Les étranges histoires familiales, part 2.

Simone_02Le prisonnier partit en stalag où il resta bien trop longtemps.

La guerre n’était pas terminée quand Mrs Tricot eu connaissance d’un moyen de libérer son mari.

Elle était toujours capable de n’importe quoi pour faire rentrer son mari le plus rapidement possible, malgré le temps passant, n’ayant déjà que trop passé.

Les allemands renvoyaient chez eux les « soutiens de famille ».

Avec la complicité de son père (toujours à la mairie), devenu faussaire pour une bonne cause elle se retrouva avec un acte de décès de ce dernier (considéré par les allemands comme le chef et soutien de famille en ce qui la concernait), + deux actes de naissance de deux jumelles nées en 1940, à une date plausible par rapport à la dernière permission de son mari, s’appelant Colette et Michèle.

Je me demande quel effet cela a fait à mon arrière grand père de rédiger sur du papier officiel son propre acte de décès. Les faux papiers n’eurent pas l’occasion de servir, après le débarquement les allemands ne libéraient plus personne de leur plein gré, mais les papiers étaient bel et bien là, au cas où.

Et le prisonnier rentra.

Mrs Tricot se retrouva enceinte immédiatement ou quasi (à son avis le soir même du retour).

Ils surent assez tardivement qu’il s’agissait de jumeaux (à l’époque il fallait attendre la naissance pour savoir de quels sexes il s’agissait). Là déjà, sans doute dans la tête de Mrs Tricot avait commencé un travail que personne d’autre qu’elle ne pourrait analyser.

Et au bout du compte, ce sont bien deux petites filles qui sont nées, qui se sont donc appelées : Colette et Michèle.

Le destin est étrange, ou nous voulons le voir comme tel. Les filles auraient pu s’appeler autrement que comme sur de faux papiers qui n’ont jamais servi…

Mais bon, avoir ces jumelles déjà nommées, imaginées sans qu’elles existent déjà, avait dû les marquer tous les deux. Comme s’il y avait un destin à respecter absolument…

Le père de Mrs Tricot n’était pas mort, mais les jumelles sont bel et bien nées, alors quelque part, elle devait respecter le destin qui l’avait inspirée…

C’est après que tout soit terminé qu’elle a trouvé la foi, et fort malheureusement un peu enquiquiné sa famille avec…

Mais notre destinée n’est-elle pas étrange parfois et même souvent ?

Les étranges histoires familiales part 1.

Simone_02Sur cette photo : la maman de Jean Poirotte, autrement dit ma grand mère paternelle.

C’était ma grand mère, et cela reste pour moi une grand mère, timorée parfois dans certains cas, culottée dans d’autres, cas plus rares, une femme que finalement je ne connaissais pas..

Comme disait mon père, son fils « nous ne savons rien de nos parents ». Et il avait raison. Ca et là tout de même percent quelques histoires, surtout pour ceux qui ont vécu une époque troublée…

Mrs Tricot était pour moi « j’ai peur de tout ». J’avais bien entendu sa mère me raconter qu’à 19 ans elle s’était offert un baptême de l’air sans l’autorisation de son père, mais j’étais trop petite pour me rendre compte du traumatisme que cela avait été pour mon arrière grand père.

1940, le prisonnier est capturé sur une plage de Veule les Roses…

Il en parlait peu. Un jour il m’a raconté « le coup de la morue », qu’une paysanne désolée par tous ces prisonniers dans ses champs, était venue leur distribuer pour qu’ils aient à manger, et de la soif qui les avait hantés après, toute la nuit…

Il parlait peu de cette débâcle qu’il avait vécu comme une humiliation, nous disant de temps à autres, qu’il s’était endormi à côté d’une batterie de 75 (il était dans l’artillerie à cheval), tellement il était épuisé. Ou nous expliquant que son armée et son pays n’étaient pas préparés vraiment d’où cette défaite sanglante tout de même, et si rapide.

Puis le prisonnier partit vers une destination inconnue, avec arrêt dans une ferme dans la zone interdite. Miracle, il put faire passer une lettre à sa femme.

Ma grand mère, celle qui n’osait rien, beaucoup plus tard.

Zone interdite, peu connue de la jeune génération. Elle tarabusta son père qui était conseiller municipal (avant d’en devenir pour des années, l’adjoint au maire)  à la mairie du village toujours occupé par mes parents qui s’y sont connus.

Elle lui a extorqué de faux papiers. Pour elle, et pour mon grand père.

Elle a pris des vêtements civils pour mon grand père, et elle est partie sur les routes, telle Amélie dans « les semailles et les moissons ». Pour son mari elle était prête à tous les culots et elle les a eus.

Arrivée à la frontière de la zone interdite, à peu de km de la ferme où séjournait mon grand père, elle a pu attendrir un fermier. Sa femme et lui lui ont fourni des vêtements de paysanne et elle est partie avec lui, livrer des légumes, pour arriver dans la ferme où elle a retrouvé son mari.

Elle disait juste sobrement qu’il y a des nuits qui valent une vie. Elle est restée deux jours avec son mari, essayant de le convaincre de revenir avec elle. Tout était prévu avec le fermier, il passerait la ligne sous un convoi de légumes. Il serait en civil pour le reste, avec de faux papiers, elle était prête à tout.

Sauf que lui, les allemands lui avaient dit, comme aux 9 autres, que s’il y avait une évasion, tous les civils seraient fusillés… Il ne pouvait pas imaginer une chose aussi horrible : être responsable de la mort d’une famille. Il avait déjà vu…

Sauf que lui, comme beaucoup, ne pensait pas que cela pourrait durer et durer et durer. Il pensait être rentré chez lui en moins d’un an…

Et qu’il a donc refusé de la suivre, ne voulant pas apprendre un jour qu’il avait été responsable de morts innocents. Parce qu’il se connaissait et qu’il y serait retourné.

Elle est donc repartie, en paysanne, ayant laissé quelque part, les faux papiers, les vêtements civils de son homme qui n’avait pas voulu la suivre, en pleurant.

Mais elle l’a fait son odyssée en zone interdite, prête à tout…

Ma grand mère… Qui n’osait pas dire au boulanger que son pain était mal cuit (mais signalait sur la plage, aux allemands, qu’ils avaient oublié leurs bouteilles de coca…)

Qui avait encore de la ressource….

Car c’est la part 2 qui vous révèlera pourquoi, il y a d’étranges histoires…

Quand j’étais jeune fille…

Je_revais___l_avenir_53329550Si j’avais été aussi jolie…

J’étais jeune fille désormais, cela se voyait partout et je n’étais même plus « autorisée » à me faire une queue de cheval, étant théoriquement libre de m’habiller et coiffer comme je le voulais (sans frange tout de même, c’était mauvais genre), jusqu’à ce que papa décrète que je l’énervais en pantalon au mois de juin.

