1918… Mais la fin est encore si loin…

CoquelicotC’est un bleuet, sobriquet donné par les poilus à la classe 17, parce que les soldats de cette classe n’ont connu que le bleu horizon pour uniforme.

Tout jeune soldat en bleu horizon, il a déjà connu les horreurs de la guerre, et dans sa tranchée, il médite, redoutant le jour qui vient, qui, sera un 11 novembre, un jour comme les autres…

Il pense à sa fiancée à qui il a promis, en y croyant vraiment, de rentrer. Il sait maintenant que cette promesse n’était qu’une utopie. Les plus anciens dorment, réfugiés comme ils le peuvent sous des cirés venus de l’on ne sais où, dans des abris creusés,  dans la crasse imposée, en proie à la vermine qui les dévore, sous des abris de fortune pour se protéger de la pluie. La vie ici, n’a pas plus de sens que sa promesse d’innocent ne sachant plus ce que peut être « rester vivant ».

La vie ici, a moins de réalité que la mort… Mais il le sait désormais : seule la mort aura toujours gain de cause sur la vie…

C’est la nuit, c’est la trêve, c’est le moment où l’on peut se donner le luxe de penser de différentes façons. Quelques uns qui ne peuvent plus dormir, s’occupent à forger de jolis souvenirs. D’autres écrivent. Pour tous, il est le bleuet. Le petit jeune, celui qui ne sait pas tout, mais qui a tout compris très vite et qui en sait de toutes manières bien trop pour son âge.

L’inconnu auréolé d’une drôle de lumière apparait tout à coup, il pense que c’est une intox de l’allemand de la tranchée d’en face le bleuet, mais pénétré soudain d’une tranquillité suspecte, il renonce à soupçonner n’importe quoi.

Car l’inconnu parle tout à coup, et il faut lui répondre.

  • Soldat, de quoi as-tu peur ?
  • De mourir. Demain, j’en suis certain, nous partirons à l’assaut. J’ai peur de ce jour à venir qui sera peut-être mon dernier jour.
  • Et pourquoi as-tu peur de mourir ?
  • Mais parce que la mort c’est horrible, c’est le rien, le néant, c’est l’absurde… J’ai ma fiancée qui m’attend, des enfants en devenir, ma vie à vivre bordel !!!
  • La mort c’est horrible ?
  • Oui.
  • Tout le monde meurt. Tous les êtres vivants meurent. C’est le destin de la vie, sans la mort, il n’y a pas de vie. Même l’arbre le plus ancien doit mourir !
    La non existence représente bien plus que l’existence. Les vivants sont rares…
  • C’est con. Ca fait peur. C’est moche. Ca pue. C’est le néant, le rien, c’est horrible !!
  • Oui peut-être…
  • Tu es venu là pour m’empêcher de penser ?
  • Non, justement, pour te faire penser autrement.
  • Je préfère m’allumer une cigarette que de t’écouter…
  • Ta cigarette ne me dérange pas Bleuet… tu te souviens de tout ce temps où tu n’étais pas né ?
  • Non
  • Pourtant, je peux te dire que cela représente un sacré bout de temps, une éternité presque. Tu vois un peu ce que c’est que l’éternité ?
  • Non
  • Et l’éternité où tu n’existais pas, tu ne t’en souviens donc pas ?
  • Non
  • Et cela te fait peur ? Cela t’a laissé de la peur ?
  • Non
  • Pourtant c’était le rien, le néant
  • Oui mais je ne m’en souviens pas, alors cela ne compte pas.
  • Et quand tu vas mourir, tu vois cela comment ?
  • Tu m’emmerdes
  • Oui, et c’est pour cela que je veux de toi une réponse
  • Je le vois… je le vois, comme un moment soudain que je n’aurais pas vu venir, un moment où je vais tout oublier.
  • Oublier quoi ?
  • Que j’ai vécu. Je vais même oublier ce putain de bordel de merde de moment où un mec étoilé et lumineux sera venu me parler ici bas où nous sommes déjà en enfer mes compagnons et moi.
  • Pourquoi dis-tu « déjà en enfer »… Tu ne crois en rien après la mort…
  • Non. Quand on a vécu ici, Dieu est tout simplement impossible. Il ne reste que l’enfer, mais…
  • Alors pourquoi as-tu peur ? Puisque tu vas tout oublier…
  • Tais toi ! puisque je vais tout oublier, et j’y pensais avant ton arrivée maudite, ce sera comme si je n’avais jamais vécu !
  • Précisément. Et puisque que l’avant de ta venue dans la vie ne te fais pas peur, pourquoi avoir peur de l’après ?
  • Parce que…
  • Parce que tu ne te souviendras plus de rien ?
  • Oui
  • Parce que finalement, pour toi, tu n’auras jamais existé ?
  • Ouiiiiiiiii
  • Mon petit gars, tu te fais du mauvais sang pour rien. Tu l’as compris finalement. Dès que tu auras exprimé ton dernier soupir, ce sera comme si tu n’avais jamais existé. Dans ton souvenir en tous cas. Qui n’existera plus quand ton crâne explosera et que ton cerveau se putréfiera…
  • Tu es venu pour me remonter le moral ? C’est réussi !!!
  • Non, je suis simplement venu te dire, que quoiqu’il advienne, d’après toi, vous êtes déjà tous morts… Tous les êtres vivants sont morts avant même d’avoir vécu, c’est une triste fatalité.
  • Je te remercie de ta visite, et je ne te retiens pas…
  • Alors je te laisse… Mais de ce que je t’ai dit, retiens le : « d’après toi… »

