Le genou de Jean-Poirotte (chapitre 6) Dans Montpellier c'est tout simple !

genouLe mardi, il était évidemment prévu d’aller voir Jean-Poirotte à l’hôpital, quand il était encore entier, maman étant persuadée que devant l’état de sa chambre, la Faculté allait décider de carrément la lui couper pour qu’on n’en parle plus.

  • Ma chérie, et si on allait l’amputer ?
  • Maman, on ne coupe pas une jambe comme ça !
  • Qu’est-ce que tu en sais ?
  • Oui on se demande vraiment ce que j’en sais ! (que j’en sais que s’il y avait eu un risque de ce genre, c’est dès le samedi qu’il aurait filé avec les pompiers à l’hôpital, mais bon, on ne rassure pas toujours comme il le faut)

Donc, je gambergeais à mon tour sur une amputation faite à l’arrache, en ayant expédié maman qui dormait vraiment très mal depuis quelques jours, faire une petite sieste.

Téléphone : 14 H.

Papa un peu dans le coma, me précisant que nous ne devions pas venir, car il allait descendre en salle d’op dans l’après midi.

  • Seulement cet après midi ? (plutôt rassurant par rapport à un degré d’urgence)
  • Oui… Ils vont me faire un truc dans la colonne, je ne me souviens plus du terme.
  • Mise au point de mes neurones : il a un problème au genou.
  • Ah on va te faire une péridurale ou un rachis ?
  • Une péridurale, c’est ça. Mais je ne sais pas ce qu’il m’ont fait, je suis dans le gaz
  • C’est mieux papa. Reste dans le gaz, cela va se passer comme sur des roulettes… (un peu comme pire que celles des dentistes, mais je n’allais pas le lui dire…)

Maman était vraiment décontenancée de ne pas revoir son petit mari tout de suite, mais j’ai pu la rassurer : on n’ampute pas sous péridurale dans un pays soi-disant civilisé (enfin je crois qu’on est soi-disant civilisés, en tous cas j’étais persuasive).

Le soir, il a téléphoné, toujours dans le gaz, que tout s’était bien passé, sauf qu’il souffrait toujours autant, voire plus (évidement, on lui avait encore tripatifouillé* l’articulation, cela doit être jouissif comme pas possible).

Le mercredi donc : départ pour Montpellier, avec moi au volant évidemment.

C’est tout simple, il n’y a qu’à suivre le fléchage, même à l’entrée de la ville où il ne faut pas louper le « hôpitaux, facultés » qui est fléché au dernier moment, sortie donc qu’il faut repérer avec anticipation en évitant de doubler le connard improbable sous ces latitudes civilisées qui roulerait à 40 …

  • Après il ne faut pas louper le « hôpitaux, facultés » à la première jonction
  • Après il ne faut pas louper le « hôpitaux, facultés » à la seconde jonction
  • Puis au prochain rondpoint il ne faut pas louper le « hôpitaux, facultés »
  • Après la déviation suite aux travaux du tram, il faut récupérer le « hôpitaux, facultés »
  • Puis à la jonction suivante il faut rester concentré sur « hôpitaux, facultés »
  • Le tout, sous fond de vociférations klaxon des autochtones d’une ville soi-disant civilisée, qui à la vue de votre plaque « 78 » ne pensent pas une seule minute que vous cherchez votre chemin.

Un doute étreint Mrs Bibelot qui vient de constater avec amertume que je vois mieux de loin, sans lunettes, qu’elle avec lunettes. Je suis bien consciente que ma vision ne va pas aller en s’améliorant, et que,  à la tombée de la nuit j’y verrai plus clair je ne veux pas en rajouter une couche à déclarer que j’y vois moins qu’il y a 10 ans, donc je profite de ce qu’il me reste de mon oeil d’aigle d’antan…

  • C’est quoi déjà le nom de l’hôpital de ton père ? La Reynie ? (façon historienne)
  • Putain, le feu rouge (façon chauffard)…. Cela ressemble à cela, mais je ne vois pas ce que le lieutenant de police de Louis XIV pourrait avoir à faire avec un nom d’hôpital
  • Tu as raison… Labeyrie ? (façon dégustation)
  • Ca y ressemble aussi. Pas de soucis, quand on verra le nom, cela va nous revenir.

Ralentissement de MA voiture qui ne risquait pas de dépasser le 50 à l’heure prôné dans Montpellier, au grand dam des autres conducteurs façon le 50 j’m’entappe !