Mrs Bibelot me ressortit une vieille jupe à carreaux et les soquettes allant avec, confisquant mes deux pantalons (oui notre garde robe était assez pauvre, mais c’était pour tous pareil). J’ai compris plus tard que maman avait vraiment du mal à voir ses enfants grandir et était ravie de m’habiller encore en petite fille. Le traumatisme fut tel que jamais je n’ai imposé à mes propres filles de s’habiller comme je le voulais. En effet, arriver à ce qu’on appelait « le lycée » en jupe à carreaux et soquettes c’était 15000 personnes minimum se foutant de votre tronche. Mes filles ont peut-être été certes ridicules parfois, mais de leur propre gré et avec l’agrément du collège… Assez de motifs de conflits pour ne pas en rajouter un inutile (d’un autre côté elles n’ont jamais exigé de se mettre des épingles à nourrice dans les oreilles et de s’habiller péri-esthéticienne (dixit Delphine – 8 ans)).

Meilleure amie arrivait donc le matin au volant de sa mobylette, avec un jean à elle, dans la cave où je rangeais la mienne (de mobylette) pour sauver mon honneur. J’enfilais le jean et sortais par derrière l’immeuble. Le soir je réapparaissais, méprisante et boudeuse, en jupe à carreaux ET socquettes blanches. Mon père cédat après 3 semaines d’air outragé et de bouderie au repas du soir (tout de même)

Passage important dans la vie que de devenir « jeune fille », maman se croyant obligée de préciser même au poissonnier : « c’est une jeune fille maintenant« . Compliments de tout le monde et nous l’envie de rentrer sous terre et de creuser après… Toute la famille était avertie de ce moment crucial qu’on aurait voulu taire, via le téléphone et pour ceux qui ne l’avaient pas : un télégramme (disparu depuis) « Coraline formée stop, bisous à tout le monde ». Retour de télégramme « heureux, stop, aurait pu attendre dimanche » (on payait au mot, jamais compris le pourquoi de la réponse…) (j’ai épargné aux filles les commentaires en précisant « vous ne savez-rien-je-ne-vous-ai-rien-dit » (elles m’ont toutes les deux fait cela chez ma soeur et téléphoné immédiatement bien sûr, mais pourquoi diable toutes les deux chez ma soeur ?).

Je rêvais à l’avenir, écrivant mon journal (un cahier trafiqué pour faire cahier de maths qui a pu y croire ?…), songeant à ce qui allait m’arriver de super (oubliant bien évidemment au passage toutes les merdes qui pouvaient parsemer mon chemin). Naturellement j’étais amoureuse et l’élu de mon coeur faisait la une du dit journal avec des coeurs dessinés en gros, en bleu comme les yeux de l’élu et écrit en gros « Dominique je t’aimeuuu et je t’aimerai toujouuuurs ». Pendant ce temps là meilleure amie gribouillait en vert (comme les yeux de l’élu) en disant à peu près la même chose sauf que le prénom était différent. Aucune imagination (et nos lectures n’y enclinaient pas) (Je précise que meilleure amie a tout de même épousé son premier amour, moi pas…)

Nos échanges quotidiens par courrier (écrits au stylo plume, mis sous enveloppe, et trimbrés, le moyen âge juste après le chevaucheur) pendant les vacances étaient une rengaine extraordinaire « je l’aimeuu » « je l’aimeuu » « je n’aimerai jamais que luiiii » « moi aussiiii ». Et à part ça la santé ? et le thé sur les jambes et le concombre sur la figure ? Ca rend bien merci. On tartinait 3 pages par jour parce qu’il y avait autre chose à raconter, en particulier à quel point nos parents étaient emmerdants.

Jusqu’au jour où il nous fut impossible de passer nos vacances l’une sans l’autre. Mes parents se résignèrent à ce que nous squattions la maison de mes arrières grands parents à la campagne, (les parents de meilleure amie ayant la même chose mais en Bretagne : trop loin), las qu’ils étaient de traîner avec eux une martyre sans meilleure amie à la campagne. Las qu’étaient également les parents de meilleure amie de l’entendre pleurer sans moi le soir dans sa chambre…

La maison était sans chauffage central, sans eau chaude, avec juste un poêle à charbon et les toilettes dans le fond du jardin + un poêle à mazout dans la chambre.. Papa venait vérifier tous les jours que nous ne risquions pas de nous intoxiquer au monoxyde de carbone (et rallumait donc les poêles, nous étions nulles). Nous prenions nos vélos pour aller faire les courses. On écoutait de la musique plein pot sur mon vieil « électrophone » (c’est quoi tatie un électrophone ?), et notre occupation favorite était de parlotter jusqu’à des heures indues et d’écrire notre journal. La grande joie du soir etait de nous laver les dents en crachant l’eau de rinçage par la fenêtre, ce qui faisait hurler le chien du voisin à 22 H, à la campagne ça craignait à l’époque… Nous étions mal vues avec notre musique plein pot et les crachages nocturnes.

A J – 5 plus rien à manger et plus un centime. Mon arrière grand mère (l’autre) (mes parents étaient quand même juste à 200 mètres, chez elle) nous refilat donc en douce des parents heureux de nous prouver que nous ne pouvions pas nous débrouiller sans eux, des bocaux de lapins en sauce et de poulet en blanquette, trois pots de confiture + du pain destiné normalement aux poules, pour assurer notre survie (dieu la bénisse cette sainte femme qui rigolait bien !).

Consternation des parents : nous nous en étions sorties. Des mitaines aux mains pour gribouiller notre journal avec des coeurs partout tous les soirs, en écoutant Demis Roussos sur mon « toune disque » + les beatles. Question des neveux et nièces : c’est quoi un disque et pourquoi il tournait ? Renoncer à expliquer.

On essayait de se faire belles en copiant les stars d’après guerre et Brigitte Bardot, à grand renfort de recettes de grands mères et avions ruiné notre argent en concombres… (je vous ferai un post excusif là dessus, vous aller rire, mais meilleure amie est OK pour se ridiculiser avec moi (je précise c’est important)

A partir de ces vacances là, nous avons squatté la maison des arrières grands parents régulièrement. Nous maitrisions les poêles à mazout ou à charbon, et courageuses, nous nous lavions au jet d’eau (à Pâques c’est super), dans la cour, ignorant que le vieux voisin nous mattait. Nous avons été dans cette maison, les plus heureuses jeunes filles du monde, avec que de l’espoir et des certitudes…

Comme me l’a dit un jour meilleure amie : qu’est-ce qu’on étaient heureuses. Et on ne le savait pas (c’est le problème du bonheur qui est souvent le passé…) Car après quand on sait, c’est que la vie n’est qu’un long calvaire…

Progrès mon ami… (1)

Je sais qu’il est de bon ton de dire qu’avant c’était mieux. Mais j’ai souvent une pensée pour deux choses au moins, qui ont marqué ma vie et ma vision de celle-ci.

