La dame rose du train… (histoire de fantôme) (2)

Fantôme

Il faut bien visualiser le train pour comprendre ce qu’il va se passer. Nous nous sommes installées dans le deuxième wagon à l’étage inférieur (je déteste l’étage supérieur), à peu près au milieu, du côté droit, moi le long de la vitre dans le sens de la marche, elle en face de moi, sur le siège du milieu pour mieux s’avachir sur son sac posé à sa gauche (en tatie indigne je lui ai fait le laïus obligatoire sur le comment ne rien se faire piquer dans son sac).

Je suis vêtue d’un legging noir, de chaussures de couleur noire, conforts, j’ai la coiffure en pétard implosé et surtout une veste imperméable en tissu doux, non brillant, couleur vieux rose, alors que la petite fée a endossé l’uniforme des ados actuelles (je la vois souvent en plusieurs exemplaires dans la rue, c’était pareil jadis avec mes filles, je les voyais sortir 200 fois du lycée quand j’avais l’occasion d’aller les y chercher) et porte un gros sac que je vais en voir 30 pareils pendant le voyage…

A cette heure là, pas grand monde, sauf à partir de Trappes, où j’ai senti la gosse se crisper un peu : pourvu qu’il n’y ait pas de loubards dans le train tout à coup.

Pas de loubards, mais soudain, après une autre affluence de passagers à St Quentin, un gars est passé dans le wagon, en demandant à tout le monde, soit une pièce de « 1 euro seulement » soit une cigarette.

La petite fée s’est crispée à l’idée de devoir dire « non » (ce qu’elle n’oserait pas faire), mais l’homme a tout de suite compris que nous étions ensemble vu le regard de la « petite » (1,70 mètres minimum) vers moi :

  • Une petite pièce madame ? Un petit Euro ?
  • Non
  • Une cigarette peut-être ?
  • Non plus
  • Et votre fille ?
  • « Ma fille » me regarde intimidée (on dirait moi à son âge), mais je réponds « non, non plus » et il passe à la rangée suivante, après avoir bougonné de manière assez impolie sur les « rats qui peuplent ce con de train » comme il le fait depuis qu’il parcourt le train (j’imagine qu’il le fait depuis le dernier wagon d’où il a dû partir, mais là, j’extrapole).

Nous arrivons à Montparnasse, et je montre à la petite fée, un endroit mythique pour moi. Quand sa mère était petite, 8/10 ans, je l’emmenais de temps en temps à Paris quand j’allais faire du shopping (oui, à une époque je faisais du shopping), elle racontait tout ce que j’avais acheté à ma mère au retour, adorait m’accompagner, sauf quand nous arrivions à la hauteur de « ouest ceinture » (gare fermée depuis) où des immeubles habités bordent la voie ferrée. A chaque fois, à l’aller comme au retour, elle me disait « mon dieu, je n’aimerais pas habiter là, ça doit être affreux d’habiter là »…

Fin de l’histoire. Comme nous descendons du train, Delphine m’appelle : elle nous rejoint devant les départs/arrivées banlieue.

Le temps de passer, nous guettons Delphine, la petite fée semblant avoir peur que je ne la lâche là. Mais non je ne la laisserai pas là je m’y suis formellement engagée, et d’ailleurs voici la cousiiiiiine, nous nous embrassons, et alors que je scrute les horaires de départ en espérant avoir un petit quart d’heure pour papoter avec ma fille, Delphine me précise « maman tu as un train sur la voie 14, juste là, il part à 35, le suivant sera dans une 1/2 heure ».

Il est 34, je pars en courant, et je monte dans la dernière voiture in extremis.

Je précise qu’il ne s’agit pas du même train, puisque nous sommes arrivée sur la voie 11. Delphine m’appelle pour me demander si j’ai eu mon train vu qu’elle a filé immédiatement après m’avoir vue partir en courant et qu’elle a tout à coup un vieux remord, je lui dit que oui, que j’espère que la petite fée se souvenait de ce que je lui avais dit : que son billet aller pouvait être utilisé une fois pour le métro, mais cause toujours la petite fée avait oublié et Delphine à qui j’en avais parlé également cause toujours.

