Madame Baron…

Madame Baron ne m’aime pas et je ne sais pas pourquoi.

Je viens de galérer pendant tout mon CE2  ON M’A  FAIT SAUTER UNE CLASSE !   faite avec billet d’excellence juste à temps, fin mai, avec la gentillesse de Madame Vincent qui m’encourageait et me caressait souvent la joue, ainsi qu’à ma compagne de misère qui avait également sauté une classe. En effet, sans que je sois consultée et pire, avertie,  on m’avait fait sauter une classe, passant du CP en CE2 en perdant au passage toutes mes amies… Je ne m’en suis jamais vraiment remise…

Dans le regard de Madame Vincent, je sentais sans les comprendre, une certaine pitié pour ma compagne de misère et moi, ainsi que de la révolte face au fait que nous étions devenues des parias de l’école. Cette femme certainement, se révoltait contre la course à la première place à tous prix…

Nous étions les crâneuses qui sautent une classe pour nos anciennes amies, les chouchoutes de Madame Vincent pour les autres. Isolées, seules, perdues…

Je passe donc en CM1 haut la main, ce qui n’a pas empêché mes parents de me faire réviser mon programme et de me préparer au prochain, pendant le mois d’août, le mois de juillet étant traditionnellement un mois passé au bord de la mer, sans devoirs.

Curieusement, des deux institutrices à s’occuper du CM1, Madame Baron a une bien meilleure réputation auprès des élèves, que Madame de Poissy qui a l’air plus revêche et semble crier souvent. Je suis donc contente d’être affectée à Madame Baron. Le seul vrai sourire qu’elle me fera, sera celui de la rentrée en CM1, alors qu’elle dévisage toutes les élèves pour voir qui elle connait ou non de vue. ON m’a coupé les cheveux sans trop me demander mon avis (une fois de plus, je voulais une coupe au carré…), au cours de l’été, donc elle hésite un peu, et au hasard, me fait un sourire. Ce sera le seul.

Je suis sage et appliquée, je n’ai pas trop le choix. Moi si bavarde, je ne l’ai jamais ouvert en classe avant la seconde. J’écoute et je me penche sérieusement sur tout. Cela me semble facile, cela me change de l’année précédente.

Première note : 10/10 : elle décortique pour vérifier qu’elle n’a pas loupé une erreur, et me donne mon cahier d’un air mauvais. Elle ne crie pas elle, jamais. En fait, elle jette les cahiers sur les bureaux, avec d’une petite voix, un commentaire désobligeant ou pas de commentaire. Sauf pour certaines. Elle a des lunettes à verres gros comme ça, et derrière ses lunettes, je trouve son regard méchant. Elle me fait peur, elle me fera toujours peur. Pas un compliment, rien, alors que les deux nanties d’un 9/10 ont droit à tous ses encouragements.

Elle ne m’aime pas. Jamais elle ne loupe une réflexion cinglante à me faire pour une broutille. Jamais elle n’accroche un de mes dessins sur le mur. Jamais elle ne m’interroge quand je lève le doigt. Le samedi après midi où c’est bibliothèque, elle me refuse toujours le livre pour lequel je m’inscris. Jamais elle ne me complimente, moi qui me cramponne à la première place. Elle me traite comme les derniers rangs.

Car dans sa classe nous sommes classés par ordre de mérite : la rangée près de la porte n’a jamais droit à un regard de sa part, elle jette les cahiers sur les tables en précisant « nul comme d’habitude ». La rangée centrale c’est le moyen et la rangée près de la fenêtre, ce sont les meilleures (école non mixte). Pour chaque rangée les meilleures sont placées près de son bureau, les moins bonnes dans le fond. Inutile de vous dire que les dernières du rang près de la porte iront en « fin d’étude », une classe qui n’existe plus.

Et moi je suis juste sous son nez dans le rang près de la fenêtre. A chaque distribution de carnets, ça déménage. Moi je ne bouge pas. Je suis enfin la première après avoir été 2 fois seconde. Mais Madame Baron ne m’aime pas. Elle me regarde d’un sale oeil en recomptant les notes.

Nous avons toutes notre « semaine » de planifiée dans l’année, par ordre alphabétique. C’est celle « de semaine » qui essuie le tableau, secoue les tampons par la fenêtre, passe scrupuleusement l’éponge sur le tableau noir le soir, distribue les cahiers, les ramasse, descend les stores l’après midi, et va déclencher la sonnette de la récréation, acte important qui revient aux CM1 : nous adorons toutes, et avons hâte que cela soit notre tour.