En premier lieu : la médecine.

  • On peut lui taper dessus autant que l’on voudra, mais je reste ferme depuis qu’un jour nous avons fait le compte de ceux qui seraient ou ne seraient pas là, sans la médecine moderne.
  • En fait nous comptions plutôt ceux qui ne seraient pas là.
  • Mon grand-père maternel, sauvé par les antibiotiques d’une tuberculose ravageuse en 1956.
  • Moi-même, sauvée d’extrême justesse d’une circulaire du cordon, d’un étouffement grave à la naissance, devant, de justesse, ma vie, à une intervention musclée de piqûre et tente à oxygène. Sinon : exit Pulchérie et Delphine.
  • Pour le cas où j’aurais survécu, je serais morte en mettant au monde Pulchérie (mourir en couches : quelle horreur !) : HTA grave et gravidique déclenchant les horribles éclampsies du « passé » (parce que dans d’autres pays elles existent toujours).
  • L’enfant aurait peut-être été sauvée.
  • Mais sa soeur n’aurait jamais vu le jour.
  • Si j’avais survécu à la première et eu la deuxième, les deux soeurs boiteraient bas, rapport à une double luxation de la hanche, soignable aisément en langeant en abduction, alors que pendant des siècles on a langé en adduction, le plus serré possible.
  • Ma soeur cadette, celle qui n’est pas comme tout le monde n’aurait pas survécu à une pneumonie grave.
  • Mon père, rescapé en 1983 d’un infarctus grave, tellement grave que pendant 3 semaines le cardiologue n’a voulu faire aucun diagnostic serait parti depuis longtemps.
  • Rescapé également de deux crises de TV, dont une après pontage.
  • Les enfants de mon frère n’auraient pas vu le jour : leur mère s’étant pété le coccyx  en tombant de cheval, ce qui était assez fréquent à une époque. Du coup il ne pouvait plus se relever pour l’accouchement (le coccyx) : césariennes. Après la première, peut-être sauvée d’extrême justesse après un césarienne justement, les autres ne seraient pas nés…

Au 19ème siècle, je n’aurais pas survécu, ni tout un tas de personnes. Il y en aurait d’autre peut-être, à notre place, mais comme ils n’existent pas, on ne porte pas leur deuil…

Alors on peut cracher, comme moi parfois, sur les antibio salvateurs qui niquent les reins en sauvant une jambe, les traitements trop lourds qui en fin de compte sauvent en blessant ailleurs, et tout le reste, mais le constat est là, sans appel :

  • Je suis là
  • Mes filles aussi, et qui marchent bien
  • Mes neveux et nièces également (et qui marchent bien également, n’ayant pas échappé à la malédiction héréditaire des hanches qui se doivent de faire boiter)
  • Mon père a survécu jusqu’à ses 77 ans
  • Mon grand-père maternel est allé jusqu’à 90 ans.
  • Le prisonnier a survécu à 5 ans de captivité alors qu’il était au bout du rouleau.
  • ETC…

Après la médecine que j’ai globalement résumée, il y a une suite…

Qui fait que la vie n’est pas toujours un long calvaire…

Ma chienne… part 2

Chlo_e_2Quand on prend un chien de race, on est tenu théoriquement de lui choisir un nom en rapport avec la lettre de l’année. Là c’était le C. Albert recommença son trip du nom comme quand j’attendais les filles,  filles qui donnaient leur avis, la famille aussi.

Généralement, vous l’avez sans doute remarqué, mais moins on sollicite d’avis et plus on en a…

Le nom doit être assez bref à prononcer en plus, rien n’est plus difficile que de se faire écouter de Nabucooooodaunausaure-au-pied-j’ai-dit. Continuer la lecture de « Ma chienne… part 2 »

Ma chienne… Part 1

Voilà ce que c’est que de trier des photos. J’y pense souvent mais là j’avais carrément les larmes aux yeux.

Elle s’appelait Chloé. C’était un berger belge malinois. C’est le chien que l’on voit de plus en plus souvent avec les forces de l’ordre, à la place du berger allemand…

Nous venions d’acheter notre maison, un peu isolée et je voulais un chien de garde. Pas n’importe quel chien rapport aux filles.

L’épagneul breton classique dans la famille était à exclure, tout au moins pour garder la maison : ceux de mes parents et de mon grand père ont toujours été du genre à faire une léchouille au cambrioleur ou à se mettre sur le dos pour se faire gratter le ventre par n’importe quel étranger. Le type de bête féroce qui part vers la grille ou le portail en aboyant férocement en remuant la queue de plaisir à l’idée qu’il y a une visite qui va changer de l’ordinaire…Je savais que le Colley s’entend très bien avec les enfants, mais sur le plan garde… Exit bien évidemment le dogue de Bordeaux, la mâtin de Naples ou autre molosse qui demandent un maître à poigne vraiment conséquente et d’acheter un semi remorque pour le trimballer avec le reste de la famille. Exit également le yorshire qui sur le plan « garde », ne me rassurait pas vraiment même s’il prend peu de place dans une voiture. Je n’étais pas chaude pour le berger allemand, sachant à l’époque qu’il y en avait plein de vendus sans certitude des origines, ce qui a posé pas mal de problèmes car certains étaient véritablement tarés ce qui a beaucoup nuit à la réputation des authentiques (j’avais une copine et son mari qui en avaient un super. Ils lâchaient la gamelle de soupe sur le sol de la cuisine, se précipitaient hors de la cuisine en refermant la porte en catastrophe, car le chien avait tenté d’en bouffer un rapport à sa gamelle… Autres joyeusetés : une fois sur deux le chien refusait de les laisser rentrer chez eux et ne supportait pas qu’ils se fassent un bisou : il sautait en mordant sur l’un OU l’autre). Moi me faire terroriser par un chien : hors de question. Me battre toute la journée aussi !

Jean-Poirotte nous conseilla un malinois. Je n’avais jamais entendu parler de cet animal là. D’après lui c’était idéal en famille, et vraiment rassurant sur le plan du gardiennage. Je commençais donc à enquêter sur le berger belge en général et le malinois en particulier. Pour finir par appeler un éleveur qui avait des chiots à vendre d’ici peu (comprendre que la chienne était vachement en cloque). Le prix de l’animal ne fit pas reculer Albert qui voulait également ce chien et je partis un beau jour avec ma soeur pour aller choisir ma chienne née la semaine précédente comme l’avait précisé l’éleveur qui m’avait appelée pour m’annoncer la bonne nouvelle (ma soeur se souvient d’ailleurs de cette expédition qui vous fera rire un jour, rappelez-le moi éventuellement…).

Pourquoi une chienne ? Parce que toute la famille en possession d’un chien avait une chienne. En cas d’absence et d’obligation de confier la bête c’était plus pratique. Oui, parfaitement, car une femelle en chaleur + un mâle = un long calvaire.

