Quand tout peut basculer…

Mercredi 18 mars 2009, 21 H 25…

Je sors très peu, voire jamais, en semaine. Là exceptionnellement, comme je suis au chômage (premier coup du destin), rendez-vous à 20 H avec une copine bloggeuse pour un petit dîner entre filles.

Crêperie. Bon ou mauvais choix ? C’était bon, mais nous avons eu un petit problème avec le cidre, moi en premier, et finalement je n’ai pas eu d’autre choix que de rentrer chez moi un peu plus tôt que prévu… Avec la bolée de cidre le destin s’était mis définitivement en marche…

Je rentre donc, un peu pressée, et en sortant de l’ascenseur, je me demande si je rêve ou pas, mais je sens comme une odeur de gaz. Hallucination olfactive ? Avec une bolée de cidre ? Je veux en avoir le coeur net et je descend frapper chez les voisins du dessous en face. Le Monsieur ne sent rien chez lui et sort sur le pallier : je n’ai pas d’hallucination : ça sent légèrement le gaz, nettement plus à mon niveau, et encore pire au 3ème, et il me demande d’appeler les pompiers pendant qu’il s’habille un peu plus et fait s’habiller sa femme.

Chez moi ça ne sent rien, j’ouvre la porte fenêtre du balcon, je mets le chat dessus et là tout m’échappe. C’est quoi les pompiers ? Le 17, 18, le 118, le 188 008 (ils nous font braire avec leurs pubs…) ? Je fais le 18.

Donner l’adresse, expliquer calmement, donner mon nom et mon n° de téléphone, et m’entendre dire qu’il faut sortir de l’immeuble. Je descends pour avertir le voisin, et regarder comment fonctionne la « clef fermeture générale gaz » au rez-de-chaussée. La vitre est brisée, la clef n’y est plus, et de toute manière personne ne sait où se trouve le local où l’on peut se servir de cette fichue clef.

Je guette les pompiers. Cela paraît long. Surtout qu’ils hésitent avec le premier bâtiment, puis s’apprêtent à pénétrer dans l’autre escalier, là où d’habitude il y a toujours des merdes. Finalement ils me voient faire des signes les voilà. Ils sont 10, il y a même la grande échelle et évidemment des détecteurs de gaz. « Restez dehors madame ! » Et les autres.

Le voisin alerté arrive : il a la clef de son voisin d’en face et est donc allé vérifier. Le vieux monsieur regardait la télévision, avec une plaque gaz ouverte à fond. L’autre l’a coupée (pas le choix, mais toujours le risque d’une moindre étincelle et que tout saute), a ouvert la porte fenêtre de la cuisine en suffocant et pour reprendre son souffle, et descend donc avertir l’origine du gaz et qu’il a éteint au moment où les mesures commencent dans le hall.

Mesures prises un peu partout dans l’escalier : cela commençait à sentir vraiment l’explosion possible. Vérification dans tous les appartements indemnes, ventilation de l’appartement incriminé, et examen du vieux monsieur qui n’a rien SENTI (il a totalement perdu l’odorat) et se demande ce que font toutes ces personnes chez lui.

Madame pompier qui l’interroge me prend à part après avoir passé le relais à un autre « Alzeimer au dernier degré, il ne se souvient même pas de son nom ».

Il ne se souvient plus non plus de :

  • Ses date et lieu de naissance
  • S’il a été marié
  • Son adresse exacte
  • Il ne sait pas quelle année nous sommes et quel jour
  • Il sait qu’il a un garçon, mais ne sait plus s’il a une fille.
  • S’il a dîné ce soir
  • Comment fonctionnent ses plaques gaz.
  • Ni ce qu’est un micro onde : « ce truc là dont vous devez vous servir pour faire chauffer votre repas » précise le pompier.
  • Qu’il a une alarme au cou qu’il peut déclencher en cas de besoin (les pompiers ont repéré la télé-surveillance-alarme mais aucun numéro à appeler en cas d’accident)
  • Il ne reconnaît vaguement que son voisin d’en face, sans pouvoir dire qui il est.

