La table basse du salon…

DisputePour ceux qui ont suivi en son temps cette histoire, papa s’est retrouvé avec un méchant microbe dans le genou en 2011, qui l’a laissé vivant, mais lui a permis de passer 6 semaines en réanimation (rapport à un antibiotique qui lui avait niqué les reins) + 2 mois de maison de rééducation pour quasi réapprendre à marcher.

Il a gardé des séquelles assez graves niveau genou, et comme le dos ce n’est pas cela non plus (on remercie l’hérédité au passage, surtout moi qui tient beaucoup de papa), il a tellement peu marché depuis 2011 qu’un beau jour montrant ses jambes au médecin, il lui a précisé « on dirait les pattes d’un rouge gorge » et que le médecin horrifié mais n’osant pas le montrer ils prennent des cours spéciaux « je reste flegmatique » lui a prescrit des séances de rééducation.

Qui sont faites 3 fois la semaine à domicile par un kiné costaud et sympa. Je précise « costaud », car il faire faire à Jean-Poirotte des exercices assez dangereux parfois, et qu’il est le seul à pouvoir l’empêcher de choir comme une bouse. D’où le fait que quand mon père a envie de faire des exercices tout seul en me demandant de l’assurer, je refuse tout net…

Ma mère on n’en parle pas, d’autant qu’elle a elle, le dos et une épaule en vrac, et qu’on ne va pas disséquer avec de la psycho de comptoir pour savoir pourquoi elle en a plein le dos et une épaule qui n’en peut plus.

Comme je vais prendre tous les jours le thé avec maman, je suis mise à contribution pour pas mal de choses qu’ils ne peuvent plus faire sans aide réellement, mais sans oser vraiment le dire, alors j’essaye avec délicatesse de devancer l’appel.

C’est ainsi que :

  • J’ai descendu la ou les poubelles
  • Je les ai remontées
  • J’ai remis tout en haut dans un placard, la saucière descendue la veille au soir (avec maman montant sur une chaise, j’en frémis rétrospectivement d’horreur et pourquoi ont-ils besoin d’une saucière datant de 1850 pour une simple vinaigrette à l’échalote !!!)
  • Je suis désormais la seule à descendre à l’avance, du haut d’un placard toujours, le gros faitout donc elle aura besoin le lendemain, et à le ranger après lavage
  • Etc… Il est inimaginable tout ce qu’il peut y avoir en hauteur dans une maison de 200 m2…
  • Parfois ON m’attend, parce que là, on ne peut pas faire autrement que de demander et moi aussi parfois, j’en ai plein le dos…

L’autre fois papa avait besoin de deux nouveaux joggings, les deux vieux étant vraiment vieux, et maman pour ne plus les lui voir sur le dos, les ayant découpés en rondelles avec des ciseaux, avec un évident plaisir sadique, en ricanant « comme ça je ne les verrais plus » (là elle n’avait plus mal à la main) pour en faire des chiffons à poussière («  »à ranger s’il te plait ma chérie dans le carton en haut du meuble de gauche de l’arrière cuisine, tu seras gentille ») il avait bien fallu aller en racheter deux (des joggings, parce que pour les chiffons à poussières, 3 générations n’y suffiront pas).

Jean-Poirotte s’est donc retrouvé avec deux joggings neufs, mais dont les pantalons étaient trop longs, malgré son 1,80 m.

Ayant sorti la veille la machine à coudre de l’armoire normande familiale (150 ans d’âge, l’armoire, pas la machine), et la dite machine n’étant pas recouverte de sa housse pour que je la range (elle est très lourde, et l’épaule de maman, blabla…), il y avait de l’ourlet dans l’air.

Cela n’a pas loupé.