L’éleveur s’est dûment renseigné (il était temps, j’avais rejoint le nord de Paris depuis mon sud des Yvelines). Apparemment il n’était pas du genre à vendre son chien à n’importe qui, et cela me rassura. J’avais du terrain où le toutou chéri pourrait s’ébattre, je ne travaillais pas, la forêt était proche, nous avions l’habitude des chiens, je pouvais le rassurer sur sa vie à venir.

La première fois que je l’ai vue, la mère avait été enfermée de l’autre côté du grillage du chenil et m’impressionna par les dents qu’elle nous montrait : un vrai loup avec le sourire (le « peigne » comme disait mon pôpa). Une bonne mère, inquiète pour ses petits qui paraît-il faisait le même sourire à tout visiteur non attendu. J’ai eu du mal à croire que la bestiole qui tenait dans la main, aurait un jour cette tronche là.

Sur les 7 chiots de la portée, 4 femelles dont il m’avait choisi, d’après lui, la plus jolie (la plus charbonnée en fait). Elle avait son petit museau tout plat comme tous les chiots qui tètent encore, me renifla en pleurnichant et en couinant après sa mère. Je l’aurais bien embarquée tout de suite, mais c’était impossible. Le chiot a besoin de sa mère et d’apprendre les codes de la meute avec elle et ses frères et soeurs. Il faut attendre les 2 mois, c’est l’idéal.

L’éleveur avait bien senti que j’étais très intéressée par ce type de chien qui s’était endormie dans mon cou en me tétant l’oreille. J’étais prête à lui faire faire de l’agility, à la présenter à d’éventuels concours. En me documentant sur le malinois, j’avais découvert un monde extraordinaire, celui de l’élevage, des concours, car l’amour tout court de son animal, je connaissais déjà. Mais là, il s’agissait d’un autre chien que celui qui ravissait mon grand-père, mon père et mon frère : le chien de chasse (d’où l’épagneul breton dont un de mes ancêtres a contribué à créer la race)…

Restait à lui trouver un nom…

Madame Baron…

Madame Baron ne m’aime pas et je ne sais pas pourquoi.

Je viens de galérer pendant tout mon CE2  ON M’A  FAIT SAUTER UNE CLASSE !   faite avec billet d’excellence juste à temps, fin mai, avec la gentillesse de Madame Vincent qui m’encourageait et me caressait souvent la joue, ainsi qu’à ma compagne de misère qui avait également sauté une classe. En effet, sans que je sois consultée et pire, avertie,  on m’avait fait sauter une classe, passant du CP en CE2 en perdant au passage toutes mes amies… Je ne m’en suis jamais vraiment remise…

Dans le regard de Madame Vincent, je sentais sans les comprendre, une certaine pitié pour ma compagne de misère et moi, ainsi que de la révolte face au fait que nous étions devenues des parias de l’école. Cette femme certainement, se révoltait contre la course à la première place à tous prix…

Nous étions les crâneuses qui sautent une classe pour nos anciennes amies, les chouchoutes de Madame Vincent pour les autres. Isolées, seules, perdues…

Je passe donc en CM1 haut la main, ce qui n’a pas empêché mes parents de me faire réviser mon programme et de me préparer au prochain, pendant le mois d’août, le mois de juillet étant traditionnellement un mois passé au bord de la mer, sans devoirs.

Curieusement, des deux institutrices à s’occuper du CM1, Madame Baron a une bien meilleure réputation auprès des élèves, que Madame de Poissy qui a l’air plus revêche et semble crier souvent. Je suis donc contente d’être affectée à Madame Baron. Le seul vrai sourire qu’elle me fera, sera celui de la rentrée en CM1, alors qu’elle dévisage toutes les élèves pour voir qui elle connait ou non de vue. ON m’a coupé les cheveux sans trop me demander mon avis (une fois de plus, je voulais une coupe au carré…), au cours de l’été, donc elle hésite un peu, et au hasard, me fait un sourire. Ce sera le seul.

Je suis sage et appliquée, je n’ai pas trop le choix. Moi si bavarde, je ne l’ai jamais ouvert en classe avant la seconde. J’écoute et je me penche sérieusement sur tout. Cela me semble facile, cela me change de l’année précédente.

Première note : 10/10 : elle décortique pour vérifier qu’elle n’a pas loupé une erreur, et me donne mon cahier d’un air mauvais. Elle ne crie pas elle, jamais. En fait, elle jette les cahiers sur les bureaux, avec d’une petite voix, un commentaire désobligeant ou pas de commentaire. Sauf pour certaines. Elle a des lunettes à verres gros comme ça, et derrière ses lunettes, je trouve son regard méchant. Elle me fait peur, elle me fera toujours peur. Pas un compliment, rien, alors que les deux nanties d’un 9/10 ont droit à tous ses encouragements.

Elle ne m’aime pas. Jamais elle ne loupe une réflexion cinglante à me faire pour une broutille. Jamais elle n’accroche un de mes dessins sur le mur. Jamais elle ne m’interroge quand je lève le doigt. Le samedi après midi où c’est bibliothèque, elle me refuse toujours le livre pour lequel je m’inscris. Jamais elle ne me complimente, moi qui me cramponne à la première place. Elle me traite comme les derniers rangs.

Car dans sa classe nous sommes classés par ordre de mérite : la rangée près de la porte n’a jamais droit à un regard de sa part, elle jette les cahiers sur les tables en précisant « nul comme d’habitude ». La rangée centrale c’est le moyen et la rangée près de la fenêtre, ce sont les meilleures (école non mixte). Pour chaque rangée les meilleures sont placées près de son bureau, les moins bonnes dans le fond. Inutile de vous dire que les dernières du rang près de la porte iront en « fin d’étude », une classe qui n’existe plus.

Et moi je suis juste sous son nez dans le rang près de la fenêtre. A chaque distribution de carnets, ça déménage. Moi je ne bouge pas. Je suis enfin la première après avoir été 2 fois seconde. Mais Madame Baron ne m’aime pas. Elle me regarde d’un sale oeil en recomptant les notes.

Nous avons toutes notre « semaine » de planifiée dans l’année, par ordre alphabétique. C’est celle « de semaine » qui essuie le tableau, secoue les tampons par la fenêtre, passe scrupuleusement l’éponge sur le tableau noir le soir, distribue les cahiers, les ramasse, descend les stores l’après midi, et va déclencher la sonnette de la récréation, acte important qui revient aux CM1 : nous adorons toutes, et avons hâte que cela soit notre tour.

Quant mon tour vient, elle s’occupe de tout, toute seule, ou bien, comme par inadvertance, demande à une autre élève de descendre les stores ou d’aller déclencher la sonnette. MA semaine se passe alors que je commence à avoir une boule d’angoisse dans le ventre.

Madame Baron ne m’aime pas… Je ne sais pas pourquoi… Mais je le sens, et ça me fait mal.

