J'étais dans la résistance ma petite fille…

C’est comme ça, je ne me vante pas. C’est venu un peu contre mon gré, sans que je ne me rende compte. D’ailleurs je n’ai pas fait grand chose : je passais juste des messages, dissimulés sous mon porte jarretelles…

Tu la vois la Loire là ? Au fond du jardin ? De l’autre côté c’était la zone libre, nous, nous étions en zone occupée. Le pont, je le prenais régulièrement depuis longtemps, sur ma bicyclette, pour aller à la ferme qu’il y a juste de l’autre côté de l’eau. C’était là, d’après le grand-père d’Albert, mon Valentin, que l’on trouvait le meilleur lait, les meilleurs oeufs, le meilleur beurre. Cela faisait des années que je prenais ma bicyclette pour aller acheter le nécessaire de l’autre côté de l’eau.

Je ne sais plus comment tout a commencé, et le pourquoi du premier jour où j’ai franchi le pont avec la peur au ventre, en sentant trop fort le billet roulé rangé sous un élastique de mon porte jarretelles. Toi évidemment, tu portes des collants, tu ne connais pas grand chose de ce qu’étaient nos sous-vêtements.

J’avais aussi une combinaison en soie, et bien sûr des bas. La première fois, les allemands m’ont juste saluée au passage comme de coutume depuis qu’ils étaient là. Ils me connaissaient. Ils me regardaient et me disaient toujours « cheune matdmoizelle ». J’ai su longtemps après ce que cela voulait dire. Je n’étais plus une matmoizelle, j’avais déjà ma fille, ta belle-mère… Mais pour eux j’étais la cheune matmoizelle qui revenait avec du lait, des oeufs, du beurre… Je revenais surtout, avec le coeur plus léger qu’à l’aller, débarrassée enfin de ces messages qui finissaient par peser si lourd que je peinais à pédaler.

Je n’avais rien dit à Valentin. C’était secret de faire partie de la résistance. Je ne lisais jamais non plus les messages : interdit. Si j’étais prise je n’avais rien à dire… Je ne connaissais même pas le vrai nom de celui qui me donnait les papiers, et Je n’imaginais pas trop comment on pourrait me poser des questions mais j’obéissais aux consignes.

Et puis, tout s’est enchainé, et l’on m’en a demandé un peu plus. Et puis il y a eu ce soir, où ils ont frappé juste un coup à la porte avant de l’enfoncer.

Ils étaient 5. 3 en uniforme avec mitraillette, et 2 miliciens avec pistolet ou révolver, peu importe, à la main. J’ai eu un révolver (ou pistolet) sur la tempe et mon cher mari aussi. Et je m’en voulais. Je savais que c’était de ma faute, que c’était moi qu’ils cherchaient. J’aurais dû le prévenir tout de même un petit peu, voire lui demander la permission. A l’époque, une femme se devait d’obéir à son mari.

Il y avait juste 5 balles dans la bonbonnière décorant la bibliothèque. 5 balles que l’on m’avait confiées en me disant que parfois il manque juste une balle. Alors… 5… Je les avais planquées comme je le pouvais. Je sentais que ces hommes allaient ouvrir la bonbonnière et qu’il en serait fini de nous. Mon pauvre mari innocent allait payer pour mon inconscience et pourrait mourir en me maudissant. Je voyais les livres valdinguer par terre, entraînant la bonbonnière, et les balles s’écoulant sur le parquet…

Je me souviens de mes jambes qui flageolaient, de mon coeur qui battait de travers, de la peur absolue qui était la mienne. Et la petite, qu’allaient-ils faire à la petite dormant à l’étage, quand ils auraient la preuve que je faisais partie des forces judéo-maçonniques ? Qu’allait-il advenir de nous ? de lui ? d’elle ? Nous ne savions pas tout à l’époque, mais perdre ma fille de vue me faisait vraiment peur.

Ils n’ont rien trouvé. Ils n’ont pas ouvert la bonbonnière et ils sont partis en s’excusant, car leur réputation d’être Korrekts, ils y tenaient. Et je suis tombée par terre en disant « pardon » alors que Valentin me relevait en disant « pardon » également.

Il nous a fallu une heure pour nous comprendre ma petite fille. Lui croyait qu’ils étaient venus pour lui et il s’en voulait de ne m’avoir rien dit. Moi je pensais qu’ils étaient venus pour moi et je m’en voulais de lui avoir tout caché…

C’était lui mon chef de réseau. Je suis devenue tout à coup pour lui « la femme courageuse » qui passait des messages et il est devenu livide en songeant aux risques qu’il m’avait fait courir. Je savais enfin qui donnait à « Monsieur Pierre » les messages si importants à emmener en zone libre. Enfin bref, c’était lui, c’était moi, c’était nous.

