Un BEAU jour… (le blues du dimanche)

Roland captivité retouchée recadrée

Ce devait en être un de beau jour, mais cela ne l’a pas été… Simplement un jour qui peut faire comprendre pourquoi je ne fais jamais dans la dentelle quand je parle de la mort, même avec le médecin conseil de la SS (la Sécu !) (celui qui s’est glissé dans une bouche d’égouts après mon départ, zavez qu’à suivre) ou  psy chérie qui me disait parfois que je suis très forte pour flinguer le moral de n’importe qui quand le sujet me vient aux lèvres (généralement après un enterrement, sauf que depuis celui de papa tout est devenu différent, mais pas dans le bon sens).

Un beau jour qui fait que pour moi, les mots qui veulent écraser la réalité : la mort, je ne les utilise pas.

J’ai vu la mort en face, j’ai compris ce que c’était, un jour d’automne. Le prisonnier (sur la photo, prise par les allemands corrects, dans son stalag, pour « les bons zouvenirs monsieur, et retouchée uniquement au niveau des pliures)  avait décidé de m’emmener avec lui en forêt, pour m’apprendre un peu les champignons et les arbres. Je devais avoir 8  ans, pas plus, et j’étais ravie de cette promenade pédagogique qui allait forcément être très instructive et agréable. J’adorais en plus mon grand-père paternel, et tout moment passé avec lui en tête à tête était toujours le bienvenu. Il avait l’art et la manière de nous faire penser que nous étions seuls à compter pour lui.

Mon autre grand-père, homme de la forêt depuis toujours, n’emmenait jamais les enfants avec lui : trop bruyants les enfants, rien à faire en forêt… Il oubliait facilement que sans son père et son grand-père, voire même son arrière grand-père qui le trainaient lui, partout, il aurait été tout autre…

J’appréciais à sa juste valeur ma chance, en repérant le chêne, le bouleau, le hêtre, le charme, le châtaigner, le cèpe, le bolet, la coulemelle, et j’en passe. Je ne savais pas à cette époque qu’enseigner est un acte d’amour.

Nous nous étions écartés des chemins les plus fréquentés, comme il se doit quand on cherche des champignons, et je marchais en avant, toute contente d’avoir repéré un cèpe, gros comme ça ! Il allait être épaté le grand-père !!!

J’avais une petite brise dans le nez, parfumée comme il se doit de l’odeur du sous bois humide, des champignons, des…

Une odeur pestilentielle me sauta tout à coup aux narines. Jamais je n’avais senti cela, mais je continuais à avancer tout de même, les yeux fixés sur le cèpe, un temps de trop.

Le temps que l’odeur parvienne tout à coup à mon grand père, qu’il la reconnaisse, lui qui avait vu des charniers en revenant de sa captivité en Allemagne, et qui avait ré-enterré des camarades de stalag plusieurs fois après des bombardements ayant souvent ravagé le cimetière du camp. Ses meilleurs souvenirs en somme, mais je l’ignorais !

« Coraline arrête-toi tout de suite ! »

Jamais il ne claquait un ordre de cette manière, si sèche, si impérative, si trop éloignée de lui ! Trop tard pour moi !

Sous mes yeux, à quelques mètres à peine, la carcasse d’un grand animal grouillait sous les asticots et les insectes multiples, et soudain immobilisée, je n’arrivais pas à en détacher mes yeux ni à fermer mes narines. Cela puait, c’était moche, c’est mon seul souvenir vrai avec la peur tout à coup qui m’avait envahie.

Une main se posa sur mon épaule, et j’ai tourné la tête sur elle pour hoqueter.

« Coraline, ne regarde plus, retourne en arrière ».

J’ai obéi comme je le pouvais, non sans vomir au passage dans le fossé, pendant que l’homme qui avait tout vu et même ce qu’il vaut mieux ne jamais voir, s’approchait de la carcasse pour identifier un cerf, et mettre à l’abri ses bois sur la fourche d’un arbre (un 19 cors, extrêmement rare) qu’avec mon autre grand père ils iraient récupérer dans un mois…

Un mois, le grand maximum pour qu’il ne reste plus que des os, souvent dispersés par d’autres vivants dans la nature…

Au retour, il me parla longtemps. Ce cerf était mort de mort naturelle, car il n’avait rien vu qui puisse laisser entendre qu’il avait été blessé mortellement par un chasseur. Nous mourons tous un jour, du plus petit au plus grand, c’est le sort commun. La nature faisait son oeuvre même si cette oeuvre n’était pas belle à regarder, et de ce qui avait dû être un animal splendide renaîtraient d’autres formes de vies. Sans que nous le sachions, nos forêts étaient pleines d’ossements, de carcasses, de restes animaux qui disparaissent très vite. Nous marchions continuellement sur les cimetières des hommes,  sur les morts du passé, et nous sommes le passé du futur.

