Souvenirs… Souvenirs… (2)

Le coup du claquage de porte assorti d’un « menteuse » jeta un froid entre Mrs Bibelot et Mrs Merlan, mais les deux pères eux, continuaient à se parler tout à fait normalement. Les deux hommes s’entendaient bien, étaient artisans tous les deux, et étaient sans doute agacés tous les deux par leurs femmes et les résultats scolaires de leurs filles (des garçons il n’était jamais question), et les invitations reprirent.

Malheureusement Christine et moi devions à nouveau montrer nos carnets à nos mères respectives, et plus d’une fois elle pleura, giflée parce qu’elle n’était que dans les cinq premières mais jamais la première. Peut-être sans cette stupide compétition maternelle aurions nous pu être amies…

Et puis alors que j’étais en CM2, première de la classe depuis le début de l’année, au début d’un beau mois de mai, papa suggéra un pique nique dans le village « familial », enfin en forêt, et les Merlan acceptèrent.

Notre surprise fut grande (à nous les enfants) de les voir arriver un dimanche donc, et nous partîmes tous dans un coin fort agréable. Le pique nique était sympa, nous les enfants connaissions bien le coin (c’était le rendez-vous de chasse) et nous nous sommes amusés comme des fous, Christine et moi oubliant les carnets à venir dans 2 semaines.

Puis maman qui avait bien parlé de l’origine (romaine) du village, et de ce qu’il restait comme trace des dits romains qui extrayaient de la bauxite, emmena Mr Merlan, avec nous les enfants, pour lui montrer, les endroits où l’on voyait que l’on avait creusé jadis, et ramasser quelques scories.  Au passage elle nous montra les traces du village d’origine, le long de la rivière. Je ne sais pas si aujourd’hui on retrouverait encore des pierres. Mrs Merlan s’était fait mal à la cheville et était restée avec papa pour ranger les reliefs de notre festin, et à notre retour, papa revenait tout juste d’une place à mousserons non loin, provision faite. Mrs Merlan tirait la tronche : sa cheville sans doute, ou autre chose, elle tirait toujours la tronche.

C’est tout ce qu’en tant que gamine de 10 ans bientôt, j’ai retenu de ce dimanche.

Remise des carnets fin mai, avant le mois de juin qui n’en verrait pas puisqu’il y avait la « distribution des prix ». J’étais pour la dernière fois première, mais comme, résignée, je me dirigeais vers la porte maman m’arrêta net :

  • « Inutile d’aller faire voir ton carnet à Georgette, finalement cela ne la regarde pas !
  • « Ah bon, mais cela fait TROIS ANS QUE JE DOIS LE LUI MONTRER !!!
  • « Ton père ne veux plus ».

Christine ne vint pas non plus. Après les grandes vacances et mon entrée en sixième (on disait toujours « entrer au lycée ») j’ai constaté un jour par hasard que Mrs Bibelot et Mrs Merlan ne se disaient plus bonjour quand elles se croisaient. Les deux hommes discutaient toujours un peu, mais sans plus.

Terminées les invitations réciproques.

Tenez-vous bien, je n’ai eu l’explication de la chose qu’en 2014 lors de nos dernière vacances à la Grande Motte (alors que nous ignorions que nous n’y retournerions jamais). J’avais eu une explication orageuse avec maman au cours du dîner, parce ce qu’elle refusait catégoriquement ma version du fait que je devais systématiquement montrer mon carnet à Madame Merlan et vice et versa pour sa fille.

  • « Tu dis n’importe quoi ma pauvre chérie ! Peut-être une fois ou deux… pas plus… Mais je ne m’en souviens pas… Tu dois confondre (avec quoi ? )
  • « Bibelot intervint papa au bout d’un moment, tu es d’une mauvaise foi pas possible. Coraline devait montrer son carnet à Georgette, cela a duré près de 3 ans. Et Christine devait faire la même chose et te montrer le sien. Cela m’a assez énervé votre compétition via les gosses, du parfait élève, du meilleur élève !
  • « Vous exagérez tous les deux !
  • « Deux contre une, c’est fou…
  • « Maman, c’était il y a tellement longtemps ! Ne me dis pas que tu as oublié !  Qu’y avait-il ? »

Il y a fallu la soirée, maman prétextant que cela ne me regardait pas, papa pas d’accord vu que j’avais 56 ans.