Sur la droite en effet, étaient régulièrement fléchés des tas de nom d’hôpitaux. Je ne pANsais pas qu’à Montpellier on était autant MALade.

A droite tout à coup « LA PEYRONIE MA CHERIE, TOURNE ! »

Après c’est tout droit pendant 500 mètres, on vous annonce que cela va être à gauche, sauf que c’est tout de suite à gauche, donc, j’enregistre que pour QUELQUES JOURS à venir, il me faudra rester sur la droite ou sur la gauche, et merder les conducteurs de Montpellier.

Nous sommes donc arrivées saines et sauves (sauf mes nerfs, maman s’étant cramponnée pendant tout le voyage à sa chère poignée), à l’hôpital Lapeyronie.

Nous avons négligé les parkings visiteurs pour prendre « entrée principale ».

Nous avions tort.

Car la vie n’est qu’un long calvaire…

* C’est de moi, c’est de la même veine qu’abominafeux…

Le genou de Jean-Poirotte (chapitre 3)

genouLe lendemain du curry d’agneau, Jean-Poirotte ne gambadait plus spécialement, mais il a fait comme si que…

Pendant ce temps là, j’emmenais sadiquement ma mère à la plage où elle s’est même baignée, car l’eau était délicieuse.

Le vendredi matin, papa s’avachit sans grâce sur le canapé, incapable de se mouvoir, et demandant à sa femme de faire revenir le médecin dare dare et un prêtre avec pour lui administrer l’extrême onction.

Le médecin  nous appela le soir vers 20 H pour nous dire qu’il comptait mettre le prélèvement à venir en culture, et que donc il était trop tard, et qu’il viendrait le lendemain matin.

Je le sentais mal ce coup là, mais j’ai gardé mes réflexions pour moi, car généralement on me demande de le faire (les garder pour moi), avant de me dire quelques jours plus tard que j’aurais mieux fait de l’ouvrir au lieu de la fermer.

Je suis habituée à ce que mes intuitions laissent tout le monde de marbre (sauf moi et Delphine) et je me suis contentée d’assister mes parents comme je le pouvais.

Immobilisé sur son canapé, le pied par terre, le genou droit gonflé et la jambe entière avec, Jean-Poirotte n’était même plus bon à terrasser les mots croisés de la mort qui tue ou de lire, et c’était mauvais signe.

Le moindre truc anodin de la vie courante, était exclu :

  • Aller aux toilettes : impossible, pisser dans un bocal étant le seul truc possible (plus facile pour un homme que pour une femme, mais bon…).
  • Manger : ne pas y songer : pas faim, trop mal
  • Dormir : trop mal…

Le samedi dès l’aube (8 H 30) le médecin se pointa et effectua un prélèvement qui là, se révéla purulent. Pour lui, il y avait quelque chose de louche (un champignon ?) et Mrs Bibelot et moi partîmes pour le labo déposer flacon et éprouvettes pour cultures.

Devant l’affolement de maman j’avais décidé de prendre les choses en main, et au passage les clefs de la voiture, parce que quand elle est perturbée j’ai peur elle est capable de franchir le terre plein central en se demandant ce qu’il se passe, voire même d’écraser un flic sans s’en rendre compte.

Papa préférait que je conduise, et elle n’émit aucune objection.

Le dimanche, Jean-Poirotte souffrait tellement et nous nous sentions tellement impuissantes, que le médecin de garde se radina vite fait.

Devant l’état de la jambe, la souffrance de papa, et l’état également, des urgences un dimanche où il risquait de poireauter pendant des heures, il préconisa un maintien à domicile jusqu’au lendemain, avec :

  • Antalgiques à hautes doses (effectivement, mais nous le saurons un peu tard)
  • Piqûre contre une phlébite éventuelle que Mrs Bibelot maîtrise bien (le tir à l’arc en gros, on dirait même qu’elle adore, ma mère doit avoir un côté sadique)
  • Antibiotiques préventifs.

C’était donc le dimanche, et une seule pharmacie de garde était disponible : à près de 25 km de là.

Nous sommes donc parties, Mrs Bibelot tenant un plan et les ordonnances, et moi au volant, chercher ce qu’il fallait pour sauver notre mari et père de la douleur et du pire.

Je ne savais pas encore que j’allais commencer à dire que je l’aurai bien mérité ma place au Sénat.

Car la vie n’est qu’un long calvaire…

PS : pour ceux qui s’indigneraient, si j’en parle aisément, c’est que la chose est en train de se résoudre, sinon je n’aurais pas le coeur…