C’est le printemps…

EmileIl ne travaille pas ce jour là, il se promène…

C’est le printemps qui explose dans la forêt, celle qu’il aime tant, qu’il a parcourue avec son père pendant toute son enfance. C’est le printemps de sa vie encore.

Tout va tellement bien, comment cela pourrait-il être mieux encore ?

Il est jeune, il est beau, il a une femme jeune et belle qui l’aime et qu’il aime, un fils qui promet…

Il vient d’avoir sa promotion. Garde chef, enfin sous-chef de son père, avec lequel il va pouvoir à nouveau arpenter SA forêt. Inespérée, cette embauche qu’il doit à son père l’a fait déménager vite fait de l’endroit où il se trouvait auparavant : il rentrait chez lui. Sa femme avait fait comme lui. Ne s’étaient-ils pas connus lors d’une fête chez ses parents à elle ? 3 mois après ils se mariaient, mais les commérages s’étaient pétés les dents contre la naissance attendue beaucoup plus tôt par de vieilles rombières, et qui avait eu lieu 18 mois après le mariage. Ils en riaient encore…

La maison qu’il occupe maintenant a tout le confort et n’est plus un simple « poste de garde ». Il y a l’électricité, l’eau au robinet, mais point trop n’en faut… et le téléphone pour alerter d’autres gardes en cas de braconnages…

Le téléphone est une chose bien pratique, mais il a des doutes sur son avenir : il faut réellement une raison « métier » pour en avoir besoin. Pour le reste, il y a la poste, et les lettres, sa femme et lui en reçoivent 4 à 5 par jour, et en envoient autant, il faut répondre à tout le monde. Les cartes postales sont mises en album à la veillée, les lettres sont classées dans un dossier. Il n’en manque pas une : tout l’avenir et le passé sont concentrés dans ces albums et dossiers.

Ses parents sont désormais à 2 km, et le gamin va en courant leur faire une bise tous les jours (en mangeant au passage un petit gâteau que sa grand-père garde à son intention). Le seul problème, c’est l’eau. Elle est potable au robinet, mais insuffisante en quantité pour laver le linge. Qu’importe : à 500 mètres de la maison il y a le Ru des Vaux qui coule largement, et un endroit bien pratique pour mettre en place une planche solide qu’il n’aura qu’à baisser le matin en partant faire son inspection. En début d’après-midi, sa chère petite femme n’aura qu’à descendre avec sa planche à lavoir, son linge, et lui, remontera la planche en rentrant le soir.

Exit pour elle, les corvées de lavoir 2 fois par an. Mais c’est une mince avance : l’électricité allouée à la maison empêche de rêver à une lessiveuse électrique. Dieu soit loué, il est né homme ! Comment font ceux qui s’obstinent à rester garçon ?

Il sourit, coupe un brin d’herbe neuve et se le fiche entre les lèvres. Aujourd’hui, c’est son anniversaire, et il sait qu’il y a une surprise de prévue pour le soir.

Comment qu’elle  l’a fichu à la porte de la maison ce matin sa petite femme ! en lui demandant s’il allait rester à musarder comme cela ? Il a fait l’indigné, mais a tout de suite compris, sans le montrer… Plus surpris que lui ce soir, il n’y aura pas !

Il va rentrer juste à temps pour trouver son bain chaud tout prêt, son fils l’oeil brillant de la surprise préparée « mais ne dis rien à ton père ». Et quand il sera propre (merci papa et maman de m’avoir appris à l’être), et habillé pour le dîner d’anniversaire « entre nous », arriveront les calèches et carrioles, les invités pour la surprise.

Les cousins Mac, les parents Mac, les Benoist, avec ce Robert qui n’en finit plus d’aller narguer sa grand-mère en avion, à Achères, en survolant son poulailler en rase motte pour la faire sortir, rouge de rage, brandissant son balais « Robert ! descends immédiatement, et je vais te coller la raclée de ta vie »… Bien sûr, il y aura Maurice, le frère de Robert. Et puis toute la famille Benoist. C’est le côté famille de sa femme. Qui s’entend trop bien avec sa famille à lui, car tout le monde est tombé dans la chasse à sa naissance, et que même les femmes savent manier un calibre 12 sans broncher, et dépecer la bête sans pleurer…

En parlant des cousins Mac, il va falloir qu’il prenne le cadet entre deux yeux, pour lui demander s’il a rêvé ou si le jeune homme a des vues sur Hortense, la soeur de sa femme. Elles n’ont pas de frère, le père est malade, c’est un peu lui l’homme de la famille… Si le jeune homme a des vues sur Hortense, qu’il se déclare : tout le monde fera la noce avec plaisir… Ne sont-ils pas dans un siècle d’espoir et de joie ?

