La Toussaint 2015

ange-gardien1J’ai déjà évoqué cette fête de tous les saints, le jour des morts étant le 2 novembre, ICI.

En gros, dans la  famille, nous ne sommes pas « cimetière » et jusqu’à présent je pouvais me dire que j’étais bien de la famille.

Depuis la mort de papa, je m’échappe à moi-même et je deviens toute autre. Le cimetière du village de mes parents est « rempli » d’ancêtres à moi et d’êtres chers que j’ai connus.Le prisonnier restait le seul pour lequel j’ai mis du temp. Je n’avais que 20 ans, et lui 66. Il m’a fallu me dire un jour « il aurait 100 ans, c’est impossible » pour enfin accepter.

Je passe devant ce cimetière tous les jours pour aller voir Mrs Bibelot. La descente est plus difficile que la montée, car j’ai une vue plongeante sur le mur derrière lequel papa est enterré avec ses parents que j’ai bien connus. J’y pense à CHAQUE FOIS que je passe, la remontée étant moins difficile, car j’évite de regarder.

QUOIQUE.

Je ne sais quel démon étrange me pousse parfois, en quittant maman, à me garer devant le cimetière et à y entrer. Je vais faire un petit coucou à mon arrière grand-mère, mon grand-père maternel, (et ceux que je n’ai pas connus), dont j’ai accepté la mort d’emblée car elle était dans l’ordre des choses COMME ON LE DIT SI BIEN.

Et puis péniblement, les larmes aux yeux, je remonte l’allée pour aller me planter, comme une conne devant la pierre tombale sur laquelle les références de papa seront inscrites d’ici un mois car maman a enfin pu commander la gravure.

Je ne vois même pas la pierre. Je ne vois que le trou béant du 2 juin, le cercueil si bas, si au fond de ce putain de trou, et je pleure comme une madeleine en me demandant où est mon père. J’évite de penser à ce qu’il est en train de devenir, à savoir que du coup, j’y pense.

Lundi dernier, quand je suis allée commander la gravure, la gentille Mélodie m’a gardée une bonne heure. Je  ne sais pas pourquoi ma soeur et moi l’avions marquée, et nous avons parlé beaucoup, y compris d’elle qui m’a révélé avoir été une enfant battue. Quand je suis repartie, car j’avais Maritza à aller récupérer à la gare, sinon j’y serais encore, elle m’a proposé spontanément de m’offrir un chrysanthème.

J’ai accepté, et pensant à maman, j’ai pris un violet profond qui irait bien avec les plantations qui lui restent.

Mais quel démon me pousse ?

Aujourd’hui je n’y tenais pas. Il FALLAIT que j’aille mettre ce pot de fleurs sur la tombe de papa, lui qui s’en foutait tellement. Maman m’a dit que si cela pouvait me faire plaisir, je n’avais qu’à prendre ce foutu chrysanthème et que la messe serait dite ce qui est une façon de parler car elle n’a même pas fait sa communion.

Alors j’y suis allée…

La tombe juste en face est vraiment très pratique. Je peux m’asseoir dessus et pleurer tout à mon aise en parlant à celui qui n’est pas là, mais qui y est tout de même. J’ai bien mis la plante où il le fallait, pile poil au milieu, bien symétrique, moi qui suis si bordélique, et j’ai attendu de retrouver mes esprits.

Les miens bien sûr, parce que les autres ne se manifestaient pas…

Et puis une main s’est posée sur mon épaule.

La vie nous joue de ces tours…

Nous ne nous étions pas revus depuis 39 ans,  sauf pour l’enterrement de son père. C’est fou les amis de jeunesse qui passent dans le secteur, sans que nous ne nous rencontrions jamais.

« Tu sais, moi, il y aura 3 ans en janvier que je fais cela tous les dimanches, et pourtant, je ne crois en rien… ».

Il est reparti pour aller parler à son père deux allées plus bas, en me laissant regarder le chrysanthème en me persuadant que papa n’était pas 6 pieds en dessous.

Alors où est-il ?

Je ne sais pas, nous ne savons pas et nous saurons peut-être un jour, mais sans pouvoir le dire.

