Promenade solitaire… (2)

Fort_La_Latte_1915219Je suis partie comme ça, sur un coup de tête après un bref coup de téléphone. J’ai pris 1 H pour préparer mon sac, ce qu’il fallait pour le chat pour deux jours en eau et en croquettes, et j’ai filé, telle une voleuse, sans prévenir personne. J’ai juste précisé à ceux qui pouvaient attendre ma visite que j’étais en plein remaniement de mon appartement (déjà) et qu’on me reverrait le lundi… En rajoutant en plus que mon fixe merdait un peu, oh la menteuse ! (le portable restait rare et moi  je n’en avais pas)

Je suis partie après avoir réservé où il le fallait, le coeur battant, avec Titine, ma vieille Seat qui me manque toujours, vers la Bretagne de mon enfance. D’ailleurs c’est aussi la Bretagne de certains de mes ancêtres, ne pas se demander pourquoi ma méchante a du goémon dans les narines comme elle l’a raconté une fois sur son blog : ça lui vient des deux  côtés… Delphine ne semble pas souffrir de ce syndrome, gendre n° 2 étant juste breton.

Je suis arrivée, il faisait encore grand jour, dans le village où nous avons passé tant de mois de juillet. Je revoyais l’ilet qui faisait le paysage si joli. Je revoyais ma découverte de cet endroit. J’avais 10 ans… L’odeur de la mer est là mais…Saloperie de mer, traitresse ! je viens pour la voir et c’est marée basse, dans la baie de St Mâlo où les marées sont les plus fortes du monde avec celles du Canada juste en face, mais bien loin. L’ilet est bien sûr abordable, il faut faire des km pour que les vagues clapotent sur les bottes ou les pieds nus. Son nom de l’ilet vient du fait que ce n’est une île qu’à marée haute. Je pars vers l’endroit où j’ai réservé en catastrophe.

J’espère ne pas y retrouver trop de souvenirs d’avec Albert qui m’y a emmenée alors que Delphine était en début de préparation. Je retrouve l’auberge telle que je l’ai vue il y a maintenant si longtemps. Il n’y a pas d’hortensias en fleurs c’est trop tôt. J’entends juste la mer se fracassant non loin, je devine le fort La latte que je verrai demain.

J’ai l’impression d’être chez moi dans cette chambre que l’on m’offre (contre rétribution tout de même). Comme une sérénité étrange qui m’enveloppe et que je veux maintenant retrouver, celle d’un bonheur que l’on éprouve tout à coup alors qu’on le croyait pour toujours parti.

Cela me fait drôle d’être une femme seule dans cet hôtel où il n’y a finalement personne de visible. Pas d’inconnu solitaire, pas de rencontre prévisible, comme dans les livres. Juste l’impression d’être chez moi. On me gâte pour la soupe de poissons, les galettes de sarrasin si délicieuses, le cidre, le coup de calva, la discussion devant la cheminée. J’avoue ma déception devant la marée basse, on m’assure qu’elle sera haute demain samedi à telles heures, comme si je n’avais pas pu le deviner. Il me manquait juste les horaires… Mais il est important pour moi de savoir à quelle heure je dois être où j’ai trop de souvenirs…

Le lendemain, j’ai juste à emprunter à pied un chemin qui jadis était ouvert aux voitures et j’arrive à la pointe du cap Fréhel. Là je ne suis plus seule : mon grand père, le prisonnier, l’amoureux des oiseaux est avec moi. J’avais eu une chance folle d’après lui qui allait y espionner régulièrement les oiseaux, la première fois où il m’a emmenée avec lui, j’étais tombée sur un couple de goélands marins.

