C'était un jour comme les autres…

C’était un jour comme les autres, une consultation de routine, une de celle que toute femme vit régulièrement.

Il y a eu le moment où la gynéco s’est un peu figée, où son ton a changé, où elle a insisté sur la zone qu’elle palpait, en refusant tout à coup de continuer à parler. Il y a eu ce moment où Jacqueline s’est sentie tomber dans un gouffre, ce moment où son coeur s’est serré pour trop longtemps. Il y a eu l’ordonnance pour la mammographie, les paroles rassurantes qui ne rassuraient pas parce que le ton était déjà pour trop longtemps différent, trop neutre.

Il y a eu l’attente dans l’arrière boutique du radiologue, où elle se sentait transie, glacée de l’intérieur, comme déjà à la morgue, son coeur battant la chamade, un refus absolu planté en elle : le refus de mourir. Pas déjà, pas maintenant ! Un jour peut-être, un jour c’est sûr, mais pas dans trop peu de temps. Trop d’attente pour trop de clichés de contrôles…

Il y a eu la ponction et l’attente des résultats, mais elle savait. Elle savait que ce n’était pas un kyste. Elle a pleuré de n’avoir pas allaité ses enfants puisqu’il paraît que cela protège du cancer du sein. Elle payait d’être une mauvaise mère, la Faculté le lui a laissé entendre, même si nous lui disions que non, et que rien n’est vraiment prouvé.

Il y a eu la boule que l’on retire, sans retirer celles d’angoisses qui coincent la gorge, les enfants trop enthousiastes et optimistes à son chevet. Elle n’avait que les copines Jacqueline, pour en parler vraiment, pour pleurer, pour refuser la pitié, tout en ayant besoin de soutien, besoin que l’on écoute et partage ses angoisses et cette peur qui la faisait téléphoner souvent à 3 H du matin. Il y avait le téléphone qui la reliait à celles qui parfois, jadis, avaient pu lui donner une fausse impression de ne pas l’apprécier et qui maintenant lui tendaient les bras. Elle découvrait Jacqueline, que la solidarité féminine existe, et cela lui réchauffait le coeur, terrassait parfois sa peur.

Il y a eu les rayons pour l’aider à terrasser la bête qui se nourrissait de sa vie. Elle ne voulait pas arrêter de travailler Jacqueline, parce que son travail c’était aussi sa vie. Elle s’y rendait après ses séances pour entendre, muette et épuisée, son patron se plaindre de son rhume… Avec tout un personnel horrifié par le comportement de l’avocat tordu, devant et derrière elle pour lui ordonner de s’arrêter et de se reposer. Mais elle ne voulait pas se reposer pour trop penser au moment où elle deviendrait poussières.

Elle a pleuré Jacqueline, trop pleuré peut-être, sachant que le véritable espoir était bien loin dans le temps. Pas envie de mourir, pas envie de vieillir pour savoir si elle vivrait ou non, tout en sachant qu’un jour qu’elle voulait le plus lointain possible, la mort aurait gain de cause.

Elle a écrit son journal Jacqueline et commencé à aider les femmes comme elles, souffrant dans leur féminité de cette tumeur injuste.

Et puis le temps a passé. 10 ans déjà !!!! Les examens étaient bons. Toujours bons, toujours négatifs pour le mauvais, toujours parfaits quoi. Et il y a eu le jour où le cancérologue lui a dit qu’elle était considérée comme guérie, définitivement guérie de cette fois là. Parce qu’il peut toujours en venir un autre, un crabe… Ailleurs, on ne sait pas pourquoi…

Il y a eu le vendredi 17 octobre 2008 où elle a entendu le mot « guérie madame ! n’ayez plus aucune inquiétude ! » « maintenant je vous revois dans 2 ans, juste pour la tranquillité d’esprit »

Il y avait toutes ces années où elle ne pouvait s’empêcher de se palper les seins, de guetter le moindre symptôme qui pouvait être le signe que le crabe n’était pas mort, oubliant qu’il métastase généralement ailleurs. Il y avait un pan de sa vie qui n’avait été qu’attente, et enfin, au bout du chemin, le résultat trop espéré.

Elle était tellement heureuse Jacqueline, qu’elle a envoyé un texto à ses enfants « enfin guérie, je suis trop heureuse et je vous aime trop ». C’était le restaurant pour le samedi 18 octobre 2008, avec champagne à volonté et taxi pour ramener tout le monde. C’était le premier jour vraiment heureux depuis trop longtemps.