Quant mon tour vient, elle s’occupe de tout, toute seule, ou bien, comme par inadvertance, demande à une autre élève de descendre les stores ou d’aller déclencher la sonnette. MA semaine se passe alors que je commence à avoir une boule d’angoisse dans le ventre.

Madame Baron ne m’aime pas… Je ne sais pas pourquoi… Mais je le sens, et ça me fait mal.

Je n’ose pas en parler à mes parents. Une maîtresse d’école ça ne se critique pas, elle a forcément raison contre moi. Et moi je ressens une injustice terrible, et je ne comprends pas. Moins je comprends et plus je m’applique. Il faudra un 3ème carnet en novembre où je suis la première enfin au lieu de seconde, pour que maman commence à se poser des questions. A cette époque là, je « me lève » toutes les nuits, quelque chose ne va pas.

Je suis première. On nous donnait des billets d’honneur ou des billets d’excellence. C’était comme ça et maman a gardé tous mes billets d’excellence ou d’honneur, et mes grands parents me donnaient de l’argent pour avoir si bien réussi. J’aurais dû être heureuse de bien travailler, d’être première, mais ce n’a pas été le cas.

Quand la directrice qui distribuait les carnets par ordre de mérite en commençant par la première, est arrivée, Madame Baron m’a regardée de son regard méchant derrière ses lunettes, et a demandé à ce que l’on me retire mon billet d’excellence sous le prétexte que je n’avais rien fait de valable en dehors des compositions. Elle a précisé que je me fichais du monde les 3/4 du temps. J’étais mal car je ne savais pas me foutre du mondes les 3/4 du temps. Je regardais ma table, une boule dans la gorge pour ne surtout pas pleurer, avec l’envie de mourir s’il me fallait rentrer à la maison sans mon billet d’excellence. Je n’avais pas bien compris comment sur un carnet on pouvait repérer le premier de la classe, je ne regardais que les notes et pas le classement. Et je savais que j’avais tout le temps bien travaillé, qu’elle mentait et voulait me faire du mal. La directrice n’a donc pas commencé par la première de la classe, j’arrivais en 4ème position dans la distribution.

J’ai hésité à rentrer à la maison. Je ne savais pas où aller, mais je savais que j’allais mourir ce soir là, de honte, de chagrin, de colère, d’injustice. J’irais me coucher en pensant bien fort à mourir, et je ne reverrais plus jamais Madame Baron parce que la mort parfois venait chercher des enfants innocents. Plus jamais je n’aurais peur du problème du début d’après midi, qu’elle faisait toujours corriger par une autre que moi, même si j’avais réussi. Plus jamais elle ne me ferait peur.

Pleurer, je l’ai enfin fait en rentrant à la maison. Maman a tout de suite vu que j’étais première, en voyant les moyennes affichées et j’ai eu des félicitations qui ont ouvert les vannes, parce que l’on m’avait retiré mon billet d’excellence. Et je hoquetais que ce n’était pas juste, que ce n’était pas vrai, qu’elle avait menti. Il n’y avait que ce que je pouvais raconter, il n’y avait rien d’écrit, aucune trace, sinon dans ma mémoire, et j’entends encore le laïus près de 50 ans plus tard…

Maman n’a rien dit contre Madame Baron, elle m’a embrassée pour mon excellent résultat, et j’ai tout de même compris que si elle ne disait rien, elle n’en pensait pas moins, et était de mon côté. Papa en rentrant, m’a félicitée à son tour, après discussion à voix basse avec maman. Les mots leur manquaient pour la vraie angoisse, pour l’humiliation du billet d’excellence qui m’avait été refusé, et c’était pour moi le plus important… Le soir, en entendant de notre chambre, mes parents parler un peu fort, j’ai bien compris que c’était virulent des deux côtés. J’attendais un miracle : mon billet d’excellence avec des excuses… Il leur a fallu 30 ans pour m’avouer qu’ils avaient eu l’un et l’autre, l’envie d’aller tout simplement flanquer une claque à Madame Baron mais y avaient renoncé pour ne pas empirer ma situation…

Il y a eu un mot sec, écrit par maman, qu’elle m’avait remis pour la maîtresse, précisant qu’elle gardait le carnet, distribué le vendredi, jusqu’au lundi, comme de coutume. Il fallait ramener le carnet signé le samedi matin et c’était l’horreur pour moi, depuis le CP, d’être la seule à le ramener le lundi, car les grands parents voulaient le voir le WE (même s’ils me donnaient ce qu’on appelait « des sous »).

