L’éducation à l’américaine (5) (ou…) : le coup des rosiers (2)

Ange blondCe jour  là, j’étais allée déjeuner chez mes autres arrières grand-parents, chez qui Mrs Tricot et le prisonnier passaient le mois d’août. Mrs Tricot invitait à déjeuner un jour sur 3 un de ses petits enfants, et là, c’était mon tour…

Que je n’aurais pas loupé pour un empire. Le prisonnier (trop loin pour subir les comptines suédoises), s’amusait beaucoup des mésaventures des Voisineck avec le « sale gosse », et ne rouspétait que quand j’évoquais les sales cons d’américains, américains qui l’avaient sorti de son stalag et à qui il vouait une reconnaissance éternelle parce qu’ils étaient arrivés pile poil au bon moment…On déjeunait plus tard avec Mrs Tricot et son mari que chez mon arrière grand-mère. C’est donc vers 14 H, que je suis arrivée chez les Voisineck, en plein drame. Je les avais quittés à midi tous en pleine forme pourtant…

Le matin, sous un prétexte fallacieux, auquel sa femme faisait semblant de croire, Mr Voisineck était parti à Paris, « discuter d’un dossier important à régler en septembre, avec un collègue. Je rentrerai dans l’après midi, ne vous souciez pas de moi pour le déjeuner ».

Il était évident pour elle qu’il était parti lui acheter son cadeau d’anniversaire (le n° 5 de Chanel, dont le précédent flacon avait terminé sur le parquet grâce à Eric) car sur  Rambouillet en août, autant chercher une anguille dans une meute de chiens (féroces en plus), et se racheter au passage son après rasage Dior qui lui manquait cruellement. D’ordinaire le 25 août il l’emmenait au restaurant mais là, à cause d’Eric, ce n’était pas envisageable, donc il devait concocter autre chose… (un traiteur livrant à domicile peut-être ?).

J’avais mes entrées chez les Voiseneck, pas besoin de sonner, j’avais le droit d’arriver quand je le voulais, et je suis arrivée pour trouver Dany en larmes, sa mère consternée, et Marc livide.

Eric était le seul à se tenir convenablement en écoutant son disque (mais cela je le savais depuis le bas de la ruelle que le 33 tours fonctionnait…).

Le drame tenait en peu d’actes :

  • Mr Voisineck était parti : une personne de moins pour surveiller le monstre
  • J’avais fait de même (encore une de moins en plus)
  • Mrs Voisineck était partie répondre au téléphone alors qu’Eric était sous la garde vigilante de son cousin et de sa cousine. C’était sa soeur cadette, celle qui devait épouser un texan un jour d’après son mari. Elle avait pris son temps, car raconter la vie avec Eric, c’était un roman (la preuve).
  • Puis Marc était parti aux toilettes, laissant le trésor blond adoré des mers du nord sous la garde de sa soeur. Sauf qu’aux toilettes, il y avait toute la collection de BD, dûment rangées dans des étagères entretenues aussi bien que les rosiers.
  • Et Dany était restée seule avec le monstre, le flanquant sous la tente à indiens, avec de quoi dessiner. Puis elle avait commencé un roman de Barbara Cartland, et s’était endormie en rêvant au viking prince charmant…

Quand son frère était sorti des toilettes, après avoir terminé l’intégrale des « Spirou », il avait bien vu que sa mère était au téléphone, avait trouvé sa soeur endormie, et n’avait pas vu Eric.

Plus inquiétant, il ne l’avait pas entendu brailler.

Tout le monde avait été rameuté. Tout avait été sécurisé, mais allez savoir ce qu’un monstre comme cela pouvait imaginer. Et s’il était mort ? Seule sa mort pouvait expliquer en effet à sa mère et sa soeur, le silence inhabituel du petit ange.

Ils fouillèrent toute la maison, vérifièrent tous les endroits dangereux (sécurisés) et au moment où j’arrivais, ils venaient de trouver Eric dans la roseraie, ayant eu le grand tort de commencer par la maison pour leurs recherches…

Eric en train d’achever de débarrasser les vilaines roses des méchants rosiers qui l’avaient piqué, de tous leurs pétales. Pour atteindre les plus belles fleurs, hors de sa portée (sinon, il n’y aurait eu que moindre mal), il s’était servi de la brouette qui avait bien troué le gazon tondu aux ciseaux, qui n’avait plus figure humaine vu la manière dont il s’était servi de la brouette, la traînant à l’envers…

Pétales qu’avec un sens artistique très développé, il avait répandus dans toutes les allées du jardin, mais cela nous laissa indifférents…

  • Mrs Voisineck était plus que consternée. Elle savait que son mari se promettait de lui cueillir le lendemain un magnifique bouquet. Elle n’aimait pas le jardinage mais pouvait comprendre l’amour de son mari pour, et donc, sa déception. Elle c’était le tricot. Elle souffrait depuis 5 mois sur un pull pour l’anniversaire de son époux, qu’Eric lui avait détricoté en partie l’avant-veille. Elle avait pu rattraper les dégâts de justesse en comptant les points pendant 4 heures, avec de l’aide (en douce parce que c’était une surprise), mais là, il n’y avait rien à faire. Les plus beaux rosiers n’avaient plus de pétales.
  • Ma suggestion de recoller les pétales attira un moment l’attention, mais non, c’était foutu.
  • Dany sanglotait. Le châtiment des vestales romaines laissant s’éteindre le feu sacré n’était rien à côté de ce qui l’attendait quand son père apprendrait qu’elle était responsable du massacre des rosiers. Plutôt s’immoler tout de suite…
  • Marc livide se souvenait des BD lues, d’une consigne du père « toujours être deux pour surveiller ce petit con corniaud« , et envisageait déjà sa vie sans sa soeur, enfermée au carmel au moins jusqu’à sa majorité, donc un bout de temps (à l’époque c’était 21 ans). Il avait beau passer son temps à se disputer avec sa soeur, son absence inévitable pour les années à venir le choquait profondément.

Bref, c’était l’apocalypse qui se profilait à l’horizon, quand le portail d’entrée claqua.

Le père rentrait.

Il était assez guilleret, ce qui rendait la chose encore plus dramatique. La voiture garée, il vint tous nous embrasser, remarqua la figure bouffie par les larmes de sa fille. « allons fillette, tant qu’il n’y a pas mort d’homme, il ne faut pas pleurer », puis partit toujours guilleret « se changer », et planquer surtout ses cadeaux…

J’étais atteinte d’une peur panique, et en même temps par ce sentiment curieux qui nous étreint quand nous sommes devant une catastrophe que nous ne pouvons empêcher, « sans qu’il y ait mort d’homme » en vue. Sentiment étrange qui fait que beaucoup se complaisent dans les brouilles de famille, les disputes, certains drames…

Mr Voisineck ressortit de la maison habillé en jardinier, toujours guilleret, ne sembla pas remarquer que l’ambiance n’était pas au beau fixe, et se dirigea comme toujours, vers le fond de son jardin, sans voir tout de suite qu’il marchait sur une allée semée de pétales de roses…

Puis il se figea.

Moment affreux où tout le monde prit conscience qu’il retenait son souffle. Nous fîmes de même, sauf Eric…

Il fit demi-tour lentement, nous regarda tous, surtout sa fille dont le visage gonflé avouait la culpabilité. C’était de sa faute : « papa, je te demande pardon ».

Non ce n’était pas la faute de sa fille, c’était la faute de ce diable de gamin descendant d’un horde de sauvages, que personne n’avait éduqué.

Il rentra dans la maison en claquant la porte… Son silence avant le claquage de la porte du salon, fut pour nous le plus bruyant de la journée qui n’était pas terminée…

12 réponses sur “L’éducation à l’américaine (5) (ou…) : le coup des rosiers (2)”

  1. À la place du père Voisineck, j’aurais rammassé des poignées de pétales de roses et je les aurais fait bouffer à ce sale morveux !

    J ‘attend avec impatience de lire la suite, pour savoir si le petit démon a été châtié.. ou pas !

    Grand merci, Calpurnia, pour ce feuilleton désopilant

  2. J’adore!!! Ton blog est un régal, tu as un art de conter incroyable! J’attends chaque jour avec impatience le nouveau post! Merci, MERCI!

  3. Moi aussi j’attends la suite avec impatience !
    Cette histoire de fleurs coupées me rappelle le bouquet de fleurs que m’avait gentiment offert la fille de ma copine, alors âgée de 5 ans : elle avait cueilli toutes les fleurs du parterre qui venait à peine de fleurir …. avec toute la délicatesse des enfants ! Mais c’était pour me faire plaisir 🙂 Il va sans dire que j’étais absolument ravie !
    Mais que dire ?

  4. Titia : je pense que l’oncle y avait pensé sérieusement à lui faire bouffer les pétales de roses…
    Et un grand merci pour le « désopilant » !

  5. vivi : là ce n’était pas tout à fait la même chose, il y avait chez Eric une véritable intention de détruire les fleurs…
    Il aurait voulu les offrir que la suite eut été différente…

  6. Gentille sorcière plutôt Samantha ou Pendora ?
    (Avec le temps qui est passé je trouve que Pendora
    Était plus drôle )
    Pauvre petit Eric il devait être un peu maso

  7. Aline : j’ai toujours eu un faible pour la mère, Endora, qui physiquement ressemblait à Mrs Morgan…
    Eric n’était pas maso, c’était juste un gosse totalement non éduqué…

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