8 places occupées par une bande de loubards, c’est le petit wagon rez-de-chaussée derrière la cabine conducteur quand on va dans l’autre sens, je monte à l’étage pour rejoindre la première voiture, je descends au rez-de-chaussée, je gagne la deuxième voiture et je m’installe à la même place qu’à l’aller en plein milieu du wagon, côté droit, sens inverse de la marche cette fois, le long de la vitre, dans la même position qu’à l’aller (coude droit sur le rebord de la fenêtre, menton dans la main droite). En face de moi, une jeune femme de type nord africain dont je vais admirer la peau parfaite pendant quasi tout mon voyage, exactement installée comme la petite fée, avachie sur son sac, le même ou tout comme, vêtue du quasi même « uniforme ».

Je regrette fort d’avoir oublié mon livre, oubli que j’avais constaté en montant dans le train à l’aller, la petite fée n’étant pas très causante avec sa vieille tatie de 55 ans à qui elle pourrait lâcher quelques confidences que je pourrais répéter à sa mère (quelle croit, je ne le ferais que si c’était grave), tatie qui aurait donc pu lire.

Et là tout à coup, dans ce wagon nettement plus chargé, j’entends une voix : « avez-vous, s’il vous plaît, un Euro ou éventuellement une cigarette » puis après des dénégations certaines, la réflexion de tout à l’heure (moins d’une heure) sur ces « rats qui peuplent ce con de train » (c’est la faute du train sans doute, si on lui dit « non »).

Cette veste/imper vieux rose précédemment citée, que j’aime bien, mais qui n’est pas du tout « mode », ne peut que se remarquer, et je ne sais quelle esprit malin s’empare de moi tout à coup…

Car l’homme s’arrête pour me poser sa fatidique question et il s’immobilise, stupéfait, alors que je le regarde d’un oeil atone vu qu’il m’a interpellée… Je reste dans la même position, comme tout à l’heure…

Il me regarde, regarde la jeune femme en face de moi :

  • Mais madame, vous étiez tout à l’heure dans…
  • Pardon ? (je fais celle qui se demande ce qu’on lui veut…)
  • Il regarde de nouveau la personne en face de moi, puis me dévisage, stupéfait toujours, en faisant des moulinets avec les bras, ce qui attire l’attention d’autres passagers pour lesquels il se passe enfin quelque chose d’intéressant dans un train de banlieue qui ne soit pas une agression :
  • Vous étiez à la même place, dans le même wagon, MAIS dans un AUTRE train, il n’y a pas une heure, dans la même position…
  • Vous devez faire erreur monsieur… dis-je perfide
  • Alors ça… Il en oublie la clope ou la pièce de monnaie…
  • Alors ça… Mais vous étiez avec votre fille !
  • Monsieur je n’ai pas de fille avec moi dans ce train, qu’est-ce que c’est que cette histoire loufoque ?
  • La jeune femme en face de moi confirme : elle n’est pas ma fille, elle peut en attester, et je suis montée dans le train à Malakoff (vu le temps qu’il m’avait fallu pour venir m’installer, compte tenu du tangage et du roulis du train et de  l’appel de Delphine qui m’avait un peu retardée, pour elle, j’étais montée à cette station là)
  • Madame, vous avez… vous avez…
  • Monsieur cela suffit, vous me mettez mal à l’aise !
  • Vous avez un SOSIE c’est extraordinaire, c’est… A ce point là, c’est IMPOSSIBLE !
  • Il se passe la main dans les cheveux, toujours stupéfait.
  • J’ai des hallucinations maintenant ! C’est cela, j’ai des hallucinations ! UNE RESSEMBLANCE PAREILLE CE N’EST PAS POSSIBLE, et puis les vêtements… J’ai des hallucinations…
  • Ca vous apprendra à abuser du joint ou d’autre chose dit sévèrement ma voisine d’en face, qui semble n’avoir aucun doute sur le fait que l’homme n’a pas toute sa tête… Vous avez les pupilles dilatées, faites vous soigner avant qu’il ne soit trop tard, les hallucinations, c’est grave !
  • Peut-être… répond-il sans chercher à nier le fait qu’il puisse carburer à du plus ou moins légal.
  • Ou alors dis-je, toujours avec perfidie, il y a des fantômes qui se baladent sur cette ligne… Il y a des dames blanches, il peut y avoir des dames roses…

Il sursaute, et  tend la main pour me toucher. Je suis bien vivante.

  • Monsieur cela suffit maintenant, laissez-moi tranquille !
  • Un homme de l’autre côté du couloir central, se penche pour me demander s’il y a un problème, je fais » non » de la tête, pas envie non plus que l’autre puisse avoir des ennuis…
  • Tout le monde nous regarde... Plus innocente que moi, ON MEURT !
  • Mais vous étiez… Je crois que vous étiez…  J’ai l’impression que vous étiez… Je suis certain que vous étiez… Et… votre fille… votre fille !!! Elle est complètement changée ! Mais vous, c’est bien vous… Tout à l’heure… Vous étiez là, toute pareille que maintenant… J’ai des hallucinations, j’ai des hallucinations… MON DIEU, ON M’AVAIT PREVENU !