Et puis c’était un jour comme les autres pour tout le monde. Elle est sortie de l’hôpital en lévitant, tellement elle était heureuse, pour rejoindre sa voiture. C’est ce que l’on imagine vu le texto… Il faisait beau, même si un peu froid ce vendredi, et elle était guérie. Même si le déluge avait été là, elle l’aurait trouvé magnifique. Il était 15 H 35.

Elle n’a pas vu le bus Jacqueline… Le conducteur l’a vue trop tard, elle s’est quasi jetée sous ses roues. Et la camarde qui l’attendait depuis si longtemps devait ricaner derrière un peuplier quand le SAMU est arrivé trop tard. Dès le choc, il était trop tard. Et, des médecins sortis sur l’alerte, celui qui pleurait le plus, était paraît-il son cancérologue… On peut le comprendre. Avoir annoncé sa guérison à une patiente, dans cette spécialité là, et la voir mourir bêtement 10 minutes après dans un accident de la route, c’est à se pendre…

Quand j’ai reçu le mail en rentrant d’une bonne soirée passée avec Louisianne, j’ai été pétrifiée. La joie et le bonheur sont autant assassins que le malheur. Jacqueline, tu avais prévu les amies à prévenir avec une liste mail, mais pas pour cette nouvelle là…

Prenez donc garde à vous. Sur un coup de joie, n’oubliez pas de regarder en traversant, de conduire normalement, que la vie ne vous est pas assurée à jamais même si fatalement elle se terminera un jour.

Adieu mon amie. Nous sommes 10 ce soir, pour qui tes enfants ont pris la peine de donner de mauvaises nouvelles, mais nous savons que cela leur a fait quelque part un peu de bien…. Nous découvrons en même temps que ton départ à quel point nous comptions pour toi. Et demain ils en auront l’assurance et le réconfort.

Décidément c’est la période où je vous régale vraiment de posts les plus gais possibles…

Les filles bougez vous le cul (c'est le cas de le dire)…

Bon, alors, je sais que la visite annuelle chez le gynéco (tous les deux ans pour ma méchante qui a avoué sur son blog son forfait, Delphine on n’en parle même pas…), n’a rien de réjouissant loin de là, sauf pour quelques pervers, curieusement tous mâles… Vous n’en voyez finalement pas l’utilité malgré les campagnes de prévention toutes plus loupées les unes que les autres. Et vous essayez de passer à une fois tous les 2 ans, voire une fois tous les 3 ans. Ceci aidées par la SS (LA SECU !) en déficit, qui trouve sans doute que payer pour soigner c’est moins cher que pour la prévention, la vraie. Parce qu’un frottis tous les 2 ou 3 ans, comme prôné par elle, c’est insuffisant.

Je vais donc vous raconter pourquoi c’est utile, désagréable mais obligatoire. Vous allez comprendre pourquoi il vaut mieux perdre 1/2 H par an (allez, 1 H avec l’attente !) pour s’éviter des années de désagrément. Ce qui suit est 100 % authentique et non exagéré.