Là je l’entends encore me décrire leur vol plus lent que celui des autres goélands, leur envergure, leur couleur marine, sa certitude que ce ne sont pas des goélands comme les autres, son amour pour eux et pour les autres oiseaux. Je scrute, je regarde, je l’écoute. Je me pose quelque part dans la lande avec mes souvenirs, et j’admire les albatros et les cormorans… Ce cap Fréhel, que de souvenirs que je ne partagerai jamais avec les filles… J’ai raté ça, je m’en veux… Dans un nuage, le prisonnier me fait un petit sourire…

Il me faut partir pour revoir le village de mes vacances à marée haute, non loin d’ici. Il est là, la marée est bien présente, c’est comme si j’étais la seule à avoir changé… Je revois mon premier regard sur cette plage, et remontant dire en courant à mes parents à quel point c’était magnifique… Ils avaient 30 ans, moi 10, comment le temps a-t-il pu s’écouler aussi vite ? L’arlésienne n’était pas de ce monde, car c’est lors de cette première année dans ce village qu’elle a été conçue (carte postale de maman : le 14 juillet s’est bien passé, retraite aux flambeaux, feu d’artifice, etc… le etc se concrétisant pile poil le 14 avril suivant ! ) Je profite de la vague la plus haute, la dernière, avant la redescente qui suit une stagnation trompeuse que je n’ai pas le temps de regarder se faire : 6 heures à voir la mer partir…

St Mâlo maintenant, la cité corsaire où j’ai eu une ancêtre dont un fils est mort sur le « pourquoi pas ». A voir de loin là où elle est la plus belle, car quand j’arrive après de multiples arrêts, la marée va vraiment vers le bas, tellement loin que ceux du midi et de la Méditerranée ont du mal à croire en la découvrant que la mer si loin, peut 6 heures plus tard être aussi proche et battre les remparts . J’aime l’esprit de cette cité qui, sommée de choisir de qui dépendre entre le duc de Bretagne et le roi de France, préféra obéir « de loin plutôt que de près », et choisit le roi. Intra muros c’est assez décevant, et j’aime faire les remparts quand la marée s’apparente à la tempête ou est tout bêtement haute. Je regarde ma cité corsaire, dont j’ai peine à croire qu’elle sera cernée dans quelques heures par la mer, et je repars en arrière, la tête pleine de souvenirs. Je veux revoir Dinan et y manger une crêpe au beurre de crabe + une au sucre et beurre salé, flâner dans la vieille ville moyenâgeuse. J’ai l’impression que tout le monde est là avec moi, j’ai 10 ans, personne n’est mort… Retour avec passage obligatoire par le fort La latte que je visite pour la 32ème fois, avec toujours autant de plaisir. Le guide a changé mais pas son discours. Je me souviens de la première fois, comme je me barbais, en regardant le guide qui ressemblait au frère de Mrs Tricot… C’est loin, c’est là, c’est hier, c’est le passé, c’est le futur d’autres.

L’aubergiste m’attend, avec inquiétude : sa femme était sur le point d’appeler la gendarmerie maritime. Je ne suis pas rentrée déjeuner. Il a eu peur que descendant voir la mer de trop près, je ne sois tombée dedans. Pas grave me dit-il, il me défalquera le déjeuner de la note, pas besoin de se battre, alors qu’il avait dû le préparer ce déjeuner. Il m’intime l’ordre de retourner voir les oiseaux à la pointe du cap et de revenir pour le dîner. Ils m’attendent. Du coup quand je reviens…

Je leur raconte ma balade le long de la côte d’émeraude, la cité corsaire d’un de mes ancêtres, le « pourquoi pas », la côte d’une autre ancêtre qui venait de St Briac, mes vacances d’encore petite fille. Pour eux je suis une « payse », une enfant de la marée inéluctable, à qui l’homme paye un coup de calva à tomber raide sur la table quand on a le ventre vide. Comme apéritif on fait mieux… Peut-être sent-il mon vague à l’âme qui ne veut pas vraiment percer, et c’est sans doute sa manière à lui de me donner de la chaleur.

