Il y croyait… 11 novembre 1918 – 8 mai 1945

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Il y a eu un jour 3 frères très proches, qui s’adoraient. Une enfance de rêve malgré la tourmente passée et celle à venir.

Des enfants de la soeur de Louis, pas d’Alphonsine. Des enfants de Léontine.

Des garçons. A une époque la famille côté maternel pour moi, ne savait fabriquer que ça. D’ailleurs de tous les côtés, il n’y avait que cela : des garçons.

Et les cris ont commencé bien avant 1940. Les hurlements de 3 hommes juste adultes et pas d’accord du tout du tout. Léontine en tremblait dans sa chambre de ses fils s’insultant tout à coup, se détestant, chacun étant certain de détenir la vérité.

Il y avait l’aîné qui avait gardé une jambe raide depuis la guerre d’Espagne à laquelle il avait participé de son plein gré, soutenu par le petit dernier et un silence poli de la famille. Il y a des silences OUI et des silences NON, c’est ainsi dans la vie… Là, le silence poli c’était « oui » et il se savait totalement soutenu.

Hurlant plus fort que les autres :  le cadet, résolument pour la grande Allemagne, une Europe déjà, promise pour un Reich de 1000 ans.

Alors ça gueulait tous les soirs,  l’aîné obligé de se servir d’une canne pour marcher et menaçant le cadet avec, le petit dernier étant admiratif, et l’autre criant au boiteux qu’il avait choisi le mauvais camp, qu’il boitait pour rien, pour du faux, que l’avenir était dans la dictature, l’ordre strict, l’épuration ethnique. Alors cela hurlait encore plus. Et entre frères c’était la haine. Il y en avait toujours 2 ou 1 qui manquaient pour le dîner sacré du soir, ils avaient pu juste s’entendre sur ce point très particulier.

Et Léontine en était malade, chaque soir. Son mari, grand blessé de 18 n’entendait quasiment pas, sauf le mot « allemagne » qui lui déclenchait des crises d’épilepsie. Ses fils attendaient que lui, dorme enfin, avant de s’affronter, comme 3 fauves, dans l’arène du salon familial, la haine aux yeux, la voix rauque, les muscles gonflés prêts à servir pour du vrai…

Son opinion, le cadet l’a tenue jusqu’au bout du bout, du tout.

Il est vrai que pour toute la famille, être rentré dans la résistance ou être resté neutre (il n’y avait que peu de héros finalement, sauf Robert Benoist (ICI)) était le mieux que l’on puisse faire. Mais il était seul contre tous. Peut-être que cela a été une vraie motivation. En tous cas il avait choisi son camp en étant sincère. Il y croyait. C’est ce qu’il a dit à sa mère avant d’être fusillé en 1944. A une époque tellement troublée qu’on ne sait pas qui avait tort ou raison.

Il y croyait vraiment, aux forces mauvaises des juifs, aux races inférieures, à l’horreur des francs maçons. Il le pensait vraiment que les allemands se battaient pour du pur. Il voyait vraiment les bolchéviques sur le sol français. Il oubliait tout simplement que des francs-maçons, il y en avait beaucoup dans la famille et qu’ils ne voulaient de mal à personne, sauf qu’ils ne lui ont pas, au moment crucial,  pardonné de trahir leur camp car rien n’est neutre dans les temps troublés. Tous les francs maçons de la famille se sont élevés contre lui, se sont révoltés contre une image fausse d’eux qu’il renvoyait. Juste comme ça, juste avec des attitudes, des négations bien montrées, sans rien de plus. Eviter de lui parler, faire celui qui ne l’a pas vu, pour ne pas répondre à une provocation, pour oublier de l’inviter à un anniversaire, une fête de famille.

Il oubliait et reniait tout, parce qu’il y croyait vraiment.  Il avait été avalé par la doctrine, subjugué par la grande Allemagne. Il revivait l’ancienne guerre à sa manière. Mais il y croyait et se sentait tellement seul chez les siens, qu’il a trouvé une autre famille.