Le Bleuet est rentré intact, un coup de chance, le destin. Quoique… Effectivement…

Il  est rentré pour vivre sa vie, faire des enfants, mais en étant déjà mort… Il n’a laissé qu’un journal commentant cette étrange visite dans les tranchées, qui l’avait laissé à la fois plein d’espoir et de résignation devant la mort et la vie.

Il est rentré pour mourir un jour comme nous le ferons tous.

Avait-il rencontré l’ange de la mort ou celui de la vie?

Personne ne le saura jamais…

La vie n’est qu’un long calvaire, parce que c’est  la  mort qui aura toujours la victoire, c’est elle à qui nous devons donner le plus beau visage, elle gagnera toujours. La vie n’est qu’aléatoire, un hasard, une chance ou une malédiction… C’est ainsi que je vois désormais les « victoires » grecques : non pas une bataille gagnée, mais des  vies terminées…

6 réponses sur “1918… Mais la fin est encore si loin…”

  1. C’est ce que j’essaie de dire à mes enfants, que puisque nous n’avons aucun souvenir de notre pré-naissance, nous n’avons rien à craindre de notre après-vie. Nous n’étions pas, nous ne serons plus.
    Cela dit, comment vas-tu? Pour écrire des textes comme celui-ci, tu n’as pas l’air d’avoir grand moral…
    Je te fais un gros gros câlin.

  2. Ce n’est pas gai mais c’est réaliste. Nous mourrons tous un jour. La mort ne me fait pas peur, la mort c’est dur pour ceux qui restent. Ce qui fait peur aussi c’est d’apprendre que l’on est condamné, qu’il nous reste peu à vivre, mais la mort que l’on ne voit pas venir…
    La maladie par contre ça fait peur. Souffrir des mois des années avant de mourir, ou devenir handicapé perdre un membre, la vue, perdre son autonomie.

  3. Angele : je te remercie. J’ai perdu un être très cher il y a peu, sans doute mon dernier amour partagé, alors, cela pourrait aller mieux. Heureusement qu’un jour nous oublierons avoir vécu. Je t’embrasse.

  4. Louisianne ; il m’a fallu du temps pour ne plus avoir peur de ma mort. J’ai appris via papa et maman que désormais la souffrance et le reste étaient pris en compte, ce qui nous fait le plus peur.
    Comme toi j’ai peur de la perte d’une chose pour moi essentielle, en m’entendant dire « mais d’autres le font ».
    MOI PAS ! BISOUS

  5. Comme dit Woody Allen, je n’ai pas peur de la mort, je préfère juste ne pas être là quand ça arrivera !

    J’aime bien la théorie des épicuriens qui dit que nous ne devons pas craindre la mort puisqu’il n’y a pas d’expérience de la mort possible : avant elle n’est pas là, après nous ne sommes plus là…

    Je suis quelqu’un de très « torturé », alors je me console comme je peux. L’éternité ne me semblerait pas non plus une option très réjouissante.

    Bisous.

  6. Julie : tu es donc « torturée »… Je l’ai été longtemps, l’idée de devoir mourir m’étant insupportable. Aujourd’hui, je me suis résignée à mourir un jour, je l’accepte même, mais la mort des autres m’affecte terriblement.
    Comme tu le dis, l’éternité ne serait guère une option réjouissante. D’ailleurs, c’est difficilement envisageable ou compréhensible, comme les trous noirs, la matière noire, ce genre de choses…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *