22 H, vendredi 13 novembre…

République qui pleureJe n’ai pas voulu écrire à ce sujet trop tôt, sous le coup d’une trop grande colère, d’une trop grande émotion, et sous le coup de la peur qui a été la mienne toute la nuit du 13 au 14 novembre.

A 22 H mon téléphone portable sonne : c’est Pulchérie. Avant même de décrocher je m’inquiète. Dans la famille on ne s’appelle passé 20 H 30 qu’en cas d’urgence ou de problème grave.

Elle savait mon aînée que je devais regarder la TV. La chaîne sur laquelle je suivais une enquête suédoise n’a pas pris la peine, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, de mettre un bandeau type « alerte enlèvement », pour informer de ce qu’il se passait. Après il serait libre à nous de changer de chaîne ou non. Qu’importe…

  • « Allo maman, c’est pour te dire que je suis à la maison, en sécurité et que je vais bien ! Delphine et Fabien aussi, ils sont chez eux »

J’ai l’impression de me retrouver le 7 janvier dernier, quand j’avais reçu coup sur coup deux textos, un de Pulchérie et un de Delphine rentrée de Berlin la veille et logeant chez sa soeur.

Elle m’explique brièvement qu’elle a entendu des fusillades, qu’ils viennent avec son copain de se mettre sur la TV, et qu’il y a des attentats à Paris dans leur secteur.

Et comme elle habite le 11ème, une fois de plus, elle va se trouver, mais pire encore que le 7 janvier, pile poil au mauvais endroit, en plein centre des drames du 13 novembre.Je raccroche, j’appelle ma mère pour l’informer et la rassurer sur le sort de ses petites filles, car elle ne va découvrir la chose que le lendemain matin en écoutant les infos, vers 6 H et réaliser que Pulchérie habite précisément le 11ème, et je change de chaîne, pour me rabattre, à ce moment là, sur BFMTV, à mon grand regret, car je leur garde une solide rancoeur depuis les évènements de janvier, quand ils n’arrêtaient pas de donner des précisions dangereuses pour des otages et devant théoriquement rester secrètes.

Je suis restée scotchée devant la TV jusqu’à 5 H du matin, visualisant bien les lieux, l’endroit où se trouve mon aînée, en priant le ciel pour qu’un connard décérébré mais armé ne trouve pas refuge dans son impasse. J’imagine tout et n’importe quoi, et je sais qu’elle doit être scotchée également.

L’horreur explose après la prise d’assaut du Bataclan, avec le nombre de morts, et encore, cela aurait pu être pire. Je vais me coucher avec dans la tête les images en boucle de corps à terre, de flaques de sang, de personnes fuyant, le bruit des sirènes, des coups de feu, je n’en rajoute pas, vous avez compris.

Le lendemain, Pulchérie m’avouera ne pas avoir dormi de la nuit et avoir du mal à éventuellement sortir de chez elle, même si elle est désormais dans un des quartiers les plus sécurisés de Paris. Ils attendaient des nouvelles d’un ami qui se trouvait au Bataclan, et qui a eu la chance de s’en sortir indemne. Dans l’après-midi, j’ai Delphine, traumatisée également, car ils auraient TOUS pu se trouver sur un des lieux des massacres.

Le restaurant ils y allaient parfois, le troquet également. C’était une chance qu’ils n’aient pas décidé de sortir ce vendredi soir là, comme ils le font si souvent. Ma peur rétrospective, même si elle était ridicule, n’arrivait pas à me quitter.

Rassurée dès mon lever, après 5 H d’un sommeil cauchemardesque, sur le sort de tous mes proches pouvant s’être trouvés aux mauvais endroits, j’ai pu rassurer une fois de plus ma mère, et j’ai béni pour une fois, les réseaux sociaux.

Après, que nous restait-il ?

La révolte et la détermination. Unanimes, les français se regroupaient, oubliant leurs opinions divergentes, et il nous arrivait les sincères pensées de nombreux pays. Il nous restait notre liberté d’être solidaires et déterminés à ne pas nous laisser abattre. Ce que nous avons dans nos coeurs, personne ne peut nous le prendre, même si on nous l’arrache.

Je  l’aime mon pays, même si je rouspète souvent contre l’administration ou des lois mal faites. J’aime notre amour de la liberté, même si parfois je trouve que le « égalité » n’est pas toujours de mise. Là la fraternité était bien présente et palpable partout.

Malgré les nombreuses redites sur les différentes chaînes, j’ai suivi cette affaire de très près, comme tout un chacun. Ayant perdu papa en mai dernier, je mesurais la douleur des familles des victimes, l’injustice, la barbarie.