Il n’a pas reculé devant ses vraies croyances. Disparaissant devant ses frères pour tout de même ne pas trop en savoir et ne rien avoir à dire, il a été un collabo actif, avant d’entrer dans la milice, sa vraie famille désormais,  avec au coeur, l’idée qu’il avait raison. Il y a cru jusqu’au bout.

Toute la famille, même ses frères, ont eu tout de même de l’admiration pour lui, jusqu’au bout. Parce qu’il s’était battu pour un idéal auquel il croyait. Pour la famille c’était important, même si tout le monde pensait qu’il se trompait, et qu’en se trompant, il avait approuvé trop d’horreurs qu’il appelait des erreurs.

Beaucoup de ses proches se sont détournés de lui. Pour aller le voir en prison, juste avant son exécution, il n’y a eu que sa mère (mais une mère reste une mère, et la résistance l’a laissée passer),  le benjamin qui pourtant s’était battu de l’autre côté du miroir, donc on l’a laissé passer également. Pour s’entendre dire : « tu t’es trompé ».

Et un oncle grand maître d’un ordre qui lui a tendu la main de la franc-maçonnerie en se refusant de juger, restant fidèle lui aussi à lui-même et à ses croyances profondes. L’aîné avait disparu avec sa canne dans « nuits et brouillards » pour revenir en 1945, mais tout le monde disait qu’il serait allé malgré tout voir son frère, la veille et le jour de son exécution. Il l’a confirmé en rentrant, fantôme survivant au bout du compte et au bout des erreurs de son frère.

Et celui qui croyait a répondu, fidèle en ses croyances : « non c’est vous qui vous trompez… Moi j’y croirai jusqu’au bout ».

« Pourquoi papa n’est-il pas venu ?, pourquoi ne m’a-t-il pas écrit ? ».

Le père, mutilé de 18, avait renié son fils, mais « faisait » comme s’il ne s’en rendait pas compte. L’a-t-il regretté ? nous ne le saurons jamais. Sans aucun doute a-t-il entendu de loin la salve, tueuse de la chair de sa chair et en a-t-il été anéanti. Car il n’était pas loin du lieu d’exécution en ce petit matin blême où celui qui croyait ou n’y croyait pas, a refusé qu’on lui bande les  yeux pour affronter ses bourreaux, tous ceux qui se trompaient…

Parce que le fils croyait, lui, qu’il avait raison et ne s’était pas battu inutilement… Qui peut accepter de s’être battu pour rien ? Qui meurt pour rien ?

Il y croyait, tout le monde s’en souvient. L’oncle grand maître a décrété que chaque opinion est valable quand elle se vit jusqu’au bout et qu’il n’y avait pas à renier le sang de son sang. Jamais il n’a dit quoi que ce soit contre le sang de son sang, contre une pensée réellement sincère, même si, nous l’avons compris bien après, cela avait dû lui peser.

Mais dans la famille, cette foi obstinée  faisait penser aux inquisiteurs de jadis. Eux aussi pensaient qu’ils avaient raison.

Où est la vérité ? Quand tout bascule autour de nous ?

Il n’avait pas de tombe, alors les franc-maçons de la famille honnis par lui, lui ont érigé un petit mémorial, quelque part dans la forêt, à un endroit que seuls ceux qui ont du coeur et connaissent l’histoire familiale peuvent retrouver.

Curieusement, ce mémorial n’est pas loin de l’endroit où Madeleine a choisi d’en finir.

Destinée ?

Il n’a pas su, le 8 mai 1945, qu’il faisait parti du camp des perdants, il s’était déjà anéanti dans la terre d’une fosse commune, avec toujours la foi chevillée au corps, la certitude d’être une victime… Alors que le monde d’après le 8 mai 1945 faisait de ses frères les vrais héros.

Et qu’on nous épargne à toi et moi si possible très longtemps, d’avoir à choisir un camp.

Je sais que certains m’en voudront de rendre hommage à un homme qui avait tout faux et que d’autres en profiteront pour venir me dire que ce post rend enfin hommage à la vérité. Je les mets tous dans le même panier : allez voir ailleurs… Ce blog n’est pas politique mais juste le reflet de vies ordinaires…