Le 8 mai…

RolandMai 1945. Le 8 mai, date anniversaire de Mrs Morgan, l’armistice est signé, enfin l’Allemagne a signé sa reddition inconditionnelle.

Le Reich « de mille ans » s’achève dans les ruines de Berlin et l’exode désespéré des civils vers l’ouest.

L’Europe est dévastée, les morts se comptent par millions de par le monde et surtout chez elle… Mais pour l’Europe c’est terminé. Il y aura d’autres horreurs (deux bombes atomiques lancées sur des civils) mais pas pour elle. Elle s’en fout l’Europe, elle n’en peut plus…

Mrs Tricot n’a plus de nouvelle de son mari depuis 6 mois, pour elle, il est mort. Ses lettres sont sans réponse. Elle survit, résignée, attendant des nouvelles éventuelles de compagnons de stalag de son mari (la photographie a été prise au stalag). L’armistice est juste signée, mais il y a un bon moment que les américains et russes libèrent des camps multiples, que cela rentre en France. Il y a un moment que l’on sait tout ce qui a pu se passer de l’autre côté de la frontière, là-bas, en Allemagne, le mot « Allemagne » étant craché par beaucoup. Et l’hôtel Lutecia accueille des moribonds qui pétrifient tout le monde devant leur aspect…

Le récit m’a été fait par Jean Poirotte et par elle également. Lui, petit garçon à l’époque, qui ne se souvenait pas de son père vraiment, mais qui lui envoyait des baisers vers l’est tous les dimanche, dormait dans le lit de sa mère qui pleurait beaucoup quand elle était là, depuis un petit moment (6 mois c’est long quand on est gosse).

Mrs Tricot était venue passer quelques jours chez ses parents. Elle travaillait et l’entreprise qui employait son mari également avant (et après d’ailleurs), a versé aux femmes de prisonniers, le salaire du mari, intégralement, pendant toute l’occupation. Elle n’était donc pas dans la gêne, mais était venue voir son fils scolarisé chez ses grands-parents en prenant quelques jours de congés.

Beau temps. Se laver les cheveux, c’est le jour du mois où il faut le faire. L’eau courante dans la maison, mais un évier inconfortable, elle descend à la pompe avec son savon fait maison (cendre et potasse), en jupe et calicot. Jean Poirotte aime bien regarder sa mère se laver les cheveux en criant que l’eau est glacée, et il l’aime bien en petite tenue (Oedipe quand tu nous tient)…. Il pompe l’eau pour remplir le broc, il se sent utile.

Elle en est au rinçage et c’est froid. Le savon lui a brûlé le crâne il faut tout bien rincer… Cavalcade dans la rue tout à coup et hurlement !

« Mrs Tricot, Mrs Tricot, votre mari au téléphone ! » C’était le maire. Il n’y avait que deux téléphones dans le village : un à la poste et l’autre à la mairie. Et là, Jean Poirotte stupéfait, vit sa mère se relever en lançant de l’eau partout, et partir en courant « à moitié nue » (en calicot) dans la rue, vers la mairie. Elle a avoué après coup qu’elle serait partie de même en « combinaison »…

Oui c’était bien son mari, rentré à Versailles pour se faire démobiliser avant tout (la bureaucratie est toujours très humaine) et se pointant chez lui pour n’y trouver personne.

Le premier VRAI souvenir de Jean Poirotte en ce qui concerne son père est que tout le monde pleurait de joie, sa mère aussi et surtout. Tout le monde est parti à la gare en gambadant (2 km à pied… ça use…) pour attendre l’arrivée du rescapé que tout le monde croyait mort.

Souvenir de l’arrivée d’un homme dont il avait oublié le visage, à l’air triste, dans les bras de qui sa mère s’est précipitée, le renvoyant lui, dans un autre monde, puis qui l’a serré très fort contre lui en pleurant qu’il était un grand garçon maintenant, parce que tout le monde pleurait.

Et le soir… Et bien cet homme là, le père revenu, dormait avec sa femme et lui tout seul dans un lit loin de sa maman…. Abandonné de tous… Ne comprenant plus rien au monde…

Pas toujours facile d’avoir un papa. Et puis 9 mois après ce retour, deux petites soeurs…. L’émotion favorise l’ovulation double ou triple… Mrs Tricot a fait ce qu’elle a pu… Mais bon, elle ne s’est jamais trompé dans ses calculs en disant que ses filles étaient nées jour pour jour 9 mois après le retour de son mari…

Il faudra que je cherche d’ailleurs, la date exacte de son retour, parce qu’on porte très rarement des jumeaux 9 mois pleins… Il a dû revenir avant la capitulation du 8 mai.

Un papa qui rentre malade et épuisé, ayant vu trop d’horreurs n’est pas franchement top pour comprendre un petit garçon de 7 ans bouillonnant de vie, qui a son caractère et pas du tout l’intention de laisser un étranger lui donner des ordres et lui piquer sa mère.

Commençait un long combat… Quand les guerres sont enfin terminées, ne pas croire que c’est la paix….

Le 8 mai je pense à eux. A tous ceux qui ne sont plus là et qui ont connu cette guerre voire même celle d’avant.

C’est un jour de congés (que Giscard nous avait supprimé)… Un jour de souvenirs de ceux qui ne sont plus là pour m’en parler… Et une grande pensée pour ceux qui ne sont jamais revenus s’il vous plaît… Ceux qui n’ont pas connu la joie de la bonne  fin et survécu en fin de compte.

Pour eux la fin de vie n’a été qu’un véritable long calvaire…

Une grande pensée pour tous ceux qui ont vécu cette époque si noire… Si elle n’avait pas existé, il n’y aurait pas de jour férié…

Ce n’est pas que j’aime particulièrement faire monument du souvenir le 11 novembre et le 8 mai, mais c’est pour moi un devoir de mémoire…

(Edité pour la première fois le  8 mai 2007)

J'ai un mort sur la conscience…

soldat-copierElle te l’a raconté qu’elle était dans la résistance et moi aussi ! Je la connais ma femme. Même si cela devait rester secret, 40 ans plus tard, elle n’a pas pu se taire… Moi j’aurais préféré me taire jusqu’à ma mort, mais puisqu’elle a tout dit, je peux enfin parler.Et je me dis que choisir de se taire jusqu’au bout n’était peut-être pas le meilleur de mes choix.

Chef de réseau, risquant ma vie, je ne savais pas que ma femme la risquait également, sous mes ordres à nouveau, après nos promesses mutuelles.

J’étais tout de même inconscient. Au pire dans ma tête, je serais parti en prison. Quand j’ai tout compris après la libération, j’ai été malade de savoir ce qu’étaient devenus certains de mes compagnons « disparus ».

Et il y a eu ce soir sur le bord de la Loire, où j’attendais avec d’autres hommes, des containers d’armes et de munitions devant arriver par le fleuve qui là où tu sais se coupe en deux avec une ïle dans son milieu.

Nous savions que le débarquement était proche, et ces containers, il nous les fallait absolument.

Et là, s’est pointé un petit jeune, un jeunot, un gamin quasi sans barbe, mais pour moi un allemand.

Tout était prêt, les barques, les cordes tendues en travers des deux branches légères de la Loire pour bloquer les containers, nous étions sur le qui-vive, et ce, bien longtemps après le couvre feu.

Je lui ai offert une cigarette en lui racontant que j’avais perdu mon chien, et que je l’attendais là. Il était Korrekt ! mais je n’avais aucune indulgence pour lui. Je le détestais même, à un point dont je ne me sentais pas capable avant la guerre. Et je savais que de plus haut, sur la Loire, arrivaient les containers attendus, et que mon réseau dans les buissons attendait un signe de ma part, et que de l’autre côté de l’ile se trouvant en plein milieu du fleuve, d’autres hommes attendaient ces mêmes containers. Nous dépendions pour ces containers, des caprices du fleuve.

Mais le minot s’incrustait : « GUT FAMILLE, FRANCAIS AMIS », et ne voulait pas partir, avec en prétexte, une conversation sur la beauté de la France et sa nostalgie du pays.

Ce n’était certainement pas un imbécile,  il  devait trouver ma présence douteuse à tout le moins, et j’ai toujours détesté les films  montrant les allemands comme des cons ne comprenant rien.

Lui, avait des doutes certains et scrutait le fleuve et ses alentours,  et a très bien compris en voyant tout à coup sur la Loire flotter les containers attendus. Il a porté la main à sa ceinture, sans doute pour donner l’alerte ou tirer sur les containers, sans penser que j’étais dangereux. Il avait tort. En le voyant saisir son arme, j’ai dégainé la mienne et je lui ai tiré dessus, en plein coeur.

Je ne peux même pas te dire que j’ai eu l’ombre d’une hésitation, d’un scrupule, d’un doute. J’ai tiré 3 fois, la troisième fois dans le crâne, pour être certain que je donnais le « coup de grâce ». Je sais maintenant que cette expression est atroce.