  • 1988 (j’avais 30 ans) lors de ma visite ANNUELLE chez la gynéco, j’avais une mycose donc, aucun frottis n’a été effectué. Elle m’a précisé de revenir dans 3 mois, mais vous pensez bien que je ne l’ai pas écoutée, j’avais effectué ma corvée, juste 6 mois après mon dernier frottis, j’avais le temps…
  • 1989, Albert me quitte en me laissant encore une mycose. J’avais autre chose à faire que d’aller me faire trifouiller le kiki par une femme pourtant charmante et psychologue.
  • 1990 : le frottis est fait et chez moi c’est la totale, le col est mal orienté, ça prend un temps fou. Allez savoir pourquoi j’oublie le frottis dans mon sac. J’ai 32 ans, cet examen c’est de la daube et je le jette.
  • 1991 : je me pousse chez une nouvelle gynéco qui procède au prélèvement obligatoire. J’ai beau avoir accouché 2 fois, c’est toujours une épreuve, avec un utérus rétroversé, un col qui se balade, et la haine de la position sur la table. La nouvelle est sympa, elle essaye de me détendre en faisant de l’humour, sauf que je ne suis pas en position pour avoir envie de sourire. Je poste le frottis.
  • 1991 : le téléphone sonne. Un dimanche. C’est la gynéco. Elle a reçu les résultats de mon frottis. Ca ne va pas du tout. Elle m’attend demain lundi de toute urgence. Je balise.
  • 1991 : entre le dimanche 11 H 30 et le RV du lundi 18 H 30, on a le temps de baliser et le sommeil devient une option. Un rat s’est installé dans mon estomac et m’empêche de manger et de vivre normalement.
  • 1991, mars : le lundi 18 H 30. Mon frottis n’est même plus au stade III. J’ai un cancer du col. « In situ » certes, mais un cancer. (Fin 1987, tout était parfait, nomination « I » (classement changé depuis)). Bel et bien un cancer qui s’est installé en largement moins de 4 ans. Elle ne pèse pas ses mots, elle sait que si elle minimise trop je peux zapper ce qu’il faut faire (elle me l’avouera après : beaucoup de femmes zappent si l’on minimise et se font traiter trop tard). Elle m’a pris RV chez un spécialiste, à Paris. Elle m’explique gentiment qu’il est encore largement temps, que tout se passera bien, et ce que l’on va me faire. J’en frémis d’horreur et j’ai toujours un rat qui me bouffe l’estomac.
  • 1991 : je pleure. J’espère encore avoir un troisième enfant. Pulchérie a 10 ans, Delphine 7. Que vont devenir mes petites puces si je dois mourir de cette saloperie ? Leur vision d’elles pleurant à mon enterrement m’empêche de dormir.
  • 1991 : je pleure toujours. Je viens de passer la porte d’un service de « cancérologie féminine ». C’est écrit en gros. Le professeur me demande si j’ai eu un choc affectif important au cours des 3 années précédentes. J’apprendrais bien plus tard que cela a un impact. De toutes manières je ne peux lui dire que « oui » (merci Albert !). Il reste dubitatif, parce que je suis négative aux papillomachintruc-chose et autres, contre lesquels il y a un vaccin désormais (je ne dis pas que c’est du pipeau), et retient l’option « choc affectif ».
  • 1991 : le professeur est ce qu’il est, et surtout pas aimable. Il m’aboie de retirer ma culotte pour la biopsie, parce que je l’avais gardée pour monter sur la table, précise à l’infirmière : « passez-moi une pince à biopsie, et pas comme tout à l’heure, une qui coupe ». Avant de faire la biopsie, sans me demander mon avis, il fait défiler 7 internes pour leur montrer l’état de mon col (il ne voit rien), qu’un col ça peut avoir une drôle de tête (le mien regarde vers la droite), et comment que l’on colore un col pour voir la lésion (qui est là, regardez bien…).
  • 1991 : je ne suis pas en état de protester devant le défilé des internes qui vérifient qu’en colorant un col, on peut voir une petite tache suspecte. Si je proteste j’ai peur que le professeur X ne me loupe avec la pince à biopsie qui théoriquement coupe. Je dois être honnête, je n’ai rien senti de désagréable, à part mes jambes qui tremblaient vu la position que je devais tenir, juste un vague chatouillement qui lui a permis de m’assurer que je n’étais pas douillette, contrairement à ce que j’avais dit. Mais bon, grâce au défilé des internes, l’examen et le prélèvement ont pris 1 H 30… Et je sais qu’il aurait dû me demander ma permission…
  • 1991 : un lundi : professeur X au téléphone. C’est bien un cancer « in situ ». Il m’opère la semaine prochaine. Finalement non, il a de la place jeudi.