Le soir, je suis la seule cliente, alors nous allons dîner ensemble si cela ne me choque pas. Non, j’en suis ravie. Devant les crustacés (araignées de mer, crabes, crevettes), les coquillages rassemblés, le « à trop manger », j’ai les yeux qui s’écarquillent un peu, d’autant qu’il y a la soupe de poissons avant tout. Et là j’écoute, devant la cheminée plein pot, entendant la marée qui monte à nouveau, l’histoire de la cité corsaire, de la Bretagne. Je suis toute fière de placer ce que je sais sur cette Bretagne que je connais mieux que je ne le crois, qui a lutté longtemps pour ne pas faire partie de la France. Ce que j’en sais surtout, c’est qu’elle coule un peu dans mes veines. Nous rions tous les trois de notre entêtement breton, de notre goût pour le beurre salé, de notre attirance pour la mer. Je chantonne « dodo petite Maryvonne » que m’a trop chanté Mrs Morgan qui je le découvre ce jour là, avait aussi des ancêtres bretons  cousinant avec la normandie. Il va chercher sa guitare pour des chansons de corsaires et de mer. Elle fracasse la roche en dessous de nous, elle aura gain de cause un jour, c’est une tueuse d’homme, la mère de l’attente, cette mer qui a pour nous une âme… Nous sommes trois à nous en moquer de la mer tout à coup : quand l’auberge s’écroulera dedans, nous n’aurons plus mal aux os. D’un autre côté cette idée nous attriste tout de même : on peut chanter la vie et la mer un soir et ne plus être un jour ? Le ressac incessant parlera-t-il de nous ?

Quand je suis repartie le lendemain, après être retournée regarder les oiseaux tournoyer autour du cap en écoutant mon grand-père et en guetta,te, vain le retour des goëlands marins, j’ai eu droit à des galettes à faire chauffer avec du beurre salé dont on m’a donné ce qu’il fallait (1 kg), un gros crabe à faire cuire qui s’est baladé dans la voiture (pauvre bête), et des yeux mouillés en sus de l’eau de mer pour faire cuire la pauvre bête. Un prix dérisoire à régler en plus de ces vivres qui valaient une fortune au marché de chez moi. Je suis partie tôt pour éviter les embouteillages du dimanche soir, pour ne pas retourner voir l’ilet à marée haute avec un petit décalage par rapport à la veille. Je voulais garder mon arrivée, mon samedi, pour moi, sans rien pour déranger mes souvenirs.

J’y ai laissé mes souvenirs et les leurs… Seront-ils encore là quand je voudrais y retourner ?

Mon escapade bretonne restée secrète jusqu’à ce jour de 2009 où je vous l’ai livrée. Comme quoi un blog… (les filles étaient chez leur père et mes parents je ne sais plus du coup, ça aidait à faire ce que je voulais, d’un autre côté si je m’étais tuée chez moi, on aurait mis 15 jours à s’en apercevoir…) (oui je sais, j’ai un côté négatif…).

J’ai pensé longtemps qu’un jour, si j’avais l’argent pour, je me referais une petite escapade,  mais maintenant, il n’y aura pas que le prisonnier. Il y aura papa qui s’était fait un véritable ami d’un pêcheur breton de Lancieux, et sur le chalutier duquel il passait régulièrement sa journée à y trimer vraiment, ce qui l’avait fait adopter dès sa première sortie en mer. Il y aura ce pêcheur et sa femme, de vrais amis pour papa et maman pendant tellement longtemps, tous les deux partis comme papa. Il y aura trop de monde absent désormais, parce que Mrs Morgan et son mari ont passé également d’excellentes vacances dans ce village, sans compter évidemment Mrs Tricot.

Et puis lors de cette escapade, j’avais… 20 ans de moins. J’étais encore une jeune femme et non pas à pointer dans la catégorie « senior » en grinçant des dents. J’avais encore plein d’espoir en l’avenir, et je n’étais pas amère de mes deuils et de mes désillusions comme je le suis aujourd’hui (le reconnaître n’est-il pas un pas vers la guérison ?)

Non, peut-être que je n’y retournerai jamais…

Et ce n’est peut-être pas pour rien que je dis que la vie n’est qu’un long calvaire (breton).

