11 novembre 2012 – Le voyage d’un père…

11 novembre 2012Je vous ai présenté le Bleuet* l’année dernière (ICI) et son étrange rencontre de ce qui a du être un ange, dans les tranchées de la grande guerre. D’un post à l’autre en renvois, finalement vous savez tout…

Le premier mort de la famille (un cousin germain du bleuet) qui comprenait hélas pour eux, beaucoup d’hommes en âge de se battre, et peu de filles,  fut celui que mon arrière-grand-mère et sa soeur (Tante Hortense), appelaient « le cousin Mac ».

Le 26 août 1914, le mortuaire arriva, à une époque où les municipalités faisaient « quelque chose » en hommage au mort, tué, celui-là, au 23ème jour de la guerre. Après il y en eut de trop, on renonça, c’était déjà bien assez pénible comme cela d’avoir à se déplacer encore une fois, une fois de trop, pour annoncer une mauvaise nouvelle à une famille désormais endeuillée ou à nouveau endeuillée. (Le maire de la commune eut tout de même l’obligation d’apprendre à une femme la mort de son mari et de ses cinq fils…)

Mais la cérémonie ne consola bien évidemment pas les parents, Léon étant leur seul fils, qu’ils avaient eu sur le tard, à la quarantaine, désespérant depuis leur mariage 15 ans avant la naissance miraculeuse, d’avoir la famille de leurs rêves.

Sa femme s’étouffait de douleur nuits et jours, refusait de recevoir qui que ce soit venant la consoler, maigrissait à vue d’oeil, alors « l’oncle Mac »  prit une grande décision, à 63 ans.

Il irait chercher le corps de son fils, là-haut dans le nord. Il le ramènerait, il le mettrait dans le caveau de famille à 800 mètres de la grande maison. Il y aurait enfin un endroit où sa femme pourrait aller épancher sa douleur, un endroit où se recueillir… Il ferait SA guerre à lui, puisqu’il avait été trop vieux pour prendre la place de son fils.

L’odyssée de cet homme nous est quasi impossible à comprendre. Tante Hortense et mon arrière Grand-mère savaient, il leur avait tout dit, mais nous, nous ne savons plus.

Il a pris le plus d’argent possible, si possible en pièces d’or (c’était une famille très aisée). Il a emprunté deux ou trois tenues de garde chasse, de paysans, d’homme ordinaire, et il est parti en train, vers le nord.

Puis il a payé grassement un paysan (inapte à la guerre donc quelque peu handicapé) pour l’accompagner avec sa charrette jusqu’au lieu fatal où était enterré son fils.

Il avait tous les papiers possibles et imaginables pour passer en zone « interdite ». Jamais il n’a vendu le faussaire de la commune, qui les lui avait délivrés…

Ce n’était pas encore trop le désordre DEBUT OCTOBRE, et même si certains ont été surpris de voir cet homme digne mais ferme arriver, ils surent écouter ses doléances.

Léon était enterré à un endroit précis qui lui fut montré, mais le père voulait être sûr. Il ne voulait pas que rapport à une erreur de mémoire ou de plaque d’identité inversée, il puisse ramener le corps de quelqu’un d’autre…

Il a donc fallu déterrer le corps, et à la demande du père qui l’a fait lui-même, ouvrir le cercueil sommaire qui le contenait. Par la suite, les cercueils ne furent plus nécessaires, le linceul non plus, on enterra les corps comme on le pouvait… (en mélangeant parfois les morceaux, excusez-moi les jeunes, pour cette horrible précision !)

Je n’ose même pas imaginer ce que scruta le père, de ce qu’il restait d’un fils mort un 23 août, en ce début octobre. Je ne peux même pas imaginer quels furent les sentiments qui l’animèrent à ce moment là. Nous savons seulement qu’il reconnu la médaille de baptême que son enfant portait toujours et « un problème au niveau d’une canine de la mâchoire supérieure ». C’était bon, c’était bien son fils, et il voulait l’embarquer.

« Impossible lui rétorqua le chef du secteur ». Vous ne passerez jamais avec un cercueil dans cet état et CE qu’il y a dedans ».