Au moment où j’enfilais mon gilet et prenais mon sac pour repartir sur le coup de 16 H comme à l’ordinaire, quand je sais que rien d’urgent ne sera plus à faire qu’ils ne peuvent pas faire :

  • Mon père déclare « Bibelot, tu penseras à mes ourlets » ce qui signifie pour quelqu’un qui le connait bien, que si ce n’est pas fait dans la demie heure qui suit, il va en perdre l’appétit et le sommeil, parce que quand il veut, c’est comme quand il ne veut pas, ça urge OU PAS…(quand pour lui c’est je ne veux pas, vous, vous pouvez toujours attendre…)
  • « Ah oui mon chéri pas de soucis, je prends mes épingles et j’arrive »
  • Elle va prendre ses épingles dans sa « travailleuse » « couturière » ou « meuble à ouvrage » vous avez le choix
  • Et je vois mon père d’un pas ferme, mais avec une béquille, se diriger vers le salon, suivi par son trésor adoré depuis quasi 60 ans… J’ai un doute affreux (et non, je n’aurais pas pu avoir ce doute affreux plus tôt, dans quoi est-ce ???)
  • « Qu’est-ce que tu fais papa ? »
  • « Il faut bien que je monte sur la table basse pour que ta mère me fasse l’arrondi de mes pantalons : TU AS DE CES QUESTIONS STUPIDES PARFOIS !!!

Alors là, vu la position de la table basse, juste à côté de la cheminée qui est surélevée, donc avec un rebord bien tranchant en brique, j’ai eu plusieurs visions d’horreur.

  • Mon père s’écroulant en montant sur la table. Il se fracasse le crâne sur le rebord de la cheminée.
  • Ma mère me passe un coup de téléphone devenu habituel « ton père étouffe, ne va pas bien du tout, s’est ouvert le crâne, le SAMU c’est bien le 15 ? »
  • Je réponds que oui, et que j’arrive.
  • Mon père montant sur la table, mais perdant l’équilibre et s’écroulant sur ma mère  en train de faire l’arrondi des ourlets, et je ne vous raconte même pas le carnage que je trouve en arrivant le lendemain (un mort qui s’est fracassé le crâne sur le buffet qui est également juste à côté de la table + ma mère écrabouillée j’ai un peu de mal à visualiser vraiment)

Là, mon sang n’a fait qu’un tour :

  • Mais enfin papa ça ne va pas bien ???? Tu ne vas pas monter sur cette table avec tes genoux dans l’état où ils sont, tu es complètement fou !!!
  • Ma mère, les épingles déjà dans la bouche (à avaler quand papa s’écroulera sur elle pour bien corser l’histoire sanglante) : « mais enfin ma chérie, il faut bien que je fasse l’arrondi, et je déteste me mettre à genoux pour faire cela !
  • Mon père faisant de l’humour : « je voudrais bien monter sans mes genoux, mais tu m’expliqueras comment faire« …
  • Maman ! Ce n’est pas comme si j’étais là, comme si je pouvais faire l’arrondi moi-même ! (mou dubitative des deux). Ce n’est pas comme s’il y avait un escalier avec une rampe. Il n’a qu’à monter 3 ou 4 marches, et tu pourras faire l’arrondi toi-même tranquillement !
  • Ah oui, ce n’est pas bête on n’y avait pas pensé !

Donc ils l’ont fait. Papa est monté aisément dans l’escalier, et après ils se sont simplement boutiqués comme de coutume, parce qu’il ne se tenait pas tranquille, qu’il n’avait qu’à se retourner, mais pas autant, qu’il s’était retourné et pas tant que ça, qu’elle était de mauvaise foi, et lui donc ! Mais cela c’est inodore, incolore quoique non sans saveur pour le témoin…

Je suis rentrée chez moi après la délicate mise au point des arrondis des pantalons, avec 5 points de tension en plus. A 5 minutes près, il montait sur la table basse (et au mieux on m’aurait appelée pour que je l’aide à redescendre, j’ai bien dit « au mieux »).

La table basse, ils n’ont pas fini d’en entendre parler. Parce qu’à chaque truc à faire, ma soeur ou moi suggérons à ma mère d’amener la table basse là, dans la cour ou dans le jardin, papa n’aura qu’à monter dessus pour s’occuper de scier les branches ou d’arracher ce qui pendouille. S’il y a une ampoule à changer, on prend la table basse on met une chaise dessus et papa fera aisément l’escalade.

