Mon « D Day »…

banniereCertains l’auront noté : je n’ai pas commémoré le débarquement. D’autres que moi s’en chargent et le font très bien…

Par contre il m’est revenu tout à l’heure, que le 6  juin 2006, j’éditais mon premier article sur un blog tout neuf, dont je vous raconterai l’histoire, si vous désirez la connaître…

Mon blog a eu 8 ans aujourd’hui… Je vais donc entamer ma neuvième année…

Je me sens un peu vieille tout à coup…

Mais je vous remercie ici, tous, d’être fidèles, de me lire régulièrement, de commenter régulièrement, enfin bref, de me donner l’envie jour après jour, de continuer.

DES BISES !!!

Histoire de montre…

L_heure_d__t__10026396Ma première montre m’avait été offerte pour mes 10 ans, en prévision de mon entrée en sixième où j’aurais à prendre le bus et non pas un car de ramassage scolaire (ne confondons pas). Il allait me falloir être à l’heure, et comme j’avais avalé une horloge à ma naissance, il ne me suffirait plus de regarder par la fenêtre (l’école se trouvant juste en face), pour ne pas connaître le retard.

Ce n’était pas une montre de grand prix, une Kelton je crois, qu’il fallait remonter tous les soirs. J’aimais bien ce petit cérémonial, m’asseoir sur mon lit, remonter scrupuleusement ma montre avant de la poser sur ma table de nuit. Son tic tac me plaisait, et je m’arrangeais pour la disposer de manière à ce que je l’entende bien.

Elle ne m’a fait que 4 ans, mon frère l’ayant fait tomber en chahutant avec ma soeur cadette. Devant les débris, Jean-Poirotte m’avait dit qu’aucun horloger ne pourrait la remettre en état, et j’ai eu une nouvelle montre pour mes 14 ans, toujours une à remontoir, un peu plus chère.

Aucune pile à changer, en cas de pépin un horloger la démontait et vous réparait le problème. Certains mécanismes étaient inusables, Mrs Bibelot a encore une montre du 19ème qui fonctionne encore, et une pendule qu’il faut également remonter avec une clef. Maintenant je ne sais pas si le métier d’horloger se porte toujours bien.

C’est papa qui nous a tous appris à lire l’heure, à ses petits enfants également, en fabriquant une fausse horloge avec une boite de camembert, deux aiguilles découpées dans du carton, le tout monté avec une punaise…

Maintenant j’en connais qui, grâce à l’affichage digital d’une diabolique précision, ne savent plus lire l’heure sur une pendule normale ou une montre normale.

D’ailleurs le « il est midi et quart » est en voie de disparition, comme les ours blancs, remplacé par un diabolique « il est 12 H 14 ».

Et quelle n’a pas été ma consternation il y a 20 ans, alors que je devais changer ma très très vieille montre, de découvrir que celles que l’on remonte coûtent un rein, et quelle drôle d’idée madame de vouloir remonter votre montre… J’ai donc une montre à pile qui lâche quand elle veut, généralement le jour où l’on a un rendez-vous important…

Durée de vie de la montre : 5 ans maximum (je ne donne toujours pas dans le haut de gamme…), alors que celle de mes 14 ans m’a accompagnée jusqu’à mes 34 ans…

Ceci rejoint un peu mon post précédent. Je connais beaucoup de personnes qui ne portent pas de montre.

Papa a gardé de l’époque où il travaillait de ses mains, l’habitude de ne porter ni montre, ni alliance, ni quoi que ce soit qui peut se prendre dans une machine et vous faire perdre un doigt ou vous blesser gravement. Maman n’en porte pas sous prétexte qu’elle a l’heure partout (dans la voiture, dans la cuisine (une pendule et deux réveils, aucun ne donnant la même heure à la minute près), sur le magnétoscope DVD/VHS, son four, etc…

Idem quand je bossais encore, j’étais quasi la seule à porter une montre, avec Dame Venesia qui en avait une de valeur. Pourquoi avoir une montre puisque même sur l’ordinateur, on pouvait voir l’heure ?

Je garde pourtant toujours la mienne. Il faut dire que je n’ai jamais pris la peine de mettre l’heure sur mon lecteur DVD/VHS, mais maintenant je l’ai sur ma box. Ce qui ne m’empêche pas de consulter ma montre de temps à autre. En voiture idem, je n’ai pas l’heure, le boîtier musique + affichage de l’heure ne m’ayant pas été vendu avec. Je suis donc bien contente de pouvoir consulter mon bras, pour savoir si je suis à l’heure ou pas.