  • 1991 : je pleure. S’il ne laisse pas de temps passer, c’est que c’est grave. Tout le monde me ment. Je regarde mes filles innocentes en me disant que je vais les rendre orphelines. Je regarde mes parents chez lesquels je vis, qui affichent pour moi un optimisme forcément faux. Ils savent… Ils doivent s’inquiéter dans mon dos. Toujours un sommeil fragmenté, des cauchemars, la trouille.
  • 1991 : je suis à l’hôpital et je suis opérée demain. On va me retirer le bout de col qui est envahi par du « in situ ». Je pleure. Et si j’allais rester sur la table ? Et si je ne guérissais pas ? Et si je n’allais plus pouvoir faire une petite soeur aux filles ? (cela a été le cas)… Une infirmière sympa essaye de me remonter en vain le moral, et de guerre lasse me refile un comprimé pour dormir, mon cul.
  • 1991 : je me réveille. J’ai mal. On ne m’a rien dit sur le déroulement de l’opération. J’ai un ballon dans l’utérus pour éviter qu’il ne se rétracte sur le curetage qui a été fait (quel curetage ? Pourquoi ?) et un genre de sonde « pompe à vélo » qui me sort de… Je le découvre avec terreur en allant faire mon premier petit pipi. Bonjour l’hygiène d’ailleurs, mais le professeur désagréable à qui je le précise avec aigreur, me déclare qu’il est au courant et qu’il se bat en vain (et il se bat contre lui-même qui n’informe pas ses patientes ?)
  • 1991 : visite post opératoire après biopsie du morceau retiré, 2 semaines après l’opération. 2 semaines de joie et de sérénité bien sûr… Le professeur X me précise qu’il m’a retiré 2 cm à l’intérieur du col, gros comme un haricot vert. Comme il ne précise pas s’il s’agit d’un mange tout ou d’un extra fin, j’ai l’impression d’être mutilée. Les examens sont formels : il est repassé en zone saine, la biopsie de l’endomètre s’est révélée normale (d’où le curetage). Pour lui TVB, il me rend à ma gynéco, d’autant plus que je l’ai consulté non en privé (à prix prohibitif) mais en prix public. Je peux reprendre une vie de nonne normale, tout est rentré dans l’ordre, sauf que…
  • 1991 : j’ai droit à un frottis tous les 3 mois. J’y vais ponctuellement, en regrettant amèrement les années où j’ai zappé ce fichu frottis, le moment où l’on aurait pu voir que les choses commençaient à se gâter. Le moment où l’on aurait pu faire moins lourd que ce que j’ai subi, le pire étant l’attente des résultats. J’ai toujours cette peur au ventre de l’attente des résultats, aujourd’hui plus rapides. Et puis je vis désormais le soulagement de voir l’enveloppe du laboratoire : quand ça merde, on ne nous envoie pas les résultats, c’est le médecin qui téléphone. Et ça rassure de l’avoir en ligne un dimanche…
  • 1993 : je passe à un frottis tous les 6 mois, puis en 1995, à un frottis tous les 9 mois. Nouvelle gynéco à nouveau qui me précise que c’était limite quand on m’a opérée…
  • 2001 : 10 ans se sont passés depuis l’opération, je peux passer à un frottis tous les ans. Tout continue à aller bien. Des frottis de rêve… (les résultats…)
  • 2006 : les résultats sont toujours excellents. Le docteur Acromion m’assure avec certitude que là, je peux passer sans risques à 1 frottis tous les 2 ans. Parce que je n’ai plus 33 ans. Parce que mes hormones se calment. Parce que le cancer du col, contrairement à ce que l’on pense, frappe les jeunes femmes de préférence.
  • 2008 : le temps revient du frottis… Bien sûr je déteste cet examen et j’irai à reculons, après avoir pris un anxyolitique. Mais cet examen m’a jadis sauvé la vie, voyez-vous. Au stade galopant où j’en étais, j’étais bonne 2 ans plus tard au plus, pour un cancer invasif, beaucoup plus difficile, voire impossible à guérir. Devant mes résultats passés, le Dr Acromion me l’a confirmé.

Alors les filles, bougez vous le cul pour aller le poser sur la froide table du gynéco, respirez bien fort, pensez qu’il ne s’agit que de 20 minutes désagréables par an dans votre vie, à passer…

A zapper le minimum de désagrément, on ne sait jamais ce que l’on se réserve. Et je sais que ce troisième enfant que je n’ai pas pu avoir, c’est le morceau de col que l’on m’a retiré qui me l’a probablement interdit…

Alors, les filles, et les miennes comprises hein ? n’oubliez pas le frottis !

Il peut vous sauvez la vie, votre descendance future, votre sérénité, et votre joie de vivre…

PS : ce post sera réédité régulièrement, de manière à ce que, en ayant tellement marre, vous veniez me dire que bon, c’est fait. (Ophise ne te sens pas spécialement visée…). Epargnez moi l’envoi du scan des résultats, je vous croirai sur parole (sauf mes filles, mais ça se règle à part…)