Il s’éloigne rapidement, alors que le train ralentit, perturbé visiblement, oubliant de demander pièce ou cigarette, et je le vois descendre à la gare suivante.

Sans doute a-t-il suivi le train des yeux, en se demandant s’il allait continuer à faire la manche sur cette ligne là…

Je rigole intérieurement. Quelle mouche m’a piquée ? Il faut dire que je m’emmerdais ferme. Et puis tout le monde ne passe pas son temps à aller jusqu’à la gare Montparnasse pour sauter dans le train retour immédiatement…

  • Je m’occupe de drogués me dit ma fille la jeune femme aimablement, je travaille en psychiatrie et il a une tête qui me dit quelque chose… J’ai l’impression qu’il va aller consulter une deuxième fois (la tête lui disait plus que quelque chose…). Il suffit parfois de pas grand-chose, mais là, je ne sais pas pourquoi, vous lui avez foutu un choc pas possible… Il ne faut pas vous frapper pour cela, vous semblez tout à fait normale ! Pourquoi lui avez-vous parlé d’un fantôme ? Vous avez bien vu qu’il n’était pas clair…

Quel besoin soudain d’être honnête ? J’avoue tout à cette charmante jeune femme qui va jusqu’à Rambouillet. J’étais bien dans l’autre train tout à l’heure, j’explique le pourquoi de mon saut d’un train à un autre, que là au retour je m’emmerdais comme pas possible, et que j’étais un peu amère aussi de n’avoir vu Delphine que le temps d’un court bisou.

Elle rigole et me regarde d’un drôle d’air. L’histoire l’amuse m’avoue-t-elle, mais parfois il y a des hasards curieux…

  • Vous êtes une sacrée petite sorcière madame, parce qu’au regard qu’il avait, je suis certaine qu’il va se faire soigner (souhaitons qu’elle ait eu raison). C’est tout à votre honneur… Parce que les hallucinations sont une chose, mais puisque c’était vraiment vous, c’est pour lui une hallucination qu’il ne pourra jamais relativiser, parce que vous étiez vraie, et cela lui a foutu une trouille comme pas possible… Ne culpabilisez pas, de toutes manières il n’est pas net, je l’ai remarqué dès qu’il est entré dans le wagon et je l’ai déjà croisé à tel endroit mais je n’ai pas le droit de vous le dire

Gentille sorcière, hasards se télescopant pour une bonne action, grâce des horaires SNCF ? Je ne saurais jamais quelle malice m’a prise et pourquoi, ce qui m’a soufflé d’agir comme je l’ai fait.

ON m’a soufflé d’être une sale perfide a décidé qu’il y aurait une suite : le vendredi de la même semaine, j’allais à la gare chercher Maritza qui venait passer sa semaine chez mes parents comme tous les ans. Etant en avance comme toujours, je ne reste pas dans ma voiture et je m’en vais sur le quai, près de la sortie pour ne pas la louper… Le train en provenance de Montparnasse arrive, comme d’habitude Maritza doit être dans le wagon de tête alors qu’il faut monter dans le deuxième wagon de queue pour être pile poil devant la sortie (il lui faut du coup marcher un petit peu, et il lui faudra 10 ans pour percuter dans quel wagon il faut monter), et je l’attends (en espérant qu’elle n’a pas loupé son train), debout, adossée à une barrière du quai.

Habillée comme lundi, de mon imperméable vieux rose, et d’un legging noir, coiffée pareille (en pétard implosé). Vous sentez le gag venir, moi je n’y songeais pas un seul instant.

Le train démarre doucement, et là je LE vois, l’homme de lundi, debout le long d’une portière, la main sur le loquet d’ouverture qu’il n’a pas activé (sans doute devait-il descendre à cette station, mais de ce wagon personne n’est descendu), me regardant l’air horrifié. Vu le wagon où il se trouvait, quand le train s’est arrêté, j’ai été forcément la première chose qu’il a vue sur le quai juste en face de lui, en train d’attendre (en apparence) le train… Ou en train de l’attendre, LUI… LUI à qui du coup, j’ai fait un petit signe de la main en jouant des doigts et en souriant telle une sorcière diabolique…

Cet homme me devra peut-être quelque chose s’il se soigne un jour, car il paraît que sans le savoir, nous sauvons tous plusieurs vies pendant la nôtre…

Qui n’est qu’un long calvaire évidemment…

ET VOUS ? QU’AURIEZ VOUS FAIT, A MA PLACE ?