Il a juste eu le temps de me regarder de l’air de celui qui ne comprend pas, avant le coup  de grâce, il y a comme un ralenti dans mon souvenir, même s’il est tombé comme une masse. Je n’avais rien à faire de lui, rien du tout, et surtout pas l’envie de me faire prendre, ni mes camarades de réseau. J’ai juste poussé le minot dans la Loire, pendant que le réseau récupérait les containers et les armes, et j’ai vérifié que le cadavre partait bien dans le cours de la Loire, sans se coincer dans des herbes du secteur, après avoir récupéré son arme et le chargeur à sa ceinture. je n’ai donc pas opéré machinalement. J’ai tout fait en pleine connaissance de cause.

Sur le coup de l’action, du stress, on fait n’importe quoi, mais je suis rentré chez moi avant l’aube, avec le visage de ce gamin dans la tête, et la satisfaction d’avoir réussi la récupération d’un parachutage et la mise hors d’état de nuire d’un ennemi qui fatalement nous aurait causé plus que du tort.

C’était en mai 1944, pas vraiment longtemps avant le débarquement. J’étais satisfait de moi, j’avais rempli mon devoir.  J’avais fait ce que j’avais à faire, avec de mauvais rêves pour l’avenir, à faire trop souvent. Je ne savais pas tout simplement, que le devoir exige de nous des actes que l’on n’oubliera jamais.

Car tu vois ma petite fille,  plus de 40 ans après, je revois le visage de cet enfant d’à peine 20 ans, avec une netteté incroyable. Sans doute était-il heureux de constater une irrégularité, une promotion probable grâce à elle. Et puis il y a eu ce regard qui a tout compris et tout perdu en moins d’une minute.

Par ma faute. J’ai un mort sur la conscience ma petite fille, que j’ai poussé dans la Loire en veillant bien à ce qu’il parte au gré du courant. Alors que je m’était dit depuis le début de la guerre que ce serait un plaisir pour moi d’en tuer encore et encore des allemands. Là mes souvenirs ne me donnaient aucun plaisir, du regret mitigé seulement, de la mauvaise conscience. J’avais tué et point barre, et ce regard, même pas d’un bleu extraordinaire, je ne pourrais jamais l’oublier. Et me dire que je n’avais pas le choix ne changeait rien à mon souvenir.

Et je n’ai eu que celui-là pour faire de moi un héros. Ce gamin qui pouvait malgré tout faire tout perdre. J’aurais pu l’assommer mais comment le garder à l’abri et surtout, comment le nourrir ? Pas l’envie non plus, je ne sais pas ce qu’il s’est passé dans ma tête, je n’avais pas de solution pour lui, et j’ai tiré.

Tu n’es pas ma vraie petite fille. Je souhaite de tout mon coeur qu’aucune de tes filles, mes arrières petites filles qui peuvent tenir de moi, ne vivent un jour ce que j’ai vécu.

Car j’ai tout de même un mort sur la conscience. Je l’ai caché pendant très longtemps, évitant la croix de machin chose pour avoir tué un allemand.

Mon acte était tellement lâche et banal qu’il ne méritait aucune décoration. Et la vie a raison qui punit sans l’aide des hommes. Ce gamin, son regard, sa stupéfaction face à la mort, n’appartiennent qu’à lui et à moi, et à personne d’autre. Et comme c’est lui qui est mort, ce moment là, me hantera jusqu’à ma mort à moi. Comme je t’en parle, cela fait plus de 40 ans. Et comme je suis en bonne santé, cela peut se prolonger…

Qui a gagné ? Lui ou moi ? Je ne sais pas, et je ne le saurais jamais… Même s’il me plaît à croire que ces containers récupérés au prix de sa mort et de mon choix ont sauvé beaucoup de vie… Au jour de ma mort, je sais que c’est lui que je rencontrerai en premier, et nous saurons enfin où était la vérité si elle existe. Peut-être que nous avons une éternité à débattre sur la vérité.

Ma petite fille, pense à moi quand je ne serai plus là, je ne voulais pas le mal, lui non plus sans doute, c’était l’époque qui voulait la mort de notre âme, et j’ai un mort sur la conscience…

Que l’on nous épargne à toi et moi si possible très longtemps, d’avoir à choisir un camp…

8 Mai 1945

RolandMai 1945. Le 8 mai, date anniversaire de Mrs Morgan, l’armistice est signée. La guerre est enfin terminée. L’europe est dévastée, les morts se comptent par millions de par le monde et surtout chez elle… Mais pour l’Europe c’est terminé. Il y aura d’autres horreurs (deux bombes atomiques lancées sur des civils) mais pas pour elle. Elle s’en fout l’Europe, elle n’en peut plus…

Mrs Tricot n’a plus de nouvelle de son mari depuis 6 mois, pour elle, il est mort. Ses lettres sont sans réponse. Elle survit, résignée, attendant des nouvelles éventuelles de compagnons de stalag de son mari (la photographie a été prise au stalag). L’armistice est juste signée, mais il y a un bon moment que les américains et russes libèrent des camps multiples, que cela rentre en France. Il y a un moment que l’on sait tout ce qui a pu se passer de l’autre côté de la frontière, là-bas, en allemagne, le mot « allemagne » étant craché par beaucoup. Et l’hôtel Lutecia accueille des moribonds qui pétrifient tout le monde devant leur aspect…

Le récit m’a été fait par Jean Poirotte et par elle également. Lui, petit garçon à l’époque, qui ne se souvenait pas de son père vraiment, mais qui lui envoyait des baisers vers l’est tous les dimanche, dormait dans le lit de sa mère qui pleurait beaucoup quand elle était là, depuis un petit moment (6 mois c’est long quand on est gosse).

Mrs Tricot était venue passer quelques jours chez ses parents. Elle travaillait et l’entreprise qui employait son mari également avant (et après d’ailleurs), a versé aux femmes de prisonniers, le salaire du mari, intégralement, pendant toute l’occupation. Elle n’était donc pas dans la gêne, mais était venue voir son fils scolarisé chez ses grands-parents en prenant quelques jours de congés.

Beau temps. Se laver les cheveux, c’est le jour du mois où il faut le faire. L’eau courante dans la maison, mais un évier inconfortable, elle descend à la pompe avec son savon fait maison (cendre et potasse), en jupe et calicot. Jean Poirotte aime bien regarder sa mère se laver les cheveux en criant que l’eau est glacée, et il l’aime bien en petite tenue (Oedipe quand tu nous tient)…. Il pompe l’eau pour remplir le broc, il se sent utile.

Elle en est au rinçage et c’est froid. Le savon lui a brûlé le crâne il faut tout bien rincer… Cavalcade dans la rue tout à coup et hurlement !

« Mrs Tricot, Mrs Tricot, votre mari au téléphone ! » C’était le maire. Il n’y avait que deux téléphones dans le village : un à la poste et l’autre à la mairie. Et là, Jean Poirotte stupéfait, vit sa mère se relever en lançant de l’eau partout, et partir en courant « à moitié nue » (en calicot) dans la rue, vers la mairie. Elle a avoué après coup qu’elle serait partie de même en « combinaison »…

Oui c’était bien son mari, rentré à Versailles pour se faire démobiliser avant tout (la bureaucratie est toujours très humaine) et se pointant chez lui pour n’y trouver personne.

Le premier VRAI souvenir de Jean Poirotte en ce qui concerne son père est que tout le monde pleurait, sa mère aussi et surtout. Tout le monde est parti à la gare en gambadant (2 km à pied… ça use…) pour attendre l’arrivée du rescapé que tout le monde croyait mort.

Souvenir de l’arrivée d’un homme dont il avait oublié le visage, à l’air triste, dans les bras de qui sa mère s’est précipitée, le renvoyant lui, dans un autre monde, puis qui l’a serré très fort contre lui en pleurant qu’il était un grand garçon maintenant, parce que tout le monde pleurait.

Et le soir… Et bien cet homme là, le père revenu, dormait avec maman et lui tout seul dans un lit loin de sa maman…. Abandonné de tous… Ne comprenant plus rien au monde…

Pas toujours facile d’avoir un papa. Et puis 8 mois après, deux petites soeurs…. L’émotion favorise l’ovulation double ou triple… Mrs Tricot a fait ce qu’elle a pu… Mais bon, elle ne s’est jamais trompé dans ses calculs en disant que ses filles étaient nées jour pour jour 8 mois après le retour de son mari…

Un papa qui rentre malade et épuisé, ayant vu trop d’horreurs n’est pas franchement top pour comprendre un petit garçon de 7 ans bouillonnant de vie, qui a son caractère et pas du tout l’intention de laisser un étranger lui donner des ordres et lui piquer sa mère.

Commençait un long combat… Quand les guerres sont enfin terminées, ne pas croire que c’est la paix….

Le 8 mai je pense à eux. A tous ceux qui ne sont plus là et qui ont connu cette guerre voire même celle d’avant.