C’était la première Toussaint où je me rendais au cimetière.

18 réponses sur “La Toussaint 2015”

  1. Je te comprends. Même si j’ai toujours accompagné mes parents au cimetière (dans ma famille on est très cimetière) même si j’ai enterré mes grands parents, je ne me sentais pas vraiment concernée par tout ça. Et tout a changé quand c’est mon père qui s’est retrouvé sous une pierre tombale rose. Rassure toi il y a longtemps que je ne pense plus à « ce qu’il peut être devenu là dessous ». Mais j’y vais souvent, et souvent seule. Quand j’ai un petit coup de mou, quand j’ai envie de lui raconter quelque chose, même si je parle aussi à sa photo qui est sur ma commode. Ça n’a rien à voir avec la religion, avec croire en quelque chose ou pas. Nous en avons besoin tout simplement. Alors pourquoi se priver ? Depuis je ne pense plus me faire crématiser, car j’ai mesuré l’importance de la tombe.

  2. Je vois les cimetières comme un lieu de mémoire. J’ai toujours dit que si je devais mourir jeune, je veux être enterrée, pas brûlée, afin que mes fils aient un point d’attache, qu’ils puissent « venir me voir » de temps en temps s’ils en éprouvent le besoin.
    tes derniers textes sont très touchants parce qu’ils sont écrits par une enfant.

  3. Kilomètres obligent, je ne me rends que fort rarement sur la tombe de mon père, qui est aussi la concession de sa famille (et sur laquelle sont gravés, heureusement avec d’autres dates, mes prénom et nom, portés avant moi par une arrière-arrière-arrière…).

    Egoïstement, cet été, de passage dans le coin, je m’y suis rendue. Seule. Sans proposer à ma grand-mère âgée de l’y conduire, sans en parler à qui que ce soit. C’était « entre lui et moi ». Question de pudeur. Je voulais pouvoir y rester le temps que je voudrais, parler à voix haute si je le voulais, pleurer et rire comme je le voulais, et vider mon sac sans qu’une oreille ne risque de m’entendre. Je ne voulais pas qu’on m’interroge sur les larmes à peine séchées sur mes joues, qu’on glisse un oeil par la grille « au cas où parce que ça faisait un long moment ».

    C’était mon rendez-vous avec mon père. Et, pour moi, il était là. A sa façon, à la mienne, nous nous sommes retrouvés – et parlés, après des années de conflit, de tension, de colère et de silence.

  4. C’est très rarement que je vais sur les tombes de ceux que j’aime. Je les vois de ma fenêtre et je leur parle tous les jours. Et je pense aussi à toi et à tous ceux qui sont dans la peine.

  5. Donc je vous le disais il y a peu, j’ai moi (55 ans) perdu mon papa (80 ans) en mars. Emporté au large par un putain de crabe. Je ne vais pas au cimetière. Tout simplement PARCE QU’IL N’Y EST PAS. Ce n’est pas lui. C’est au mieux une enveloppe de lui, et je refuse d’être submergée par une marée de chagrin face à un terreau froid.
    Lui il est dans tout ce qu’il a planté, ses fruitiers, ses arbustes d’ornement, ses arbres frémissants. Il est dans la haie de framboisiers, dans le nichoir des mésanges et dans l’abri du hérisson. Il est dans chaque canne à pêche qui attend encore sa main experte. Dans la clé de la barque qui pend au clou, dans la selle en cuir tannée par ses fesses. C’est là que je pleure, dans le vent des feuillages et sur le tabouret montoir de la sellerie. Il est dans ce vieux gilet de jardinage qui détient encore (un peu) de son odeur, que je mets le matin pour boire mon café dans la maison froide, et le soir pour boire ma tisane dans la maison réchauffée. Je le renifle sans cesse. Mais là aussi je sais qu’il va s’en aller. Je le lui ai dit l’autre jour, au vent des feuillus qui perdent leurs feuille comme je perds peu à peu sa présence. « Tu sais, tu peux t’en aller maintenant. Je suis grande. Tu as le droit de partir » je sais qu’il est parti.

