Tu vas-tu monter dans ta charrette ou j’te cogne ? (oui, le post annoncé précédemment attendra un peu…)

scene-de-menageCe jour, à U, où je n’avais pas mis un pied depuis le 29 octobre (je vous raconterai mes galères… un jour…), alors que je suis la caisse avec mes déboires habituels (il suffit que je choisisse une caisse et la caissière a un truc à faire ou son rouleau à changer), je sursaute en entendant dans le hall, la phrase titre, criée bien fort.

Je viens de relire avec plaisir « sous les vents de Neptune » de Fred Vargas, polar dont une bonne partie se déroule au Québec, et les dialogues font toujours ma joie. Je veux savoir parler comme ceux du Québec un jour ! (d’ailleurs limite je songe à m’y exiler, mais il n’y a pas de muguet là-bas je pense…)

La caissière ne moufte pas, mais la dame devant moi qui vient de me dire que dès qu’elle se pointe à une caisse la caissière a un truc à faire ou son rouleau à changer, tend l’oreille et la tête pour regarder. J’en fais autant.

Une vraiment vieille dame est en train de ranger ses courses dans un petit panier placé sous une chaise roulante. Sur le banc dans le petit hall, un très très vieux monsieur, vraiment très âgé, la dame semblant un peu plus jeune mais à peine.

Je pèse mes mots, mes parents ayant 75 ans je déteste l’appellation « vieux » ou « vieille » que l’on attribue systématiquement aux gens à partir d’un certain âge, appellation qui les blesse toujours quand ils regardent les infos (du coup ils évitent de les regarder, les infos) car ils ne se sentent pas vieux du tout, si l’on fait abstraction des articulation qui, excusez-moi du peu, ont tendance à se barrer en sucette à partir d’un âge qui reste à définir suivant la personne (moi par exemple, à 55 ans, j’ai la hanche gauche en Louis XV alors qu’au même âge mes parents galopaient encore pour un morceau de temps).

J’ai raison, ils sont effectivement très âgés, car ils sont en train de s’en prendre à deux jeunes adolescents, qui visiblement venaient de leur proposer leurs services, pour aider la vieille dame à accrocher son cabas à l’arrière de la chaise roulante (arrêtons quelques instants de dire du mal des jeunes).

  • J’ai 95 ans blanc bec ! clame la vieille dame à un des deux jeunes qui reste dubitatif (le terme « blanc bec » va sans doute le faire bouillir sous la pelouse) je suis donc assez grande pour me débrouiller toute seule ! (merde elle a perdu son accent du Québec)
  • Les deux jeunes insistent alors pour aider le monsieur à qui l’on a intimé le « tu vas-tu monter dans ta charrette ou j’te cogne », mais mal leur en prend, car c’est le vieux monsieur qui répond :
  • Je suis né le 3 janvier 1910 blanc bec ! et depuis tout ce temps, je me débrouille tout seul !

Putain, il a un an de moins que mon grand-père maternel qui aurait eu 103 ans le 3 janvier prochain ! Mais il veux-tu pas monter dans sa charrette tout de même…

  • « C’est toujours la même chose… » soupire la caissière qui a changé son rouleau non sans mal. « Tout le monde leur propose de les aider, et ils ne veulent jamais ! Si au moins ils remerciaient, mais non… »

La dame qui vient de passer devant moi me regarde et je lui fais « oui » de la tête. Entre Saint Bernard (le chien) on se reconnait tout de suite. Je passe mes 3 articles à peine, et je la rejoins dans le hall.

La très vieille dame de 95 ans a fini de monter la charrette avec ses courses et ses cabas, les adolescents découragés  et cherchant frénétiquement sur leur I machin chose ce qu’est un « blanc bec » sont rentrés dans le magasin, mais le mari ne veux-tu toujours pas monter dans sa charrette parce qu’il y a de l’animation, et que cela le change de la télévision que c’est une honte de passer des programmes pareils…

  • « Un petit coup de main pour monter dans votre chaise monsieur ? » propose l’autre dame

La femme du monsieur nous toise. Nous n’avons rien de deux adolescentes, mais pour elle, c’est sûr et même certain, nous sommes deux gamines qui l’importunent. Mais elle n’ose trop rien dire, et lui non plus. A deux c’est aisé, je le tiens par un bras, l’autre dame ajuste la chaise roulante (dont ON n’a pas mis le frein, et il nous semble inutile que le papy se mette à faire du dérapage contrôlé dans le hall d’entrée de U, pour aller percuter la montagne de sapins de Noël) et je réussis à le faire asseoir dans la chaise et non pas par terre, ce qui est un exploit, car il est plus lourd qu’il n’y paraissait…

  • C’te bourrique ! marmonne sa femme, il sait très bien y monter tout seul…

Elle empoigne la chaise roulante, et commence à pousser. Nous l’aidons, car la pente d’accès du U est très mal faite. Pour peu que votre caddy soit plein, il vous entraine jusqu’aux pompes à essence si vous n’avez pas les bras costauds. Et là il y a le monsieur, et pas mal de courses, la chaise va faire tomber la vieille dame. Qui s’en sort très bien en nous regardant d’un oeil mauvais. Où vont-ils comme cela ?