C’est un jour de congés (que Giscard nous avait supprimé)… Un jour de souvenirs de ceux qui ne sont plus là pour m’en parler… Et une grande pensée pour ceux qui ne sont jamais revenus s’il vous plaît… Ceux qui n’ont pas connu la joie de la bonne  fin et survécu en fin de compte.

Pour eux la fin de vie n’a été qu’un véritable long calvaire…

(Réédition du 8 mai 2007)

Ils étaient deux…

Ils étaient deuxIls étaient deux, cheminant côte à côte, dans cette région où les fermes ou mas, éloignés de la ville, abritaient des personnes qui parfois restaient des semaines sans se rendre à la ville précisément.

Des personnes qui vivaient en autarcie à une époque où l’on se contentait de peu dans un monde campagnard hostile. Des personnes pour qui le monde se résumait à un troupeau de chèvres ou de moutons, le rucher à surveiller, les cultures à faire prospérer.

Des personnes pour lesquelles un repas de fête c’était des chataignes grillées, avec le dernier fromage blanc de chèvre sucré au miel. Des personnes qui parlaient le soir à la lueur du feu de cheminée. Des personnes hors du temps.

Des personnes qui ne se rendaient à la ville que pour négocier un animal ou deux, du lait, du miel à meilleur prix. Des personnes qui ne voyaient que rarement le facteur, et ne lisaient pas les journaux…

Ils ne marchaient pas, leurs monture le faisaient pour eux. Et les bêtes portaient sur le dos le poids d’une souffrance et d’un devoir difficiles, à tel point que les cavaliers ne les pressaient pas. Les deux chevaux hahanaient dans la côte, même pas vexés par les chèvres gambadant à leurs côtés.

Bien sûr que tous les hommes avaient reconnu leur uniforme depuis le matin, sans comprendre. Mais il y a eu ce couple là.

L’homme savait depuis 14 jours qu’un danger le menaçait, rôdait. Il n’avait trop rien dit à sa femme de ce qu’il avait appris en descendant au bourg pour vendre 5 chèvres pleines. Il n’avait pas trop compris pourquoi un Archiduc assassiné pouvait menacer sa vie. Mais il avait palpé la peur des hommes et était remonté au mas avec celle-ci au ventre.

Quand il les a vus arriver il a compris tout de suite. Ces deux gendarmes tranquilles venaient lui apporter son avis de mobilisation, et il se souvenait qu’il aurait à rejoindre son régiment le plus vite possible.

Restait à l’annoncer à sa femme, sa toute jeune femme, celle qu’il aimait comme on aime quand tout simplement on ne sait qu’aimer.

L’enfant, leur enfant, regardait ces hommes inconnus apporter le malheur, son instinct très sûr le lui disant. Il y avait le cheminement des chevaux, l’air accablé des gendarmes, et puis tout à coup le père prenant sa veste en laissant tout en plan.

Et puis il y avait sa mère, à qui l’homme n’avait rien dit, mais qui avait bien senti qu’il n’était plus le même depuis qu’il était remonté de la ville la dernière fois.

Les gendarmes ont détourné les yeux en la voyant s’effondrer sur le banc à droite de la porte d’entrée. Combien de femmes blessées depuis ce matin ? Combien d’hommes ne sachant rien, et fauchés à tous les sens du terme par la nouvelle ? Combien de pleurs et d’incompréhension ?

Le Phil savait bien qu’ils lui apportaient son avis de mobilisation. Il leur a servi le coup de l’étrier, le 15ème depuis le matin, qui allait rajouter à leur accablement.

Et après leur départ, il est allé directement préparer son paquetage pour partir le plus tôt possible, comme il l’était indiqué, laissant une femme statufiée et un enfant ne comprenant plus rien à l’existence.

« Une petite promenade contre les allemands et je reviens ».

Il n’est jamais revenu.

Et la Phil, n’a jamais compris pourquoi on était venu lui prendre son homme, son amour, sa vie. Elle a tout laissé en plan en son absence, survivant jour après jour en l’attente d’une lettre, faisant la honte de ses soeurs ayant à coeur de tout faire marcher aussi bien, voire mieux, en l’absence de l’homme.

Quand le maire 16 mois plus tard est venu lui apporter le mortuaire, elle n’était plus que l’ombre d’elle-même. S’égarant par une nuit glacée dans la pierraille alentours où elle cherchait son mari, elle est morte à 24 ans d’une chute mortelle dans une crevasse que la neige dissimulait. Morte de folie, de l’absence, de l’injustice du monde.

Elle ignorait alors qu’un 11 novembre verrait venir la paix, enfin. Pour elle la guerre avait été perdue dès le départ de son mari, de son homme, de son amour. Elle ne pouvait pas mourir en paix, elle emportait la guerre avec elle pour l’éternité.

Elle ignorait alors qu’un jour le 11 novembre serait un jour béni par beaucoup car jour de congé.

Son Phil aussi, mort sur une terre froide à mille lieux de sa vie natale…

Cet homme non dépourvu de bon sens, qui n’a jamais compris qu’il devait mourir parce que l’on avait tué un archiduc si loin de chez lui, de cette France dont il était fier et qu’il vénérait.

Je ne sais pas si maintenant on comprend. Je ne sais pas si l’on peut vraiment se mettre à leur place, même un court instant. Maintenant on porte plainte parce qu’un soldat volontaire a été tué au combat. Maintenant, ces hommes et femmes happés par cette tourmente effroyables sont tous morts.

Maintenant il n’y a plus personne pour venir dire que c’était atroce, une génération sacrifiée, trop de morts et de chagrin.

Plus personne ne se souvient non plus de cette époque où l’on pouvait vivre loin de tout, ignorant le monde extérieur qui pouvait vous rattraper pour le pire…

Maintenant, il n’y a plus personne pour porter plainte. Et c’est pour cela que l’ETAT (qui est nous), commence à reconnaître les erreurs, les errements, les égarements, et l’absurdité.

De cette guerre inhumaine dont nous portons le poids d’une manière ou d’une autre, en toute conscience, ou sans le savoir…

Si dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer paraît-il…

La libération de Paris (réédition du 25 août 2007)

Paris_Lib_r_

Paris est enfin libéré, c’est le symbole de la France, c’est comme si la toute la France était libérée…

Je ne vous parlerai pas de la libération de Paris, contrairement à ce que vous attendez de moi, si vous attendez quelque chose…

J’ai été toujours émue, à en pleurer comme une madeleine, devant les image de la liesse populaire, de la joie dans borne, par tous les films concernant la libération de Paris (et du reste), retrouvant ainsi Jean-Poirotte et sa faculté à pleurer devant la joie populaire… D’ailleurs nous avons parfois pleuré ensemble en nous refilant le pavé de kleenex…

Avant de continuer, je vais laisser la parole à un auteur célèbre : Paul Eluard… Poète et résistant :

« Comprenne qui voudra… Moi mon remords ce fut… La malheureuse qui resta… Sur le pavé… La victime raisonnable… A la robe déchirée… Au regard d’enfant perdue… Découronnée, défiguée… Celle qui ressemble aux morts… Qui sont morts pour être aimés »… « En ce temps là, pour ne pas châtier les coupables, on maltraitait les filles. On allait même jusqu’à les tondre… »

Il parlait tout simplement de ces malheureuses, prises au piège des amateurs de justice… en ces temps de libération.

Entre Vichy et les nouvelles autorités, on vit des justiciers d’occasion qui d’ailleurs ne s’étaient pas vraiment distingués au cours des années passées en résistant, donner libre cours à des instincts qui n’était pas très purs… Il y avait dans la violence qui se disait inspirée du plus noble des patriotismes, la même composante sexuelle inavouée bien sûr, mais évidente, que chez les moines de l’Inquisition, tortionnaires pour le bon motif, quand ils soumettaient à « la question » une sorcière nue… Ces hommes et femmes là (qui avaient peut-être de la jalousie un peu forte au fond d’elles-mêmes, et donc de la frustration) n’avaient pas bougé un seul petit doigt pendant l’occupation, il était grand temps qu’ils s’y mettent, largement, la bataille de Paris (ou d’ailleurs) étant terminée…

J’ai toujours trouvé la photo que je vous livre, à gerber : le mec de gauche qui tient la femme par la main, sévère et juste (!) (pour moi c’est le faux cul de première, on est en plein dans « au bon beurre » de Jean Dutourd), celui de droite avec son beau costume, très content de lui, c’est le mac qui a vendu sa préférée aux allemands mais qui l’a oubliée, réputation oblige. Et tout le monde riant à qui n’en peut plus, une liesse populaire qui là me fait peur et ne représente pas la vraie joie, mais la méchanceté à l’état pur. Ce n’est pas la joie de savoir l’allemand parti enfin, c’est la joie d’humilier à n’en plus finir… En plus ils se portent tous bien : ce ne sont pas les tickets d’alimentation qui leur ont donné une aussi bonne mine. Mes deux grand-mères ont terminé la guerre avec la ligne plus que « haricot »…