Retourner là-bas ne sera peut-être pas une bonne idée. Les destins m’avaient peut-être fait partir ce jour lointain, pour de bonnes raisons…

Réédition d’un post de juin 2009 (évidemment modifié), concernant une escapade déjà bien ancienne… d’un temps où je ne comptais pas mon essence, deux nuits d’hôtel, et où personne ne pouvait me piéger avec un portable.

C’est vieux, c’est hier, je meurs d’envie de refaire un truc aussi dingue pour ceux qui pensent me connaître et qui pensent en se trompant que je suis comme ils pensent que je suis, alors que je suis une autre.

Oui, c’est compliqué, mais c’est comme ça !!!

12 réponses sur “Promenade solitaire… (2)”

  1. Ton pèleronage fait remonter en mémoire celui que j’ai fait il y a deux ans, et qui m’a permis de poser quelques valises pesant sur le coeur et sur l’âme.
    Merci d’avoir paragé tes souvenirs avec nous, c’est très beau et émouvant.

  2. Merci, Calpurnia, pour ce beau partage.
    L’an dernier, nous sommes partis pour un grand périple et nous sommes passés dans quelques villages de mon enfance. Je retrouve mes souvenirs dans les tiens. Merci.
    Et je ne peux m’empêcher de rire au souvenir de mon mari, Méditerranéen de 75 ans, me demandant « où donc allait toute cette eau lorsqu’elle se retire? » en voyant la mer à marée basse.
    J’espère que tu auras l’occasion un jour pas trop lointain de retourner vers tes souvenirs.

  3. Quel beau texte ! C’est un plaisir de te lire ! Ça me donne envie de partir seule, moi aussi… Mais comme toi je vois les années passer et peut-être ne serais-je pas si sereine !
    nb : entre nous j’attends toujours que tu me fasses signe !

  4. Toi qui sais apprécier la Bretagne, j’aimerais tant te faire découvrir la mienne, cette côte sauvage entre les falaises de Plouha à l’est et la côte de Granit Rose à l’Ouest. Aller sur l’île aux fleurs (Bréhat), si proche mais si sauvage, te faire visiter Tréguier, niché autour de sa cathédrale, t’emmener voir le Gouffre, diner à Lannion, voir le soleil se coucher sur le phare de Ploumanac’h. Je suis sûre que tu aimerais.
    Malheureusement je vis désormais près de Lyon et cette escapade est plus difficile à faire. C’est tellement dommage.

  5. Petronille : cette Bretagne là, j’en rêve souvent, et c’est toujours un beau rêve et un matin de bonne humeur car j’ai forcément bien dormi…

  6. Princesse : ce qui est triste c’est que certaines promenades deviennent des pèlerinages, avec la tristesse qui va avec les disparus. C’est quelque chose de nous que nous aidons à mourir pour vivre encore.

  7. Angele : excuse moi mais tu m’as surprise par l’âge de ton mari, je pensais que tu étais une petite jeune ! Et puis j’ai bien ri car un ami des Saintes Maries de la Mer nous avait fait la même réflexion, découvrant, perplexe, la mer à marée basse pour la retrouver haute 6 H plus tard : lui c’était « il y a un siphon quelque part ? ».
    Comme quoi on n’explique pas bien le phénomène des marées aux enfants, à l’école…

  8. Louisianne : quand je suis partie je me sentais vraiment encore jeune, je pouvais le faire sur le plan finance. En réalité cette escapade datait de 1996 peu de temps après mon emménagement dans mon appart que j’occupe depuis bientôt 22 ans. Je vais en avoir 59, le calcul est vite fait… Maintenant je sais que je ne referais plus cela !!!

  9. Merci, tu es gentille! Si je suis bien une petite jeune dans la tête, il n’en est pas de même dans mes guibolles! Et ma tête a bien souvent des fuites elle aussi.
    Et mon mari n’était qu’à demi-sérieux lorsqu’il constatait le flux et le reflux des marées en se demandant où allait toute cette eau.

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