Savoir d’ailleurs, que ma montre avance toujours de deux ou trois minutes, c’est fait exprès, depuis l’époque où je prenais le train, où le train était à l’heure (eh oui, ça existe) et qu’à une minute près et bien, nous étions bons pour attendre le suivant (et être en retard, ce qui ne m’arrive quasiment jamais, si j’ai deux minutes de retard tout le monde s’alarme : il m’est arrivé quelque chose).

Là encore on va me dire :

  • Tu as ton portable
  • Tu as l’heure sur ton four micro ondes dans la cuisine
  • Tu as l’heure sur ta box
  • Tu as l’heure sur ton radio réveil

Le tout étant à remettre à jour deux fois par an au mieux, lors des changements d’heure, ou après une coupure de courant. J’étais toujours heureuse en me réveillant la nuit pour constater devant mon radio réveil clignotant 0:00 (il y avait donc eu coupure de courant), d’avoir MA MONTRE pour faire la remise à l’heure. Car tous les appareils électriques étaient dans le même cas : remis à zéro…

A une époque où les filles veillaient à ce que tout soit à l’heure (sans porter de montre), elles remettaient à l’heure le magnétoscope pour le salon, le micro ondes pour la cuisine et pestaient qu’il n’y avait pas l’heure dans la salle de bain (d’où le fait que prendre un bain et vider le ballon d’eau chaude leur prenait environ deux heures…).

Et puis quand on est à pied, c’est irremplaçable (non, ne me demandez pas de sortir mon portable, il me faut ouvrir mon sac, le récupérer, le scruter s’il y a trop de soleil, ça m’insupporte…)

Oui, la montre aussi, il faut la remettre à l’heure : mais pas en cas de coupure de courant…

Et je bénirai celui qui remettra en vente, à prix normal, LA MONTRE DE MON ENFANCE : celle qui se remonte tous les soirs (ou le matin, c’est au choix)…

Il faut que je pense à faire un petit lexique pour les plus jeunes (mon neveux, mes deux dernières nièces).

  • Qu’est-ce qu’un tourne disque
  • Pourquoi remonter une montre
  • Pourquoi remonter un réveil
  • Etc…
  • Dans 10 ans, j’aurai l’équivalent d’un dictionnaire.

La vie n’est qu’un long calvaire…

11 novembre 2012 – Le voyage d’un père…

11 novembre 2012Je vous ai présenté le Bleuet* l’année dernière (ICI) et son étrange rencontre de ce qui a du être un ange, dans les tranchées de la grande guerre. D’un post à l’autre en renvois, finalement vous savez tout…

Le premier mort de la famille (un cousin germain du bleuet) qui comprenait hélas pour eux, beaucoup d’hommes en âge de se battre, et peu de filles,  fut celui que mon arrière-grand-mère et sa soeur (Tante Hortense), appelaient « le cousin Mac ».

Le 26 août 1914, le mortuaire arriva, à une époque où les municipalités faisaient « quelque chose » en hommage au mort, tué, celui-là, au 23ème jour de la guerre. Après il y en eut de trop, on renonça, c’était déjà bien assez pénible comme cela d’avoir à se déplacer encore une fois, une fois de trop, pour annoncer une mauvaise nouvelle à une famille désormais endeuillée ou à nouveau endeuillée. (Le maire de la commune eut tout de même l’obligation d’apprendre à une femme la mort de son mari et de ses cinq fils…)

Mais la cérémonie ne consola bien évidemment pas les parents, Léon étant leur seul fils, qu’ils avaient eu sur le tard, à la quarantaine, désespérant depuis leur mariage 15 ans avant la naissance miraculeuse, d’avoir la famille de leurs rêves.

Sa femme s’étouffait de douleur nuits et jours, refusait de recevoir qui que ce soit venant la consoler, maigrissait à vue d’oeil, alors « l’oncle Mac »  prit une grande décision, à 63 ans.

Il irait chercher le corps de son fils, là-haut dans le nord. Il le ramènerait, il le mettrait dans le caveau de famille à 800 mètres de la grande maison. Il y aurait enfin un endroit où sa femme pourrait aller épancher sa douleur, un endroit où se recueillir… Il ferait SA guerre à lui, puisqu’il avait été trop vieux pour prendre la place de son fils.

L’odyssée de cet homme nous est quasi impossible à comprendre. Tante Hortense et mon arrière Grand-mère savaient, il leur avait tout dit, mais nous, nous ne savons plus.

Il a pris le plus d’argent possible, si possible en pièces d’or (c’était une famille très aisée). Il a emprunté deux ou trois tenues de garde chasse, de paysans, d’homme ordinaire, et il est parti en train, vers le nord.

Puis il a payé grassement un paysan (inapte à la guerre donc quelque peu handicapé) pour l’accompagner avec sa charrette jusqu’au lieu fatal où était enterré son fils.

Il avait tous les papiers possibles et imaginables pour passer en zone « interdite ». Jamais il n’a vendu le faussaire de la commune, qui les lui avait délivrés…

Ce n’était pas encore trop le désordre DEBUT OCTOBRE, et même si certains ont été surpris de voir cet homme digne mais ferme arriver, ils surent écouter ses doléances.

Léon était enterré à un endroit précis qui lui fut montré, mais le père voulait être sûr. Il ne voulait pas que rapport à une erreur de mémoire ou de plaque d’identité inversée, il puisse ramener le corps de quelqu’un d’autre…

Il a donc fallu déterrer le corps, et à la demande du père qui l’a fait lui-même, ouvrir le cercueil sommaire qui le contenait. Par la suite, les cercueils ne furent plus nécessaires, le linceul non plus, on enterra les corps comme on le pouvait… (en mélangeant parfois les morceaux, excusez-moi les jeunes, pour cette horrible précision !)

Je n’ose même pas imaginer ce que scruta le père, de ce qu’il restait d’un fils mort un 23 août, en ce début octobre. Je ne peux même pas imaginer quels furent les sentiments qui l’animèrent à ce moment là. Nous savons seulement qu’il reconnu la médaille de baptême que son enfant portait toujours et « un problème au niveau d’une canine de la mâchoire supérieure ». C’était bon, c’était bien son fils, et il voulait l’embarquer.

« Impossible lui rétorqua le chef du secteur ». Vous ne passerez jamais avec un cercueil dans cet état et CE qu’il y a dedans ».

Le père commanda donc un cercueil au village le plus proche. Le cercueil dans le bois le plus dur, le plus imperméable, fermant le mieux possible, le cercueil le plus beau,  et 10 jours après, le corps de Léon quitta sa première boîte pour rejoindre la seconde et dernière. Plomber le cercueil était impensable : le plomb était bien trop précieux…

Le commandant du secteur sans trop d’hésitations (c’était les tous débuts, et pour eux, la guerre devait durer au maximum un an), délivra un certificat comme quoi l’oncle Mac emportait bien le corps de son fils Léon Mac, mort le 23 août 1914, enterré sur place à X (top secret) et déterré sur la demande de son père, avec l’accord de l’administration et des armées, pour être inhumé chez lui.

Le père anesthésié moralement désormais, récupéra la médaille. Il avoua être resté 3 jours sans manger pour finir par vomir intact, le repas pris 72 heures auparavant, juste avant le transfert du corps d’un cercueil à un autre et la récupération de la médaille.

Puis il paya grassement l’homme qui avec sa charrette, lui, le cercueil de son fils et son fils, allait le ramener chez lui, dans ce qui était encore la Seine et Oise et devait devenir un jour « les Yvelines ».

Ils purent parfois prendre un train avec leur charrette, firent ce qu’ils purent pour éviter la réquisition des deux bidets la traînant, et un beau jour, un 11 novembre 1914, Léon put être enterré de manière légale et reconnue, « chez lui », dans « son » village où il eut droit à une deuxième cérémonie officielle, ce qui lui fit une belle jambe, et Tante Hortense put venir pleurer sur sa tombe (nous le savions bien que c’était lui, l’homme X de sa vie).

L’homme qui avait aidé l’oncle Mac resta sur la propriété jusqu’à la fin de ses jours, logé, nourri, salarié, aimé. Avec lui, chargé du chenil « pour la gloire », l’oncle allait parler tous les jours, l’oeil terne et morne, regardant ailleurs, et revoyant ce que nous ne devrions pas voir, sentant ce qu’il avait senti quand le temps se réchauffait et que des émanations trop nettes lui rappelaient ce qu’il se passait derrière lui, dans le cercueil, dans la charrette.

La mère de Léon récupéra la médaille de son fils en pleurant, mais de pleurs apaisés. Désormais, elle avait une tombe sur laquelle aller se recueillir, et pouvait sans déshonorer la famille, recevoir ouvertement celle qui aurait pu devenir sa bru.