Car il y a aussi cette pauvre malheureuse dans le milieu, tondue, la croix gammée dessinée sur elle, résignée déjà à un sort fatal. Celle qui n’a rien à dire car derrière il y a la foule qui ne l’écoutera pas, qui ne l’écoutera jamais, qui sait tout, qui porte en elle la justice… Il y a celle qui s’interroge peut-être sur le sort de son enfant (l’enfant de la honte), qui ne comprend pas tout à coup pourquoi tant de haine contre elle…

C’est tout à coup le retour de Mademoiselle de Sombreuil buvant un verre de sang pour épargner la vie de son père, devant des révolutionnaires qui ne devaient pas être beaucoup plus moches. C’est la princesse de Lamballe sacrifiée… C’est la foule… Que je hais, que j’évite…

Souvent ces femmes avait « fauté ». Encore faut-il s’entendre sur le terme « fauter » quand on tombe amoureuse d’un ennemi certes, mais surtout d’un homme…  Elles avaient eu des bontés pour l’occupant. Pourquoi « des bontés ? ».  Elles les avaient parfois aimés vraiment ces occupants… Quelle détresse a dû être la leur parfois, et que de questions à se poser le soir dans la chambre… (« j’aime un allemand… »)  Il n’empêche que le glaive de la vertu outragée s’est retrouvé un beau jour dans les mains douteuses d’une justice du trottoir, laquelle prétendait se faire l’interprète de l’indignation populaire. Un peu facile aussi de liquider ainsi la voisine qui n’a rien fait du tout (et encore faut-il s’entendre sur le terme « avoir fait ou non quelque chose » car certains n’avaient eux, justement rien fait du tout avant la libération reconnue), mais à qui on doit un peu d’argent… C’est un peu comme pendant la révolution et la terreur : c’est à qui parlera le premier et criera le plus fort qui aura raison…

La justice se doit d’être sereine. Elle doit à tous le même traitement. Tondues, déshabillées, attachées à un poteau pour qu’on leur jette les pires immondices à grand renfort de cris de joies, la croix gammée dessinée sur le corps, parfois à coup de lames de rasoirs, ces malheureuses étaient-elles plus coupables que les grandes bourgeoises de la collaboration ? Mais ces dernières évoluaient dans de trop hautes sphères, étaient trop protégées pour que les justiciers crasseux (dans l’âme) du bitume songent à s’occuper d’elles aussi activement que de leur voisine de pallier à qui ils avaient parfois d’autres choses à reprocher. On en a jugées certaines, mais avec tribunal réel et tout et tout… (des actrices particulièrement, qui ont eu droit à un traitement de faveur) (là encore je ne juge pas). Ce que je juge c’est cette photo, et toutes celles qui ont pu être prises ailleurs (il y en a une où la femme est attachée à un poteau, le visage voilé, et à qui l’on jette n’importe quoi, j’ai préféré vous l’épargner). Ce n’est à l’honneur de personne.

Oui Paris libéré, la France libéré, c’est aussi cela… Cette justice populaire qui n’en est forcément pas une, qui n’en est obligatoirement pas une. D’ailleurs il manque sur la photo, ceux qui désapprouvaient fortement, parce qu’ils étaient forcément ailleurs, de peur d’être pris à partie à leur tour…

J’aime bien le peuple, mais pas la foule… Hors la foule du trottoir un soir de libération, c’est forcément à se dire que la vie n’est qu’un long calvaire…

Et ils se portent tous tellement bien, ils ont tellement l’air en pleine forme ces justiciers du trottoirs, que l’on a peine à croire qu’ils ont souffert des privations de l’occupation… Là non plus je n’ai sans doute pas le droit de juger… Les autres ont peut-être préféré rester à l’écart de ce moment et de cette photo… Ne pas risquer leur vie pour intervenir, ou avoir autre chose de plus important à faire, ils ont hélas eu raison…

Les individus ne sont rien à côté des peuples… Pourtant ce sont eux qui forment les nations (Serge Dalens)

Et mes parents ne se souviennent que du passage bref des jeeps, du premier chewing gum (c’est quoi ce truc qu’on n’arrive pas à manger) et du « chocolate please ». Au moment où les troupes de Leclerc quittaient Rambouillet pour gagner Paris..

Pour eux, c’était hier, pour moi, je trouve que le temps avance de plus en plus vite, qui fait vieillir nos chères personnes et en ont fait disparaître trop d’autres…

Oradour sur Glane

La veille, il y a eu les pendus de Tulle, aujourd’hui c’est le 10 juin 1944

C’est la soeur de tante Alphonsine (elles étaient trois soeurs), Caroline. Comment qu’elle s’emmerde dans le Limousin, alors que les nouvelles sont formelles, via la radio interdite : les alliés ont débarqué il y a 4 jours en Normandie. Ici on ne sait quasi RIEN. Elle s’emmerde… Et sa soeur a viré bobonne popotte, ses deux garçons sont infernaux, elle ne supporte pas…Et elle n’ose rien dire, elle est venue passer quelques jours de vacances pour que la petite qui vient d’avoir la scarlatine (avant les antibiotiques c’était grave) se remette… Des vacances de ce style.. Si elle avait sû elle serait restée chez elle, en Normandie, peinarde… D’ailleurs elle se demande jour après jour pourquoi le Limousin lui a été conseillé par son médecin, la Normandie c’est un climat sain aussi quoiqu’humide (en fait on saura après que son médecin était dans la résistance et qu’il savait qu’il se préparait quelque chose, précisément en Normandie, pas bon du tout pour une convalescente, il a envoyé tout ce qu’il pouvait convalescer ailleurs)

Des vacances comme ça, elle n’en souhaite à personne, elle est sur le point d’inventer le Club Med. Elle est là avec sa fille (Paulette) et maudit Mrs Bibelot d’avoir choppé la coqueluche, ce qui fait que du coup elle n’est pas venue les rejoindre comme prévu (parce que juste avant la coqueluche Mrs Bibelot avait fait une angine (emmerdeuse moyenne également, je précise, je ne me demande plus de qui Pulchérie tient) (et qu’avant les antibiotiques c’était grave aussi), et tousse à qui mieux mieux dans le Béri dont le climat semble parfait à Mrs Morgan qui n’a pas du tout envie d’envoyer sa fille dans le Limousin et surtout de l’y accompagner…

Paulette est infernale, du coup, Caroline l’a emmenée promener au son de « pourquoi il n’y a pas ma cousiiiiiine ? ». Que ce soit une petite cousine ou autre n’a aucune importance. Mrs Bibelot manque à la petite fille qui geint… (dans ma famille le décalage de génération reste d’actualité, et le restera forcément je pense, à moins que quelqu’un ne fasse un gosse à 12 ans ou 50 ans, et encore…).

Elle rentre tranquille vers le village après la promenade obligatoire destinée à calmer Paulette, en redoutant la soirée à venir. Le beau frère et sa plantation de porcs, les garçons qui veulent voir la culotte de Paulette… Sa soeur Martine devenue bobonne tranquille et jardinière en plus, en train de suivre la progression de ses « manges tout » (berk) et autres haricots, sans parler des plants de tomates et autres, c’est l’horreur pour elle qui ne fait que dans la vache laitière, alors que ça s’anime en Normandie (Oh combien ! mais elle ne sait pas à quel point). Elle aimerait bien qu’Alphonsine soit venue les rejoindre, mais Alphonsine déteste son beau frère du Limousin qui ne lui adresse jamais rien à envoyer à ses fils, et c’est comme ça.

Elle rentre tranquille, quelle heure est-il ? Elle ne s’en est jamais souvenu. Paulette cueille des fleurs et a cessé de demander pourquoi sa cousiiiine chérie n’est pas là. De loin elle voit un allemand en uniforme sur le chemin de terre qu’elle emprunte en revenant de promenade. Elle déteste les allemands en uniforme. Ca lui date de…, elle ne les supporte pas. Et celui là a l’air plus fier que les autres, et il a une mitraillette qu’il doit parfaitement maîtriser vu la manière dont il la tient, plus un air déterminé qu’elle déteste spontanément… Et que fait-il là ? Pas d’allemands dans le secteur normalement…

Un instinct, la baraka, quelque chose. Elle fait taire sa fille et se planque dans un buisson, des ronces probablement (on n’a jamais trop sû où). L’allemand ne les a pas vues. Elle transpire tout de même. Elle a peur. Une peur panique soudaine et inexpliquable, illogique, sans raison valable… Tout tourneboule en elle…

Reculer… Difficile dans ces ronciers… Faire taire sa fille surtout. Elle a trouvé le truc « on va mourir sinon, tais-toi ! ». Elle ne sait pas à quel point c’est vrai ce qu’elle dit à son enfant, elle ne pourra jamais le regretter. Elle constate au cours d’une heure qui passe que l’allemand laisse passer dans le sens entrée, mais pas repartir dans le sens sortie sur ce petit chemin très emprunté, et ce, sèchement. Et son coeur se serre. Elle a peur. Une peur panique. Elle sait tout à coup. Elle sent, elle pressent. Paulette est priée de faire pipi dans sa culotte puisque ça urge, elle en fait autant (il y a des urgences tout de même, quelles que soient les circonstances). Tout chavire en elle… Il faut qu’elle s’en aille loin de là… Le danger rôde…

Elle va rester là, dans les ronciers. Et pourvu que la gosse se taise. Paulette est chouineuse de nature, pourtant elle se tait, culotte mouillée ou pas. Elle a sentit l’urgence vitale et laissé tomber ses fleurs : pire, elle les planque. Elle échappe au « rabattage » par les allemands des gens travaillant dans les champs.