J’ai donc appris que les deux femmes, ce que je soupçonnais déjà, ne supportaient pas l’ambiance de la cité et particulièrement du quartier, les gosses terminant mal, les échecs scolaires, et mettaient donc un point d’honneur à avoir ELLES des enfants qui iraient loin. Par contre elles avaient mal supporté de voir qu’en terme d’études, elles étaient à égalité, sauf que :

  • On avait dit à maman que si elle voulait faire médecine il lui fallait maîtriser le latin (courant comme conseil à l’époque) et qu’elle avait découvert en PCB qu’elle avait un retard considérable sur ses camarades qui avaient fait « moderne ».
  • Inversement l’autre avait fait « moderne » à tort.
  • Les deux femmes avaient opté pour être femmes au foyer après 3 enfants rapprochés, les études les ayant contradictoirement séparées.

Mais le plus beau de l’histoire, le plus croustillant, c’était qu’au cours de ce fameux pique-nique, papa s’était donc retrouvé seul avec Madame Merlan qui lui avait fait des avances sans équivoque. Elle avait tout prévu, y compris l’hôtel où ils pourraient se retrouver avant qu’il ne fasse semblant de rentrer du boulot, car comme beaucoup d’artisans, il avait des horaires élastiques.

Papa avait foutu le camp aux mousserons, et je suis certaine qu’on peut lui faire confiance sur ce coup là, et 3 jours après passant en rentrant devant le fameux hôtel par hasard l’après midi, il avait vu l’autre en sortir avec un autre voisin de l’escalier d’à côté….

Outré, il avait tout raconté à maman. Qui l’avait mal pris, vous vous en doutez. Non pas contre papa, mais contre la voisine. Encore que papa ait pu en prendre plein son grade pour ne rien lui avoir dit dès le dimanche soir…

Je n’ai aucun mal à voir ma mère en femme jalouse et outrée. Je savais depuis longtemps que lors du voyage en Espagne au cours duquel j’ai été (accidentellement) conçue, elle avait un soir giflé sans trop réfléchir, une jeune fille qui faisait à papa des propositions sans équivoques, comme si elle n’existait pas. Rien de plus exaspérant que de voir une personne faire du gringue à votre presque moitié ou moitié réelle, devant vous, comme si vous n’étiez que de la merde ! J’étais tout à fait d’accord avec elle le jour où elle m’avait raconté l’histoire, devant papa qui en rigolait encore, car il n’avait jamais eu l’intention d’aller visiter une autre tente que celle qu’il partageait avec maman (contrairement à ce que leurs mère pensaient en toute innocence…)

Je ne sais pas quel genre d’explication elle avait eue avec « Georgette », mais il était certain qu’il y en avait eu une. Elles n’étaient ni l’une ni l’autre, du genre à hurler dans l’escalier pour mettre tous les voisins au courant, mais cela avait du être sanglant…

Le lave vaisselle en route, elle avoua tout. Oui cela s’était très mal passé, et maman l’avait même menacée (l’autre) de lui planter un couteau dans le bide si elle osait seulement encore sourire à papa ou même lui dire bonjour.

Pauvre papa bien embêté de tout avoir dit à l’époque (j’imagine encore la scène). Il aurait été aussi simple de dire qu’il ne supportait plus ces gens là, qu’il en avait marre de ces histoires de carnet, et qu’il ne voulait plus entendre parler des Merlan jusqu’à la fin de ses jours…

Parce que la vie n’étant qu’un long calvaire, Madame Merlan fut vue par d’autres du quartier sortant régulièrement de l’hôtel précédemment cité avec des hommes divers ; ce qui fit dire avec bon esprit qu’elle faisait le tapin, et que bien avant notre déménagement, son mari l’avait  laissée seule avec ses 3 gosses non sans raison (peut-être). J’avais beau avoir un âge déjà avancé, cela m’a fait halluciner : Mrs Merlan trompant son mari ou faisant le tapin ? Rien que la deuxième option me faisait rire. Mais pas maman : cette femme qui avait fait des propositions à son mari méritait la mort (ou pire, ce qui m’a toujours laissée perplexe dans mes lectures d’adolescente innocente…)

D’un autre côté, j’ai échappé à la corvée du bulletin trimestriel à montrer à Madame Merlan… Après l’entrée en sixième…

Décidément la vie n’est qu’un long calvaire…

3 réponses sur “Souvenirs… Souvenirs… (2)”

  1. Tu racontes bien…
    Et cela me fait penser que c’est comme pour Molière, dixit Musset: « … lorsqu’on vient d’en rire, on devrait en pleurer … »

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