Je n’ose pas en parler à mes parents. Une maîtresse d’école ça ne se critique pas, elle a forcément raison contre moi. Et moi je ressens une injustice terrible, et je ne comprends pas. Moins je comprends et plus je m’applique. Il faudra un 3ème carnet en novembre où je suis la première enfin au lieu de seconde, pour que maman commence à se poser des questions. A cette époque là, je « me lève » toutes les nuits, quelque chose ne va pas.

Je suis première. On nous donnait des billets d’honneur ou des billets d’excellence. C’était comme ça et maman a gardé tous mes billets d’excellence ou d’honneur, et mes grands parents me donnaient de l’argent pour avoir si bien réussi. J’aurais dû être heureuse de bien travailler, d’être première, mais ce n’a pas été le cas.

Quand la directrice qui distribuait les carnets par ordre de mérite en commençant par la première, est arrivée, Madame Baron m’a regardée de son regard méchant derrière ses lunettes, et a demandé à ce que l’on me retire mon billet d’excellence sous le prétexte que je n’avais rien fait de valable en dehors des compositions. Elle a précisé que je me fichais du monde les 3/4 du temps. J’étais mal car je ne savais pas me foutre du mondes les 3/4 du temps. Je regardais ma table, une boule dans la gorge pour ne surtout pas pleurer, avec l’envie de mourir s’il me fallait rentrer à la maison sans mon billet d’excellence. Je n’avais pas bien compris comment sur un carnet on pouvait repérer le premier de la classe, je ne regardais que les notes et pas le classement. Et je savais que j’avais tout le temps bien travaillé, qu’elle mentait et voulait me faire du mal. La directrice n’a donc pas commencé par la première de la classe, j’arrivais en 4ème position dans la distribution.

J’ai hésité à rentrer à la maison. Je ne savais pas où aller, mais je savais que j’allais mourir ce soir là, de honte, de chagrin, de colère, d’injustice. J’irais me coucher en pensant bien fort à mourir, et je ne reverrais plus jamais Madame Baron parce que la mort parfois venait chercher des enfants innocents. Plus jamais je n’aurais peur du problème du début d’après midi, qu’elle faisait toujours corriger par une autre que moi, même si j’avais réussi. Plus jamais elle ne me ferait peur.

Pleurer, je l’ai enfin fait en rentrant à la maison. Maman a tout de suite vu que j’étais première, en voyant les moyennes affichées et j’ai eu des félicitations qui ont ouvert les vannes, parce que l’on m’avait retiré mon billet d’excellence. Et je hoquetais que ce n’était pas juste, que ce n’était pas vrai, qu’elle avait menti. Il n’y avait que ce que je pouvais raconter, il n’y avait rien d’écrit, aucune trace, sinon dans ma mémoire, et j’entends encore le laïus près de 50 ans plus tard…

Maman n’a rien dit contre Madame Baron, elle m’a embrassée pour mon excellent résultat, et j’ai tout de même compris que si elle ne disait rien, elle n’en pensait pas moins, et était de mon côté. Papa en rentrant, m’a félicitée à son tour, après discussion à voix basse avec maman. Les mots leur manquaient pour la vraie angoisse, pour l’humiliation du billet d’excellence qui m’avait été refusé, et c’était pour moi le plus important… Le soir, en entendant de notre chambre, mes parents parler un peu fort, j’ai bien compris que c’était virulent des deux côtés. J’attendais un miracle : mon billet d’excellence avec des excuses… Il leur a fallu 30 ans pour m’avouer qu’ils avaient eu l’un et l’autre, l’envie d’aller tout simplement flanquer une claque à Madame Baron mais y avaient renoncé pour ne pas empirer ma situation…

Il y a eu un mot sec, écrit par maman, qu’elle m’avait remis pour la maîtresse, précisant qu’elle gardait le carnet, distribué le vendredi, jusqu’au lundi, comme de coutume. Il fallait ramener le carnet signé le samedi matin et c’était l’horreur pour moi, depuis le CP, d’être la seule à le ramener le lundi, car les grands parents voulaient le voir le WE (même s’ils me donnaient ce qu’on appelait « des sous »).

Questions, et réponses, enfin, quand j’ai dit « madame Baron ne m’aime pas ».

Non, madame Baron ne pouvait pas me supporter. Maman l’avait plus ou moins compris avant cet épisode, à certaines de mes révélations « anodines ». Là, il fallait qu’elle m’en parle, je voulais mourir et sauter par la fenêtre depuis l’humiliation de la distribution des carnets. Du 5ème c’était risqué, elle n’a pas voulu laisser faire.

J’avais contre moi, deux concurrentes des plus sévères : Lise B, fille d’une institutrice de ma maternelle, que je me trainais depuis l’année des petits. Les parents de Lise B étaient divorcés ce qui était rare à l’époque, et sa mère mettait un point d’honneur à ce que ses 3 filles soient les premières en tout. Tout le monde la plaignait, cette pauvre femme abandonnée par un salaud, obligée d’élever ses filles toute seule.

Et puis surtout, il y avait Frédérique de Poissy dans ma classe, car bien évidemment il n’avait pas été question qu’elle se retrouve dans la classe de sa mère. Elle aussi, poussée au mieux, par sa mère et la collègue de sa mère qui ne supportait pas de me donner une meilleure note qu’à elle.

Je me souviens toujours de ma haine, quand papa regardant la photo de classe et ignorant tout, avait qualifié Frédérique de Poissy d’un « oh quelle adorable petite chipie celle-là ! ». J’étais quoi moi ?

C’est pour cela que madame Baron ne m’aimait pas. Je l’obligeais à trahir ses collègues en me mettant première, en me donnant de meilleures notes qu’aux filles forcément préférées de ses apparemment amies. Elle jouait même du 0,25/10 pour arriver à ses fins. Elle restait honnête en m’accordant la meilleure note ou en nous mettant à égalité, mais elle décortiquait toujours tout ce que je faisais, à l’affut de la moindre bricole. Et moi j’angoissais pour ne pas laisser passer une bricole. Nous écrivions au porte plume et le soupçon d’un pâté la réjouissait : elle pouvait me réduire ma note de moitié, ce traitement m’étant réservé… Tout était à l’avenant.

Tout le reste du CM1 j’ai été première après la première fois. Je me croyais débarrassée de Madame Baron pour le CM2, mais les effectifs étant insuffisants, elle s’est retrouvée avec une classe double CM1/CM2, avec en CM2 les meilleures de l’année précédente. Dont moi.

J’ai adoré apprendre cette nouvelle, moi qui me réjouissait d’avoir madame X ou madame Y si gentilles. On supprimait une classe (déjà) et maman n’a jamais réussi à convaincre la directrice de me mettre avec madame X plutôt qu’avec madame Baron. A la rentrée quand je l’ai vue arriver je me suis rappelée que Madame Baron ne m’aimait pas, ce qui s’est confirmé pendant tout le CM2.