Caroline n’entendra pas ce qui se passera ce jour là. Elle n’entendra pas la fusillade, elle n’entendra pas les femmes et enfants brûlés vifs hurler dans l’église. Himler n’avait pas supporté de voir des femmes et enfants fusillés… C’était mieux qu’ils soient brûlés vifs, c’était son ordre à ce pauvre bouchon sensibleElle n’entendra rien, elle aura tout entendu et tout compris. Elle ne sentira pas l’odeur infecte que dégagent les corps qui brûlent. Sa fille, elle, a sû à quel point il fallait se taire et tout compris en peu de temps.

On (des « sauveteurs » consternés et anéantis) retrouvera la mère et la fille le lendemain…, immobiles depuis la veille, la fille soudain adulte protégeant la mère prostrée, farouchement. Comme quoi finalement, la mère avait tout entendu, tout sentit, tout ressentit… et l’enfant aussi qui n’avait que 8 ans… Ce qui l’a sauvée a peut-être été de prendre en charge sa mère, de comprendre en devenant adulte qu’il fallait surtout, surtout, se taire et ne plus exister. Les « sauveteurs » eurent du mal à faire se lever Caroline, recroquevillée sur elle-même et tétanisée. La « petite » pleura dans les bras de l’homme qui l’embarquait, à gros bouillons, larmes salvatrices sans doute. Caroline avait le regard vide et semblait ailleurs… On les a fait boire avant tout…

Caroline n’a plus jamais été la même après. Alphonsine est allée la voir à « l’asile »  dès son rapatriment en Normandie, voulant s’occuper de la survivante miraculée (ne cherchez pas son nom, seuls les rares rescapés d’Oradour en ayant réchappé étant des enfants du village et ils sont tellement si peu…) . Pendant de longs mois elle lui rendit visite dès qu’elle le pouvait et pleurait sur le regard mort de sa soeur alors que la troisième soeur et ses petits garçons n’avaient bien évidemment jamais été identifiée dans le magma infâme découvert dans l’église d’Oradour par les « sauveteurs ». Pour Alphonsine, il fallait sauver la survivante, toujours des priorités pour elle… De celles qui sauvent du chagrin absolu.

Seule Paulette réussissait à faire naître une petite flamme dans les yeux de sa mère, qu’elle entourait de ses bras en lui parlant tout bas à l’oreille. Une fille de plus dont il fallait s’occuper de loin pour Alphonsine (Alphonsine avait eu ses 4 fils dans la résistance, dont 2 seulement allaient revenir des camps quelques mois plus tard, et Mrs Morgan à assumer un peu, mais adulte déjà…). Elle ruina les économies de son mari pour prendre régulièrement le train et le car, pour aller s’occuper de sa nièce, jeter un regard sur son beau frère et s’occuper de sa soeur. Admirable ? Certainement. Elle ne savait pas qu’un jour elle serait obligée de rester à Paris coûte que coûte pour attendre puis soigner deux fils au bord de la mort, en laissant sa soeur, mais il y a des priorités dans la vie qui en dépassent d’autres.

Les familles se soudent comme elles le peuvent au gré des circonstances forcément mauvaises. Lorsque Louis et Léon furent capables de supporter un long trajet en 3ème classe, le beau frère proposa de les héberger avec leur mère, pour qu’ils se requinquent définitivement en Normandie (ce qu’ils firent). Alphonsine pouvait veiller sur ses garçons et aller voir sa soeur tous les jours… Jules venait les retrouver en fin de semaine.

Un beau jour (décembre 1945) Caroline est sortie de sa prostration, subitement, comme dans un film. Elle a retrouvé un regard normal, a demandé « et Martine ? ». Et bien non, Martine n’était pas sortie de l’église avec ses deux petits garçons, et le beau frère n’avait pas échappé à la fusillade et à ce qui avait suivi la fusillade. Elle a pleuré pendant 8 jours en redevenant elle-même… Elle a pu reprendre sa vie, en Normandie, dans une maison miraculeusement rescapée des bombardements, aux côtés d’une fille trop contente de retrouver sa maman, et d’un mari qui était allée la voir tous les jours en pronostiquant qu’elle s’en sortirait (dans la mesure où elle donnait l’impression de le reconnaitre très vaguement), comme Alphonsine qui y a cru jusqu’au bout…

Elle n’a jamais voulu raconter ce qu’elle avait entendu et ressenti, Paulette non plus d’ailleurs, elles n’en parlaient qu’entre elles.

Au mot « Oradour« , Caroline se refermait comme une huître. Elle en oubliait l’Oradour sur Vayres où elle avait de la famille également, théoriquement cible première des allemands au départ et qui aurait fait 3 fois plus de morts.  Elle fuyait les églises comme la peste et a abandonné à jamais toute pratique religieuse, et parfois, tante Alphonsine le disait toujours, elle avait le regard qui « partait ». Pas triste, pas malheureux, pas quémandeur de « raconte » « qu’est-ce qui ne va pas ». Elle s’absentait quelques heures, laissant tout en plan, étant ailleurs, Paulette prenant le relais pour l’administration de la ferme que Caroline avait à nouveau à gérer, avec un époux certe aimant, mais aimant également à penser qu’elle était tirée d’affaire (à l’époque les psy ne fleurissaient pas…)

Elle savait Paulette. Elle avait vécu la même chose. Elle avait elle aussi tout entendu, pissé dans sa culotte et chié dans son froc (pardonnez moi la vraie vérité) tremblé pendant des heures avec de l’horreur plein la tête. Inconscience de la jeunesse, mouchoir mis sur des souvenirs trop atroces ? Elle n’en parlait tout de même pas (jamais) de ce jour de juin où elle avait tout entendu… Elle n’a jamais voulu quitter sa mère et s’est mariée avec un voisin proche pour la voir tous les jours (l’aimait-elle ce voisin ?). Elles parlaient, chaque jour que dieu fait, paraît-il, et se taisaient instantanément quand quelqu’un arrivait. Elles parlaient certainement de ça. Mais les autres ne voulaient pas savoir. Pas même le mari et père… Le psy c’était pour dans longtemps.. Alphonsine a un beau jour renoncé à faire parler sa soeur, elle qui savait que la parole est salvatrice, elle avait fait son devoir et avait ses deuils à vivre réellement, car tout était terminé et l’espoir vain mort pour deux de ses garçons. Elle, elle avait besoin d’en parler et ne comprenait pas ce silence…

Et Mrs Bibelot a bien eu de la chance d’avoir la coqueluche à ce moment là… qui sait si elle avait été là, si elle ne serait pas restée jouer au village avec sa cousine… Il n’y aurait pas eu de promenade dont Caroline n’était pas fan. Je ne serais peut-être pas là.

C’est ce que les arabes appellent « la baraka »…

Seule Alphonsine allait chaque année déposer un bouquet de fleurs à Oradour le jour de la date anniversaire… Caroline a toujours refusé d’y retourner, d’autant qu’elle savait que le village était resté tel que, après le drame. Paulette n’a pas repris le flambeau pour des raisons évidentes…

Mais une pensée, même pas petite, pour tous ceux qui sont morts ce beau jour de juin. Car il paraît que c’était une belle journée

Une méchante sorcière… Ben oui, vos soucis sont tout autre que ce passé qui peut tout à coup devenir l’avenir..

Je sais c’est une réédition du 10 juin 2007, c’est l’anniversaire des 65 ans de cette date maudite, d’un nom de village de sinistre mémoire. Qu’avais-je à rajouter sur ce que j’avais écrit la première fois ? Rien !

Tout a été dit et écrit sur cette horreur absolue. Simplement, il faut perpétuer la mémoire de l’horreur pour qu’un jour peut-être, toute une génération se lève en disant NON !

Je me souviens des commentaires de 2007 qui n’ont pas pu être rapatriés sur le nouveau blog. Commentaires tous émouvants et prenant parti. Alors surtout, n’hésitez pas !

J'étais dans la résistance ma petite fille…

C’est comme ça, je ne me vante pas. C’est venu un peu contre mon gré, sans que je ne me rende compte. D’ailleurs je n’ai pas fait grand chose : je passais juste des messages, dissimulés sous mon porte jarretelles…

Tu la vois la Loire là ? Au fond du jardin ? De l’autre côté c’était la zone libre, nous, nous étions en zone occupée. Le pont, je le prenais régulièrement depuis longtemps, sur ma bicyclette, pour aller à la ferme qu’il y a juste de l’autre côté de l’eau. C’était là, d’après le grand-père d’Albert, mon Valentin, que l’on trouvait le meilleur lait, les meilleurs oeufs, le meilleur beurre. Cela faisait des années que je prenais ma bicyclette pour aller acheter le nécessaire de l’autre côté de l’eau.

