Souvenirs… Souvenirs… (1)

Le plus grand pouvoir qu’ont les morts sur nous, c’est d’aviver de très vieux souvenirs, que l’on retrouve tout à coup grâce à un coup fumant de notre « boîte à mémoire », titillée par un rêve très souvent.

Le sommeil paradoxal, quand on ne procède pas à des déambulations nocturnes 🙂 nous voit faire des rêves extravagants la plupart du temps, mais qui ont bien un sens. Le sens le plus caché est l’ouverture d’une boîte close depuis longtemps et qui s’est ouverte pour y ranger un souvenir…

Je rêve beaucoup de papa et maman, ce qui est normal, et, j’en suis ravie, ce n’est jamais pour voir mon père affaibli les 3/4 dernières années, ou maman devenue tout à coup une dame de 80 ans (mais ne les faisant pas)  ayant perdu son allant, son entrain normal, une femme déracinée.

Je les revois souvent dans mes rêves, jeunes, quand j’étais petite donc, bien avant la naissance de l’arlésienne, avec une netteté hallucinante. Pour me souvenir parfois de choses désagréables et incompréhensibles.

Nous habitions Antony, ville dortoir pour papa, mais où maman ne se déplaisait pas : elle y avait pas mal d’activités, dont reliure et couture deux fois par semaine. C’était l’époque où elle avait deux ou trois amies avec qui elle allait volontiers faire les courses ou prendre un thé quelque part, et c’était aussi hélas, l’époque où j’étais en primaire et où j’étais tenue à des résultats scolaires impeccables.

J’avais sauté une classe (traumatisme qui m’accompagnera jusqu’au jour de ma mort désormais), mais dès le CM1 puis le CM2, c’était la course à la première place avec deux autres élèves.

Nous avions des voisins qui habitaient le 2ème : les Merlan (on s’appelle comme on le peut). Mes parents et eux avaient sympathisé, enfin surtout les deux hommes, et se recevaient régulièrement à tour de rôle, pour un apéritif dinatoire. Ils avaient une fille de mon âge mais qui n’était pas dans ma classe (il y avait deux classes du même niveau dans mon école pour chaque étape), et deux fils avec lesquels mon frère s’entendaient plutôt bien.

Je ne sais quelle sournoise compétition opposait Mrs Bibelot et Mrs Merlan concernant les résultats scolaires de leurs filles, ni surtout POURQUOI, mais le fait était là. Le jour de la remise des carnets, je devais aller faire voir le mien à Mrs Merlan, et sa fille Christine venait dans la soirée, faire voir le sien à maman qui généralement prenait un air pincé en revenant s’asseoir à table (ils dînaient une heure plus tard que nous). Vous saisissez l’ambiance…

Papa était très agacé par cet état de fait, mais mes parents évitaient au maximum toute dispute ou discussion un peu animée devant leurs enfants.  C’est donc accidentellement qu’un soir, m’étant relevée pour vérifier que le gaz était bien fermé, que j »avais surpris Jean Poirotte très énervé en train de dire à maman :

  • « Mais enfin chérie c’est ridicule ! tu l’as encore envoyée montrer son carnet à Georgette ! A quoi vous jouez toutes les deux ?
  • « Oh elle m’agace avec ses deux bacs modernes !
  • « Comme tu dois l’agacer avec les tiens, tes bacs classiques, ton latin et ton grec ! Vous êtes deux gamines, Coraline n’a pas à en pâtir. Georgette ne peut pas la souffrir, comme tu ne peux pas souffrir Christine, c’est de votre faute, vous êtes deux… Tiens, je préfère me taire ! »
  • Sauf qu’il ne l’avait pas bouclée, et que moi, ne voulant pas espionner plus avant, je n’ai jamais su ce qu’ils s’étaient dit de plus…

Pour l’avant dernière distribution des carnets en CM1, mon institutrice sournoisement avais mis mon carnet en deuxième position et la  directrice débordée, n’avait rien vérifié. Je l’avais vue tiquer quand elle m’avait appelée en second, sans comprendre pourquoi, mais j’étais rentrée toute fière :  j’étais deuxième.

Seules maman et Mrs Merlan se préoccupaient de la  scolarité de leurs mômes dans notre cité, c’était une triste réalité. Elles étaient donc les deux seules à la  fenêtre quand je suis rentrée de  l’école, plus tard que Christine, car je restais à l’étude. J’avais crié « maman, je suis deuxième ! » sans comprendre pourquoi Mrs Bibelot pinçait les lèvres d’un air mécontent. En fait elle avait bien vu la tête de l’autre à la fenêtre, deux étages plus bas. S’il y a un souvenir de ma mère que je veux bannir de mon cerveau, c’est celui de la voir pincer les lèvres, d’un air mécontent… Un jour je lui avais fait le coup il y a une quinzaine d’année, et elle m’avait dit « c’est insupportable cette expression »… donc nous nous étions boutiquées pas mal, sans plus jamais y revenir : l’affaire était somme toute close…

Puis détaillant mon carnet où les moyennes des 3 premiers étaient notées, elle s’exclama tout à coup :

  • « Mais tu es la première ma chérie ! Vois la moyenne de la première, de la seconde, de la troisième…
  • « Mais j’ai été appelée en deuxième !
  • « Encore un coup de cette ordure de Madame Baron (dont je vous reparlerai un jour).
  • « Ma chérie, tu vas aller faire voir ton carnet à Mrs  Merlan, et tu vas lui dire de bien regarder car tu es première ».

Corvée dont je me serais bien dispensée, et c’est la seule et unique fois où j’ai été tentée de suggérer à maman d’y aller elle-même. Mais à l’époque on ne terrorisait pas les parents. Je suis descendue en trainant des pieds, j’ai sonné, et obéissante, j’ai tendu mon carnet à Mrs Merlan :

  • « Bonsoir Madame Merlan, maman m’a demandé de vous montrer mon carnet. Voyez, je suis première…
  • « MENTEUSE » ! « 

Et elle me claqua sa porte au nez ce dont maman s’indigna, sans pour autant redescendre avec mon carnet… J’oubliais l’incident, car cette première place à laquelle j’allais désormais m’accrocher jusqu’à la fin de mon CM2 (j’étais en CM1) me rapporta  beaucoup de sous de la part des parents, grand-parents, et arrière-grand-parents…

Mais il y a une suite.

Car la vie n’est qu’un long calvaire….

3 réponses sur “Souvenirs… Souvenirs… (1)”

  1. J’adore vos histoires ! Je vois que vous avez retrouvé toute votre verve ! j’attends la suite avec impatience.
    Bonne journée.

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