Je pleurais comme une fontaine. Je m’en foutais de devenir des  fleurs un jour, de la mousse, ou même un chêne qui deviendrait plus que centenaire  et nous nous sommes assis sur une grume, pour que je digère ma sinistre rencontre. Dans mes yeux peut-être a-t-il  vu l’étincelle noire qui mangeait désormais son regard… L’étincelle de la mélancolie et du trop savoir, de la tristesse indicible qu’il a trainé jusqu’au bout et qui lui faisait ce regard si particulier. Cette lueur étrange qui faisait que sur ses photos, il y avait l’homme d’avant la guerre, et celui d’après…

Il ne voulait sans doute pas me voir avec ce regard modifié pour toujours… Cette étincelle, il voulait l’éteindre, tout de suite, pendant qu’il en était temps.

J’étais hantée par le grouillement d’asticots et je ne pouvais que penser « même nous, même nous » en me blottissant contre lui, en pleine panique, en plein refus, en crise de peur incontrôlable, avec l’envie d’en terminer tout de suite, pour ne plus jamais avoir à y penser…

Ce jour là, j’ai rencontré la mort qui n’était plus un simple sommeil dans lequel nous tombions pour être emporté par des anges dans un ciel qui tout à coup, n’était plus  peuplé que d’étoiles qui mourraient un jour elles aussi…

Car il ne démentait pas…

Il m’a promis que ce serait notre secret, et m’a demandé de venir le voir pour lui parler de la mort si j’en éprouvais le besoin. Je me sentais en effet incapable de décrire ce que j’avais vu, et surtout, ressenti, à d’autre que lui. Il savait lui, que dans la famille, ON qualifiait trop rapidement mes peurs en les qualifiant de « normales », car j’étais sensée être née avec…

L’image est restée gravée en moi longtemps, et puis la bienheureuse amnésie de l’enfance est tombée dessus. Nos mauvais souvenirs s’estompent, c’est une question de survie depuis toujours, et nous ne pourrions pas vivre s’ils étaient chaque jour présents…

Malgré tout, la réalité de la mort était en moi pour toujours. Par la suite, il m’est arrivé souvent lors de mes nombreuses pérégrinations en forêt avec les chiennes, de tomber sur de petits cadavres vite désagrégés, en quelques jours à peine. Mais jamais je n’ai égaré mes pas vers ce taillis, maudit depuis mes 8  ans.

Comme si la carcasse était toujours là, telle que je l’avais découverte ce jour d’automne 1966.

Comme une pendule au salon, qui dit « oui », qui dit « non ».

Qui me dit « je t’attends »… Qui vous dit….

La vie n’est qu’un long calvaire ?…

Il y a eu un an aujourd’hui que j’ai vu papa pour la dernière fois, assis à sa place « à la maison ». Ce soir sera l’anniversaire du dernier soir où il aura dormi à côté de maman.

Qu’est-il advenu de lui ?

Heureusement que nous ne savons pas, à l’avance…

(Les chroniques du dimanche, je n’avais pas spécialement dit que ce serait rigolo…)

4 réponses sur “Un BEAU jour… (le blues du dimanche)”

  1. Il est triste que tu aies vécu cela, surtout à un âge aussi tendre – il est bon que tu aies eu avec toi à ce moment-là, pour t’écouter, t’en parler, te réconforter, un homme compatissant, généreux et plein de bonté.

    J’ai refusé de voir « nos » morts – pour garder le souvenir des vivants.

    J’ai dû me colleter bien malgré moi avec la réalité quand j’ai retrouvé avec ma mère notre petit chien bien-aimé renversé par une voiture, ou encore cette nuit digne d’un film d’épouvante, quand, dans la salle de cet hôpital africain où j’attendais une amie, on a roulé un brancard supportant le corps d’une femme déja bien attaqué par la décomposition. C’est difficile, inattendu, et choquant.

    Comme toi je ne suis pas cliente des périphrases: un tel est mort. Il n’est pas parti / monté au ciel / au paradis: il est mort. C’est pour toujours, on a mal, on a du chagrin, on est en colère, on ne comprend pas, on ne veut pas… Et on est en deuil, et un jour, un jour, la vie reprend ses droits.

    Des pensée pour toi en cette période d’anniversaire douloureux.

  2. Princesse : ce jour là a vraiment été un « coup de pas de chance », parce que j’ai arpenté la forêt en long en large et en travers, pour des champignons ou du muguet, avec ou sans compagnie (sauf les chiens) et JAMAIS je ne suis retombée sur ce genre de vision !!!
    Merci pour les pensées… Le temps passe tellement vite, que j’ai du mal à croire que cela fera bientôt un an (que cela fait déjà un an que la fin a commencé).

  3. Bon courage, pour toi-même et ta famille, pour ces moments douloureux qui s’annoncent et continuent…
    Pourtant, nous savons bien que lorsque nous naissons, c’est pour mourir un jour… Mon mari aime à citer: « La vie est une maladie sexuellement transmissible dont l’issue est toujours fatale ».
    Alors pourquoi souffrons-nous tant lorsqu’une personne que nous aimons meurt?

  4. Angele : je sais que la maladie la plus mortelle est… LA VIE. N’empêche que les anniversaires sont difficiles à vivre, surtout le premier. N’ayant que 20 ans d’écart avec papa, je ne pensais pas le perdre aussi tôt../

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