    Mais j’aime caresser l’idée que quelque part, dans un entre deux connu de lui seul, il veille encore un peu sur moi.

  6. On a tous une histoire de cimetière, le tout c’est de se dire que même si nous semble bizarre, ou étranger à nos habitudes, c’est comme ça et ça fait partie de nous 🙂

    Depuis la mort de ma grand mère, une fois par an l’air de rien je pose un jour de congé, je fais semblant de partir au travail et hop, je voyage vers son cimetière. Je lui apporte une marguerite, on cause, je nettoie un peu.

    Personne n’en sait rien dans ma famille et tant mieux, c’est mon moment à moi avec son souvenir et c’est bien comme ça.

  7. Louisianne : je me sens moins seule. C’est aussi pour l’importance de la tombe, du lieu de recueillement, que je ne veux pas de crémation en ce qui me concerne.
    Sauf que là, il faut que ce soit mon père pour que je ressente autre chose que l’impression de faire un petit « coucou » gentil et affectueux…

  8. Meg : ce point d’attache est important. Rien de pire pour moi que les cendres répandues dans un jardin du souvenir où l’on ne pourra jamais se rendre, ou pire, l’urne sur la cheminée (j’ai connu chez quelqu’un et j’ai trouvé celà d’un morbide pire que mes pensées parfois en ce moment)…

  9. Princesse : là encore je me sens moins seule. Je sais que désormais dans ce cimetière, mon rendez-vous avec mon père sera différent de ceux d’AVANT LUI…
    J’allais au cimetière parfois, mais je ne pleurais pas, je ne pleurais PLUS.

  10. Angele2b : le pire c’est que je le vois tous les jours, que je lui parle tous les jours, que je pense à lui tous les jours. Pourquoi tout à coup ce démon me poussant au cimetière, pour que je me fasse encore plus de mal ???

  11. Jane B.Root : je vis un peu tout cela, je suis très perdue, et je me perds régulièrement… Mon père est tellement partout, y compris chez moi, où il y a 20 ans il m’a fait tellement de travaux, dans le buffet qu’il m’a retapé il y a deux ans, chez LUI ET MAMAN… Mais rien à faire : ON me pousse au cimetière régulièrement, et je sais que quand je verrai son nom gravé, ce sera terrible.
    Ou bien la fin de l’obsession cimetière…

  12. Théotiste : je découvre ici, que malgré les croyances ou habitudes de famille NOUS Y ALLONS TOUS EN DOUCE.
    Nous cachons cela à nos proches, nous prenons l’air de rien…
    Je trouve cela très significatif, tout comme je trouve que n’aller JAMAIS sur une tombe l’est également : comme le dit ma meilleure amie : « chacun vit son deuil à sa manière, nous n’avons rien à juger et nous ne devons pas rentrer dans des cases ».

  13. J’y vais à chaque vacance pour y accompagner ma tante, la soeur de ma mère que mon père a rejoint en septembre. La semaine dernière j’y suis allée seule pour nettoyer un peu les dégâts ( un mois et demi après l’enterrement un tombeau qui a été couvert de fleurs c’est moyen) mais, merci le Sud et un cousin attentionné, ça n’était pas moche.
    Ce n’est pas difficile pour moi, mon père est parti avant que la maladie ne le rende dépendant (sa hantise), à la fin d’un été que nous avons passé ensemble et surtout à la fin d’une vie qui l’a rendu heureux.
    Mais quand même, le cimetière, je n’y vais que les jours de grand soleil.

  14. La maman de mon époux est décédée quand il était enfant. Il a mis du temps à me parler d’elle, comme si c’était tabou mais notre fils porte son prénom masculinisé en 2ème prénom, suite à me proposition.
    Cet été, je me suis mariée dans la région de mon mari, j’avais fait faire 2 bouquets par la fleuriste, du même style. Le lendemain du mariage je suis allée déposer le 2eme sur la tombe de la mère de chéri, en lui promettant de prendre soin de son fils… Un moment à la fois doux et intense. Il s’est rendu compte que j’y avais été quelques jours plus tard et ça l’a beaucoup touché…

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