Sauf que maman, suite à l’histoire du billet d’excellence que l’on ne m’a finalement jamais donné, avait pris la peine d’aller voir la directrice et qu’après cette visite, le comportement de la grosse truie violette s’était légèrement modifié… C’est d’ailleurs pour contrôler madame Baron que la directrice avait persisté à me laisser avec elle, ainsi que les 2 autres. Je ne comprends toujours pas ce raisonnement car le cas de figure n’était pas près de se renouveler…

Pour la fin du CM2, elle m’a juste oubliée pour le spectacle de fin d’année, ainsi qu’une autre qui menaçait aussi la place de ses petites chéries, et surtout m’a retirée de la distribution des prix (ça se faisait à l’époque, c’était grandiose pour ceux qui n’avaient droit à rien).

« Aucun prix pour elle, c’est normal » a-t-elle précisé à Mrs Bibelot une fois de plus indignée. « Elle lit bien TROP comme ça, elle n’a pas besoin d’un livre de plus ».

Un joli livre broché rouge et or, avec le ruban précisant le prix que l’on avait remporté, que l’on pouvait montrer à tout le monde avec fierté… J’en avais eu trois en CP, deux en CE2, et depuis j’étais évincée… Mais j’allais rentrer au collège, non sans angoisse, et j’ai ravalé mes larmes.

Mais bon, Madame Baron ne m’aimait pas… Vraiment pas, et jusqu’au bout il a fallu qu’elle le montre, qu’elle me fasse du mal, et qu’elle m’humilie… Car j’étais seule, exclue du spectacle de fin d’année, à regarder mes copines de classe danser au son des « filles de la Rochelle »…

La vie n’est qu’un long calvaire…

Etonnez-vous qu’un jour j’ai décidé pendant quelques mois, de ne plus rien faire…Pour retrouver ma vraie place, pour oublier cette classe sautée, pour oublier quoi.

Cela m’a permis de rencontrer meilleure amie depuis nos 12 ans.

MERCI MADAME BARON !

5 mai 1958…

Papa et moiJour à marquer d’une pierre blanche…

Jean-Poirotte avait beau faire celui qui s’en foutait , je pense qu’il serait bien revenu à ce lundi 5 mai 1958, jour de son incorporation dans l’armée, pour effectuer son service militaire, prévu pour 18 mois…

Mais quand on a 20 ans, 18 mois c’est l’éternité, surtout quand on doit laisser une femme en cloque jusqu’au menton derrière soi… C’est toujours en retard, que l’on revivrait bien le passé, mais c’est impossible. Ces moments que nous avons tous détestés, quels qu’ils soient, nous voudrions bien y retourner, peut-être en demandant LE trop : connaître ce qui nous attend. Mais je peux vous assurer que c’est une grâce qui nous est faite de ne pas savoir.

Donc papa n’était pas spécialement heureux à l’idée d’aller faire son service militaire. Les « évènements » d’Algérie épargnaient encore le bataillon de Joinville qu’il devait rejoindre le lundi 5 mai. Vu le nom du bataillon (le net vous renseignera mieux que moi), vous imaginez bien qu’il était hors de question qu’il soit exempté de quoi que ce soit même s’il avait eu les pieds plats, et malgré sa très proche paternité.

Le dimanche 4 mai était donc le dernier jour qu’il allait passer en famille, et maman pleurait toutes les larmes de son corps en imaginant son petit mari (1,82m) partant le lendemain. Je sais de qui je tiens à avoir passé mes deux grossesses à pleurer pour un oui ou pour un non, surtout à cause du trop ou pas assez salé… Enceinte de J + 21 jusqu’au terme, j’étais une vraie fontaine…

En cloque jusqu’au menton, et de surcroit en larmes, maman avait exigé de préparer elle-même le dernier vrai repas familial de son mari. Ils habitaient tous deux chez mes grand-parents maternels, mais les grand-parents paternels qui habitaient non loin, étaient venus se joindre à tout le monde pour ce grand jour.

J’imagine que le prisonnier et l’apiculteur, mes deux grand-pères, étaient assez sereins : mon père partait faire son service militaire, et non pas pour la guerre (la débâcle, les stalags, l’Afrique pour se battre contre Rommel et j’en passe). J’imagine également mes grand-mères assez sereines également : 18 mois c’est vite passé quand on ne part pas se battre vraiment. Elles avaient connu leurs maris partant pour la guerre, la vraie.

Maman avait gardé de ce jour là sans doute, son habitude de faire pour entrée des radis : pas de problème.

Pour le plat de résistance, elle avait prévu un poulet. C’était juste avant que papa ne soit dégouté du poulet aux hormones, qu’on lui a servi  3 FOIS PAR SEMAINE au bataillon de Joinville PENDANT 24 MOIS (parce que la loi ayant changé, deux jours avant qu’il ne rentre chez lui au bout de 18 mois, il a appris qu’il devait en faire 6 de plus, la naissance de ma cadette lui épargnant de partir en Algérie « les pères de famille de 2 enfants et plus, ne seront pas blablabla, mais effectueront 24 mois de service militaire »), ce qui l’avait mis, vous l’imaginez bien, de bonne humeur. Quand on a déjà préparé son paquetage pour rentrer chez soi, devoir rester 6 mois de plus doit vous mettre le moral dans les rangers.

Bref, à l’époque il aimait le poulet rôti…

Donc maman avait prévu un poulet qu’elle avait fait rôtir (en pleurant), + un gâteau de riz (à ne pas saler merci, vu qu’elle pleurait).

Tout le monde s’exclama devant l’arrivée de la bête qui avait fort mauvaise mine si l’on se met dans la peau d’un poulet en pleine forme et bien vivant, et Jean-Poirotte embrassa Mrs Bibelot (qui ne pleurait plus) : « un poulet ma chérie, tu ne pouvais pas me faire plus plaisir ».

Sauf que…

C’était 1958…

  • Le boucher avait dit un vague truc à maman qui lui avait demandé un poulet pour 6 (le vague truc, c’était : il faudra le vider, je n’ai pas eu le temps de vider mes poulets ce matin)
  • Elle n’avait pas fait attention.
  • Elle avait beurré et huilé le poulet, l’avait parsemé d’estragon, de sel de poivre.
  • Il sentait divinement bon.

A la première bouchée, alors que tous les convives venaient de goûter leur morceau mais étaient restés silencieux, maman fondit en larmes à nouveau.

Elle avait oublié de vider le poulet qui avait cuit avec le foie ET son fiel.

Elle s’en rendait très bien compte.

