Tu ne le diras à personne…

secret-copierCette phrase redoutable, vient souvent clore une intéressante conversation au cours de laquelle, un Quidam vient de vous confier :

  • Son intention de divorcer pour refaire sa vie avec un danseur du Bolchoi
  • Qu’il est atteint d’un cancer du bras gauche
  • Qu’il a le SIDA
  • Qu’il a vidé le compte joint pour jouer aux courses, 150000 euros tout de même…
  • Qu’il ne se lave les pieds qu’une fois par mois
  • Qu’il est bien le meurtrier de son conjoint dont le corps est dissimulé dans le puits de tante Hortense (noter de ne plus boire de l’eau quand on va chez tante Hortense qui radine avec la compagnie des eaux)
  • Et gnagnagna…

Généralement le Quidam est un proche, très proche, plus que proche et le « personne » englobe toute la famille, cousins issus de germain des germains compris.

Quand le Quidam est un(e) ami(e) vrai(e), c’est plus facile à gérer, vu que généralement le « personne » englobe SA famille et SES ami(e)s, et que l’on peut tout de même se décharger un peu chez un proche à nous (qui nous remercie au passage, sauf s’il ne connaît pas personnellement le Quidam, et donc s’en bat les oreilles sans problème).

Et sinon, vous vous retrouvez comme un con (le Quidam se sent mieux de s’être confié), avec un secret à garder pour vous et qui vous empêche de dormir la nuit dans certains cas.

Je ne parle pas bien sûr, des secrets que l’on peut parfaitement garder en dormant la nuit :

  • J’ai un amant
  • J’suis amoureuse de truc
  • J’ai une touche pour un autre job mais il ne faut pas que Truchon le sache
  • Etc…

Je parle des choses vraiment graves.

Sans avoir bénéficié d’une question préalable importante « j’ai un secret à te confier, il ne faudra le répéter à personne, est-ce que je peux me lancer avec toi ? »

Là vous avez toujours l’option de répondre « non » au risque de passer pour une mère, fille, soeur, belle-soeur, cousine, amie, indigne (ne rien rayer, liste plutôt non exhaustive).

Dur.

Très dur.

Très très dur, surtout quand c’est grave, et généralement ça l’est.

Ce n’est évidemment pas Martine, la conne de comptable, qui vient vous raconter qu’elle trompe son mari et qu’il ne faut le répéter à personne. Martine vous vous en tapez et vous serez de confiance.

Ou pas… Surtout si le « personne » c’est « tout le monde dans la boîte » et que tout le monde se fiche de Martine comme de sa première chaussette (qui a le mérite, elle, de nous avoir réchauffé les pieds il y a longtemps)…

Ca rime à quoi ces secrets ? C’est la mode dans certaines familles. Celle d’Albert était gratinée. Cela allait du truc grave (la grand-mère furoncle est dans un état grave, mais il ne faut le répéter à personne), (la grand-mère furoncle est morte mais il ne faut pas le dire aux filles… (!) (je me suis gênée tiens…)) au truc anodin dont on ne comprend pas le pourquoi du comment : pourquoi ne faut-il pas dire à la cousine Berthe que l’on a mangé du poulet le dernier dimanche ? La cousine Berthe risque-t-elle de déclarer une guerre intra-familiale que les invasions barbares à côté c’était de la petite bière, parce qu’à elle on ne fait jamais de poulet ?

Ou bien, on lui a piqué un poulet dans sa basse cour, et il ne faudrait pas qu’elle puisse penser que c’est justement celui-là que l’on a mangé ?

Le mystère peut rester entier jusqu’à la fin des temps…

La pire histoire que j’ai connue a été celle d’une pauvre femme, pourtant forte de caractère et tout et tout (malgré son âge, parce que l’âge ne vous rend pas forcément sénile et incapable d’affronter la vie), à qui l’on avait caché « pour l’épargner » que l’un de ses fils était gravement malade puis, carrément mourant.

Elle a donc vu débarquer un beau mardi, ses 3 enfants survivants venant lui déclarer que le 4ème était enterré le lendemain. Pour l’épargner, c’était vraiment réussi !!!

Bref, les secrets, personnellement moi je, vu mon âge, j’en ai un peu soupé.