Après la révélation, nous sommes restés silencieux un long moment. La petite dormait toujours là-haut. Nous nous sommes promis l’un contre l’autre, dans le lit conjugal, d’arrêter nos conneries. Cela a été peut-être la plus belle nuit de notre amour.

Nous nous sommes avoué en 1957 seulement, que nos conneries, nous ne les avions pas cessées du tout. Nous avions juste changé de réseau, en expliquant chacun pourquoi à qui de droit, pour nous retrouver du coup, toujours liés par le même mensonge. Il n’y avait pas 36 réseaux de résistance près de Langeais…

J’aime rire ma petite fille. J’adore tes filles qui sont mes arrières petites filles. Mais il te fallait savoir que je n’ai pas toujours été cette vieille femme drôle et parfois semblant naïve. Le révolver sur la tempe me réveille souvent la nuit et j’ai à nouveau peur.

Et depuis qu’IL n’est plus là, j’ai de plus en plus peur. Il est parti mon mari, mon chef de réseau, celui avec qui j’ai tant partagé dont une partie de ma vie sans le savoir. 5 ans, c’est peu, cela peut être tout.

Rappelle à tes filles que je n’étais pas que l’arrière grand mère rigolote, que je n’étais pas qu’amour et insouciance, que je n’étais pas que celle qui fait un « super réveillon du jour de l’an » avec du jambon et des nouilles.

J’ai été aussi l’inconsciente qui ne savait pas vraiment ce qu’elle faisait, qui durant toute l’occupation a promené dans sa culotte ou son porte jarretelle, des messages ultra importants. Et rappelle à tes puces que leur arrière grand-père si bonhomme s’est révélé capable de tuer un ennemi parce que c’était comme ça et sinon bien plus de morts. Nous nous ne sommes jamais sentis héroïques : juste pris dans un temps fou qui passait sur nos vies. Ce n’est que trop tard que nous avons su ce à quoi nous nous étions exposés. Mais c’était trop tard car si à refaire : refait…

Je t’embrasse ma petite fille.

Maria.

PS : je n’étais que la femme de son petit fils, mais elle m’a toujours considérée comme étant sa petite fille.

Et pour les filles : oui c’est bien elle…  Comme quoi…

14 réponses sur “J'étais dans la résistance ma petite fille…”

  1. Tu m’as encore mis la larme à l’oeil avec ta belle histoire familiale,c’est vrai que nos mamies ont été jeunes,passionnées,amoureuses,parfois heroiques,des jeunes femmes de leur temps.

  2. Très belle histoire ! Je te l’ai déjà dit mais tu as de la chance d’avoir une famille où il y a tant d’histoires ! On pourrait presque en faire un film !

  3. Que de frissons… quel époque aussi ! Il y en a eu des héros dans nos grands parents, héros pas car ils se sont battus, car ils ont fait ce qu’ils croyaient juste et nécessaire pour leur liberté !

  4. Belle histoire en effet, j’aime toutes ces natures, caractéres qui font que sous des extérieurs normaux et banals… se cachent des sentiments forts, des volontés de risquer pour les autres, pour des causes justes et belles

    De « belles » personnes…

  5. Je lis depuis quelques temps votre blog, et là, je suis très émue par cette belle histoire de courage. merci pour ces tranches de vie que vous partagez avec nous. Et bon courage pour tout le reste

  6. Réponses en vrac !

    JR : là, c’était la grand-mère d’Albert…

    Vannina : oui,il y en a eu des femmes courageuses qui se sont levées tôt, le jour où elles ont eu enfin le droit de voter, après avoir combattu…

    Estel : finalement, c’est une histoire toute ordinaire, dans l’histoire…

    Louisianne : hélas, trop d’histoires tuent l’histoire en la rendant trop triste. Mais j’aime l’histoire de Maria et de son mari, qui ont survécu et n’ont finalement pas vécu le pire…

    Vladyk : il y a l’héroïsme « anodin ». Elle n’a compris que trop tard ce qu’elle risquait, elle n’avait pas l’impression de faire quelque chose de particulièrement « grand ».

    Marie : de « belles personnes », mais personnes comme les autres. Lui et elle se sont toujours défendus d’avoir fait quelque chose de GRAND.

    BritBrit : bienvenue ici. Pas de quoi être soufflée… Il y en a tellement d’autres qui sont restés anonymes après avoir rempli leur rôle…

    Marie-Christine : tu es éditeur ?????????? :-))

    foldingue du74 : bienvenue ici. Et merci d’apprécier ces tranches de vies, ces tranches du passé qui ont fait notre présent. Pas certaine d’ailleurs qu’ils l’apprécient d’où ils sont…

  7. Rhaaaa, ça donne la chair de poule ton récit, beaucoup plus prenant qu’un livre d’histoire et puis « ordinaire » pas tant que ça!
    Est-ce qu’on saurait en faire autant, à leur place????

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