L’oncle Mac ne fut plus jamais le même.

Il y avait pour lui :

  • Avant le voyage
  • Le voyage, la peur et l’espoir tout de même, au ventre
  • La reconnaissance du corps
  • L’extraction de la médaille de baptême du corps
  • Le voyage de retour, avec donc, quand le temps se mettait au doux, des relents lui rappelant ce qu’il advenait de ce qu’il restait de son fils, juste derrière lui…
  • Donc il y avait un avant et un après. D’ailleurs lui, n’allait jamais sur la tombe de son fils. Pour lui, la vraie était restée là-haut, dans le nord, dans un coin dont il avait oublié le nom…
  • Et il y avait finalement pour lui, l’amour sans fin qu’il avait pour sa femme, car c’est pour elle surtout, qu’il avait entrepris ce triste voyage. Elle ne s’en est jamais rendue compte vraiment… Mais il ne lui en a jamais voulu, parce que c’est cela l’amour.

Le cousin Mac repose au cimetière familial dans le village de mes parents. Les siens l’y ont rejoint, tante Hortense aussi, et quasi tout le reste de cette génération qui a été maudite pour on ne sait quelle raison.

Si son père ne s’était pas dérangé, peut-être serait-il au milieu d’autres, si bien représentés sur cette photo où la terre de France se souvient… Ou peut-être serait-il disparu à jamais, tant de corps n’ayant jamais été vraiment retrouvés après de multiples bombardements…

Car la vie n’est qu’un long, long, long, calvaire… Surtout quand on évoque cette période là…

1.300.000 hommes, rien que pour la France, sacrifiés pour que l’on remette cela 20 ans plus tard…

PS : cette histoire est 100 % authentique. Trop de papiers ont disparu pour que je puisse vous donner les lieux exacts, mais ce voyage, ce père l’a fait.

PPS : un jour férié qui tombe un dimanche, vraiment ces hommes là sont morts pour RIEN !

Photo : Merci MARCUS !

Parfois, on y songe vraiment…

Parfois, souvent, devant l’absence de commentaires sur ce blog, je songe vraiment à l’arrêter maintenant, tant qu’il en est encore temps

Après tout il a eu 6 ans en juin, il a peut-être fait son temps. Je fais désormais figure d’ancêtre sur la blogosphère.

Ce n’est pas du chantage, c’est une simple constatation, et cela ne vient pas de la cigarette… Ne pas se méprendre sur le coup de blues…

J’y pense de plus en plus. C’est pour moi une bouffée d’oxygène que je ne prends plus tous les jours, mais tout de même…

C’est une bouffée d’oxygène. Cétait

Je ne sais pas combien de temps je tiendrais encore. J’ai des millions de choses encore à vous dire, mais j’ai l’impression que vous n’êtes plus là.

C’est tout.

Y renoncer à ce blog,  me ferait mal.

Continuer dans ces conditions tout autant…

La vie n’étant qu’un long calvaire…

Peut-être qu’un jour je viendrai tout simplement venir vous dire adieu ici, après 6 ans 1/2 de bons et loyaux services (enfin, je le crois).

Le premier vrai chagrin…

Roland

Il y avait eu des départs qui ne m’avaient pas spécialement bouleversée. En avril 1978 quelques larmes pour une trop vieille dame, dont je savais qu’elle me manquerait mais… Rien d’extraordinaire toutefois, juste la vie et son cortège de tellement vieilles personnes que l’on sait qu’il est normal qu’elles nous quittent.

« C’est dans l’ordre des choses », ainsi va la formule.

Et puis il y a eu ce matin là. J’avais 20 ans. Premier jour pour moi dans mon deuxième travail. Le téléphone a sonné et c’était à moi de décrocher. J’ai donc entendu des mots sans fards, sans métaphores, sans préambule. J’ai entendu que tu étais mort et aucun mot n’aurait pu changer la vérité. Papa et maman n’avaient pas eu le courage de m’appeler, c’était mon autre grand-père qui s’en était chargé.

Je n’ai pas trop osé pleurer, juste un peu sur le moment tellement j’étais choquée, et j’ai fait ma journée avec l’impression que quelque chose n’était pas vrai. J’avais envie de partir, mais on ne quitte pas son travail tout neuf le premier jour, surtout quand on n’a pas vraiment compris… J’ai oublié depuis, les appels que j’ai pu avoir ce jour là, je me souviens juste que je suis rentrée chez moi, et que j’avais peur de dormir dans ma chambre, tout le monde étant absent de l’appartement parce que c’était les vacances et tout le reste de la famille à la campagne, à 5 km. J’ai ouvert le canapé lit, j’y ai apporté des draps et je me suis couchée , la gorge serrée, sans y croire.