C’est la consternation chez les pompiers qui, nous le sentons bien, n’ont pas envie de le laisser là tout seul, mais l’autorité compétente (le chef des pompiers et les deux policiers arrivés sur les lieux) en décide autrement. Vu que le vieux monsieur n’a pas souffert d’un léger début d’asphyxie (il a juste manqué faire sauter tout l’immeuble, ceux qui ont tout mesuré partout ont précisé qu’à 1/2 H près cela aurait pu vraiment être le drame, et il aurait fallu plus d’1/H pour que cela s’infiltre réellement dans les autres appartements…) l’hospitalisation ne se justifie pas. Et c’est à nous d’appeler les enfants, puisque l’autre voisin en a les coordonnées… Un des policiers note tout de même ces coordonnées…

C’est maintenant la consternation chez les voisins alertés, de voir partir tout le monde au bout d’une heure, avec la certitude que le vieux monsieur n’a rien, en nous laissant sur les bras un homme qui a perdu complètement la tête et est potentiellement dangereux (même si le gaz a été coupé dans la gaine).

Nous appelons donc le fils. Sa soeur est chez lui, ça tombe bien.

  • Son père est très bien entouré, il a une télé-alarme, une garde de la fin de la matinée au milieu de l’après midi (elle déjeune avec lui). On lui livre son repas du soir.
  • Le voisin d’en face à une clef (et que ça à faire sans doute maintenant, d’aller vérifier si le gaz est toujours bien fermé)
  • EDF refuse de lui couper le gaz uniquement sur la demande de ses enfants, et lui, refuse de quitter son appartement.
  • Ah non, il n’est pas sous tutelle. Je précise, encore sous le coup de la peur atroce que nous avons tous eue, que c’est bien dommage, parce que là au moins, EDF ne pourrait plus refuser de couper le gaz.
  • Et je précise également qu’une mise sous tutelle peut être faite en urgence. Ils vont voir demain, mais demain, c’est la grève générale. Ils ont bien des certificats médicaux et déjà un rapport des pompiers pour autre chose, mais n’ont entamé aucune démarche pour l’instant…
  • Fils et fille sont bien à Paris, mais aucun ne déclare arriver dès que possible… Pourtant il est clair qu’il y a de nouvelles mesures à prendre.

Donc interrogation des voisins. Que pouvons-nous faire pour que ce risque soit jugulé et faire disparaître le risque d’explosion ?

Parce que là, c’est tout le voisinage qui va passer sa vie à renifler dans la cage d’escalier du soir au matin et du matin au soir… D’ailleurs tout le reste de la soirée et jusque très tard, régulièrement se sont ouvert et refermé des portes.

Car tout le monde en est conscient, si je ne m’étais pas trouvée, tout à fait par hasard, à 21 H 25 au bon endroit (en général à cette heure là, je suis plutôt répandue sur mon canapé), et bien… Tout aurait pu basculer… Car il n’y a quasi aucun trafic dans cet escalier entre 20 H et 8 H du matin.

Et nous étions tous d’accord avec les pompiers, il y a une limite au maintien d’une vieille personne chez elle. Là, ce qu’il faut à ce monsieur, c’est un garde malade à plein temps, et si c’est impossible, un déménagement…

Edit du vendredi 20 mars : le syndic a fait poser une sécurité sur les plaques gaz du monsieur en cause, sécurité coupant le gaz automatiquement en l’absence de flamme pendant plus de 90 secondes.  En attendant la fermeture définitive du gaz chez lui.

Néanmoins, je me demande si nous avons eu raison, car vu le commentaire de Bruno on peut comprendre que tout un immeuble qui saute ce n’est pas grave, et qu’il est plus grave que cela sente le cadavre. Il semble oublier que sous les décombres d’un immeuble qui a sauté, ça sent le cadavre très rapidement, sans que cela ne puisse filtrer sous les portes et que j’ai été très claire : le vieux monsieur n’est pas abandonné et même ses voisins se soucient de lui (quel scandale !).

Merci néanmoins aux autres pour les gentils commentaires.