Puisqu’il nous faut te dire adieu…

Maison 4

Papa définitivement parti, nous ignorions encore, qu’en plus de pleurer la mort d’un être très cher, nous allions voir notre monde imploser, exploser, qu’importe le bon terme.

Ce n’est pas juste un homme qui meurt en laissant une femme qui l’aimait depuis 60 ans, 4 enfants, 8 petits enfants, c’est tout un monde qui va mourir, mais graduellement, après lui. C’est une famille qui va perdre son âme et qui n’y avait pas pensé.

Là c’est LA maison. Je n’ai pas eu le courage de faire un montage pour vous faire voir l’arrière et le jardin, ni le reste. C’est la maison. Notre coeur qui bat avec elle, et dont maman doit se séparer.

Cette maison a été achetée par mes arrières arrières grand-parents vers 1920 au plus tard. La partie habitable que j’ai connue longtemps, c’était celle de droite, la plus visible sur la photo. A gauche c’était une « grange », aménagée par mes parents, pour en faire une pièce à vivre de 50 m2 avec un grenier, une passerelle, une bibliothèque, un billard. A gauche il y a une cave, dans l’ancienne grange il y avait des traces de la première habitation (une cheminée) remontant à la révolution et à laquelle la cave était reliée. La partie de droite à été bâtie vers 1870.

C’était tout bête : on rentrait dans la cuisine, puis on allait vers la salle à manger en face. A gauche de celle-ci, il y avait une chambre donnant sur un cabinet de toilette dont mon grand-père dans les années 70 a fait une salle de bain WC sur les instances de maman qui en avait marre de nous faire nous laver dans la cuisine, et de vider pots de chambre et seaux dans les toilettes dans le fond de la cour.

Un escalier partant de la cuisine desservait à la fois cette salle de bain (via un pallier, mais c’était très moderne pour 1870), puis deux grandes chambres à l’étage. Celle de droite quand je l’ai connue, était pour mon arrière grand-mère et mon grand-père (on mélangeait sans soucis les générations et les sexes, restait à se mettre d’accord sur l’heure du coucher). Celle de gauche était pour papa et maman, et nous les 3 puis 4 enfants.

La chambre de droite est celle qui a vu mourir mon arrière arrière grand-mère, 18 H avant ma naissance, à l’endroit même où je me suis toujours sentie mal à l’aise dans une des chambres de l’étage, vu qu’il y avait la place d’en faire deux, et que le lit se trouve précisément à l’endroit où elle est morte).

Quand que j’étais petite, avant que mon grand-père ne fasse installer le chauffage central, il n’y avait que des poêles à bois dans les chambres, que l’on allumait vers 18 H. Nous montions nous coucher avec des briques enveloppées dans de vieux torchons, pour nos pauvres pieds. Papa ou maman se relevait la nuit pour le recharger (le poêle) (papa généralement, il était juste à côté). On ne s’attardait pas dans les toilettes bourrées d’araignées, dans le fond de la cour, et l’on était heureux dans cette maison, sans savoir que le bonheur c’est souvent le passé.

Certains WE nous allions à Maison Laffitte le dimanche chez mes grands-parents paternels où nous adorions également y passer des vacances. Nous restions donc à Antony où nous habitions pour le samedi, et papa nous organisait des parties de cache-cache mémorables… (me faire penser d’y revenir).

Mais maman, la maison, elle y a passé un partie de son enfance pendant ses vacances, puis, après la guerre, y a vécu, allant à l’école du village. C’est comme cela qu’elle a connu papa qui lui, venait chez ses grands-parents également, 300 mètres plus loin, après lui, y avoir passé la guerre. Petit garçon timide m’a-t-elle dit un jour de cafard, qui marmonnait « bonjour » en rougissant quand il la croisait.

Puis il y a eu nous, et les WE et tous les mois d’août passés là-bas (nous partions à la mer en juillet), avec les Voisinek à côté chez qui je squattais pas mal, puis il y a eu Albert et la femme de mon frère, des aménagements pour que nous puissions déjeuner dehors par beau temps, jouer aux boules dans le jardin, ou au ping pong dans la cour.

Et puis mon grand-père est parti à son tour, laissant cette maison à maman, mais avec une certaine imprévoyance.

Prévoir n’a jamais tué personne : mais comme elle était fille unique, il ne pensait pas mal faire.