La nuit, j’ai rêvé de toi. Tu étais là et je te parlais et tu me parlais. J’ai touché ta joue pour la première fois en te demandant ce qui t’avait fait le plus souffrir, et tu n’as pas répondu. Dans mon rêve tu étais vivant, et j’avais oublié que c’était désormais faux. Et après les rêves, vient le réveil.

Car au réveil, la vérité est là, à nouveau. Il nous faut la réapprendre. Au réveil il y a le court instant où l’on se demande si l’on a rêvé, le moment où l’on réalise que non et qu’il faut affronter la vie qui continue. La vérité était là : tu étais mort. Et c’était injuste, et c’était impossible, et là j’ai vraiment pleuré, avec l’impression affreuse que tu étais tout de même là quelque part, que tu trouvais à la fois qu’il était juste que je pleure ton départ, et triste pour moi que je sois si triste, parce que tu avais forcément des choses à me dire qui auraient pu apaiser ma douleur.

Les gestes de la vie sont automatismes, et il est heureux de pouvoir les exécuter sans penser à ce que l’on fait. Mais au fond il y avait cette pensée lancinante, plantée dans le coeur que toi plus jamais… Toi plus jamais tu ne te regarderais dans un miroir. Plus jamais tu ne prendrais ton peigne pour te coiffer. Plus jamais tu ne te sentirais bien d’avoir bu ta boisson chaude du matin. Plus jamais tu ne sentirais le vent tiède de l’été caresser tes joues, même pour sécher des larmes.

C’était un 28 août, encore l’été pour un moment.

Et puis après il y a eu le refus de tes enfants de me voir à la mise en bière, pour m’épargner de te voir trop changé. Je n’ai eu droit qu’à la vision de ton cercueil dans une église trop froide, j’ai regardé la terre tomber sur toi quand on t’a fait descendre dans ta dernière demeure. J’ai pensé au soleil trop chaud même si j’étais glacée, à ce qui se passe sous la pierre tombale mise en place. J’ai eu vraiment peur pour la première fois et je ne pouvais rien faire contre ça.

Combien de larmes pour toi ? Je ne sais même plus. Quand j’ai tenu Pulchérie sur moi pour la première fois, quand j’ai été seule avec elle, je crois que tu as été le seul invité de ce soir si particulier. Et puis aussi pour Delphine. Il y a eu ces nuits noires où j’étais seule avec la vie venant de moi, que je tenais un peu de toi, blottie contre moi. Le moment où je me suis dit « il ne la connaîtra pas ». Les dernières fois où j’ai vraiment pleuré. Car je savais à quel point tu aurais été heureux de les prendre dans tes bras. J’imaginais en serrant mes filles contre moi, ton rire si particulier, ton regard pouvant être à la fois mélancolique et joyeux, et je pensais une fois de plus que ce n’était pas juste.

Comme l’autre, celui qui m’a encore accompagnée un moment, tu aurais été si formidable et si différent. Tu étais si patient. Tu aurais tenu leurs petites mains pour les accompagner dans leurs premiers pas, tu leur aurais lu des histoires, tu aurais ri de leurs babillages, sans jamais te lasser. Elles t’ont manqué et tes autres arrières petits enfants également, et tu leur a manqué.

Tu as été mon premier vrai chagrin, celui qui laisse une blessure ouverte, et qui fait que, 34 ans après ton départ, je pense toujours à toi… Même s’il y en a eu d’autres après toi mais plus dans l’âge de « l’ordre des choses », toi qui m’avait permis de me préparer à d’autres chagrins. Et tu es dans la seule tombe que j’évite de regarder, parce que je sais que si je pose mes yeux dessus, forcément, ils se remettront à pleurer, comme il y a 34 ans, comme hier… Sans penser que sous la dalle, Mrs Tricot t’a rejoint comme elle l’a espéré et souhaité, de ta mort à la sienne 13 ans plus tard.

Mon premier vrai chagrin, qui m’a fait comprendre que j’en vivrais bien d’autres… C’est toi…

Et cela sera toujours toi… Parce qu’on ne peut pas revenir en arrière, ni changer l’ordre des choses…