Je ne sais plus comment tout a commencé, et le pourquoi du premier jour où j’ai franchi le pont avec la peur au ventre, en sentant trop fort le billet roulé rangé sous un élastique de mon porte jarretelles. Toi évidemment, tu portes des collants, tu ne connais pas grand chose de ce qu’étaient nos sous-vêtements.

J’avais aussi une combinaison en soie, et bien sûr des bas. La première fois, les allemands m’ont juste saluée au passage comme de coutume depuis qu’ils étaient là. Ils me connaissaient. Ils me regardaient et me disaient toujours « cheune matdmoizelle ». J’ai su longtemps après ce que cela voulait dire. Je n’étais plus une matmoizelle, j’avais déjà ma fille, ta belle-mère… Mais pour eux j’étais la cheune matmoizelle qui revenait avec du lait, des oeufs, du beurre… Je revenais surtout, avec le coeur plus léger qu’à l’aller, débarrassée enfin de ces messages qui finissaient par peser si lourd que je peinais à pédaler.

Je n’avais rien dit à Valentin. C’était secret de faire partie de la résistance. Je ne lisais jamais non plus les messages : interdit. Si j’étais prise je n’avais rien à dire… Je ne connaissais même pas le vrai nom de celui qui me donnait les papiers, et Je n’imaginais pas trop comment on pourrait me poser des questions mais j’obéissais aux consignes.

Et puis, tout s’est enchainé, et l’on m’en a demandé un peu plus. Et puis il y a eu ce soir, où ils ont frappé juste un coup à la porte avant de l’enfoncer.

Ils étaient 5. 3 en uniforme avec mitraillette, et 2 miliciens avec pistolet ou révolver, peu importe, à la main. J’ai eu un révolver (ou pistolet) sur la tempe et mon cher mari aussi. Et je m’en voulais. Je savais que c’était de ma faute, que c’était moi qu’ils cherchaient. J’aurais dû le prévenir tout de même un petit peu, voire lui demander la permission. A l’époque, une femme se devait d’obéir à son mari.

Il y avait juste 5 balles dans la bonbonnière décorant la bibliothèque. 5 balles que l’on m’avait confiées en me disant que parfois il manque juste une balle. Alors… 5… Je les avais planquées comme je le pouvais. Je sentais que ces hommes allaient ouvrir la bonbonnière et qu’il en serait fini de nous. Mon pauvre mari innocent allait payer pour mon inconscience et pourrait mourir en me maudissant. Je voyais les livres valdinguer par terre, entraînant la bonbonnière, et les balles s’écoulant sur le parquet…

Je me souviens de mes jambes qui flageolaient, de mon coeur qui battait de travers, de la peur absolue qui était la mienne. Et la petite, qu’allaient-ils faire à la petite dormant à l’étage, quand ils auraient la preuve que je faisais partie des forces judéo-maçonniques ? Qu’allait-il advenir de nous ? de lui ? d’elle ? Nous ne savions pas tout à l’époque, mais perdre ma fille de vue me faisait vraiment peur.

Ils n’ont rien trouvé. Ils n’ont pas ouvert la bonbonnière et ils sont partis en s’excusant, car leur réputation d’être Korrekts, ils y tenaient. Et je suis tombée par terre en disant « pardon » alors que Valentin me relevait en disant « pardon » également.

Il nous a fallu une heure pour nous comprendre ma petite fille. Lui croyait qu’ils étaient venus pour lui et il s’en voulait de ne m’avoir rien dit. Moi je pensais qu’ils étaient venus pour moi et je m’en voulais de lui avoir tout caché…

C’était lui mon chef de réseau. Je suis devenue tout à coup pour lui « la femme courageuse » qui passait des messages et il est devenu livide en songeant aux risques qu’il m’avait fait courir. Je savais enfin qui donnait à « Monsieur Pierre » les messages si importants à emmener en zone libre. Enfin bref, c’était lui, c’était moi, c’était nous.

Après la révélation, nous sommes restés silencieux un long moment. La petite dormait toujours là-haut. Nous nous sommes promis l’un contre l’autre, dans le lit conjugal, d’arrêter nos conneries. Cela a été peut-être la plus belle nuit de notre amour.

Nous nous sommes avoué en 1957 seulement, que nos conneries, nous ne les avions pas cessées du tout. Nous avions juste changé de réseau, en expliquant chacun pourquoi à qui de droit, pour nous retrouver du coup, toujours liés par le même mensonge. Il n’y avait pas 36 réseaux de résistance près de Langeais…

J’aime rire ma petite fille. J’adore tes filles qui sont mes arrières petites filles. Mais il te fallait savoir que je n’ai pas toujours été cette vieille femme drôle et parfois semblant naïve. Le révolver sur la tempe me réveille souvent la nuit et j’ai à nouveau peur.

Et depuis qu’IL n’est plus là, j’ai de plus en plus peur. Il est parti mon mari, mon chef de réseau, celui avec qui j’ai tant partagé dont une partie de ma vie sans le savoir. 5 ans, c’est peu, cela peut être tout.

Rappelle à tes filles que je n’étais pas que l’arrière grand mère rigolote, que je n’étais pas qu’amour et insouciance, que je n’étais pas que celle qui fait un « super réveillon du jour de l’an » avec du jambon et des nouilles.

J’ai été aussi l’inconsciente qui ne savait pas vraiment ce qu’elle faisait, qui durant toute l’occupation a promené dans sa culotte ou son porte jarretelle, des messages ultra importants. Et rappelle à tes puces que leur arrière grand-père si bonhomme s’est révélé capable de tuer un ennemi parce que c’était comme ça et sinon bien plus de morts. Nous nous ne sommes jamais sentis héroïques : juste pris dans un temps fou qui passait sur nos vies. Ce n’est que trop tard que nous avons su ce à quoi nous nous étions exposés. Mais c’était trop tard car si à refaire : refait…

Je t’embrasse ma petite fille.

Maria.

PS : je n’étais que la femme de son petit fils, mais elle m’a toujours considérée comme étant sa petite fille.

Et pour les filles : oui c’est bien elle…  Comme quoi…

A découvrir ou à relire…

J’ai rencontré le héros j’avais 14 ans. Mon arrière grand père en avait 4 tomes dans sa bibliothèque, dans la collection Nelson dont il avait une horrible quantité de livres (il m’avait déjà refilé l’intégrale de Victor Hugo, j’étais ravie). Au 4ème tome on pouvait penser que c’était la fin de la saga. Mais celle-ci m’avait mieux plus que « les misérables » (allez savoir pourquoi…)

LE MOURON ROUGE
Auteur : la Baronne Orcsy, dont on sait tout de suite ce qu’elle pense des républicains et de Napoléon. D’un autre côté si on relit l’histoire des massacres de septembre et certaines périodes noires de la révolution, on peut la comprendre. La baronne…

Le héros est un anglais qui a décidé de sauver un maximum de « ci-devant aristo » de la guillotine, pendant la terreur avec un groupe d’amis à lui. Avec des ruses incroyables, et un flegme tout britannique. Et il réussit son coup à chaque fois, ce qui met Robespierre en colère, et c’était le genre de mec à ne pas énerver…

Et le mec à ne pas énerver met sur sa piste « Chauvelin ». Dans le premier tome, Chauvelin contacte une actrice française partie en Angleterre pour épouser un lord anglais. Il l’oblige à enquêter sur ce fameux mouron rouge qui est anglais, ayant des preuves de non patriotisme concernant son frère, ces preuves pouvant emmener le frère à la guillotine, même s’il est pote à mort avec St Just (et s’appelant de même) .

L’identité du mouron rouge est connue à la fin du premier tome, par les lecteurs, et par Chauvelin lui même à ses dépens d’ailleurs, c’est à mourir de rire. J’avoue que j’ai galéré un peu sur l’identité du chef de bande, mais on est égarés volontairement, comme Chauvelin… Sauf que, frustration, on comprend qu’il sait alors que nous n’avons pas tout compris pendant deux ou trois chapitres (bon j’étais très jeune tout de même, mais avec honnêteté je dois reconnaître que même adulte je me serais faite avoir…)

Quelle ne fut pas ma surprise un jour, de trouver chez un VRAIMENT BON LIBRAIRE, la série « mouron rouge » chez « Presses de la Cité dans la collection « Omnibus » (à savoir plusieurs livres en un, j’ai « les semailles et les moissons en un seul tome, dans la collection bouquin)

Et de découvrir qu’il n’y avait pas 4 tomes mais 9

  • Le mouron rouge
  • Le serment (mon préféré de A à Z, dans l’histoire et dans le déroulement de l’histoire, la manière dont les promis à la guillotine sont délivrée étant vraiment extraordinaire, le mouron rouge menant LA FOULE EN COLERE)
  • Les nouveaux exploits du mouron rouge
  • La capture du mouron rouge
  • Les vengeances de Sir Percy
  • Les métamorphoses du mouron rouge
  • Le rire du mouron rouge
  • Le triomphe du mouron rouge
  • Le mouron rouge conduit le bal.