  • Hypocrites, tous les convives prétendirent qu’on ne sentait rien, surtout ceux qui avaient pris une cuisse.
  • Ce qui était fort héroïque de la part du prisonnier et de l’apiculteur pour qui un poulet c’était sacré. Ils mangèrent toute leur part.
  • Mon père ayant du fiel dans la bouche en songeant à ce qui l’attendait le lendemain, fit chorus avec tout le monde. « Ton poulet est délicieux ma chérie ». Pour faire bonne figure, il reprit même de la sauce.
  • Mais la plus merveilleuse fut Mrs Morgan, qui devant les larmes de sa fille, mangea le foie avec le sourire, en prétendant qu’il était délicieux et que la dite fille avait tort de se mettre la vésicule rate au court bouillon pour une histoire de fiel qui ne se sentait même pas.
  • Jusqu’à sa mort elle est restée héroïque, prétendant que manger le foie du poulet n’avait pas été si infect que cela. JAMAIS, elle n’a dit qu’effectivement le poulet était infect. JAMAIS
  • D’ailleurs pour ne pas le terminer froid le soir, les convives le terminèrent le midi, et le prisonnier partit chercher chez son boucher de quoi dîner dignement le soir, pour le dernier repas civilisé de son fils.

Maman pleurait toujours.

Il y avait le dessert, mais cela ne la consolait pas…

Et pour le pousse café, excusez-moi du peu, il y a eu moi qui le mardi, annonça son arrivée.

Pulchérie devait connaître l’histoire familiale : je m’annonce le mardi, je pointe mon nez le vendredi en fin d’après midi…

Papa, averti par un télégramme « femme à l’hôpital, STOP, naissance imminente STOP (pour le « imminente » vous repasserez) » fit le siège de son sergent chef qui, le sentant assez bouillonnant, lui refusa une sortie au péril de sa vie. Ce n’était pas l’époque où un père se devait d’assister à la naissance de son enfant.

  • « Votre femme se démerdera bien toute seule, tant qu’à faire de faire les 100 pas, vous pouvez les faire ici, sans autre demande supplémentaire de ma part, mais promis, dès que le bébé sera là, vous aurez une autorisation exceptionnelle de sortie ».

Incorporé  le 5, sorti le 9 au soir pour un WE…

C’était rare.

Le temps qui passe a de curieux effets :

On se souvient plus du fiel du 4 mai 1958 que du repas super réussi d’on ne sait plus quand.

Car la vie n’est qu’un long calvaire…

PS : c’est moi et mon pôpa, vers septembre 1958…

Rencontre mystique…

Comme beaucoup, j’ai naïvement trainé sur ce site. En fait ce n’était pas vain, car certaines rencontres valaient leur pesant de noix de cajou et quelques années après cela laisse de bons souvenirs. Qu’est-ce qu’on peut se poiler… après…

Le premier d’une petite liste, avait l’air tout à fait normal. J’aurais dû me méfier, un homme normal c’est louche par définition, il a forcément quelque chose à cacher, ou une tare inavouable.

Après quelques échanges téléphoniques (j’avais son numéro mais pas réciproquement), il avait été décidé d’une rencontre. J’étais telle un iceberg à l’idée de m’engager pour un dîner, et avais proposé de boire un coup quelque part et après on voit : restaurant ou pas. Lui insistait pour un dîner, au son de « je t’invite ». Mais invitée ou pas, je n’étais toujours pas chaude. Et puis j’ai fini par céder, et j’avais à la fois raison et tort, raison parce qu’on ne m’y reprendrait plus jamais. Et tort parce que finalement j’avais raison…

Donc RV devant tel restaurant. J’avais garé ma voiture de manière à pouvoir m’esbigner au caz-où discrètement sans être suivie et le lieu était neutre.

J’ai vu arriver une voiture dont le coffre touchait quasi terre. J’étais tombée sur un journaliste (ça je le savais), qui profitait d’être allé chercher un maximum d’exemplaires de son dernier magasine parce qu’il changeait d’éditeur, pour me fixer rendez-vous (ça je l’ignorais). Bon on a le droit de rouler en voiture surchargée le problème n’était pas là.

Physiquement il était assez loin de ce que j’imaginais d’après sa photo, et pour cause, en 10 ans un homme peut perdre tous ses cheveux et attraper des lunettes. Je n’ai rien contre le physique des autres, mais quand il y a tromperie manifeste je me hérisse. J’ai donc un peu hésité, mais il m’a précisé que même journaliste il ne se prenait jamais en photo et que son dernier photomaton remontait à 12 ans. Je me suis dit que j’aurais pu mettre sur le site une photo de moi étudiante et que j’étais bien stupide, mais je n’ai rien osé dire. Là encore on ne m’y a pas reprise et la fois suivante apprenant que le gnome qui me frappait sur l’épaule après avoir annoncé 1,80 m avait mis la photo de son frère nettement mieux, j’ai tourné les talons et je suis repartie… Bref…

Nous sommes donc rentrés dans le restaurant, nous sommes installés. Il avait l’air assez content lui, et m’a donc fait la totale pour me montrer qu’il était un homme, un vrai, un dur, un tatoué.

  • En premier lieu sans me demander mon avis, il a demandé deux kirs. J’aime bien le kir, mais la moindre des choses était de me demander mon avis.
  • Il a levé son verre « à nous », malgré mon air un peu crispée de celle qui se demande s’il y a une fenêtre dans les toilettes pour s’échapper (réponse négative après enquête, et je fuis désormais tout restaurant qui ne dispose pas d’une fenêtre dans les toilettes).
  • Il m’a demandé ce que je voulais comme plat dans ce restaurant de poissons. M’a précisé que le saumon c’était de la daube partout, et m’a commandé du Bar. J’aime bien le bar mais pas que l’on choisisse à ma place : c’est simple, je me fige.
  • A la demande du garçon, il a précisé que nous prendrions de la Saint Yorre j’adore, alors que je déteste tout ce qui est pétillant, limite même le champagne d’ailleurs. Il a tiré la tronche quand j’ai demandé un demi de blanc, vu qu’il invitait… Ce qui ne l’a pas empêché de piocher copieusement dedans (donc j’avais bien fait de ne pas commander un quart)
  • C’était bien parti et je suis donc restée un peu silencieuse. Pour qui me connait c’est mauvais signe sauf si j’ai annoncé la fièvre aphteuse en arrivant.
  • Comme je me taisais, il m’a raconté ses déboires avec sa salope d’ex femme qui l’avait dépouillé de tout et à qui il avait laissé sa maison, ses meubles et même ses photos d’enfance. Mais il n’était pas amer, non, une relation amoureuse doit être axée sur la con-fiance. Moi je me disais qu’il me mentait ou qu’il était vraiment con.
  • Comme je n’étais pas totalement d’accord avec sa confiance à 100 % accordée à quelqu’un qu’on connait depuis 3 semaines (et uniquement par téléphone) il m’a répondu que je n’y connaissais rien et qu’il allait m’expliquer.
  • Le temps qu’il m’explique, il a pu commander, toujours sans me demander mon avis, deux iles flottantes.
  • Après m’avoir expliqué il a pris un air pincé quand je lui ai précisé que je n’étais toujours pas d’accord et que je ne me remarierais que sous la contrainte d’abord. Contrairement à beaucoup d’hommes, il était accro au mariage et venait de divorcer pour la 4ème fois, envisageant avec impatience de se remarier une 5ème fois.
  • Il m’a déclaré que j’étais têtue et que c’était insupportable. Comme il avait 2 ans de plus que moi, il avait plus d’expérience que moi, il en savait plus que moi, et d’ailleurs si nous étions ensemble il me mettrait au pas et plus vite que ça. Là il a pris l’air satisfait de celui qui a marqué un point et m’a demandé si on allait à l’hôtel ou chez moi.
  • Je lui ai précisé qu’il allait à l’hôtel s’il le souhaitait, mais que pour ma part je rentrais chez moi toute seule et plus vite que ça également.
  • Sentant le roussi, le garçon dont on peut admirer l’instinct, a apporté la note et là, l’homme, le vrai, le dur, le tatoué, a précisé sans rougir « c’est pour madame »
  • Il n’était pas question que je me dégonfle, même s’il m’avait gonflé à un point pas imaginable. Je me suis levée, j’ai pris mon sac, ma veste et je me suis dirigée vers la porte avec toute la dignité dont j’étais capable, non sans avoir dit bien distinctement « pauvre crétin ! » en créant un petit silence dans la salle. De l’extérieur j’ai pu le voir, tétanisé sur sa chaise, attendant visiblement que je revienne : on n’avait jamais dû lui faire ce coup là.

