas une partie) devrait être lue par celle qui te l’a inspirée alors j’espère moi aussi que tu lui as envoyé ce très beau texte.

  7. <3

    ça m’a foutu le cafard. Je me suis revue à l’enterrement de mon tout premier boyfriend cet été, 23ans et déjà dans la tombe.
    C’était affreux.
    Le moment où j’ai commencé à m’effondrer c’est lorsque on attendait devant l’église, on était nombreux mais pas tant que ça et le cortège est arrivé, son papa pleurait et nous chuchotait « merci, merci, merci d’être là ».

    Il faut parfois se taire, parfois pas. J’ai une amie qui ne supportait pas qu’on ne lui en parle pas (elle a perdu sa maman l’an dernier), elle comprenait que les gens étaient mal à l’aise et n’osait pas lui demander comment elle allait, comment elle le vivait mais d’un autre côté elle était vraiment très en colère que finalement, tout le monde se mure dans un silence impossible.

    Tu devrais lui envoyer ta lettre, ou un mot peut-être plus « soft », évidemment elle risque de pleurer, mais finalement cette attention lui fera sûrement bien plaisir, plus plaisir qu’un silence ♥

  8. Je pense que se taire est finalement le pire.
    Elle a semblé tellement heureuse de voir que je ne faisais pas comme si que…
    C’est important !
    Merci en tout cas pour ton gentil et triste (hélas) commentaire…

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