Tout le monde est prévenu, je ne suis plus une tombe, qu’on se le dise. Je veux bien faire une exception pour les enfants encore enfants, mais il est inutile désormais de me raconter n’importe quoi, en me précisant :

  • Tu ne le diras pas aux parents (comme s’ils étaient débiles et séniles, et incapables d’affronter certaines vérité, c’est limite la pire injure à leur faire)
  • Tu ne le diras pas à tes filles (29 et 26 ans, c’est vrai qu’elles sont trop jeunes…)
  • Tu ne le diras pas à machine (qui m’appelle toutes les semaines et se pose des questions, cela rend la situation encore plus inconfortable)
  • Tu peux le dire à untel, unetelle, sauterelle et Isabelle, mais à personne d’autre. Poil à la maquerelle !

Avec meilleure amie nous en avons longuement discuté. Sa soeur et elle ont brisé l’omerta qui régnait dans leur famille depuis plusieurs décennies, et elles ne s’en portent pas plus mal et la famille non plus. L’avantage est que leurs enfants ne soupçonnent jamais leurs mères de leur cacher quelque chose : ils savent que TOUT sera toujours dit, et n’ont pas à soupçonner un complot dans leur dos…

Désormais je vais faire pareil. Tout en faisant une exception pour mes filles, mais c’est normal n’est-ce pas, ce sont mes filles… Non pas que je vais leur dissimuler quoi que ce soit, mais elles pourront toujours se confier à moi…

On dit tout, ou on ne dit rien. Après c’est le choix de chacun…

Et psy chérie est formelle : un secret, on demande si l’on peut vous le confier AVANT. C’est la moindre des choses.

Pas pour rien que beaucoup d’hommes d’état avaient des SECRETaires.

Ils pouvaient se décharger sur eux…

Sauf qu’eux, ils étaient payés (et grassement), pour ça…

Poil au bras…

La vie n’est qu’un long calvaire

J'étais dans la résistance ma petite fille…

C’est comme ça, je ne me vante pas. C’est venu un peu contre mon gré, sans que je ne me rende compte. D’ailleurs je n’ai pas fait grand chose : je passais juste des messages, dissimulés sous mon porte jarretelles…

Tu la vois la Loire là ? Au fond du jardin ? De l’autre côté c’était la zone libre, nous, nous étions en zone occupée. Le pont, je le prenais régulièrement depuis longtemps, sur ma bicyclette, pour aller à la ferme qu’il y a juste de l’autre côté de l’eau. C’était là, d’après le grand-père d’Albert, mon Valentin, que l’on trouvait le meilleur lait, les meilleurs oeufs, le meilleur beurre. Cela faisait des années que je prenais ma bicyclette pour aller acheter le nécessaire de l’autre côté de l’eau.

Je ne sais plus comment tout a commencé, et le pourquoi du premier jour où j’ai franchi le pont avec la peur au ventre, en sentant trop fort le billet roulé rangé sous un élastique de mon porte jarretelles. Toi évidemment, tu portes des collants, tu ne connais pas grand chose de ce qu’étaient nos sous-vêtements.

J’avais aussi une combinaison en soie, et bien sûr des bas. La première fois, les allemands m’ont juste saluée au passage comme de coutume depuis qu’ils étaient là. Ils me connaissaient. Ils me regardaient et me disaient toujours « cheune matdmoizelle ». J’ai su longtemps après ce que cela voulait dire. Je n’étais plus une matmoizelle, j’avais déjà ma fille, ta belle-mère… Mais pour eux j’étais la cheune matmoizelle qui revenait avec du lait, des oeufs, du beurre… Je revenais surtout, avec le coeur plus léger qu’à l’aller, débarrassée enfin de ces messages qui finissaient par peser si lourd que je peinais à pédaler.

Je n’avais rien dit à Valentin. C’était secret de faire partie de la résistance. Je ne lisais jamais non plus les messages : interdit. Si j’étais prise je n’avais rien à dire… Je ne connaissais même pas le vrai nom de celui qui me donnait les papiers, et Je n’imaginais pas trop comment on pourrait me poser des questions mais j’obéissais aux consignes.

Et puis, tout s’est enchainé, et l’on m’en a demandé un peu plus. Et puis il y a eu ce soir, où ils ont frappé juste un coup à la porte avant de l’enfoncer.