Le père commanda donc un cercueil au village le plus proche. Le cercueil dans le bois le plus dur, le plus imperméable, fermant le mieux possible, le cercueil le plus beau,  et 10 jours après, le corps de Léon quitta sa première boîte pour rejoindre la seconde et dernière. Plomber le cercueil était impensable : le plomb était bien trop précieux…

Le commandant du secteur sans trop d’hésitations (c’était les tous débuts, et pour eux, la guerre devait durer au maximum un an), délivra un certificat comme quoi l’oncle Mac emportait bien le corps de son fils Léon Mac, mort le 23 août 1914, enterré sur place à X (top secret) et déterré sur la demande de son père, avec l’accord de l’administration et des armées, pour être inhumé chez lui.

Le père anesthésié moralement désormais, récupéra la médaille. Il avoua être resté 3 jours sans manger pour finir par vomir intact, le repas pris 72 heures auparavant, juste avant le transfert du corps d’un cercueil à un autre et la récupération de la médaille.

Puis il paya grassement l’homme qui avec sa charrette, lui, le cercueil de son fils et son fils, allait le ramener chez lui, dans ce qui était encore la Seine et Oise et devait devenir un jour « les Yvelines ».

Ils purent parfois prendre un train avec leur charrette, firent ce qu’ils purent pour éviter la réquisition des deux bidets la traînant, et un beau jour, un 11 novembre 1914, Léon put être enterré de manière légale et reconnue, « chez lui », dans « son » village où il eut droit à une deuxième cérémonie officielle, ce qui lui fit une belle jambe, et Tante Hortense put venir pleurer sur sa tombe (nous le savions bien que c’était lui, l’homme X de sa vie).

L’homme qui avait aidé l’oncle Mac resta sur la propriété jusqu’à la fin de ses jours, logé, nourri, salarié, aimé. Avec lui, chargé du chenil « pour la gloire », l’oncle allait parler tous les jours, l’oeil terne et morne, regardant ailleurs, et revoyant ce que nous ne devrions pas voir, sentant ce qu’il avait senti quand le temps se réchauffait et que des émanations trop nettes lui rappelaient ce qu’il se passait derrière lui, dans le cercueil, dans la charrette.

La mère de Léon récupéra la médaille de son fils en pleurant, mais de pleurs apaisés. Désormais, elle avait une tombe sur laquelle aller se recueillir, et pouvait sans déshonorer la famille, recevoir ouvertement celle qui aurait pu devenir sa bru.

L’oncle Mac ne fut plus jamais le même.

Il y avait pour lui :

  • Avant le voyage
  • Le voyage, la peur et l’espoir tout de même, au ventre
  • La reconnaissance du corps
  • L’extraction de la médaille de baptême du corps
  • Le voyage de retour, avec donc, quand le temps se mettait au doux, des relents lui rappelant ce qu’il advenait de ce qu’il restait de son fils, juste derrière lui…
  • Donc il y avait un avant et un après. D’ailleurs lui, n’allait jamais sur la tombe de son fils. Pour lui, la vraie était restée là-haut, dans le nord, dans un coin dont il avait oublié le nom…
  • Et il y avait finalement pour lui, l’amour sans fin qu’il avait pour sa femme, car c’est pour elle surtout, qu’il avait entrepris ce triste voyage. Elle ne s’en est jamais rendue compte vraiment… Mais il ne lui en a jamais voulu, parce que c’est cela l’amour.

Le cousin Mac repose au cimetière familial dans le village de mes parents. Les siens l’y ont rejoint, tante Hortense aussi, et quasi tout le reste de cette génération qui a été maudite pour on ne sait quelle raison.

Si son père ne s’était pas dérangé, peut-être serait-il au milieu d’autres, si bien représentés sur cette photo où la terre de France se souvient… Ou peut-être serait-il disparu à jamais, tant de corps n’ayant jamais été vraiment retrouvés après de multiples bombardements…

Car la vie n’est qu’un long, long, long, calvaire… Surtout quand on évoque cette période là…

1.300.000 hommes, rien que pour la France, sacrifiés pour que l’on remette cela 20 ans plus tard…

PS : cette histoire est 100 % authentique. Trop de papiers ont disparu pour que je puisse vous donner les lieux exacts, mais ce voyage, ce père l’a fait.

PPS : un jour férié qui tombe un dimanche, vraiment ces hommes là sont morts pour RIEN !

Photo : Merci MARCUS !