Une fois dans ma voiture, je me suis promis de continuer à ne jamais donner un numéro de téléphone quel qu’il soit et à ne jamais m’engager pour autre chose que boire un verre, et après on verra si on dine ou non…

Je ne sais pas si son « aura » de journaliste lui permettait de se comporter comme il le voulait… J’ai tout de même eu avec lui, ma plus belle expérience de rencontre mystique…

Après peu de temps, j’ai arrêté…

Je vous l’ai déjà dit (je crois) mais la vie n’est qu’un long calvaire…

Voyage de noce part 2 – Royan et autres

Pied blesséDonc, récapitulons un peu, nous avons commencé notre voyage de noce avec 5 mois de retard, par Royan que nous ne connaissions pas Albert et moi. Nous avions beau savoir que la ville avait été quasi détruite à la fin de la guerre alors que les allemands occupaient encore cette fameuse poche, nous ignorions que les architectes de la reconstruction avaient aussi mauvais goût. Royan ne nous emballa pas du tout, aussi il fut décidé que nous n’y resterions que deux jours et deux nuits. C’est assez pour en faire au moins un post.

Premier jour : moi la mer à proximité, ou un plan d’eau, ou de quoi se tremper, m’attire comme de la confiture attire les fourmis. La veille nous avions pas mal roulé et l’après midi se devait donc d’être consacré à la plage pour le repos du bébé. Pour moi plage = baignade sinon je me tire, faire le lézard sur le sable ne m’ayant jamais vraiment plu.

Albert ayant tâté l’eau du gros orteil pour la trouver trop froide, décida d’aller excursionner dans les rochers de la marée descendante, pendant que je me consacrais à mon sport favori : nager et faire la planche. Là quand je faisais la planche c’était plutôt marrant, mon ventre qui dépassait de l’eau évoquant quelque peu une baleine (mais une toute petite baleine), et Albert se mit à se moquer de la baleine, tellement qu’il loupa un rocher et, se rétablissant comme il le pouvait, se fit très très mal aux pieds parce que les rochers parfois, ça coupe.

Aie le sable dans ses petites blessures. Aie le sel de l’eau de mer dans ses petites blessures. Aie ses petites blessures. Le voyant agoniser sur la serviette de bain j’ai fini par sortir de l’eau au bout de 2 heures. En bonne épouse je pu constater qu’effectivement cela saignait juste un petit peu, mais bon, il me fallait bien songer à le soigner, la gangrène le guettant. J’empruntais un seau à un gamin pour aller chercher de l’eau de mer pour rincer les pieds d’Albert afin qu’ils sèchent sans sable dans les petites blessures. Au contact de l’eau de mer Albert poussa des cris de putois et un CRS arriva pour voir ce qu’il se passait (authentique !). Peut-être  que certaines serial killeuses tuent les hommes avec un seau d’eau de mer…

Une fois les petits petons secs et sans sable (à répéter 52 fois très vite), Albert rechaussé, nous voici partis pour la pharmacie, lui boitillant derrière moi avec un « aie » à chaque pas. Il fit l’acquisition du strict nécessaire : désinfectant, compresses, pansements, bandages pour 3 personnes, toute une pharmacie, le pharmacien se frottait les mains. Restait à soigner le blessé qui s’allongea sur le lit dans la chambre d’hôtel, en criant à chaque fois que je m’approchais avec une compresse et le désinfectant. Finalement il décréta que ce n’était rien, d’ailleurs il était temps d’aller dîner. Le voici parti en gambadant sans boiter vers la salle à manger, alors que je contemplais avec la tentation de la lui faire avaler, la compresse que je tenais à la main…

Cette nuit là Albert dormant comme un bienheureux malgré les blessures des pieds pieds, je fus réveillée par une douleur atroce dans le dos, poignante comme une contraction à ce que l’on m’en avait dit. Et là, réveillée par la peur de perdre mon bébé, car il était bien trop tôt pour accoucher, puis par la peur de mourir tellement la douleur revenant était intense et insupportable, je me suis levée frénétiquement et j’ai secoué Albert.

  • « Chéri je suis en train de mourir ! »
  • « C’est bien ma chérie » me répondit-il avec un sourire crispant, les yeux à peine ouverts « CONTINUES ! »

Ce n’était QU’UNE crise de colite néphrétique, des spasmes à jamais non expliqués, mais le blessé pu continuer à dormir alors que :

  • J’appelais la réception tout en allant et venant dans la chambre en souffrant le martyr
  • La réception arrivait avec le médecin
  • Le médecin m’examinait, décrétait qu’il n’y avait rien de dangereux pour le bébé, et me faisait une piqûre d’anti-spasmodique
  • Le médecin attendait que cela fasse effet, faute de quoi c’était l’hôpital direct, même si ce n’était rien, mais il ne faut pas paniquer une femme enceinte
  • Le médecin partait en claquant vicieusement la porte rapport à Albert dont le sommeil de plomb l’avait pétrifié.

Et le lendemain matin, le blessé des pieds se réveilla tout sourire, s’étira et me demanda avec une innocence contristante « tu as bien dormi ma chérie ? »

N’eut été l’ordonnance et la note du médecin, il ne m’aurait jamais crue…

Et c’est l’époque où j’ai commencé sérieusement à envisager l’achat d’une corne de brume, au cas où mon véritable accouchement se déclencherait LA NUIT…

La vie n’est qu’un long calvaire…