Il lui avait déjà fait don en 1988 d’une deuxième maison occupée par sa grand-tante (tante Hortense) à laquelle il avait racheté sa part (l’autre lui venant de sa mère). Mes parents l’ont retapée et l’on occupée de 1988 à 2003. Au bout de 10 ans, mon grand-père aurait pu faire don de sa deuxième maison à maman, en s’en réservant l’usufruit, mais cela ne lui a jamais traversé l’esprit : elle était sa seule héritière, pourquoi faire quelque chose ?

Pour éviter par exemple, qu’elle ne rentre pour le fisc, dans son héritage. Maman a laissé à l’époque 600 000 F au fisc (près de 150 000 Euros et avait eu la bonne idée de faire faire un constat d’huissier sur l’état de la maison qui sinon aurait été sur-évaluée) .Mais bon, cette maison, c’était sa vraie maison, pas comme l’autre qui n’était que celle d’une arrière grand-mère qu’elle n’aimait pas et d’une grand-tante bof.

Ils ont donc mis en vente la maison « bof » qui a été 4 ans celle des filles et la mienne, pour faire de l’autre « LA maison ».

L’ancienne que nous avions tous connue, et la nouvelle qui serait super.

Sauf que.

Cela coûte une belle grand maison, surtout quand on n’économise pas trop (genre laisser un radiateur allumé dans une chambre parce que le chat y dort PARFOIS, ne JAMAIS couper le chauffage dans la chambre de celle qui n’est pas comme les autres, etc)…

Parce que l’argent qui reste, pour ceux qui en ont beaucoup manqué, semble inépuisable…

Et que là, les comptes faits, maman avec à peine 900 Euros de retraite de réversion, ne peut plus faire face. Parce que justement, même un héritage n’est pas inépuisable.

Je voudrais savoir pourquoi c’est toujours moi qui m’y colle dans les trucs qui fâchent, mais quand elle  a compris en mai qu’elle ne pourrait jamais garder cette maison,  elle a dit « OK Je vends ».

Depuis, je chiale tous les soirs. J’ai bien dit TOUS LES SOIRS !

C’est LA maison, la nôtre, mais au coeur du village, mais au fond d’une impasse, cernée de jardins, la plus calme de tout le village, car quand il y a du bruit, c’est nous qui le faisons. A 5 minutes du tabac, de la boulangerie, de la pharmacie, à 2 minutes de la mairie, à 5 minutes des écoles.

C’est la plus belle, vieille mais bien arrangée, pierres apparentes, tout ce qu’il faut. TOUTES LES AGENCES SE SONT ruées dessus ! Sauf qu’entre les estimations entre 600 000 et 650 000 Euros, j’ai réussi à négocier 520 000 alors que tout le monde baissait à 480 000 pour vendre à coups sûr, pour finalement 505 000… (maman me remercie d’ailleurs tous les jours de ne pas avoir voulu négocier un mandat en dessous de 520 000 mais cela reste strictement entre nous…)

Elle est vendue, et ce qui fait le plus mal au coeur, ce sont les acheteurs HEUREUX venant faire visiter à leur fille et amis, parce que certains meubles que maman ne pourra pas garder (encore de la famille qui part) les intéresse, et tout le monde ravi pour eux « c’est magnifique », et gnagnagna…  (j’en ai gros coeur mais ils sont sympas SINON).

OUI c’est magnifique.

C’est chez NOUS !

Aurai-je le courage après le dernier jour, de retourner un jour dans le fond de cette impasse qui fait de la maison un endroit calme et unique ?

Je ne le pense pas. Un adieu doit être réel, la dernière vision la dernière vision, et la dernière fois, réellement la dernière.  Sauf que dans les cas autres que ceux d’une vente d’un bien, nous ne savons pas. Quand on sait c’est pire…

Et dans mes rêves, cherchez l’erreur, ce n’est pas la nouvelle maison qui est présente, mais bel et bien l’ancienne.

Reste à retrouver à maman où se reloger, en se gardant de l’argent de côté, car vue ses analyses et sa santé, elle est partie, heureusement, pour un bon bout de temps encore. Comme elle ne croit en rien, elle n’espère pas retrouver papa un jour, d’où sa volonté de vivre, en regrettant parfois, de ne pas avoir une certaine Foi.