Questions, et réponses, enfin, quand j’ai dit « madame Baron ne m’aime pas ».

Non, madame Baron ne pouvait pas me supporter. Maman l’avait plus ou moins compris avant cet épisode, à certaines de mes révélations « anodines ». Là, il fallait qu’elle m’en parle, je voulais mourir et sauter par la fenêtre depuis l’humiliation de la distribution des carnets. Du 5ème c’était risqué, elle n’a pas voulu laisser faire.

J’avais contre moi, deux concurrentes des plus sévères : Lise B, fille d’une institutrice de ma maternelle, que je me trainais depuis l’année des petits. Les parents de Lise B étaient divorcés ce qui était rare à l’époque, et sa mère mettait un point d’honneur à ce que ses 3 filles soient les premières en tout. Tout le monde la plaignait, cette pauvre femme abandonnée par un salaud, obligée d’élever ses filles toute seule.

Et puis surtout, il y avait Frédérique de Poissy dans ma classe, car bien évidemment il n’avait pas été question qu’elle se retrouve dans la classe de sa mère. Elle aussi, poussée au mieux, par sa mère et la collègue de sa mère qui ne supportait pas de me donner une meilleure note qu’à elle.

Je me souviens toujours de ma haine, quand papa regardant la photo de classe et ignorant tout, avait qualifié Frédérique de Poissy d’un « oh quelle adorable petite chipie celle-là ! ». J’étais quoi moi ?

C’est pour cela que madame Baron ne m’aimait pas. Je l’obligeais à trahir ses collègues en me mettant première, en me donnant de meilleures notes qu’aux filles forcément préférées de ses apparemment amies. Elle jouait même du 0,25/10 pour arriver à ses fins. Elle restait honnête en m’accordant la meilleure note ou en nous mettant à égalité, mais elle décortiquait toujours tout ce que je faisais, à l’affut de la moindre bricole. Et moi j’angoissais pour ne pas laisser passer une bricole. Nous écrivions au porte plume et le soupçon d’un pâté la réjouissait : elle pouvait me réduire ma note de moitié, ce traitement m’étant réservé… Tout était à l’avenant.

Tout le reste du CM1 j’ai été première après la première fois. Je me croyais débarrassée de Madame Baron pour le CM2, mais les effectifs étant insuffisants, elle s’est retrouvée avec une classe double CM1/CM2, avec en CM2 les meilleures de l’année précédente. Dont moi.

J’ai adoré apprendre cette nouvelle, moi qui me réjouissait d’avoir madame X ou madame Y si gentilles. On supprimait une classe (déjà) et maman n’a jamais réussi à convaincre la directrice de me mettre avec madame X plutôt qu’avec madame Baron. A la rentrée quand je l’ai vue arriver je me suis rappelée que Madame Baron ne m’aimait pas, ce qui s’est confirmé pendant tout le CM2.

Sauf que maman, suite à l’histoire du billet d’excellence que l’on ne m’a finalement jamais donné, avait pris la peine d’aller voir la directrice et qu’après cette visite, le comportement de la grosse truie violette s’était légèrement modifié… C’est d’ailleurs pour contrôler madame Baron que la directrice avait persisté à me laisser avec elle, ainsi que les 2 autres. Je ne comprends toujours pas ce raisonnement car le cas de figure n’était pas près de se renouveler…

Pour la fin du CM2, elle m’a juste oubliée pour le spectacle de fin d’année, ainsi qu’une autre qui menaçait aussi la place de ses petites chéries, et surtout m’a retirée de la distribution des prix (ça se faisait à l’époque, c’était grandiose pour ceux qui n’avaient droit à rien).

« Aucun prix pour elle, c’est normal » a-t-elle précisé à Mrs Bibelot une fois de plus indignée. « Elle lit bien TROP comme ça, elle n’a pas besoin d’un livre de plus ».

Un joli livre broché rouge et or, avec le ruban précisant le prix que l’on avait remporté, que l’on pouvait montrer à tout le monde avec fierté… J’en avais eu trois en CP, deux en CE2, et depuis j’étais évincée… Mais j’allais rentrer au collège, non sans angoisse, et j’ai ravalé mes larmes.