Ils étaient 5. 3 en uniforme avec mitraillette, et 2 miliciens avec pistolet ou révolver, peu importe, à la main. J’ai eu un révolver (ou pistolet) sur la tempe et mon cher mari aussi. Et je m’en voulais. Je savais que c’était de ma faute, que c’était moi qu’ils cherchaient. J’aurais dû le prévenir tout de même un petit peu, voire lui demander la permission. A l’époque, une femme se devait d’obéir à son mari.

Il y avait juste 5 balles dans la bonbonnière décorant la bibliothèque. 5 balles que l’on m’avait confiées en me disant que parfois il manque juste une balle. Alors… 5… Je les avais planquées comme je le pouvais. Je sentais que ces hommes allaient ouvrir la bonbonnière et qu’il en serait fini de nous. Mon pauvre mari innocent allait payer pour mon inconscience et pourrait mourir en me maudissant. Je voyais les livres valdinguer par terre, entraînant la bonbonnière, et les balles s’écoulant sur le parquet…

Je me souviens de mes jambes qui flageolaient, de mon coeur qui battait de travers, de la peur absolue qui était la mienne. Et la petite, qu’allaient-ils faire à la petite dormant à l’étage, quand ils auraient la preuve que je faisais partie des forces judéo-maçonniques ? Qu’allait-il advenir de nous ? de lui ? d’elle ? Nous ne savions pas tout à l’époque, mais perdre ma fille de vue me faisait vraiment peur.

Ils n’ont rien trouvé. Ils n’ont pas ouvert la bonbonnière et ils sont partis en s’excusant, car leur réputation d’être Korrekts, ils y tenaient. Et je suis tombée par terre en disant « pardon » alors que Valentin me relevait en disant « pardon » également.

Il nous a fallu une heure pour nous comprendre ma petite fille. Lui croyait qu’ils étaient venus pour lui et il s’en voulait de ne m’avoir rien dit. Moi je pensais qu’ils étaient venus pour moi et je m’en voulais de lui avoir tout caché…

C’était lui mon chef de réseau. Je suis devenue tout à coup pour lui « la femme courageuse » qui passait des messages et il est devenu livide en songeant aux risques qu’il m’avait fait courir. Je savais enfin qui donnait à « Monsieur Pierre » les messages si importants à emmener en zone libre. Enfin bref, c’était lui, c’était moi, c’était nous.

Après la révélation, nous sommes restés silencieux un long moment. La petite dormait toujours là-haut. Nous nous sommes promis l’un contre l’autre, dans le lit conjugal, d’arrêter nos conneries. Cela a été peut-être la plus belle nuit de notre amour.

Nous nous sommes avoué en 1957 seulement, que nos conneries, nous ne les avions pas cessées du tout. Nous avions juste changé de réseau, en expliquant chacun pourquoi à qui de droit, pour nous retrouver du coup, toujours liés par le même mensonge. Il n’y avait pas 36 réseaux de résistance près de Langeais…

J’aime rire ma petite fille. J’adore tes filles qui sont mes arrières petites filles. Mais il te fallait savoir que je n’ai pas toujours été cette vieille femme drôle et parfois semblant naïve. Le révolver sur la tempe me réveille souvent la nuit et j’ai à nouveau peur.

Et depuis qu’IL n’est plus là, j’ai de plus en plus peur. Il est parti mon mari, mon chef de réseau, celui avec qui j’ai tant partagé dont une partie de ma vie sans le savoir. 5 ans, c’est peu, cela peut être tout.

Rappelle à tes filles que je n’étais pas que l’arrière grand mère rigolote, que je n’étais pas qu’amour et insouciance, que je n’étais pas que celle qui fait un « super réveillon du jour de l’an » avec du jambon et des nouilles.

J’ai été aussi l’inconsciente qui ne savait pas vraiment ce qu’elle faisait, qui durant toute l’occupation a promené dans sa culotte ou son porte jarretelle, des messages ultra importants. Et rappelle à tes puces que leur arrière grand-père si bonhomme s’est révélé capable de tuer un ennemi parce que c’était comme ça et sinon bien plus de morts. Nous nous ne sommes jamais sentis héroïques : juste pris dans un temps fou qui passait sur nos vies. Ce n’est que trop tard que nous avons su ce à quoi nous nous étions exposés. Mais c’était trop tard car si à refaire : refait…

Je t’embrasse ma petite fille.

Maria.

PS : je n’étais que la femme de son petit fils, mais elle m’a toujours considérée comme étant sa petite fille.

Et pour les filles : oui c’est bien elle…  Comme quoi…