J’avais 40 berges bien sonnées quand j’ai découvert la suite des aventures du mouron rouge. Après « le serment », j’ai adoré l’épisode où Chauvelin (qui suit bien sûr le mouron rouge de A à Z, en échappant toujours à la guillotine), a besoin de ce dernier pour sauver sa propre fille. Et que la vengeance du mouron rouge est de sauver la fille de Chauvelin (qui le méritait bien)

J’adore l’ensemble. Sur le plan historique il y a beaucoup beaucoup de vrai. Cela se lit tout seul, c’est bien écrit. Les personnages sont attachants sans être des caricatures. Le héros ne se sent pas comme tel : il s’occupe et s’amuse un peu, c’est un peu le britannique flegmatique type. Il tentera de sauver le dauphin. C’est de la grande aventure, toujours renouvelée, aucun sauvetage ne ressemblant jamais à un autre.

Pour moi c’est à découvrir, à lire, distrayant, pas prise de tête, et donnant envie d’en connaître plus sur cette période noire que fut réellement la terreur (le mouron rouge sans mourir, cessera d’exister après le 9 thermidor).

Si cela vous tente…

Je sais qu’il y a eu un film de fait mais j’ai trop peur d’être décue en le voyant…

Est-il ici ?
Est-il donc là ?
Les français tremblent quand il bouge
Satan lui-même le créa
L’insaisissable mouron rouge…

Verdun. Le fatal 11 novembre de votre sorcière…

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  • Il y a deux semaines : en déménageant une bibliothèque qui n’avait pas été bougée depuis des décennies, il y a eu un clic clic et nous avons trouvé ces deux objets.
    Les photos ne donnant rien, j’ai fait un scan, mais bon, c’est moyen… Sur l’un des objets, il est inscrit « bois de mort mare 1916 ». Sur l’autre « 1914 – 1915 ». Au dos de chaque couteau travaillé, de jolies ciselures…
  • Il y a déjà un petit moment, mais finalement pas si longtemps, hier quoi… Pulchérie est rentrée un beau jour de sa classe de 4ème toute contente : le prof d’histoire organisait une journée à Verdun. Une excursion donc, et une excursion de toute une journée, même lorsque l’on est bon élève, c’est toujours bon à prendre. Pas de maths, pas de français, rien d’autre qu’une super journée à se la couler douce avec du car aller et retour, et une petite promenade quelque part.Je ne lui avais pas spécialement parlé de Verdun à ce moment là. Elle avait quelque part dans sa mémoire ce 11 novembre de CM2 où elle avait été totalement volontaire pour se lever tôt un jour férié, afin de déposer une gerbe ronde au pied du monument aux morts, avec dignité et une petite génuflexion qui avait fait plaisir au maître. (Delphine n’avait pas eu l’occasion de faire de même, nous étions parties je ne sais plus où…). Je lui avais préparé en silence un pique nique pour Verdun et Delphine éructait que sa soeur était la seule à faire des choses intéressantes. Déjà, j’avais emmené Pulchérie voir la Liste de Schindler alors qu’elle était en CM2. Delphine l’avait vu depuis, ce film, et chialé à la fin, mais elle n’en pensait pas moins : Pulchérie et moi n’arrêtions pas de nous bidonner à longueur de temps et c’était d’une injustice flagrante.Donc là, excursion pour le moins poilante et je ne savais pas trop comment aborder le sujet avec Pulchérie, n’ayant jamais fait cette poilante excursion. J’avais encore en tête le moment crucial où en 5ème j’avais découvert l’existence des camps de la mort pendant la dernière guerre mondiale. Le prof d’histoire nous avait apporté des livres pleins de photos illustrant l’horreur, et j’avais été traumatisée. Trop pour en parler aux parents, et ces images m’avaient hantée pendant trop longtemps, sans qu’ils ne prêtent trop attention à mes silences forcément de mauvais augure, et mes cauchemars nocturnes trop fréquents. J’avais trop le souvenir de mes nuits passées à scruter la vitre de ma chambre en y voyant se refléter les images des morts vivants, j’avais trop sur le coeur une absence de questions de mes parents. Etait-ce leur faute ? Je ne sais pas. Je n’ai jamais seulement osé le leur dire ce dont on avait parlé en histoire, sauf qu’à l’époque, commémoration et autres, on ne parlait que de ça, même eux.
  • Pulchérie est rentrée le soir de son excursion, un peu silencieuse et c’était déjà mauvais signe, vu qu’elle charabiatait depuis sa naissance. Sa soeur essayait de savoir ce qui avait été super pendant cette journée, et s’était faite envoyer aux pelotes. Pulchérie s’était enfermée dans sa chambre avec le chat, refusant de diner et de parler. J’étais donc aux aguets, des pâtes à la carbonara en réserve au caz’où.Et puis, sa soeur couchée, Pulchérie est arrivée sur le canapé alors que comme de coutume j’occupais j’étais vautrée dans le fauteuil. Elle avait l’air dans le vague et j’attendais, me disant que moi je n’avais jamais osé aller me poser dans le salon pour parler à mes parents. Elle se mangeait encore les ongles et là, il lui restait à attaquer la lunule. Je sentais qu’elle allait craquer et déborder, elle était venue là pour ça, et je remercie le ciel : jamais mes filles ne se sont posées à proximité de moi le soir, comme ça, pour se taire. J’en veux encore à mes parents de mes silences parce que « pense à autre chose ma chérie ! »
  • Tu veux que je te fasse réchauffer des pâtes ma chérie ?
  • Maman…
  • Maman… il y a la-bas une grande grande tour avec des crânes dedans…
  • … (je sentais l’image devenue obsession tout à coup, l’image qui hante, qui va hanter longtemps, et la voix était vraiment angoissée, et là, on souffre pour notre enfant)
  • Que des crânes dans cette grande tour maman ! Ca fait combien de morts ?
  • Je ne sais pas vraiment ma chérie. Beaucoup c’est certain…
  • Ce sont tous les morts de Verdun maman ? Tu te rends compte ? Tous ces crânes !! Elle est si haute cette tour, je me sentais toute petite à côté !!!
  • Non ma puce, tous les morts ne sont pas là… Il en a eu tellement !
  • Nous avons pensé un peu que c’était les crânes de tous les hommes morts pendant cette guerre…
  • Non ma puce. C’est un mémorial, et ils ne sont pas tous là…
  • C’est vrai, il y a aussi un cimetière avec tellement de croix. Pourquoi tous ces morts maman ? Le prof nous a dit qu’il fallait les compter par millions. Ca fait combien de tours maman, avec uniquement des crânes dedans ?
  • Je ne sais pas ma chérie. C’est l’absurdité de la guerre.
  • Alors pour un homme qui vivait il ne reste que son crâne dans une tour ?
  • Parfois oui… Parfois il est enterré quelque part. Parfois on ne l’a pas retrouvé, on en retrouve encore de nos jours…
  • Maman…
  • Oui ma chérie…
  • Tu peux me serrer très fort dans tes bras ?
  • Oui ma puce.
  • Et le mari de mémé Georgette il était là-bas ?
  • Oui, mais il est rentré lui.
  • Et ses cousins, ses frères ?
  • Non, ils sont restés là-bas.
  • Et leurs crânes sont dans le mémorial ? Maman ça m’a fait tellement peur ! Personne ne peut les regarder et les reconnaître. Je ne veux pas être un jour juste un crâne que l’on ne reconnaîtra pas !
  • Je comprends ma chérie. Tu étais peut-être un peu jeune pour aller à Verdun.
  • Non. Le prof avait raison, personne n’a chanté dans le car en revenant. Seulement je voudrais juste pouvoir dormir avec toi, pour ne plus avoir peur. Ca fait peur tous ces crânes qui ont été des hommes, qui ont aimé et espéré, et qui pensaient avoir une vie entière à vivre.
  • Maman… C’est écrit quelque part si ma vie doit s’arrêter trop tôt ?
  • Oui ma puce, certainement. Mais je ne veux pas savoir où et ne cherche pas à savoir… Tout ce que j’ai à te dire de la Bible c’est « tu ne connaîtras ni le jour ni l’heure ». Pour le reste tu la liras toi-même pour y croire ou non, critiquer ou non…

Et c’est ainsi que l’on passe une nuit à trois dans un grand lit, pour juguler une peur que même la petite soeur a voulu exorciser, car bien entendu elle était venue nous rejoindre pour apprendre que l’expédition Verdun, ce n’était pas top. Quand cela a été programmé pour elle, elle a eu mal au ventre et je l’ai dispensée. Elle savait déjà…

IL Y A MAINTENANT LONGTEMPS : un homme qui était de toute évidence ciseleur, artiste, a tué le temps plutôt que de tuer des hommes, dans sa tranchée, pour forger des couteaux un peu de style Bowie, dans des douilles d’obus. C’est gravé avec précision, le travail d’artiste est magnifique, les décorations sur la face A sont superbes, et il y a les dates de l’autre côté, traumatisante quand on sait « 1914 1915 » et « 1916 ». Il restait encore du temps à passer avant la fin…

Nous n’avons qu’une certitude : si ces objets sont chez mes parents, c’est parce que mon arrière grand père les a récupérés. Parce que celui qui les a créés est mort.