Je sais qu’il doit être extrêmement difficile de se sentir vieillir, de se sentir devenir incapable de faire ce que l’on faisait jadis sans y songer, bref, je sais…

Mais je sais aussi que la vie n’est qu’un long calvaire.

D’ailleurs pour que ma mère ou pire, mon père, ne descendent plus à la cave dont l’escalier est super dangereux, même pour des jeunes bien souples (nous nous y sommes tous cassé la gueule un jour ou l’autre au temps de nos folles jeunesses, et gendre n° 2 se tient au mur en se demandant pourquoi on n’a pas mis une rampe dans cet escalier de merde dont aucune marche ne fait la même hauteur, et qui penchent toutes dans un sens ou un autre…), j’ai, un jour de rage d’avoir retrouvé ma mère avec une écorchure magnifique parce qu’elle avait manqué se tuer de très peu, décroché l’ampoule qui éclaire la dite cave et sa dangereuse descente, ampoule que j’ai planquée dans un endroit secret (avec le saint Graal…)

Et comme elle a essayé tout de même de changer l’ampoule (sans l’aide de la table basse et de mon père !), j’ai passé deux heures un jour en leur absence à trouver LE fusible qui fait que désormais la cave est considérée comme non éclairée parce que les électriciens sont tous des bons à rien (manque de bol une des lampes extérieures dépendait du même fusible, mais on s’en passe très bien de celle-là), et qu’avec juste une lampe de poche, et bien, ils ont renoncé à prendre le dangereux chemin des bouteilles de champagne et du clos Vougeot en cas de réception… C’est moi qui m’y colle, mais ça, c’est mon problème…

10 réponses sur “La table basse du salon…”

  1. Elle doit être drôlement solide cette table basse ! Si je montais sur la mienne, je n’en mourrais peût-être pas mais elle n’y survivrait pas !
    Cela dit mes parents avaient une table basse très solide, et nous montions dessus quand nous étions petits pour les ourlets !

  2. Houla, comme ça me rapppelle des souvenirs, tout ça! (et comme je te comprends).
    Il y a peu, ma mère: 63 ans, une santé fragile à base de souffle au coeur, de rhumatismes, d’hypertension, et par moment, tête de mule puissance 15. Elle découvre soudain qu’il y a une trace d’humidité sur son plafond. Qu’à cela ne tienne, elle a l’idée géniale de placer une bassine sous la fuite en attendant de faire réparer. Aucun problème, elle va monter toute seule et elle-même dans le grenier qui n’a pas de plancher (juste la charpente et l’isolant). Il n’y a aucun souci, elle va aussi monter une grosse planche épaisse pour pouvoir s’appuyer sans passer au travers de la charpente. Puis elle va tellement gérer grave la situation qu’elle va poser sa bassine et redescendre sans aucun souci.
    Evidemment, quand elle m’a annoncé ça, j’ai pété les plombs (et je me suis faite engueulée parce que je m’énerve pour un rien il paraît). Mais j’ai tellement gueulé qu’elle a au moins accepté d’attendre que je sois là pour lui tenir l’échelle. Et finalement je suis montée à sa place, je me suis tapé le charriage de la planche, le numéro d’équilibriste et le placement de la bassine. D’après mes habiles calculs, elle aurait pu se tuer si elle ne m’avait pas laissée faire.
    Et après, j’ai eu droit à « oh c’était trop gentil mais tu n’es pas obligée, j’aurais pu me débrouiller… ».
    Raaaah.