Mais bon, Madame Baron ne m’aimait pas… Vraiment pas, et jusqu’au bout il a fallu qu’elle le montre, qu’elle me fasse du mal, et qu’elle m’humilie… Car j’étais seule, exclue du spectacle de fin d’année, à regarder mes copines de classe danser au son des « filles de la Rochelle »…

La vie n’est qu’un long calvaire…

Etonnez-vous qu’un jour j’ai décidé pendant quelques mois, de ne plus rien faire…Pour retrouver ma vraie place, pour oublier cette classe sautée, pour oublier quoi.

Cela m’a permis de rencontrer meilleure amie depuis nos 12 ans.

MERCI MADAME BARON !

7 réponses sur “Madame Baron…”

  1. Mon Dieu mais quelle garce! Mais c’est pas possible d’exercer son métier d’enseignant en étant dans cet état d’esprit! Je suis vraiment désolée pour toi Gentille Sorcière. Elle ne méritait pas une élève aussi choupie que tu l’étais.

  2. Je t’envoie toute ma sympathie, chère Sorcière…
    « Ma » Madame Baron (CM1 également), pourtant amie de ma grand-mère, ne me supportait pas (d’ailleurs elle l’avait même déclaré à ma grand-mère…). Parce que je relevais ses fautes d’orthgraphe au tableau… parce que je lui avais répondu « je sais que je ne sais pas tout »… corrigeait mes fautes imaginaires (j’avais écrit « vil tricheur », elle a barré pour écrire « vilain tricheur »… à quoi j’avais objecté que je voulais écrire vil, et que « si j’avais voulu écrire vilain, j’aurais écrit « vilain » non mais …).

    Comme la vie n’est qu’un long calvaire, j’ai eu des Madame Baron au cours de ma carrière, aussi…

  3. C’est horrible… C’est tellement fou que des personnes comme cela s’occupent d’enfants..
    Je comprends parfaitement ce sentiment d’injustice,…moi aussi j’ai eu affaire à l’âge de 10 ans à une épouvantable vieille fille aigrie qui me détestait, et des dizaines d’années plus tard j’ai encore la gorge nouée en y pensant.

  4. Hello !
    J’ai eu aussi une instit comme ça en CE2 ou CM1? la directrice de l’école).. Je me souviens qu’elle avait laissé rentrer dans la classe la mère d’une élève qui venait de prendre connaissance de son carnet… la mère l’avait violemment tabassée à même le sol ,(l’élève, pas la directrice ..). j’ai encore en tête l’image de la gamine par terre, dans le coin de la classe, sa mère qui lui tapait dessus, et la directrice, debout, les bras croisés, avec un demi sourire sans bouger.. les élèves sidérées…
    Elève timide (mais bonne élève), je subissais les foudres de cette femme aigrie… mes parents étaient allés la voir (sachant que je n’étais pas du genre à déc… en classe), après sûrement encore une punition injustifiée et cette abrutie avait répondu l’air pincé et en croisant les bras « et ben F.. n’est pas gentille, na !)…
    Voilà voilà… !

  5. J’ai connu aussi des institutrices un peu… sadiques, et je me suis reconnue dans ton témoignage.
    Je me souviens entre autres avoir passé une récréation entière à faire « le tour de la cour » (c’était une des punitions dans cette école). Je n’ai jamais su pourquoi, -personne ne me l’a jamais dit- moi la petite fille de 6 ans douce et timide (à l’époque lol), ne cherchant qu’à bien faire.
    J’ai été punie aussi à 5 ans, car la petite épongé de 3 cm de diamètre qui servait à essuyer mon ardoise était tombée par terre sous le bureau. Voui!
    En CM1, je m’appliquais à tout faire pour le mieux, connaissant le caractère désagréable de l’institutrice, et (à son grand dam, je pense) elle ne trouvait rien à me redire. Sauf un matin, alors que j’entrai dans la classe en disant « bonjour mademoiselle! », elle m’a rétorqué : « Ce que vous pouvez être sèche, ma petite! ». J’en ris maintenant, mais qu’est-ce que j’ai été mortifiée devant toute la classe! Plus d’un demi-siècle est passé et j’en ressens encore la honte!
    Ma conclusion: quelle idée de se faire enseignant si on n’aime pas les enfants!?

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