L’éducation à l’américaine (3) (ou l’ange blond)

Ange blondEric s’installa très rapidement dans nos vies, aux sons mille fois répétés de ses hurlements et donc du 33 tours qui le calmait immédiatement. Il ne monopolisait jamais que 5 personnes (quand j’étais là) pour le surveiller. Et encore, moi j’avais la ressource de retourner chez moi (juste à côté, d’où l’on entendait parfaitement les comptines suédoises) et j’échappais aux repas, mais les autres étaient piégés, coincés (vermifugés)…    Impossible de l’occuper, de le faire jouer à quoi que ce soit. Nous avons tout essayé, mais un petit garçon à qui l’on n’a jamais dit « non », et qui n’a jamais été contrarié en quoi que ce soit est très difficile à amuser :

  • La chasse aux papillons par exemple : les papillons ne se laissent pas attraper… Eric hurlait et se roulait par terre : 33 tours
  • Jouer au ballon : Eric loupait le ballon. Il hurlait et se roulait par terre : 33 tours
  • Le faire dessiner : au bout d’une heure il n’y avait plus de papier. Eric se roulait par terre en hurlant : 33 tours.
  • Cache cache dont il avait compris la règle : on le trouvait : 33 tours
  • Les indiens et les cow-boys : Marc avait retrouvé sa tente de petit garçon et tout son matériel. Mais Eric s’il aimait aller sous la tente, voulait être avec le chapeau et le révolver quand il avait les plumes et l’arc, et inversement. Donc comme il ne pouvait pas faire les deux, il se roulait par terre : 33 tours.
  • Nous avons bien essayé d’aller le promener, mais voilà, Eric n’aimait pas se promener. Au bout de 50 mètres, il se laissait choir par terre et il fallait le traîner. Quand il se roulait par terre, nous le prenions dans nos bras pour le rapatrier immédiatement : 33 tours.
  • Mes parents avaient généreusement prêté un vieux tricycle de mon frère, sur lequel Eric pédalait pendant environ 5 minutes. Mais comme les allées du jardin magnifique étaient recouvertes de sable fin, il s’enlisait, descendait du tricycle, hurlait en se roulant par terre : 33 tours.
  • Et inutile de l’amuser avec la balançoire : cela lui flanquait la gerbe immédiatement (grande lessive + 33 tours).

C’était sans fin. Pendant ce temps là Madame Voisineck lavait des couches sales et son mari lassé par ses récriminations, était parti acheter une machine à laver (semi automatique à l’époque) dont elle n’avait jamais éprouvé le besoin dans cette maison qui n’était qu’une maison de campagne où ils passaient les grandes vacances et les WE. En juillet, lui partait travailler et emportait donc le linge sale à une laverie quelconque, en août où il était en vacances, elle prévoyait large pour laver le moins possible à la main.

Au bout d’une semaine, malgré le lave linge, Monsieur Voisineck partit acheter deux pots, car sa femme, sur ses injonctions, avait décidé de désobéir à sa soeur et d’essayer de rendre le monstre Eric propre. Je pense que vous avez compris que la tante du monstre n’avait pas son permis de conduire, comme beaucoup de femmes à l’époque…

L’apprentissage commença, non sans peine. La tante installait son neveu sur le pot, et il faudrait ce qu’il faudrait, mais il ferait au moins pipi dedans UNE FOIS pour récolter des compliments et « s’éduquer tout seul »

Je n’ai jamais vu un gosse capable de se retenir aussi longtemps. Cela ne le dérangeait pas d’être assis sur cet engin, une tartine à la main, puis un chocolat froid dans l’autre (un clou chasse l’autre) au son de ses chères comptines. Dans le deuxième pot, son cousin versait à petits bruits le contenu d’un arrosoir « pour l’inspirer ». Eric ne fut inspiré que tardivement. Avant ce jour mémorable, au bout de trois heures, il se levait du pot, allait pisser ou pire sur son pantalon (c’est là que j’ai appris que les enfants sont d’une rapidité diabolique), puis se roulait par terre en hurlant.

RE (que l’on venait de se farcir pendant trois heures) 33 tours…

Quant aux Voisineck, ils étaient au bord du divorce. Je n’avais jamais entendu ces gens là se disputer, et n’imaginais même pas qu’ils puissent le faire. Leurs enfants me confirmèrent que si, mais que d’ordinaire c’était plutôt dans la série « Comment ça je ne gagne pas assez ? C’est toi qui dépense trop… ». Globalement les disputes concernaient essentiellement les finances du ménage.

Là c’était plus varié et nettement plus amusant. Il y avait d’abord « TA SOEUR ».