Comment peut-on en arriver à se sacrifier après avoir tué au maximum, comment peut-on en arriver là ? Ils étaient tous jeunes les terroristes, comment leur a-t-on lavé le cerveau au point de leur faire perdre toute conscience ? On nous l’explique sur tous les tons, mais la réalité est là : on a trop laissé faire depuis des années et des années, en fait nous nous sommes endormis…

Et puis si j’avais été révoltée par certains propos de janvier dernier « les journalistes de Charlie l’avaient bien cherché », personne n’a pu dire que les victimes du 13 novembre l’avaient cherché. Ils vivaient tout simplement…

Comme vivent mes filles pour lesquelles je tremble régulièrement en sachant qu’elles prennent le métro, sortent, s’amusent, vivent quoi…

Comme si c’était un crime…

Je ne me sens jamais totalement tranquille du fond de ma campagne.

J’ai suivi avec attention le discours de notre Président, je suis toujours de près l’actualité politique, commence à m’intéresser à la géopolitique, bref, je suis, comme vous, toujours en plein dedans.

Troublée tout de même par 20 corps non identifiés : personne ne réclame ces personnes ? N’avaient-elles personne au monde qui puisse s’inquiéter d’elles ?

N’oublions pas ceux qui s’en sont sortis, mais resteront à jamais traumatisés dans leur âme, leur chair, les deux parfois. Car c’est cela que nous oublions parfois : les rescapés. Une fois les unités de soutien psychologiques fermées, que deviennent-ils ? S’il le faut, je suis prête comme Pulchérie, « la méchante » à faire quelque chose, mais quoi? du fond de ma campagne ? fauchée comme je le suis à compter même mon essence ? Je ne peux même plus donner de mon O négatif, cela m’est interdit. QUE FAIRE DE POSITIF en ayant l’impression de participer à quelque chose de grand et d’important pour que l’on puisse dire un jour, qui sera évidemment lointain « désormais, plus jamais… » ?

Marianne pleure. Mais elle est toujours debout.

C’est l’essentiel, et c’est précieux.

Cela aussi, ne l’oublions pas…

14 réponses sur “22 H, vendredi 13 novembre…”

  1. Bonsoir,
    Je n’ai pas vraiment de réponse à vos questions, sauf une : ayant travaillé cette nuit là à l’hopital, je peux vous dire que si certaines victimes n’ont pas encore été identifiée, ce n’est pas forcément parce qu’elle n’ont pas été ‘réclamée », mais parce qu’elles ont, pour la plupart, été retrouvée sans rien sur elles ; impossible de savoir leur nom, de contacter des proches, ceux-ci doivent donc faire le tour des hôpitaux mais ne savent même pas forcément lesquels ont accueilli des victimes… C’est compliqué et ça peut prendre du temps, en effet.
    Mais je suis persuadée que ces personnes, qui ne faisaient que s’amuser, avaient des personnes qui les aimaient, qui les cherchent, et vont malheureusement bientôt être en deuil…

  2. Peut-être que « dans ta campagne » il y a un centre social ou une association qui aurait besoin de plumes pour aider des personnes en difficulté à rédiger des courriers ?
    Il y a des parrainages d’enfants dans ton département aussi, mais je ne sais pas comment ça fonctionne.

    Soutenir les personnes qui ont survécu à ce carnage me semble également indispensable.

  3. Je n’ai heureusement personne à Paris et je n’ai appris la nouvelle que samedi matin en voulant regarder la grille des programmes sur ma télé… mais j’ai bien évidemment pris la nouvelle en pleine figure comme toute la France et je suis toujours sous le choc.
    Par contre je suis sortie de ma montagne hier pour assister au congrès SPF à Marseille où vit toute ma famille et je peux te dire que je n’étais pas tranquille en arrivant à la gare Saint-Charles et dans le métro…
    Mais bon ! il faut bien continuer à vivre et ne pas se laisser envahir par la panique.
    On n’a pas oublié Charlie, on n’oubliera pas les nouvelles victimes innocentes de ces barbares. RIP

  4. L’idée d’aider par votre plume de Meg est bien non ? Aussi, j’espère que vous aussi vous demanderez de l’aide car a chaque fois que vous évoquez vos difficultés financières j’ai le cœur serré pour vous. Peut-être pourriez vous faire un livre recueil des articles de votre blog ? Pulcherie a fait un livre il me semble avec Un Beau Jour, elle pourrait vous guider dans les démarches ? Je me permets de vous envoyer mes amitiés

  5. Meg : j’ai déjà proposé mes services il y a deux ans, mais le style « écrivain public » ça ne plait pas à la mairie qui a une assistante sociale fort désagréable qui peut s’en occuper…
    Je ne peux de toutes manières que faire quelque chose qui ne me coûtera pas en essence ou transport. C’est malheureux…

  6. Gisèle : on oublie tout de même un peu, c’est humain. Si nous devions penser en permanence au négatif, on ne pourrait plus vivre !
    Il y a oublier et oublier : qui se souviendra de leur nom ???

  7. Princesse : tu es gentille. Certaine personne très proche n’a même pas pris la peine de me téléphoner. Même si elle savait via les réseaux sociaux, cela aurait été la moindre des choses…

  8. Estelle : tu es mignonne ! je vois un peu le bout du tunnel, mais trois ans de galère c’était beaucoup. Et encore, il suffit d’un rien : la chaudière de l’immeuble qui lâche par exemple, et ce sera reparti pour un tour.

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