  3. Ma mère préférait les tabourets… pendant des années je l’ai vue monter là-dessus, heureusement sans accident, pourtant elle avait un escabeau alu de 6 marches bien accessible.
    Puis est arrivé le jour où j’ai pensé qu’à son âge (près de 70 ans mais on lui donnait 10 ans de moins…) il valait quand même mieux essayer une autre solution, et je lui ai acheté un autre escabeau, de deux marches celui-là (de la même hauteur que le tabouret donc), plus léger, qu’elle pouvait transporter sans problème…
    J’avais la conscience tranquille, malheur à moi… car un jour en arrivant je l’ai vue se frotter le coude… elle m’a avoué qu’elle continuait à utiliser le tabouret, plus proche que l’escabeau, même à l’endroit où la cour était en pente… et s’était évidemment cassé la figure… rien d’autre heureusement, que des bleus, mais je n’ose pas imaginer ce qui aurait pu arriver !
    Elle avait la tête dure, comme tous dans la famille d’ailleurs, mais même si ce n’était pas facile j’aimerais pouvoir encore m’inquiéter pour elle…

  4. Louisianne : oui la table basse est solide, mais ce n’est pas une raison pour monter dessus (même moi pour mes arrondis, une fois l’an, je fais gaffe), à 75 ans, avec un genou en Louis XV !

  5. Charlotte : histoire que mes parents pourraient très bien goupiller en cas de besoin ! L’autre fois c’était ma mère qui voulait nettoyer une gouttière qui n’est jamais qu’à 7 mètres mais « je n’ai pas le vertige sur la grande échelle »….
    Raaaah comme tu le dis si bien !

  6. Gisèle : pas de tabouret, il y a deux escabeaux, un de trois marches et l’autre de six. Mais quand il y a une ampoule à changer, ma mère préfère monter sur une chaise, puis sur la table (c’est toujours une ampoule de la cuisine, la même, qui lâche). Comme le dit ma soeur « ce n’est pas comme si quelqu’un passait tous les jours »… (moi en l’occurence) ou pouvait se déplacer sur demande…

  7. Franchement, qu’est-ce que c’est, sept mètres, tu aurais tort de t’inquiéter pour si peu. Allons allons.
    (quand je dis à ma mère qu’elle va me faire avoir des cheveux blancs, elle rit, cette perfide).

  8. Il y a quelques semaines notre voisine du R de Ch (92 ans cette année) me dit :  » j’aurais un pt’it service à vous demander….  » là-dessus elle me prie de RANGER son grand escabeau car elle a décroché les deux paires de rideaux de son salon pour les laver ( les plafonds sont très hauts dans les appartements ) en me précisant : l’escabeau est un peu lourd j’ai un peu de mal à le soulever ( mais aucun mal à monter tout en haut NI à lever les deux bras ENSEMBLE en équilibre sur la plus haute marche pour décrocher une par une les attaches des DEUX paires rideaux). Devant mon air courroucé et voyant que j’allais l’eng……..elle ajoute : la dernière fois je l’ai fait toute seule mais comme vous m’aviez recommandé d’être prudente hein…. ben je vous le demande de le RANGER l’escabeau, voyez hein……. un instant je me suis demandé si elle se fichait de moi, mais non. J’insiste pour l’aider à raccrocher les rideaux une fois lavés: réponse « on verra…je vais pas TOUT LE TEMPS » vous déranger quand même….. » finalement je l’ai rappelé dès que j’ai entendu le bruit de l’essorage de sa machine :elle a fini par accepter en me précisant toutefois  » comme j’ai lavé mes carreaux avant hier ( toujours en haut de l’escabeau ) fallait que je lave aussi les rideaux, vous n’allez pas m’engueuler, ça fait 65 ans que je fais ça alors hein….. 🙂

  9. Charlotte : oui vraiment, pour 7 mètres, je chipote un peu…
    Même moi je n’y monte pas, et les jardiniers qui le font deux fois l’an ne viennent jamais au moment fatidique.
    Mais je ne peux pas confirquer l’échelle…

  10. Cathy : tous les mêmes décidément ! J’avais déjà raconté le raccrochage URGENT des rideaux d’une fenêtre de cuisine avec un chaudron bouillant de confitures juste en dessous, là aussi j’avais crisé…

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