Et comme elle ne dit rien (comme mes analyses de sang à moi qui ne disent jamais rien de bien compréhensible, sauf que je ne suis pas atteinte d’un truc grave), impossible de savoir ce qu’elle pense. Un coup c’est « je ne suis déjà plus chez moi » et le lendemain c’est la litanie des souvenirs, et là je hais celle de mes filles qui m’a piqué mon enregistreur (et mes jumelles, et mes moules à cake, et mes collectors YSL et mes collectors poudre Caron, etc…  qui me feraient du fric, etc…)

Ou alors elle refuse de profiter de la terrasse côté jardin pour profiter encore de sa cuisine… Mais je ne peux même pas l’enregistrer…

Parce que ce n’est pas ma vie que je devrais écrire.

C’est celle de Mrs Bibelot.

Puisqu’il faut te dire adieu MA maison, NOTRE maison, MON âme,  NOTRE âme, autant que je sois franche et que je le fasse sans dignité aucune, en chialant.

LA VIE N’EST QU’UN LONG CALVAIRE.

Ma seule consolation c’est que papa lui, est désormais bien loin de tout cela, ce qui ne me dit pas où il est (autrement que de manière terre à terre si vous voyez ce que je veux dire, ce qui n’arrange pas mes échalotes personnelles)…

14 réponses sur “Puisqu’il nous faut te dire adieu…”

  1. Comme je te comprends. Mon père vit encore, et qu’il vive longtemps, il nous a fait don de sa maison, mais il a 90 ans, est maintenant en maison de retraite, et je suppose qu’un jour aussi, il nous faudra nous décider à vendre la maison où nous avons grandi, où nous avons amené nos enfants, qui y ont amené leurs enfants, parce que, tout simplement, nous n’aurons pas les moyens de la garder.

  2. Courage et détermination!!
    J’ai également vu la maison de mes grands parents (celle de toutes mes vacances, celle d’une unité familiale qui n’est presque plus, celle des fêtes, des magnifiques repas et de le souvenirs de tant d’autres choses).
    Mon oncle a racheté la maison à ses frères et soeurs. Ca n’est pas plus facile, je vois souvent les modifications qu’il y fait (l’arrachage des rosiers de ma grand-mère… la coupe du tilleul…). C’est pas facile de grandir…

  3. Je comprends tellement ! Nous ce n’était pas la maison d’habitation, mais nous avons du nous séparer de la maison de campagne. Ma mère ne conduit pas et ne pouvait pas assumer les charges. J’en ai eu la nostalgie longtemps…
    C’est vrai que c’est dur : non seulement on perd un être cher, mais on doit faire le deuil des lieux aussi… Tu as raison la vie n’est qu’un long calvaire !

  4. Je compatis… ô combien !
    Je n’ai pas encore fait le deuil de l’appartement de ma mère… pas une belle maison ni même une maison de famille, non, juste un T3 en centre-ville de Marseille, un ancien commerce réhabilité en appartement. Rien d’extraordinaire, mais une disposition particulière autour d’une cour intérieure : un grand séjour, une cuisine et une salle de bains, et puis un couloir (la coursive comme je l’appelais) qui longeait la cour pour accéder aux deux chambres, qui étaient probablement l’ancienne réserve du commerce. La coursive ayant été prise sur la cour pour relier les deux bâtiments…
    Rien d’extraordinaire donc, mais un petit appartement choisi avec ma mère à deux pas du mien quand elle est revenue vivre à Marseille, un appartement où j’avais installé mon bureau de secrétaire indépendante quand la maladie de mon mari n’a plus permis que je reçoive mes clients chez nous et avant que, mon mari décédé, je reprenne un petit T2 qui me servait essentiellement de bureau (je l’avais installé dans la plus grande pièce, empilant mes meubles dans l’autre où je dormais sur le canapé…) ; enfin un appartement où j’ai veillé sur elle 17h sur 24 (et 48h sur 48 le week-end…) quand elle était en hospitalisation à domicile, pendant ses 6 mois de quasi-agonie avant la fin…
    Un appartement que j’aurais voulu garder comme pied-à-terre marseillais (mes enfants et moi-même allons régulièrement à Marseille où résident toute notre famille et nos amis et à chaque fois se pose maintenant la question de l’hébergement) si mon frère, intéressé uniquement par sa valeur et donc très pressé de le vendre et d’encaisser sa part d’héritage, ne m’avait pas mis le couteau sur la gorge et, faute de temps pour me retourner, empêchée de le lui racheter… d’autant que parfaitement au courant des travaux qu’il fallait y engager je n’en aurais jamais donné le prix qu’il en a obtenu…
    De gros regrets donc… et j’imagine d’autant plus aisément les tiens. Mais le temps passe et les regrets s’amenuisent doucement.