  • Ta soeur, quelle idée aussi d’aller chercher un scandinave pour se marier, comme si la France manquait d’hommes. Elle a toujours été originale, mais là, avec son gosse, elle a touché le fond. La Suède n’attendait pas après elle pour se peupler, et la moindre des choses quand on confie à de pauvres innocents un monstre pareil, c’est d’apporter la cage qui va avec. La vraie place de cet enfant, c’est dans un zoo, on verrait si les hyènes ricaneraient longtemps !
  • Je t’interdis de parler de ce petit comme cela !
  • Même toi tu n’en peux plus, tu bois trois litres de tilleul par jour ! C’est un monstre, même pas mal élevé, pas élevé du tout. Et puis ses hurlements perpétuels, on dirait ta soeur quand elle chante, cela me rappelle l’époque où elle s’était mis dans la tête de faire des vocalises…
  • Tu sais ce qu’elle te dit ma soeur ?
  • Non, mais je sais ce que je vais lui dire quand elle va revenir avec le père du monstre. Ah ils étaient beaux les vikings, ces fiers guerriers… Je vais te dire ce qu’ils faisaient les vikings, ils embarquaient leurs mômes à bord de leurs drakkars, et quand ils trouvaient un endroit semblant hospitalier, ils les lâchaient sur la plage. Dès que les habitants terrorisés avaient quitté le village, ils n’avaient plus qu’à l’investir…
  • Les vikings c’était la Norvège…
  • M’EN FOUS ! Norvège, Suède, Danemark, Finlande, c’est du pareil au même. Tous des cons… Ta soeur a épousé un con… Les scandinaves sont tous des cons. Pas étonnant qu’ils ne l’aient pas emmené en Australie ta soeur et son connard de mari, pas un douanier ayant toute sa raison n’aurait laissé ce sale môme rentrer sur le territoire ! Déjà qu’ils ont eu les lapins les australiens, ils n’ont pas besoin d’Eric !
  • Eric puissance 10 0000 sur les plages en 44 et les américains n’auraient jamais pu débarquer, jamais tu m’entends, nous serions encore sous occupation allemande, à marcher au pas, on verrait bien s’il mangerait la soupe avec ses mains cet emmerdeur… Ou alors au mieux, Eric puissance 10 000 sur la ligne Maginot et nous n’en serions pas là ! (il ne savait plus où)

D’ailleurs puisqu’on y était à parler de 39/45…

  • Les américains tous des cons, avec leurs théories à la con, leurs modes à la con. Et plus cons encore : tous les autres pays qui les admirent et qui font comme eux avec un temps de retard (toujours valable aujourd’hui, pour le coup de « faire comme eux » (désolée)). Comme les scandinaves…
  • Tu sais ce qu’ils te disent les scandinaves ?
  • M’en fous. Je te préviens, si ta dernière soeur se décide un jour à se marier avec un américain, elle et son texan n’auront pas intérêt à vouloir me confier leur môme tu m’entends ? Ce sera non !
  • Mais Roger, Muriel n’a pas du tout l’intention de se marier avec un américain…
  • Elle est capable de tout. D’ailleurs elle aussi, quand elle fait des vocalises, on dirait Eric. Quand je pense que mes enfants ont du sang et des gênes communs avec ce monstre, je sens mes cheveux qui blanchissent.

ETC…

Madame Voisineck finissait par rentrer (en claquant la porte), vu que nous passions notre temps dehors pour être moins assourdis par l’électrophone. Ou bien elle sortait de la maison (toujours en claquant la porte), dans laquelle ils étaient rentrés pour mieux se disputer discrètement.

Eric ne faisait toujours pas dans le pot, mangeait comme un cochon, braillait  à n’en plus finir, une pétition était envisagée contre les comptines suédoises, mais l’angelot avait fait des progrès très nets en français.

Sans accent, il savait dire :

  • Non (oui, parce que de temps à autres, nous nous laissions aller à le lui dire…)
  • Veux pas
  • Merde
  • Bordel
  • Bordel de merde
  • Putain
  • Putain de bordel de merde
  • Bande de cons
  • Tous des cons
  • Putain de bordel de merde de bande de cons…

Il écoutait beaucoup son oncle et ce dernier perdant patience oubliait de surveiller son vocabulaire…

Et puis il y a eu le coup des rosiers…

10 réponses sur “L’éducation à l’américaine (3) (ou l’ange blond)”

  1. Génial! Mais alors pour l’histoire, les Texans sont assez sévères sauf les hipsters! Ça me rappelle mes cousins, mamère devenait folle et mon père aussi jusqu’au jour où ils faisaient un feu de camp sans prévenir mon père (vacances d’été dans le sud), qui les a sévèrement réprimandés. De colère, les cousins ont traité mon père d’en…é (oui quand même)!!! Là-dessus ils ont du ramasser les allumettes, qu’ils avaient jeté par terre de colère, la tête en bas en étant tenus en l’air par les pieds par mon père! Les limites étaient atteintes et ils ne sont jamais revenus!!! Et mon père a encore mal aux épaules quand il en parle ;-))))

  2. Tss, tss, il y a bien eu des Vikings suédois, mais pas par chez nous. Ils ont fondé la Principauté de Kiev et constituaient la garde des empereurs byzantins.

    Sinon, quand je vois les gosses capricieux et mal élevés de nos jours, je me dis que des baffes se perdent.

  3. Esther : pour les texans je ne sais pas, je n’ai fait que répéter ce que disait l’oncle exaspéré. Sinon, j’aime bien cette petite histoire « les pauvres cousins aux allumettes… » 🙂

  4. CDLM : la suite pour très bientôt. Pour le lien, merci, mais rien que d’en lire 20 lignes est pour moi un véritable pensum… Excuses à l’auteur, mais chacun ses opinions…

  5. Le Nain : merci de tes précisions toujours historiques, mais là en fait, je ne fais que relater ce qu’un homme au bord de la crise de nerf pouvait bien dire à sa tendre moitié, au sujet d’un gosse mal élevé.
    Comme tu le dis, aujourd’hui, il y a bien des baffes qui se perdent…

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