26 réponses sur “La dame rose du train… (histoire de fantôme) (2)”

  1. Oh la vache ! Vous êtes joueuse, vous !!
    Parce que moi, perso, je n’aurais jamais osé faire un coup pareil à un type visiblement un chouïa perturbé du ciboulot : j’aurais eu trop peur qu’il ne se jette sous le prochain train pour échapper à ses visions, à l’aggravation manifeste de ses symptômes !
    J’suis p’t’êt’ trop sympa …

  2. Mais c’est génial! J’adore.
    Aucune raison de culpabiliser. Vous avez très bien fait. Je confirme, s’il se fait soigner grâce à vous (le « on m’avait prévenu, j’ai des hallucinations » ça confirme qu’il a déjà été soigné pour autre chose et qu’il n’est pas complètement guéri), ça serait bien.
    Et pour nous vos lecteurs, ça donne un récit génial. (Oui je suis égoïste et j’aime bien avoir du nouveau à lire).

  3. CDLM : non je ne suis pas joueuse, car le fait qu’il soit perturbé ou non ne m’avait pas sauté aux yeux la première fois…
    Je préfère me dire que c’est peut-être lui le fantôme du train !

  4. Charlotte : espérons que mon petit « coup de folie » aura fini par faire du bien…
    Pour la troisième rencontre, je ne suis responsable de RIEN, sauf d’avoir été sur le quai, juste en face de lui.
    Hasard ???

  5. C’est trop drôle ! Si ce type a été si perturbé par tes apparitions répétées, c’est tout de même qu’il est un brin « bizarre »…. Je pense que j’aurais réagi à peu près de la même façon que toi, c’est-à-dire je n’aurais pas avoué que « c’était bien moi tout à l’heure… » 🙂
    Sinon une chose m’intrigue: je ne visualise pas ce que peut être une coiffure en pétard…. « implosé ».
    Implosé ??

  6. ah tiens, moi non plus je n’arrive pas visualiser le truc ! pour le reste je suis écroulée de rire, je visualise bien la scène, d’autant plus que je suis tout à fait capable de faire la même chose, .. J’adore , franchement ! encore un de ces petits plaisirs rares et qui ne coûtent pas cher… Même si entre nous, ça ne l’a pas découragé, le garçon. Mais je t’imagine tellement bien en train de lui faire un coucou sardonique….
    Excellent, vraiment !

  7. Le tout c’est de ne pas l’envoyer en hopital psychiatrique pour une trop longue période 😀 … Gentille Sorcière va devoir oublier le manteau rose et arrêter de fréquenter les gares pour éviter que le pauvre monsieur sombre définitivement dans la folie ( encore une apparition de la Dame Rose et il risque de ne pas s’en remettre ! )

  8. Cathy : cheveux relevés et tenus par une barette, sauf que je n’explose pas les mèches, comme on le voit souvent (ce que j’appelle le pétard explosé)…
    Sinon, je vois que je ne suis pas la seule à être taquine…

  9. Enthara : s’il devait vraiment descendre à ma station où j’attendais Maritza, s’il habite le secteur, il ne risque plus d’avoir une frayeur POUR L’INSTANT, vu que j’ai ressorti ma doudoune (noire)… Mais au printemps, sait-on jamais…

  10. Meg : désolée, mais elle n’est restée qu’une semaine et a été assez sage. Il n’y a que les « trucs en plus » dans sa vie, que nous découvrons d’une année à l’autre, ce qui corse encore plus le roman qui finit par sembler invraisemblable !

  11. Aline : vu sa tête dans le train la troisième fois, je ne crois pas qu’il ait pris cela comme un bon présage, car j’ai vraiment eu l’impression qu’il pensait avoir une horrible vision…

  12. Le gugusse devrait se méfier, voir le fantôme de la dame blanche est généralement annonciateur d’une mort imminente.

  13. Le Nain : à hanter les trains comme il le fait, il prend effectivement des risques. Et puis j’étais une dame rose, et non pas blanche, ce qui ne l’a pas empêché d’avoir la trouille…

  14. aline : en me mettant à sa place, j’imagine tout de même ce qu’il a pu penser, surtout quand je lui ai précisé que ce n’était pas moi… Malheureusement pour lui : c’est effectivement très drôle !

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