Nous essayerons de les transmettre aux générations futures le plus longtemps possible. Qu’au dernier qui ne sera pas quoi en faire : ne jamais les jeter. Il existe des musées pour ce genre d’objet.

Et aujourd’hui encore, comme pour tous les 11 novembre : hommages à ceux qui sont morts si stupidement, à leur vie affreuse dans les tranchées, à leur courage, à leur attente d’une permission si rare, à leurs veuves, leurs mères désespérées, leurs enfants orphelins. A leurs fiancées qui ne les ont jamais remplacés, aux femmes qui ont souffert une attente horrible pour parfois ne récolter que le désespoir, à celles qui ont préféré mourir que de survivre sans eux.

C’est férié, mais rappelez vous que c’est parce que des millions de gens sont morts que finalement vous bénéficiez d’une grasse matinée…

D’après Maritza, il reste un survivant en Angleterre (109 ans tout de même), mais je ne sais pas si le rescapé canadien de l’année dernière, est toujours là. Nous savons que nous n’avons plus de « poilus » en vie en France.

Et ce qui me fait peur, c’est que le cauchemar en s’éloignant peut faire oublier les horreurs de la guerre…

In memoriam à tous ces hommes et toutes ces femmes qui ont vécu le pire du pire, dans des conditions abominables, en pensant que c’était tellement atroce qu’après eux PLUS JAMAIS…. LA DER DES DER. Ca fait mal dans le fond de la gorge quand on y pense…

A voir ou revoir : un long dimanche de fiançaille, les sentiers de la gloire (mes préférés, qui évoquent les mutinés et les mutilés volontaires, et montrent bien ce que c’était)
A lire ou a relire : A l’ouest rien de nouveau, Les semailles et les moissons, Des grives au loup, et tant d’autres livres consacrés à cette guerre.

Et surtout, à faire : transmettre le plus possible à ceux qui nous suivent, les souvenirs que nous avons parfois eu la chance de récolter, l’histoire de cette guerre. Et également conserver les lettres de l’arrière arrière grand père, tout ce que l’on a pu trouver sur cette période. Jeter ce serait un crime (il y a des musées pour cela…)

Tout a changé

La_maternit__53271420Tout évolue constamment de nos jours. En bien, en mal ? je m’interroge parfois…

Lorsque maman m’a mise au monde, l’allaitement était déconseillé. Il faut dire que l’on pesait le BB avant la tétée, puis après, pour vérifier qu’il avait bien pris sa dose. Avec un biberon, on voyait bien tout de suite si la dose avait été prise…

Sauf que j’avais un problème grave (hémorragie méningée à la naissance). Maman était paniquée mais déterminée à m’allaiter. Après ma première nuit sous tente à oxygène (ne cherchez pas, ça vient de là…), au cours de laquelle elle m’a tenu la main toute la nuit, elle vit une sage femme un peu âgée débarquer en lui intimant d’un ton un peu sec « j’espère que vous comptez nourrir cette petite, qui ne va pas bien ». « Evidemment » rétorqua maman, et la sage femme se radoucit donc… Pour tout bien lui expliquer… Allaitement réussi…

A l’époque de ma naissance et de ceux qui ont suivi, un bébé qui pleurait encore la nuit, passé un mois déclenchait normalement une émeute dans toute la famille et le médecin se penchait sur le problème. Maintenant, il est courant d’entendre des parents déclarer que le petit de 6 mois, demande encore une fois la nuit. Je ne juge pas…

A mon époque il ne faisait pas trop chaud dans les chambres. On couvrait les bébés et on vérifiait qu’ils avaient les petites mains bien chaudes. Maintenant devant des petites mains bien froides on dit « c’est normal ». On confond peut-être avec la truffe du chien : je ne juge pas.

A une autre époque, on revint à l’allaitement maternel, presque obligatoire, à l’imposer quasiment à la mère même si elle ne se sentait pas de… Sauf que l’on ne pesait plus avant et après les tétées… C’était à la demande… Pratique pour le personnel de la maternité, moins pour la maman… Je ne juge pas…

A une certaine époque on couchait les bébés sur le ventre, sans oreillers. Puis vint la mode du « sur le côté », ou « sur le dos, mais avec oreiller pour qu’il ne s’étouffe pas… ». On commença à parler de la mort inexpliqué du nourrisson, et on trouva des remèdes.

Chambre à pas plus de 19° (comme jadis finalement), sur le dos, sans rien sous la tête… Baisse de cette mortalité inexpliquée du nourrisson (et tant mieux, mais on ne parle pas de certains médicaments prescrits encore à la naissance de Pulchérie et qui ne l’étaient plus 3 ans après pour Delphine car considérés comme pouvant être responsable de cette pause respiratoire fatale). Par contre on ne donne plus de bain à la naissance (c’est très mauvais) et il leur faut un bonnet sur la tête pour éviter la déperdition de chaleur (évidemment, ils crèvent de froid sans rien dans leur berceau) pendant les 3 premiers jours : je ne juge pas…

Quand la deuxième de ma soeur est née, on ne l’a pas obligé à l’allaiter, mais on donnait le biberon à température ambiante : nouvelle mode : même plus la peine de réchauffer le biberon. Alors non seulement le bébé n’est peut-être pas forcément assez couvert, mais en plus il tête du moins de 37°. Hors, pour quoi est-il programmé ? têter du lait de maman à 37°… Je ne juge pas.

Maintenant on se préoccupe de la propreté 3 mois avant l’entrée à la maternelle. Avant, quand les mamans lavaient les couches et que les couches n’étaient pas confortables pour BB (le tissu mouillé c’est moyen confortable), BB était propre très tôt. A faire rêver aujourd’hui. Pour ma mère la plus tardive a été propre à 18 mois…

Evidemment aujourd’hui l’enfant dans sa couche mouillé est toujours au sec : aucun inconvénient. Et puis c’est esclavant de le mettre sur le pot de manière régulière… Donc un enfant c’est propre à 3 ans… C’est écrit partout : ils ne peuvent maîtriser leurs sphincter avant cet âge. Comment diable avons-nous maîtrisé les nôtres avant l’avènement de la « même mouillé c’est sec » ? Je m’interroge, je ne juge pas… (Et puis le marché de la couche c’est lucratif…)

Moi j’ai été bête et méchante… J’ai écouté maman. Pour découvrir que si Pulchérie pleurait une heure après la tétée, c’est qu’elle n’avait pas pris son compte, via pesage avant/après (mes filles ont survécu sans le bonnet, on se demande comment…). Je la réveillais donc pour lui donner la fin…  Pour Delphine cela n’a jamais été nécessaire : elle prenait sa dose et celle du prématuré de la chambre d’à côté. Pour Pulchérie : première nuit réelle à 30 jours, pour Delphine qui s’était d’office collée à 5 tétées par jours : à 16 jours…

Il était important pour moi qu’elles aient les petites mains chaudes, juste normalement. Je les ai couchées sur le côté (à plat ventre c’était vraiment dépassé) en vérifiant les petites oreilles.

Et puis pour la propreté, j’avais autre chose (et Albert également) à faire de mon fric que de leur payer les super changes complets même mouillé c’est sec. C’était donc un change complet pour la nuit, et dans la journée une couche normale avec une pointe (le moyen âge je vous dis). Pas à l’aise là-dedans. On veillait au bien-être jusqu’à 9 mois, après il fallait bien qu’ils comprennent (je parle de mes filles, et des enfants de ma meilleure amie qui a le même âge que moi), que pour être à l’aise  il fallait faire dans le pot…

Curieusement avec leurs couches à l’ancienne (et encore en tissu cela devait être pire…), elles ont très vite ressenti l’envie d’être changées, et accepté le pot avec plaisir. Pulchérie propre 100 % à 18 mois, Delphine à 20…

Ah j’oubliais : elles sont toutes les deux à Sainte Anne. Normal. Baignées à la naissance, sans bonnet pendant les 3 premiers jours, petites mains bien chaudes, nourries au sein à 37° voire même réveillées pour terminer le repas, avec des couches en cellulose toute bête, propres avant 2 ans, il était fatal qu’elles ne s’en remettent jamais…

Je ne  juge pas… J’ai juste à leur apporter des oranges toutes les semaines, bien fait pour moi…