Et ses parents aussi viendront, et tout le monde… Il en rit d’avance de la tête qu’il devra faire devant la « surprise » que l’on va lui faire… Il se concentre, et répète la scène qu’il devra jouer ce soir. Pas pour le lendemain, car sa mère l’a prévenu « Emile : dimanche c’est ton anniversaire, n’arrivez pas en retard ».

La vie est belle…

Tout va tellement bien, comment cela pourrait-il être mieux encore ?

Ils seront de toutes manières tous là demain, dimanche, chez les parents cette fois, où c’est beaucoup plus vaste, pour fêter cet anniversaire important, de sa jeunesse encore et de son éternité encore et encore, car il n’a pas l’âge de songer à sa mort…

Ce soir il y aura certainement un ragout de viandes avec les morilles qu’il a ramenées la veille et qui, curieusement, n’ont pas été servies en omelettes le soir, avec le gamin se retenant de pouffer quand il a demandé « et mon omelette aux morilles » ?

+ tout ce que cuisine de succulent sa petite femme adorée. Maintenant que la maison est plus grande, on peut envisager le petit frère ou la petite soeur pour le petit gars. Qu’importe le sexe, l’enfant sera le bienvenu. Et ceux qui suivront seront les bienvenus également.

Il sourit toujours, croisant de grands animaux qui ne l’ont pas entendu ou senti, car il sait y faire. Il songe à sa mère également, qui doit cuisiner elle aussi dans son coin, pour demain et ce soir. Il vit dans un monde où l’on sait vivre, et où la joie est toujours de mise… Il est heureux.

C’est le printemps.

Celui de sa vie, du monde, du bonheur, de l’avenir à vivre pleinement, de la consécration, de l’affirmation, de la promotion, des enfants à venir, d’une famille qui va s’épandre doucement aux environs.

Il s’en souviendra forcément…

C’est le printemps 1914.

PS : vous n’avez pas fini d’en bouffer de l’histoire familiale de 14 à 18, vu que nous allons vivre un centenaire mémorable !

10 réponses sur “C’est le printemps…”

  1. CDLM : oui tu le sens bien. Mais comme je le disais plus haut, je vais commencer par faire léger de temps en temps…

  2. Louisianne : passionnant et horrible ! Quand on pense à ces archives qui ont dormi dans des cartons si longtemps, à tout ce que l’on nous a caché…

  3. Ah je,reconnais la photo! On a déjà eu un aperçu de srs aventures non? En tout cas bravo pour ton talent à faire,revivre le passé, et à ta volonté de ne pas oublier…j’ai découvert avec mon mari dans la maison familiale des trésors de lettres, faire-parts, homélies,de mariage et photos bien sûr.. Très émouvant à lire…surtout les lettres d’enfants…

  4. C’est une photo, une très vieille photo. Qui a pu la prendre dans ce village du Perche à cette époque ? Au dos est noté fête de la Saint Pierre 1914. Un jeune fille en robe longue et chemisier blanc se trouve avec d’autres personnes dont je ne connais pas les noms, et qui demeureront à jamais inconnues. Mais la jeune fille a des traits que je reconnais, des traits que j’ai connu vieillis par le temps. C’est ma grand-mère, elle a seize ans. Il y a sa soeur, et l’homme à côté de celle-ci est probablement son mari qui sera mort avant la fin de l’année. La fête de la Saint Pierre avait lieu le 29 juin. L’archiduc François Ferdinand a été assassiné la veille…

  5. Louise : un bon conseil : tout scanner, tout noter, faire un journal de bord pour les générations futures !
    Je ne plaisante pas. Il est si vite venu le temps où nous brûlons les lettres laissées dans une malle…

  6. Le Nain : ils entraient dans l’histoire et ne le savaient pas (heureusement). Leur rendre hommage c’est peut-être préparer le futur dans lequel nous pourrions être, peut-être, dans l’histoire à notre tour…
    Ils voulaient que ce soit la der des der… Ne les oublions pas…
    Et puis franchement, on se demande ce que François Ferdinand foutait là où il l’était. Mais qu’il soit ailleurs n’aurait pas changé grand-chose. A relire les prémices de cette horrible guerre : cela devait péter un jour ou l’autre…

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