  • « Rue Coste Bellonte répond la vieille dame à regret, mais j’ai l’habitude et personne ne m’aidera. Depuis bientôt 77 ans que j’suis sa blonde qu’il est en amour avec, on se débrouille seuls…« 
  • « On est assez grand » approuve-t-il.

Et elle est partie le nez au vent, en engueulant celui qui veux-tu pas monter dans sa charrette juste pour faire son « XXX » (l’aide du premier québécois venu pour me souffler comment on dit « faire son intéressant » lui vaudra ma reconnaissance éternelle…).

L’autre dame et moi nous sommes regardées, horrifiées : la rue Coste Bellonte c’est à perpète les oyes (au moinsse !). Ils vont donc affronter en route, tous ces blancs becs et gamines du secteur, disposés à les aider à traverser, remonter sur le trottoir, etc… Voire même ont-ils des voisins complaisants et intransigeants qui les aideront à monter la charrette dans la maison ou l’appartement… et pousseront même le vice jusqu’à les aider à ranger leurs commissions.

Parce que la vie n’est qu’un long calvaire…

12 réponses sur “Tu vas-tu monter dans ta charrette ou j’te cogne ? (oui, le post annoncé précédemment attendra un peu…)”

  1. Je viens assez souvent vous lire et je n’avais encore jamais commenté. Aujourd’hui je voulais vraiment vous dire merci pour l’éclat de rire qui est venu éclairer ma grisaille. Moi aussi, j’adore Fred Vargas et le parlé québécois et ces deux petits vieux (comment sont-ils venus se perdre en France?) sont tout simplement géniaux! Je veux les même et je les poursuivrai de ma sollicitude toute la journée rien que pour les entendre râler. Je suis sure qu’il y a plein de tendresse sous ces airs bougons.

  2. Aïe j’ai eu du mal à comprendre, car à lire la phrase : Une vraiment vieille dame est en train de ranger ses courses dans un petit panier placé sous une chaise roulante…
    J’ai cru que c’était la dame qui était dans la chaise roulante, et le monsieur peut-être aussi mais il a fallu que j’arrive beaucoup plus bas pour comprendre que la papy essayait de monter dans la charette et qu’il n’y était pas et pourquoi la fameuse phrase…
    Bref il a fallu que j’arrive à votre coup de main pour visualiser la scène.. Oui je suis lente parfois !
    Pas mal les petits vieux, en tout cas ils mettent l’animation dans le supermarché !

  3. Véro : n’hésite surtout pas à venir commenter : cela fait toujours plaisir, et aussi de savoir que l’on a fait rire. Je pense qu’elle seule était québecoise, car le mari parlait un français tout à fait normal… Non pas que j’accuse les québécois de ne pas parler bien le français : je préfère le leur au nôtre…

  4. Louisianne : pas facile effectivement de décrire la scène. Il y avait un panier sous la chaise roulante : comme jadis on en mettait sous les landeaux ! Et quelle animation oui, je regrette de ne pas les avoir vus plus tôt, à l’occasion, comme j’ai noté l’heure… 🙂

  5. Oui, quelle animation ! Québécois ou pas, certains anciens ont conservé une sacrée énergie….il y a une vingtaine d’années dans notre ancien immeuble, un couple de québécois pas tout jeune nous avait sacrément fait rire en commentant un concert retransmis en direct à la télévision :  » on a jouit toute la soirée  » nous avaient-il assurés, le regard extatique…..

  6. Cathy : excellent ! je regrette que certains se sentent obligés de se moquer des québécois, vu ce que devient la langue française, ils pourraient nous donner quelques leçons…

  7. J’aime le parler québécois (d’ailleurs je suis friande de romans québécois principalement pour le plaisir de la « parlature » (oui, Robert Merle a déteint sur moi), Fred Vargas, heu…

    Moins.

    Et ta description de la saynette, goûteuse, comme de coutume. Merci M’dame.

  8. A propos de québécois… Mon patron a passé plusieurs années à Québec.
    Lors d’un déjeuner, je raconte ce que j’ai fait la veille au soir, et lui me sort benoîtement « moi je préfère les 5 à 7 ».

    Devant mon air un peu surpris, il me dit « ah, en français de France ça doit vouloir dire autre chose ». Et moi d’expliquer à mots couverts le 5 à 7, et donc le baise-en-ville, à mon patron presque tout neuf…

  9. princesse strudel : tiens, il faudra que je me mette en chasse de romans québécois, pour voir si j’arrive à suivre 🙂
    Pour Fred Vargas, évidemment chacun ses gouts, mais j’avoue que c’est mon auteur de polars préféré !

  10. Je crois que l’expression québécoise que vous cherchez est « faire son frais » (ou faire sa fraîche, si on est une fille).
    Je vis maintenant au Québec depuis 5 ans, je n’ai pas l’accent québécois, mais j’utilise beaucoup d’expressions d’ici ! La vie y est bien agréable malgré les hivers froids et enneigés…

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