  5. J’ai vécu la même chose quand ma grand-mère est partie en foyer-logement.
    Ma tante a racheté cette maison où nous avions passé tellement de temps, de dimanches avec les cousins, de vacances ma cousine et moi. Cette bonbonnière surchargée de petites merveilles chinées au fil des ans, j’y ai appris à faire du point de croix, j’y ai observé mon grand-père manipuler ses outils d’ébéniste, j’ai passé des heures à fouiller dans son grenier. Elle me manque.
    J’ai passé un an à Antony et nous venons de quitter Massy, nous avons trouvé un coin de paradis dans le beaujolais où nous espérons trouver la maison où nos petits-enfants se créeront des souvenirs.
    Je t’embrasse « tata Calpurnia »

  6. Quel crève-coeur!
    je crois que nous avons tous dans nos histoires de famille, cet héritage patrimonial (pardon d’employer des gros mots mais on est il me semble dans le cœur du sujet), envolé et qui ne vit plus que dans nos rêves.(amers, les rêves d’ailleurs)
    Et tout d’un coup, on comprend mieux pourquoi autrefois, seuls les fils aînés héritaient du domaine familial, avec ordre implicite de ne pas vendre, ni partager, mais faire prospérer pour les générations suivantes, quitte à bouffer des patates tous les jours mais dans du Limoges….
    Que dire de plus? Il y a des pages qu’il faut tourner de gré ou de force, mais dont le souvenir revient encore et toujours….
    Peut-être qu’on devrait porter plainte contre l’état pour spoliation d’héritage…..
    Plein de pensées pour vous deux!

  7. Sans pouvoir t’aider vraiment, mais sache que je pense beaucoup à toi et à ta maman dans ces moments tellement douloureux. Bon courage pour tout. Amicalement.

  8. Esther : c’est toujours extrêmement difficile. Nous avions connu cela avec la maison des grands-parents maternels de papa, mais c’était moins, fort, moins « chez NOUS ».

  9. Eldoé : là le pire c’est que c’était la maison d’enfance mais aussi, celle des parents, où maman pensait qu’elle pourrait terminer ses jours. C’est tout un monde qui part du coup…

  10. Louisianne : là c’est vraiment plusieurs vies qui vont rester à des étrangers.
    Pour moi c’était la maison de mon arrière grand-mère, puis de mon grand-père, et puis de mes parents.
    Nous savions qu’elle serait perdue un jour, aucun de nous n’ayant les moyens de la reprendre, mais nous souhaitions que maman puisse y rester un maximum, c’est toute son enfance, sa jeunesse, et papa qu’elle doit y laisser…

  11. Gisèle : j’ai lu quelque part que certains, faisant construire leur maison (jadis) mettaient quelques gouttes de leur sang dans le mortier pour que la demeure reste à jamais aux héritiers.
    Il n’y a pas de sang à nous dans le mortier. Juste notre âme…

  12. tandm : je crois que chaque demeure imprégnée de nos souvenirs, nous laisse une blessure qui ne guérira pas.
    Pour moi ce sera la troisième, mais la pire…
    Merci ma nièce 🙂

  13. Filo : ne pas oublier tout de même que l’héritier chanceux, s’engageait à entretenir ses frères et soeurs s’il le fallait…
    Chaque médaille a son revers : il était injuste de naître en second, il est injuste de devoir partager, il n’y avait que le loto pour nous sortir de là et racheter la maison à maman, mais la chance nous a ignorés… (je n’ai pas trop le coeur à en rire)

  14. Angele2b : maintenant le plus dur reste à faire : reloger maman correctement, et lui faire baisser ses exigences (là où elle est elle a tout ce qu’il lui faut). L’arlésienne et moi tenons tout de même le coup, mais la perle rare est difficile à dénicher…

Répondre à Louisianne Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *